vendredi 20 mars 2009

Benoît XVI: la déclaration qui tue

Il y a un peu plus de trente ans, le duo Font & Val chantait une jolie chanson, qui commençait comme ça :

En ce bas monde une chose est sûre
C’est une solide vérité
C’est que les choses de la nature
Ont toutes leur utilité

S’ensuivait une énumération de ce à quoi pouvaient bien servir des éléments de la nature divers et variés (« les cheveux, qui servent à caresser le vent », « l’herbe des champs, pour se coucher quand on est deux », « la mer et l’ouragan pour faire se gonfler notre sang, pour sculpter les cinq continents… et pour saler tous les harengs » etc..). La chanson se concluait, un peu abruptement, comme ceci:
Dans tout cela il y a un hic
Un fier défi à la logique
J’ai beaucoup cherché, mais en vain :
Les couilles du pape ne servent à rien
Au vu de l’actualité pontificale de ces derniers jours, on est en droit de prolonger cette réflexion philosophique, et de se demander à quoi peut bien servir le fait que le pape soit doué de la parole. Benoît XVI vient en effet de faire a priori un étrange usage de cette faculté : dans l’avion qui l’amenait au Cameroun, le pape a déclaré que l’utilisation du préservatif favorisait la diffusion du SIDA. Cette déclaration a déclenché une tempête de réactions à travers le monde, toutes plus critiques les unes que les autres.
On peut parfois le regretter, mais l’ignorance et la bêtise ne sont pas des crimes, le pape a parfaitement le droit d’être un imbécile. Oui mais voilà : d’une part ce n’en est pas un, d’autre part c’est le pape, justement, sa voix « porte », comme on dit. Pour un milliard et demi d’êtres humains, c’est le chef suprême de l’institution religieuse à laquelle ils se sont ralliés, de surcroît, selon le dogme de cette même institution, il est doué d’infaillibilité : en théorie, tout bon catholique est supposé croire sur parole ce que dit le pape. En l’occurrence, il va falloir au catholique moyen un gosier d’hippopotame pour avaler une telle couleuvre.
Alors qu’a-t-il bien pu se passer dans cette petite tête de pape? Tout d’abord, n’en doutons pas : comme toute personne normalement informée, Joseph Ratzinger est certainement parfaitement convaincu, en son âme et conscience, que le préservatif protège du VIH. Par ailleurs il sait que ledit virus tue les êtres humains par millions, déstructurant des sociétés déjà fragiles, anéantissant tout espoir d’amélioration des conditions de vie dans une vaste partie du monde, singulièrement en Afrique. Le problème de Joseph et de ses prédécesseurs, c’est que le préservatif est synonyme d’une sexualité dont la finalité n’est pas la reproduction de l’espèce, mais le plaisir. Autant dire que c’est inacceptable. Alors, dans la petite tête du pape, se développe le raisonnement suivant:
  1. Le préservatif, comme tout moyen contraceptif, rend possible une sexualité sans autre conséquence que la satisfaction des partenaires
  2. La luxure est un péché auquel très peu d’êtres humains résistent (« la chair est faible » etc.…)
  3. Le préservatif encourage donc une sexualité débridée, habitude dont il est difficile de se défaire
  4. Une fois l’habitude prise, qui peut garantir que l’usage du préservatif sera systématique, en admettant qu’il soit disponible partout (surtout en Afrique sub-saharienne, où il est déjà très difficile de trouver un Mac Donald’s, alors une pharmacie…), hein, je vous le demande ?
  5. Or pratiquer des rapports multiples et répétés sans préservatifs, c’est accroître le risque de contracter et de transmettre le VIH

    L’existence du préservatif favorise donc la diffusion du SIDA, CQFD.

Evidemment, ce syllogisme rappelle un peu le paradoxe de l’emmenthal (et non du gruyère, tous les Suisses vous le diront) : plus il y a d’emmenthal, plus il y a de trous, or plus il y a de trous, moins il y a d’emmenthal, donc plus il y a d’emmenthal, moins il y a d’emmenthal. Sans parler de l’aberration qui consiste à croire que le préservatif serait la cause du désir.
Mais l’essentiel, lorsqu’on s’appelle Joseph Ratzinger, c’est, sur la question de la sexualité, de ne pas changer la position de l’Eglise d’un iota. Quitte à passer pour un con, au premier abord. Car si, comme le chantaient Font & Val, les testicules dont est affublé le pape constituent certainement un accessoire inutile, sa faculté de parole a un rôle bien particulier : exprimer et renforcer les certitudes multiséculaires de l’église catholique, a fortiori dans un contexte où elle est sérieusement concurrencée par d’autres formes de foi (évangélisme, islam) de par le monde, notamment en Afrique.

