mercredi 15 octobre 2008

Sifflons-z-enfants de la Patrie-i-eu

Ce qu'il y a de bien, avec le foot, c'est que, contrairement au water-polo ou au curling, c'est un sport qui donne à réfléchir. Attendez, partez pas, je m'explique: avec les autres sports, lorsque se déroule une épreuve, la plupart du temps l'événement en soi ne sera jamais que sportif. Tandis qu'avec le foot, on a vite fait d'embrayer sur des tas d'autres choses...
Souvenez-vous, c'était il y a à peu près six mois (voir ici-même et la même chose, en couleur, sur Rue89), la France s'émouvait parce qu'une banderole insultante pour les "ch'tis" avait été déployée par des supporters du PSG. Enfin, "la France", disons ses médias et une bonne partie de sa classe politique. On découvrait ou feignait de découvrir que les stades sont souvent remplis d'un nombre non-négligeable de crétins absolus. Et on était d'autant plus choqué que, cette fois, il ne s'agissait pas d'injures racistes "ordinaires": les bananes jetées aux joueurs noirs, passe encore, mais insulter les "gens du Nord", ça, non.
Aujourd'hui, nouveau drame d'ampleur nationale: des supporters ont sifflé la "Marseillaise" lors d'un match amical France-Tunisie hier soir. Les supporters en question, d'après les documents que diffuse la presse, étaient plutôt jeunes et bronzés, bref des "Français d'origine maghrébine" comme on dit, car quand on n'est pas blanc-blanc on est toujours un Français-d'origine-quelque-chose, même à la quatrième génération. (Là-dessus j'en ose une très mauvaise: un match amical, c'est un match qui compte pour du beur)
L'affaire est grave: Nicolas Sarkozy lui-même, délaissant un moment le sauvetage de l'économie mondiale, s'est emparé du "dossier", flanqué de son Premier Ministre et des membres du gouvernement concernés. S'en sont suivis une avalanche de communiqués, la convocation séance tenante des instances nationales du foot et une série de "mesures à prendre". Ce soir, Roselyne Bachelot, Ministre des Sports, de la Santé et de je ne sais plus quoi, occupait le plateau du journal de France 2. Branle-bas de combat, tout le monde sur le pont.
Le truc, ce coup-là, c'est que contrairement à l'"affaire" de la banderole anti-"ch'tis", il y a des précédents identiques: la "Marseillaise" fut également sifflée lors de matches France-Algérie et France-Maroc.
Il y en a un à qui ça n'a pas échappé: Jean-Marie Le Pen s'est fendu d'un communiqué sur l'échec de l'intégration de "masses étrangères". On lui objectera, a minima, que s'il n'avait tenu qu'à lui à une certaine époque, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et tout un tas d'autres pays remplis de gens à peau sombre seraient restés dans le giron de la France. Ces "masses", bien que nées sur des sols lointains, auraient donc été moins étrangères que ces gamins ayant vu le jour à moins de vingt kilomètres de Notre-Dame, hein, dis, Jean-Marie? N'empêche, cet hymne national sifflé pose la question de l'intégration. Mais pas forcément comme on l'imagine a priori.
Reprenons: des gens dont les parents ou grands-parents sont nés de l'autre côté de la méditerranée viennent assister à un match de foot entre la France et, disons, le pays d'origine de leurs ancêtres. Pour simplifier, admettons que les supporters siffleurs d'hier soir soient tous d'origine tunisienne. Rappel: un supporter de foot, qu'il soit ukrainien ou berrichon, est avant tout un supporter de foot. Son truc, c'est de démontrer bruyamment à quel point il adore l'équipe A. Assez fréquemment , cette dévotion implique ipso facto la détestation de l'équipe B, et plus encore des supporters de l'équipe B. En Amérique Latine, cette passion pourra aller jusqu'au meurtre, sous nos latitudes on se contentera le plus souvent d'insultes, de bousculades ou de bagarres.
Tout ça pour dire que nos supporters de l'équipe tunisienne, en tant que supporters, vivent l'événement avec une idée en tête: exprimer avec éclat leur détestation du camp d'en face, en l'occurrence "la France". Bon, là-dessus se pose un problème matériel: aucun d'entre eux n'a eu le temps de préparer une chouette banderole du genre "Français = enculés". A défaut de l'image, reste le son: on siffle donc l'hymne national du camp d'en face - fût-il chanté par une "compatriote" - c'est toujours ça de pris. Bref le supporter de l'équipe tunisienne, surtout en bande, ne se distingue en rien des autres supporters, c'est avant tout bien souvent un con: exemple s'il en est de l'unité de l'espèce humaine, exemple à jeter à la face de tous les racistes.
Là où ça devient troublant, c'est qu'on peut aisément affirmer que la plupart de ces supporters "tunisiens" sont de jure des Français car nés en France, et si ça se trouve leurs parents aussi. Idem pour les supporters "algériens" et "marocains" des matches précédents. Par ailleurs on peut imaginer que leur expérience du Maghreb, aux uns et aux autres, se limite à quelques vacances de ci-de là, et leur connaissance de l'Arabe, pour la plupart, à "Nah'din a mouk". D'où vient dès lors cette expression soudaine de déloyauté?
Première explication évidente, d'ores et déjà reprise ici et là dans les médias: l'"intégration" ne fonctionne pas comme elle devrait, c'est le moins qu'on puisse dire. Le sentiment national ne se décrète pas, notamment lorsqu'au quotidien flics, employeurs et un certain nombre de "Français de souche" vous rappellent que vous êtes d'origine ceci ou celà, explicitement ou implicitement. Celà étant dit il y a autre chose, qui renvoie au "phénomène foot": de même que pour la banderole anti-"ch'tis", il y a dans ces sifflets quelque chose de transgressif, donc d'éminemment jouissif pour un supporter chauffé à blanc. Siffler la "Marseillaise" - le départ tonitruant de Chirac de la tribune officielle lors du "France-Algérie" l'a prouvé - c'est l'assurance d'une réprobation outrée de la part d'une France perçue comme bien-pensante: politiques et médias mais aussi, dans le cas qui nous occupe, Français "de souche". La sur-réaction du gouvernement (et de l'opposition) quant aux incidents d'hier ne saurait que renforcer nos facétieux supporters dans le sentiment qu'ils tiennent là un truc efficace, aussi efficace qu'une bonne banderole remplie de gros mots ou une baston générale à coups de battes de base-ball.
Sur le fond, quant à moi, cette "Marseillaise" sifflée me laisse indifférent: pour des tas de raisons, je n'ai jamais vibré à cet hymne aux paroles grotesques, je n'ai pas de sillons à abreuver (mon côté urbain, sans doute) et quand bien même j'en aurais, j'ai beaucoup de difficultés avec la notion de "sang impur". Je suis sûrement un mauvais Français.
Finalement, on peut dire que siffler la "Marseillaise" ou la chanter au garde-à-vous avec la larme à l'oeil, si on y réfléchit bien, c'est la même chose: c'est exprimer une émotion autour de quelques vers de mirliton jetés sur une partition pompeuse, c'est renoncer à l'intelligence et se laisser entraîner par une force d'ordre symbolique et irrationnelle.
Du coup, ces supporters qui sifflent la "Marseillaise" expriment deux choses: d'une part l'importance qu'ils accordent à ce chant, d'autre part l'alignement sur un comportement - la transgression - qu'on retrouve chez tous les supporters excités de France et de Navarrre. Paradoxalement, cette "Marseillaise" sifflée signe une certaine forme d'intégration. D'intégration par la connerie, certes, mais d'intégration quand même.
Ciao, belli.

