mardi 29 avril 2008

Résilience du FN

De déroutes électorales en Bérézina financière, le Front National s'est enfoncé ces derniers mois dans une crise notoire: le parti de Jean-Marie Le Pen a perdu en 2007 de sa pertinence auprès de son audience-clé, à savoir une partie substantielle de l'électorat ouvriers-employés-artisans-petits commerçants.
Cette population, le Front National en avait acquis les suffrages en exploitant une question que les autres partis avaient résolu de passer sous silence: la perception et le "vécu" du phénomène de l'immigration d'origine africaine et nord-africaine par une "France d'en bas" des "petits Blancs". Pourquoi le FN a-t'il brusquement cessé de "faire sens" auprès de cette fraction des citoyens? Parce qu'un certain Nicolas Sarkozy, rompant un concensus, a intégré dans son discours et dans ses actes une posture de fermeté sur l'immigration. Et l'affirmation de cette posture s'est faite de façon lisible, spectaculaire (voir ici même http://helvetia-atao.blogspot.com/2007_04_01_archive.html).
Sachant que le même Nicolas Sarkozy disposait - légitimement - d'un capital de crédibilité et de respectabilité nettement supérieur à celui de Jean-Marie Le Pen, la captation de l'électorat Frontiste s'est opérée de façon très efficace. Plutôt que d'avoir à se justifier d'un vote FN en disant "je ne suis pas raciste, mais...", un nombre considérable d'électeurs a trouvé plus simple de dire "je vote Sarkozy". Démentant les pronostics, ces électeurs ont préféré la copie à l'original. Résultat: un Le Pen furibard de s'être fait voler "ses" électeurs, le siège du parti vendu au plus offrant, une guerre de succession quasi-ouverte entre fifille et les tenants du "canal historique". Sachant par ailleurs que l'air du temps (médiatique) est ces temps-ci davantage au thème du pouvoir d'achat qu'à celui du fumeux diptyque immigration/insécurité, on pourrait raisonnablement penser que l'affaire soit entendue: l'élection de Nicolas Sarkozy aurait éliminé le Front National du paysage.
J'ai tendance à croire qu'il n'en est rien, ceci pour deux raisons:
La première est que la xénophobie, le racisme explicitement ou implicitement exprimés à l'occasion du vote FN ne se sont pas évanouis comme par enchantement. Le "coup" du ministère Hortefeux (Immigration et Identité Nationale), dûment annoncé durant la campagne était "bien vu", objectif atteint, voir ci-dessus. Cependant le rejet de "l'immigré" (même de sixième génération, du moment qu'il n'a pas la peau tout-à-fait blanche) s'abreuve principalement à deux sources: l'une est émotionnelle, irrationnelle - le repli sur un "nous" plus ou moins historique dont l'Islam, notamment, est clairement exclu - l'autre est factuelle - la violence et les incivilités en milieu urbain, visiblement attribuables à des gangs quasi-exclusivement constitués de jeunes issus de l'immigration, une source renforçant l'autre. Or ce phénomène de rejet s'épanouit d'autant mieux que s'accroissent l'insécurité en matière sociale, les inégalités et le sentiment d'une dégradation économique individuelle (le fameux "pouvoir d'achat") ... notamment si par ailleurs les problèmes de violence urbaine ne sont pas résolus. Un an après la présidentielle, nous y sommes, très exactement.
La seconde est que le Front National est un "objet politique" unique, associant paradoxalement une forme de nouveauté ("on n'a jamais essayé") et une traçabilité historique exemplaire. L'attrait de la "nouveauté" ne peut se traduire concrètement en termes électoraux que si le FN est en mesure d'aligner des troupes, or son maillage du territoire a tendance à se déliter, par les temps qui courent. Cependant il s'agit d'un phénomène qui peut s'avérer temporaire. Plus durable est l'historicité du FN, plus durable également la réprobation qui y est associée. En clair: le FN est l'héritier de l'extrême droite française, du général Boulanger à Tixier-Vignancour en passant, et ce n'est pas un détour, par Pétain et Darquier de Pellepoix. Or cet héritage suscite un rejet qui, par son ampleur médiatique, donne à ce parti un côté "fruit défendu": bien géré, çà peut devenir un atout.
A ce titre, la récente récidive de Le Pen sur les chambres à gaz et Auschwitz ( "J’ai dit qu’elles étaient un détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale: ça me paraît tellement évident", etc..) est intéressante dans le processus qu'elle enclenche: d'une part en toute logique de nouvelles poursuites judiciaires, au nom de la loi Gayssot ("Délit de contestation de crimes contre l'humanité"); d'autre part une prise de distance avec le "chef" au sein même du FN. Ce recours en justice au nom de l'archétype des "lois mémorielles" aura pour principal effet de mettre en relief le côté sulfureux du monsieur, tandis que la contestation interne, qui devrait devenir de plus en plus audible médiatiquement, laissera entendre qu'une page se tourne. Nonobstant, si elle se tourne, ce sera en prenant les mêmes - voire le même patronyme, sous l'hypothèse "Marine" - et en recommençant. Résilience du FN: recommencer avec un petit parfum d'interdit - un héritage actualisé - mais pas trop, l'hypothèque "Jean-Marie" ayant été dûment levée.
Alors Rama Yade, Rachida Dati, Fadela Amara, oui, bien sûr, les choses bougent. Mais si ces changements ne servent en définitive qu'à masquer des coups de canif de plus en plus violents dans le contrat social, alors en France le passé, même indigeste, aura un grand avenir.