Là où ça coince, évidemment, c’est que ladite église, en tant qu’institution, s’affirme volontiers comme une entreprise humanitaire – et ce n’est pas une affirmation en l’air si on en juge par les innombrables ONG ou œuvres de bienfaisance animées par des prêtres ou des religieuses.
Or, nonobstant le raisonnement décrit plus haut, il est évident que bannir l’usage du préservatif c’est à coup sûr condamner des gens à mort, par millions. Dès lors transparait l’absolue perversion mentale à laquelle peut conduire le dogmatisme chrétien, dogmatisme dont la pensée papale est une parfaite illustration : lorsqu’on affirme vouloir « préserver la vie » (voir le débat sur l’avortement) c’est une vie abstraite dont on parle, une vie dont est a priori exclue toute forme de plaisir autre que la joie extatique de l’illuminé – comme Thérèse d’Avila, celle qui rit quand on l’apaise – une vie désincarnée. A cet égard, l’initiative de cet évêque Brésilien, excommuniant une gamine de neuf ans sous prétexte qu’elle a avorté du produit d’un viol qu’elle a subi, est dans la droite ligne de cette conception de « la vie ». D’ailleurs, que peut bien connaître un Joseph Ratzinger de la vie d’un être humain normal ? A-t-il lui-même fait l’expérience du plaisir – hormis lors de son insouciante adolescence au sein de la « Hitlerjugend » (youkaïdi, youkaïda, heili, heilo, heila) ? Ce qui compte, ce n’est pas tant de sauver des vies concrètes, c’est de préserver une idée de la vie - c’est, en définitive, de sauver des âmes. C’est pourquoi la déclaration du pape est parfaitement logique. En parler comme d’une « une erreur de communication », c’est non seulement faire un contresens absolu, mais c’est aussi se rendre complice d’une publicité mensongère, visant à nous faire prendre des vessies dogmatiques pour des lanternes philanthropes.

Alors je suis désolé pour les millions de catholiques sincèrement humanistes que Benoît XVI horripile mais, toutes proportions gardées, leur situation me rappelle furieusement celle des communistes que le stalinisme révulsait : ils n’eurent d'autre choix que de la fermer ou de changer de crémerie. D’autant qu’a priori, il est au moins aussi difficile de changer de pape de nos jours que de Secrétaire Général du Parti à la grande époque de l’URSS.


Quant aux Africains, on ne peut que leur souhaiter de rester sourds aux admonestations du vieil obsédé du Vatican. Voir Venise et mourir, disait-on. On peut ajouter : écouter Rome, et crever comme un chien.

Ciao, belli.

mercredi 4 mars 2009

Malheur des uns, minable bonheur des autres

Il n'y a pas que l'économie mondiale qui est en crise: est chamboulé, à tout le moins, le socle idéologique ultra- ou néo-libéral, auquel avait fini par se convertir la grande majorité de la droite ... et une fraction minoritaire mais non-négligeable de la gauche françaises- un mélange subtil de résignation ("les lois de l'économie sont incontournables") et de volontarisme ("nous allons réformer, quoi qu'il en coûte") - conversion personnifiée en définitive par Nicolas Sarkozy. Comme tout système de pensée à prétention universelle- il en alla de même historiquement du christianisme et du communisme - le dogme néo-libéral eût à passer sous les fourches caudines des réalités locales: dans sa version hexagonale, l'obsession de la concurrence s'accomoda fort bien du maintien d'oligopoles dans les secteurs de la banque ou du bâtiment, par exemple, tandis que l'idée de fluidité du "facteur travail" ne fut en rien perturbée ni par la persistance de nombreuses discriminations à l'embauche, ni par l'inégalité de l'accès à des formations "qualifiantes". Cependant, tout bien pesé, avec l'élection de Nicolas Sarkozy, se concluait un scénario Gramscien de conquête du pouvoir par les idées, conquête entamée il y a une vingtaine d'années.
Dès lors la France s'alignait officiellement sur une doxa dont les certitudes suivantes constituent des éléments essentiels:
  • Les acteurs économiques privés, même si (voire du fait que) leurs actions sont motivées par leur propre profit, contribuent en définitive au bien-être collectif. Corollaire: tout doit être fait pour réduire le contrôle extérieur de ces actions au strict nécessaire (Etat de droit aussi jurisprudentiel que possible, fiscalité adaptée, etc...)
  • L'économie privée s'auto-régule car la transparence et l'équité sont indispensables à son bon fonctionnement (cabinets d'audit, agences de notation...). Corollaire en lien avec le précédent: nul ne saurait mieux contrôler un acteur économique privé qu'un autre acteur économique privé
  • Les salaires fixes constituent des coûts qu'il convient de minimiser autant que possible, à quantité de travail constant et productivité croissante. Pour compenser ce manque-à-gagner en revenu disponible, on favorisera le crédit sous toutes ses formes

Oui mais oups, on l'aura compris, la crise historique, née il y a quelques mois des jongleries de titans financiers dérégulés, a balayé ces dogmes comme naguère les écrits de Soljenytsine l'idée du "paradis soviétique". Dès lors la droite française, encore il y a peu triomphante, se retrouve idéologiquement à poil.