mercredi 8 octobre 2008

NPA: Ne Pas Admettre

Des "caisses" que l'on disait vides finalement s'avèrent pleines de milliards d'euros que l'Etat français, à l'instar de ses homologues européens et américain, verse à pleins tombereaux dans la machine bancaire. Sans plus d'effet - en France comme ailleurs - qu'un cautère sur une jambe de bois, si on en juge par la persistante déroute des marchés boursiers. Pompiers pyromanes, les laudateurs du marché se réjouissent de cet interventionnisme revigoré, quand ils n'en demandent pas davantage. A l'exception d'un Madelin qui attribue la crise à une "mauvaise régulation" (Le Nouvel Observateur, 3/10/08), les gallo-ricains libéraux font par ailleurs entendre un silence assourdissant. Même les "ultras" de la Commission Européenne (les "gnomes de Bruxelles", comme les appelle Jacques Juillard) jouent les avions furtifs.

Bref, ces temps-ci, le capitalisme débridé a du plomb dans l'aile, le mythe de l'autorégulation du marché s'effondre vraiment et l'on redécouvre soudain les vertus de la puissance publique en matière d'économie. Ce n'est pas ici qu'on va s'en plaindre, cette dégelée que prennent les idées ultra-libérales a quelque chose de vraiment jouissif.