Ciao, belli.

jeudi 17 avril 2008

Tout passer à la Chine?

En 1980, les Etats-Unis et une cinquantaine d'autres nations boycottèrent les jeux olympiques de Moscou, afin de protester contre l'invasion de l'Afghanistan par l'Armée Rouge un an plus tôt. Quand on joue au con, on peut être deux: quatre ans plus tard, l'URSS et ses satellites boycottaient les Jeux de Los Angeles, nananè-re.
Si mes souvenirs sont exacts, l'un des résultats les plus tangibles du boycott de 1980 fut le nombre inespéré de médailles remportées par les athlètes français, en l'absence des Américains. Pour ce qui est de l'Afghanistan, il fallut aux "combattants de la liberté" qu'étaient alors les musulmans barbus neuf années de combat et un millier de missiles "Stinger" pour voir déguerpir un envahisseur athée et, il faut bien le dire, assez peu respectueux du droit des peuples et de l'homme.
Pas loin de trente ans plus tard, l'idée d'un boycott des Jeux, ou tout au moins de leur cérémonie d'ouverture, est de nouveau dans l'air, notamment en France, tandis que le parcours de la flamme olympique a été sérieusement perturbé lors de son passage à Londres, à Paris, à San Francisco et à New Delhi.
Il y a que l'hôte des jeux olympiques d'été, cette année, c'est la Chine. Et Jeux ou pas, les gouvernants chinois, comme naguère les Soviétiques, les droits des peuples et de l'homme, ils s'en torchent (désolé, celle-là j'ai pas pu m'empêcher). En témoignent la récente répression du mouvement tibétain et les arrestations d'opposants divers et variés, crispation autoritaire qui, comme le faisait récemment remarquer "Libération", ne se manifeste pas malgré les Jeux mais à cause des Jeux: on coupe tout ce qui dépasse, afin de garantir l'"harmonie sociale" durant l'événement.
Parallèlement à l'activisme plutôt efficace d'un Robert Ménard (Reporters Sans Frontières), et au-delà du chahut parisien lors du passage de la torche sino-tractée, s'est développée une de ces gesticulations risibles dont la France a le secret.
Les athlètes français, représentés par David Douillet, avaient décidé que non, vraiment, face à de telles violations des Droits de l'Homme, les sportifs de la Patrie desdits Droits ne pouvaient rester sans rien faire. On allait voir ce qu'on allait voir. Un boycott? Euh, non. Un défilé avec le drapeau tibétain lors de la cérémonie d'ouverture, alors? Non plus, chacun son drapeau. Non, l'idée, c'était que les athlètes portent un badge, un gros pin's avec un message pour marquer le coup. "Vive le Tibet libre"? Ah non, c'eût été de l'ingérence. "Libérez Hu Jia", alors? Non plus: pourquoi lui plutôt qu'un autre (mis à part le fait que son nom prend moins de place que "Sa Sainteté le Dalaï-Lama" sur un badge)? Non, le message çà devait être: "Pour un monde meilleur". Ah ouais, bien vu: pour le coup, les gouvernants chinois auraient drôlement frémi dans leurs uniformes, fouyouyou. D'abord parce qu'on sait bien qu'au fond d'eux-mêmes ils veulent un monde plus mauvais. Ensuite parce qu'ils auraient senti l'allusion à Hu Jia et aux autres, ils sont malins, ils savent lire entre les lignes, les dirigeants chinois. Enfin parce qu'ils se seraient étranglés de colère devant l'audace subversive d'un petit pays de même pas cent millions d'habitants. "Pour un monde meilleur" - on aurait pu dire aussi "Pour des tartines sans trous dans le pain" ou "Pour des programmes Microsoft sans bug" - c'était une sacrée prise de position, digne d'un peuple épris de liberté... Las: le C.I.O. vient de faire savoir qu'une telle initiative allait à l'encontre de l'"esprit olympique". Consternation de David Douillet, désarroi des athlètes français, qui désormais proposent que leurs homologues de tous les pays portent ce badge. Aux dernières nouvelles, on en est là: une initiative qui, pour quiconque ayant un Q.I. supérieur à 12, relève du ridicule le plus total, devient, par la grâce du C.I.O., un acte politique, un sujet de débat.
Passons sur le mystère grotesque qui entoure les conditions sous lesquelles Nicolas Sarkozy assisterait ou n'assisterait pas à la cérémonie d'ouverture... Toujours est-il qu'on apprend aujourd'hui qu'un boycott des entreprises françaises est en train de se mettre en place en Chine, notamment de Carrefour. Et pan, çà nous apprendra à jouer à la-Patrie-des-Droits-de-l'Homme. Comme le disait Churchill après les accords de Munich: "Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre".