A ce dénuement s'ajoute l'impuissance du gouvernement, à l'instar de ses homologues de par le monde, à influer sur le "cours des choses" - ne serait-ce que très prosaïquement, à court-terme, sur celui des valeurs boursières - et l'addition de grognes catégorielles, mais profondes et populaires, liées, précisément, à une autre obsession idéologique d'inspiration libérale: la réduction de la dépense collective. Pingrerie incompréhensible lorsque par ailleurs se déverse par milliards l'argent public dans le tonneau des Danaïdes de l'économie privée.

Comme si ça ne suffisait pas aux malheurs de la droite, le Président en personne continue à en faire des tonnes dans le registre "ugh, j'ai dit", avec par exemple la nomination d'un de ses proches à la tête du tout nouveau groupe Banque Populaire-Caisse d'Epargne. A ce sujet, il entonne joyeusement, sur l'air d'une chanson de carabins (mon sens aigü de la bienséance m'interdit d'en citer ici les paroles d'origine): Et on s'en fout /de nommer le Pérol/Et on s'en fout/du moment qu'on contrôle tout!

Cartes marines périmées, incapacité manifeste à naviguer dans la tempête, capitaine de moins en moins crédible: le navire UMP est plutôt mal barré, c'est le cas de le dire.

Dans ce contexte, on ne s'étonnera pas a priori que Martine Aubry ait récemment déclaré qu'elle était "heureuse". Cynisme mis à part compte tenu du contexte, on aurait compris que la Première Secrétaire du principal parti d'opposition se réjouisse de la fin d'un état de grâce gouvernemental: l'idéologie de l'adversaire s'étant fracassée sur le réel, la place était enfin libre pour construire et proposer une alternative qu'on ne pouvait désormais plus qualifier d'archaïque tant les "modernes" s'étaient pris les pieds dans le tapis: "Keynesianisme" n'est plus un gros mot, jusques et y compris à Chicago, dont les boys rasent désormais les murs.

Mais non, vous n'y êtes pas: le "bonheur" de Martine, c'était tout simplement le fait qu'au terme de conciliabules dont la rue de Solférino a le secret, un accord avait pu être trouvé avec les "Ségolénistes" sur la constitution des listes socialistes pour les élections européennes. Hosanna, au plus haut des cieux. Voilà une nouvelle à même d'apporter du baume au coeur des ouvriers en chômage technique, des entrepreneurs asséchés par leurs banques, des agents publics en voie de précarisation, des chômeurs condamnés aux Macjobs à répétition, enfin bref de tout un peuple laborieux qui souffre. Perçant les nuages noirs qui s'amoncellent, une lumière ténue mais vive vient éclairer l'horizon, là, devant: les partisans de Martine, de Ségolène, de Bertrand et des autres ont su oublier leurs querelles pour résoudre ensemble un problème essentiel - le partage équitable du gâteau des positions éligibles à Strasbourg. Quoique, même pas, en plus: il n'a pas fallu 48h pour que s'expriment largement dans les médias les frustrations des uns et des autres: "Va donc, eh, parachuté! - Oh, eh, camembert, les ploucs!".

On m'objectera qu'il y a peu le PS avait su construire et proposer un "Plan de Relance" alternatif, sans doute imparfait, mais qui avait au moins le mérite - prenant le contre-pied de la stratégie d'évitement gouvernementale inspirée par le MEDEF - de poser la question des salaires et du nouveau "pacte" à passer avec la sphère économique. De ces propositions, les médias se sont moins fait l'écho que des querelles d'appareil. N'empêche: si les dirigeants et cadres du PS consacraient leurs déclarations publiques à la défense et à l'illustration de leurs idées plutôt qu'à leurs bisbilles de nains - ou, à défaut, décidaient de la boucler - on aurait moins le sentiment qu'entre Sarkozy et Besancenot il n'y a rien, sinon Bayrou qui se croit Gaullien parce qu'il est tout seul.

Déroute idéologique, indigestion de couleuvres sarkozyennes: l'UMP vit en ce moment des temps difficiles. Les nominations de Gilbert Montagné et David Douillet au sein de sa direction ne devraient pas, a priori, lui faire gagner en crédibilité. Mais ce parti et son leader suprême peuvent compter sur une chose: l'équipe dirigeante de la maison d'en face fera tout son possible pour les surpasser dans le ridicule.

Je vais prochainement renouveler mon adhésion au PS. A ce stade, ce n'est pas de l'investissement, c'est de l'aide humanitaire...