Tout naturellement, cependant, cette crise du système ouvre en France un boulevard façon Bucarest à la vivace Gôchedelagôche, j'ai nommé la nébuleuse en cours de formation autour de la LCR et de son charismatique postier: le "NPA" ou "Nouveau Parti Anticapitaliste", le nom est provisoire. Que prône en effet cette mouvance? La rupture avec le capitalisme, rien de moins. "Nos vies valent mieux que leurs profits", le slogan claque comme un drapeau rouge et sonne comme un évidence aux oreilles de ceux et celles que le spectacle de la "misère du monde" post-Reaganomics emplit de désespoir, puis de colère.
Ce boulevard est d'autant plus large que le réformisme social-démocrate que porte le PS est inaudible, à commencer par les commentateurs politiques passionnés par les batailles d'ego (on en a parlé ici).

Le NPA, donc, ou la énième tentative de construire une organisation unitaire d'extrême-gauche, dans le vide que laisse l'effondrement du PC. Je peux me tromper mais ce coup-là, il est bien possible que ça réussisse, les prochaines élections Européennes devraient réserver quelques surprises. Réédition du "coup du FN" Mitterrandien par la droite, trop heureuse de mettre des bâtons dans les roues du PS, relayé par des médias "amis" ou sous influence? Actualité brûlante d'un capitalisme qui semble chanceler? Toujours est-il qu'Olivier Besancenot est, ces temps-ci, particulièrement "audible". Il faut dire que certains sondages le placent dans les sommets des "personnalités préférées" à gauche. Et les sondages, bien sûr, c'est sacré. On a donc entendu le "porte-parole" (pas de chefs, chez ces gens-là, c'est bien connu) de l'auto-dissoute LCR sur France Inter hier matin.
Au-delà de la forme (l'incontestable séduction qu'opère la rhétorique incisive du bonhomme), une chose m'a frappé, sur le fond, dans ce qu'a pu raconter Olivier Besancenot: j'y ai perçu un discours d'évitement. En clair, on n'admet pas les choses qui fâchent et, face à la réalité, on pratique le déni. Dans un cas ça reste bénin, dans l'autre c'est plutôt inquiétant.

Là où ça ne mange pas vraiment de pain, c'est lorsque, ayant conclu son analyse critique implacable - et souvent imparable - des dérives du capitalisme, ce cher Olivier en vient, sous les questions des journalistes, à nous expliquer le système alternatif dont il rêve. En toute logique, il devrait nous annoncer la fin de l'économie de marché, car au fond c'est bien de cela qu'il s'agit, au NPA comme dans certains "papiers" du Monde Diplomatique. Oui mais voilà, l'auditeur de France Inter n'est pas complètement abruti, et si on lui annonce ça tout de go, il va logiquement en déduire que Besancenot préconise l'économie administrée, et c'est moyennement "porteur", comme projet de société. L'auditeur de France Inter est pragmatique, il n'aimerait pas que l'épicier en bas de chez lui soit remplacé par un fonctionnaire en blouse bleue, comme en Corée du Nord. Alors on n'en parle pas: on parle plutôt d'une "économie planifiée non-bureaucratique", d'une économie qui serait "planifiée par le bas", au niveau des usines, tout ça. Historiquement, ce projet porte un nom: les soviets. Mais bon, on ne prononce pas ce genre de mot à une heure de grande écoute. De même qu'on évite d'appeler "communisme" la vilaine planification "par le haut": ne surtout pas injurier l'avenir, des fois qu'on puisse extraire quelques frères ennemis staliniens de l'immeuble effondré du PCF. Lorsque ce n'est pas vendeur, on évite d'admettre ce qu'on est - un partisan du Trotskisme, à savoir d'un Bolchevisme qui aurait raté le train de l'Histoire. Mais ce déni-là, tellement prévisible, c'est de la rigolade.