Lorsque les Soviétiques dédidèrent en 1984 de boycotter Los Angeles, les Américains rigolèrent doucement: "Même pas mal, d'abord, restez chez vous, les cocos, çà nous fera des vacances". Mais que les dirigeants chinois décident, las d'être insultés, de ne plus jouer le jeu de la mondialisation heureuse et se servent du cas français pour "faire un exemple", là on ne rigole plus. Et cette riposte chinoise nous amène au coeur du problème: la nature et les modalités de l'intégration de la Chine dans le capitalisme mondialisé.
C'est évident, même David Douillet s'en est aperçu, la Chine est tout sauf un pays de liberté: des médias aux ordres, des opposants - même "légalistes" comme Hu Jia - en prison, torturés ou tabassés, l'Internet sous contrôle strict, les désirs d'autonomie régionale étouffés dans le sang, etc... Mais ce qui est également évident, c'est que la Chine est devenue un acteur majeur de l'économie mondiale: l' "usine du monde", un marché quasi-solvable de 450 millions de consommateurs, le principal créancier, via des "fonds souverains", du Trésor américain.
Au sein des pays démocratiques tout celà est vécu comme une dualité, un peu comme "la Force" dans la saga de George Lucas: il y a le côté lumineux - l'intégration dans l'économie mondiale - et le côté obscur - un régime liberticide. Et tandis qu'on exalte le premier, vu comme un signe de progrès, on déplore la persistance du second, symptôme d'une "arriération".
Là où çà devient intéressant c'est que dans la pensée dominante, singulièrement en France, on prédit "qu'à terme", le développement de l'économie en Chine amènera "inéluctablement" l'assouplissement du régime, voire la démocratie. Et du coup, cruel dilemme: on ne pourrait pas "tout passer à la Chine" en matière de respect des droits de l'homme, mais en même temps stigmatiser la situation ce serait "isoler" les Chinois du reste du monde, donc retarder l'éclosion des libertés démocratiques.
Il est envisageable qu'un jour on puisse effectivement écrire et parler librement en Chine, voire qu'on y organise des élections, tout est possible. Mais le raisonnement qui préconise le maintien d'une "porte ouverte" au nom d'un futur Pékin démocratique me paraît à la fois hypocrite et contradictoire.
  • Hypocrite parce que derrière la volonté de "rester en contact", on voit venir, avec ses gros sabots pleins de paille, l'appétit de profits des uns et des autres. Et ce bien davantage qu'une volonté de diffusion, par capillarité, des vertus de la démocratie. Pour ne prendre que cet exemple, l'entreprise Yahoo! a volontiers accepté de participer à la censure de l'Internet en Chine pourvu qu'elle puisse y faire du business. Alors le coup de "la main tendue", à d'autres
  • Contradictoire parce qu'il conviendrait, à l'inverse, d'aborder l'intégration de la Chine dans la mondialisation en posant la question suivante: ce pays aurait-il connu une croissance économique aussi fulgurante et une intégration aussi efficace s'il n'avait pas, justement, limité les libertés à une seule, celle d'entreprendre?
Certes, la liberté d'opinion n'existe pas en Chine, et c'est déplorable... Mais la liberté syndicale non plus. Pas davantage qu'une quelconque régulation des relations employeurs/employés, même jurisprudentielle et contractuelle, à l'anglo-saxonne. Et çà, tout le monde s'en contrefout, dans nos pays démocratiques tellement attachés aux libertés. A la limite, on peut même raisonnablement supposer que certains s'en réjouissent discrètement: l'exploitation des "masses" chinoises à des salaires misérables, c'est la garantie de profits substantiels pour les uns... et de l'accès à des biens de consommation moins chers pour les autres. En tout cas tous les experts du MEDEF vous le diront: la liberté syndicale et la régulation du salariat, c'est pas très bon pour la croissance et la compétitivité.
Si un jour des libertés politiques devaient émerger en Chine, nulle doute qu'elles entraîneraient (comme en Espagne après le Franquisme) ou suivraient (comme en Pologne avec Solidarnosc) l'éclosion de libertés sociales. Applaudir les premières et déplorer les secondes serait non seulement immoral, mais incohérent.
Dès lors, la critique du régime chinois - légitime et salutaire, au demeurant - devrait logiquement s'accompagner d'une critique de la condition et de la finalité de son existence: le "laisser-faire" économique. Mais c'est sans doute trop demander à nos têtes pensantes.
Alors, boycott des Jeux? Chiche!... Mais à condition de boycotter le "made in China" et les profits qui vont avec. Plus dur, là, déjà. Voire impossible.
En attendant, tu peux toujours défiler pour Hu Jia et les Tibétains, camarade. Mais n'oublie pas le sort des ouvriers victimes de l'hyper-capitalisme, pilier du dernier régime communiste en état de marche.
Allez, salut.