Plus grave est le discours du "porte-parole" lorsqu'on évoque ce qui est devenu l'"affaire Rouillan". Résumons: Jean-Marc Rouillan, condamné à perpète, comme se copains d'Action Directe, pour la mort de Georges Besse et du Général Audran, était en semi-liberté aprés plus de vingt ans de prison. Une fois sorti il a rejoint, comme simple militant, le "comité NPA" de sa région. Seulement voilà, ce régime de semi-liberté ne lui était accordé qu'à la condition qu'il ne s'épanche pas publiquement sur son passé. Las: lors d'une interview à l'Express et à Libération, il a jugé bon d'affirmer en substance qu'il ne regrettait rien de sa "lutte armée". Zou, le juge le remet au gnouf aussi sec. Et Besancenot de s'indigner qu'on emprisonne "quelqu'un qui a purgé sa peine" tout en jurant ses grands dieux que "la LCR a toutours désapprouvé la lutte armée en France et fortement critiqué Action Directe", ce qui est certainement vrai... mais la question n'est pas là. Ce qui est époustouflant, dans ce discours, c'est le vocabulaire employé: "lutte armée". A moins qu'on ne me prouve le contraire, en Droit, un meurtre avec préméditation s'appelle un assassinat. Et la personne qui commet ce meurtre, un assassin. Seulement tout se passe, chez Besancenot, comme si cette réalité-là, ces mots-là n'étaient pas prononçables. Tout ça parce que les illuminés d'Action Directe pratiquaient un verbiage pseudo-marxiste et s'étaient eux-mêmes convaincus que leurs actes constituaient un combat politique: Olivier, c'est plus fort que lui, ça lui "parle". Et lorsqu'on évoque la violence d'Action Directe il répond quelque chose comme "oui mais, la violence sociale...", comme s'il y avait égalité formelle entre un licenciement et deux balles dans la peau. Lorsqu'elle est sordide, on évite d'admettre la réalité. Que Rouillan ait été le bienvenu au NPA, c'était déjà suspect: on aurait pu le traiter comme un vrai musulman traite un allumé jihadiste - "ton islam est une caricature, barre-toi de ma mosquée". Mais qu'on prenne sa défense au nom d'une indulgence inavouée pour la "lutte armée", masquée sous une revendication de "justice", c'est carrément pathétique et ça n'a rien de rassurant.
Déroute en rase campagne des ultra-libéraux, socio-démocrates englués, dégradation de l'économie réelle (notamment pour ceux en bas de la pyramide!), mousse médiatique nourrie de sondages, habileté du personnage: toutes les conditions sont réunies pour un succès significatif de Besancenot. Nonobstant, de déni de soi en déni du réel, ce NPA est sans aucun doute anti-capitaliste, c'est certainement déjà un parti, mais il n'a rien de nouveau: les bolcheviks, on connait. Historiquement, ça commence par une colère juste... mais ça se termine toujours par du totalitarisme. Et, tout au long du parcours, une bonne dose de bêtise.


Allez, salut.