mercredi 2 avril 2008

Putain de banderole!

Scandale. Émotion. Colère. Bruit médiatique.

On éditorialise, on contextualise, on s'interroge, car la France d'en haut, d'en bas, du milieu, vient de subir un choc terrible. S'agit-il de l'entrée en vigueur prochaine du nouveau Code du Travail, dûment "simplifié" par les experts du MEDEF? S'agit-il de la transformation à peine discrète du Grenelle de l'Environnement en Azincourt de la Bio-diversité, ou bien encore de la suppression effective de 575 postes à l'usine Arcelor-Mittal de Gandrange malgré la "prise en main du dossier" par le Président de la République en personne? Mais vous n'y êtes pas, voyons, toutes ces choses ne sont que peccadilles.
Non, le choc, c'est le déploiement, par une bande de supporters durant un match de foot PSG-Lens, d'une banderole de trente mètres de long insultant les gens du Nord de la France ("Pédophiles, chômeurs, consanguins: bienvenue chez les ch'tis"). Tout cela devant les caméras de télévision et en présence de Sarkozy, Delanoë et Jospin. L'indignation est générale, et ce soudain mais sans doute éphémère consensus Droite-Gauche fait chaud au coeur. "C’est du dégoût, c’est de la colère. Et puis c’est surtout une détermination absolue que ces comportements soient très très durement sanctionnés», expliquait hier François Fillon sur France Inter, tandis que Martine Aubry attend "des supporters parisiens qu’ils fassent amende honorable". Pour l'occasion, le maire (PS) de Lens Guy Delcourt a été reçu à l'Elysée: "Nous sommes bien en phase, le Président, Gervais Martel [patron du club lensois] et moi-même sur la volonté de mettre un terme définitif à ces comportements», déclarait-il suite à cet entretien (citations extraites de www.Libération.fr ). Bref, le rêve de François Bayrou se réalise: lorsque l'enjeu est majeur, les hommes et femmes de bonne volonté, d'où qu'ils viennent, savent faire front commun.


D'ores et déjà, Michèle Alliot-Marie, Ministre de l'Intérieur, annonce les grands moyens: on va procéder à des tests ADN sur la banderole pour identifier les coupables, et on va voir ce qu'on va voir. (Bientôt, un nouvel épisode de "Les Experts-Saint Denis - Stade de France", avec un flic exhibant, hilare, un résultat d'empreinte génétique: "Hey, I have a match... a football match, ha ha ha elle est bonne, hein, chef?")

Non mais franchement, sérieusement, on est où, là, c'est quoi, ce cirque?

Soyons clairs: je fais partie des très rares bipèdes humains de sexe mâle que le football laisse totalement indifférents. Même une finale de la Coupe du Monde, si si. Ça doit sûrement influencer mon jugement sur cette histoire, mais je ne désespère pas d'être sur la même ligne que la plupart des "footeux" ou tout au moins "non-indifférents" ou "passionnés occasionnels" que je connais.
Cela étant posé, revenons à nos moutons. De quoi s'agit-il, en définitive? Il se passe que la France, ses journalistes, son personnel politique se trouvent confrontés à un phénomène archi-connu: la passion du football, poussée à fond, çà donne de la haine à l'état brut. Et, le cas échéant, des blessés voire des morts. Une banderole insultante pour le camp d'en face est déployée par une bande de supporters. J'ai envie de dire: et alors, quoi de neuf sous le soleil (que les gens du Nord ont dans le coeur, pas dehors)? En quoi cet événement justifie-t'il un tel émoi, si on ramène çà à son contexte, c'est-à-dire un match de foot? Que je sache, personne n'envisage de mener des tests ADN sur les bananes que des "passionnés de football" jettent aux joueurs Africains, si?
Justement: traiter un Noir de singe, c'est déplorable mais que voulez vous, ces choses-là arrivent, Madame la Ministre... Tandis que remuer la tronçonneuse dans les plaies de drames sociaux terribles, qu'un cliché tenace juge récurrents dans une région bien de chez nous alors là, non, trop c'est trop. Surtout lorsque par ailleurs les spectateurs se ruent par millions vers un film qui se fait fort de réhabiliter ladite région avec humour (à ce qu'il paraît, je ne l'ai pas encore vu). Ce coup de canif dans un consensus bon-enfant, plus de quarante ans après la célèbre chanson d'Enrico Macias, c'est la mouche dans le lait, la transgression absolue, impardonnable.
La transgression: avec la connerie à l'état chimiquement pur, c'est sans doute la notion qui résume le mieux le phénomène des tifosi, hooligans et autres "ultras". Voilà des gens qui, l'espace d'un match, désinhibés par la bière et/ou un fort sentiment tribal, vont se mettre à rompre les barrières qui séparent l'homo sapiens du primate et ce, bien souvent, en conscience. Le but n'est pas tant d'exprimer bruyamment son soutien à une équipe donnée que de hurler à la face du monde: "Moi et mes potes on craint vraiment, on le sait et on vous emmerde". Saluts nazis, insultes racistes, violence... banderoles insultantes, tout est bon pourvu que cela souligne une infréquentabilité définitive.
Ce qui me frappe depuis vingt-trois ans (les morts du Heysel), dans tout çà, c'est: 1) qu'on s'en étonne; 2) qu'on rejette le hooliganisme à la marge de ce qui serait le "vrai" football.
Le football est, quoi qu'on en dise, bien davantage qu'un spectacle sportif. C'est aussi d'une part une formidable pompe à fric, d'autre part un amplificateur de passions grégaires locales ou nationales ("A bas Paris, vive Marseille" ou "Aux chiottes les Boches, allez la France") toujours vivaces. L'exaltante griserie d'un affrontement, soulignée par une présence totalitaire au sein des médias, vente d'espaces publicitaires oblige: cocktail détonant pour exciter un maximum de gens, excitation dont on espère bien qu'elle aura un effet démultiplicateur sur le business de ce spectacle. Le tout sur fond de sociétés, en Europe comme ailleurs, où les inégalités se creusent, où les sentiments d'appartenance, locaux ou nationaux, se résument à des notions d'autant plus basiques que "le politique" est perçu comme lointain: des sociétés où le foot, pour un nombre croissant de gens, c'est tout ce qui reste de tangible comme sentiment du "nous".
Dès lors, qu'une frange des spectateurs persiste, malgré les injonctions de bienséance ou plutôt à cause de ces injonctions, à vivre cette excitation jusqu'à l'extrême, rien d'étonnant. Et le hooliganisme n'est pas une incongruité du football en tant que spectacle totalitaire, il en est au contraire un effet consubstantiel et inévitable, sinon l'aboutissement.
Alors:
  • Le jour où les médias cesseront de nous bassiner quotidiennement avec tous ces matches "importants",
  • Le jour où les maires de tout bord hésiteront davantage à subventionner leur équipe locale qu'à investir dans des crèches,
  • Le jour où on traitera les supporters ivres de haine comme on traite les étrangers sans papiers,
  • Le jour où on trouvera officiellement indécent qu'un footballeur gagne 100 ou 1000 fois le salaire d'un professeur agrégé,

Ce jour-là, oui, ce jour-là, je m'indignerai avec les autres du comportement des supporters du PSG.

D'ici-là, cette putain de banderole, je m'en fous.

Allez, tchao.