jeudi 2 octobre 2008

Impartialité positive

Envie à cette heure d'opérer un léger flash-back: lors de la visite du pape à Paris, l'opposition et une bonne partie de la presse attendaient Sarkozy au tournant. Après le surréaliste discours de Latran, le président-aux-six-cerveaux allait-il en remettre une louche bien épaisse sur les bienfaits de la religion en général et de la foi catholique en particulier? Bien que rédigé, comme celui de Latran, par Emmanuelle Mignon, sa bigote "plume" en ce genre de circonstance, le discours fut perçu par tous comme assez modéré: Sarkozy, tel Jésus, est resté dans les clous.
Quoique: de nouveau été mis en avant le concept de "laïcité positive". Quoi donc? On connaît la "positive attitude" du très regretté Raffarin, le néologisme benêt "positiver", usé jusqu'à la corde par les Conseils en Management, et bien sûr la "discrimination positive", traduction approximative de l'affirmative action. Mais bon, la "laïcité positive", ça c'est nouveau, ça vient de sortir, avant le règne Sarkozyen il ne serait venu à l'idée de personne d'accoler un tel adjectif au mot "laïcité".
D'emblée, une idée vient à l'esprit: si on éprouve le besoin d'ajouter "positive", c'est qu'on pense que par défaut la laïcité est quelque chose de mauvais, comme la discrimination. Pourtant l'idée de laïcité est un des fondements de la République, depuis 103 ans très exactement, depuis qu'un gouvernement radical-socialiste décida de faire voter la fameuse loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat . Après avoir combattu cette loi toutes griffes dehors, l'Eglise catholique a fini par se résigner, par lassitude d'un combat visiblement perdu d'avance, à n'être officiellement considérée que comme une option parmi d'autres sur le "marché" encombré des croyances. De fait, en ce début de vingt-et-unième siècle, et si l'on met à part les enjeux que peut éventuellement soulever l'ancrage de l'islam de ce côté-ci de la méditerranée, la laïcité "à la française" est un principe largement rassembleur, droite et gauche, athées et croyants. Pourquoi dès lors, en en imaginant une version qui serait "positive", suggérer que ce principe pourrait avoir quelque chose de néfaste?
Il y a que la laïcité, dans sa version hexagonale, c'est l'affirmation d'une idée simple: la croyance ou l'incroyance relèvent de la liberté individuelle, et en matière de conscience l'Etat se doit d'être impartial. Impartial, ça veut dire qu'aux yeux de l'Etat aucune religion ne saurait être privilégiée.
Sur le papier c'est net, sans bavure. En pratique, ça se complique, car ce principe n'est pas sensé s'appliquer sur la lune mais en France, partie du monde historiquement marquée par le catholicisme. Dès lors l'affirmation du principe de laïcité ne va pas de soi, tant l'histoire, la géographie, la culture sont marqués par cet atavisme: la tentation est permanente pour les représentants de l'Etat, pour les élus, de jouer avec les religions à la "Ferme des animaux" d'Orwell - toutes égales, mais certaines plus que d'autres. Les entorses à ce principe d'impartialité sont monnaie courante. Par exemple: combien d'argent public - ne serait-ce qu'en présence policière - dépensé pour la visite du pape à Lourdes? Au nom de quoi la République finance t-elle en partie un événement comme le cent-cinquantenaire des "apparitions de la vierge", qu'un athée comme votre serviteur considère comme une manifestation collective de superstition, et dont par ailleurs les protestants, les juifs, les musulmans, les bouddhistes se tamponnent allègrement le coquillard? L'impartialité de l'Etat ou des collectivités locales en matière de religion n'est pas un fait acquis: la défendre est un combat sans cesse renouvelé.
La laïcité comme signe de l'impartialité de l'Etat, c'est là que le bât blesse pour Sarkozy. De la réforme de l'audiovisuel taillée sur mesure pour remplir le tiroir-caisse de l'ami Bouygues à l'ouverture, ce jour, des "Etats généraux de la Presse", avec en ligne d'horizon la possibilité pour les amis Lagardère, Dassault, Arnault et Bouygues, encore lui, de contrôler quelques médias de plus, en passant par la mutation de ce préfet de police corse n'ayant pas assez protégé l'ami Clavier, les exemples s'accumulent d'une instrumentalisation de l'appareil d'Etat en faveur d'intérêts particuliers. Il est vrai qu'en la matière, les exemples abondent du côté des prédécesseurs de Sarkozy. Quelque chose de nouveau sous le soleil, cependant: tandis que les Giscard, Mitterrand, Chirac faisaient tout pour cacher leurs dérapages, Sarkozy, sur le mode "moi, je ne suis pas hypocrite", semble ne rien vouloir cacher de cette partialité: "Oui, Martin Bouygues est mon ami, et alors?". Non non, rien, Nicolas, tout va bien, t'inquiète pas.

En matière de religion, on a cru comprendre trois choses de l'animal au travers de ses différentes déclarations: 1. C'est un catholique - pas très zélé, mais quand même - ce qui est son droit le plus strict; 2. Il considère la foi comme un dérivatif utile à la misère du monde, ce qui est plus contestable; 3. Il revendique l"identité chrétienne" de la France, ce qui pour le Président d'une République laïque est totalement inacceptable. Pourquoi? Parce que s'il fallait parler d'une "identité" historique, il faudrait prendre en compte le passé lointain - les paganismes celte et germanique, la Grèce et la Rome antiques - et le passé récent - les Lumières. C'est ça, la laïcité "normale", on comprend que ça le gène, de même que le gènent toutes ces règles qui empêchent ses amis de se goinfrer davantage. Du coup ce principe de laïcité mérite d'être retoqué, pour le confort intellectuel du Prince: va pour la "laïcité positive", principe selon lequel les idées, les propositions marquées par la foi seront a priori bonnes à prendre, quand on ne les suscitera pas. Principe selon lequel est également jetée à la poubelle l'impartialité: allons, soyons sérieux, comment voulez-vous être impartial quand vous comprenez à quel point vous êtes "historiquement chrétien"?

Benoît XVI, qui n'est pas la moitié d'un con, a beaucoup aimé le concept de "laïcité positive". En pleine reconstruction de la bonne vieille Eglise catholique droite dans ses bottes aux semelles cloutées, c'est un bonheur inespéré, autant dire un miracle, ce virage à 180 degrés au sommet de l'exécutif français. De quoi alimenter de belles analyses Kantiennes sur l'unité de la Raison et de la Foi.


Quant à l'impartialité de l'Etat d'une façon générale , au train où vont les choses il ne serait guère étonnant qu'on se mette à parler bientôt "d'impartialité positive": impartial, oui, mais les copains d'abord.

Ciao, belli.