lundi 27 janvier 2014

Sept Ans de Réflexions


Ce "post" constitue le 150ème d'une série qui a commencé un certain 27 Janvier 2007. Un anniversaire, donc, et l'occasion de revenir sur sept ans d'observation parfois goguenarde, mais toujours énervée, d'une actualité souvent aussi fugace que le souffle d'une rame de métro.
Sept ans, donc, et je vous propose quelques flashbacks parmi les 149 papiers que j'ai commis. Il y eut bien sûr, durant presque toutes ces années, l'omniprésence d'un omniprésident qui, il faut l'admettre, nous a quand même bien fait rigoler. Il y eut aussi la disparition (ou presque) d'un "machin" pour le moins obscène, le "Dakar", toponyme désignant désormais un truc en Amérique Latine, comme quoi "les cons, ça ose tout, et c'est même à ça qu'on les reconnaît" (Michel Audiard).
L'occasion nous a bien sûr été donnée de bouffer un peu de curés, en tout cas de ceux de la variété à poil ras. De pointer la tartuferie de nos démocraties dès lors que du pognon est en jeu, comme en Birmanie. Mais aussi, plus futilement, de "questionner" un tantinet les polémiques comme celle qui agita la Gôchedelagôche lorsqu'il prit l'envie à un parti trotskiste de présenter une candidate portant le hijab. Ou bien de désespérer une fois de plus de l'Europe, incapable de faire respecter ses principes fondateurs dans un pays travaillé par une clique fascistoïde, la Hongrie.
On s'est arrêté également sur la légère dérive opérée par un "Charlie-Hebdo" occupé à faire son beurre avec l'"islam-bashing". On a bien sûr raillé la droite "la plus bête du monde" qui pense se refaire une santé en soufflant sur les braises de la mémoire de l'Algérie... Et relevé le cocasse de sa campagne contre le "matraquage fiscal" lorsqu'elle se choisit un Depardieu comme martyr (martyr, c'est pour rire un peu). Ricanements, toujours, face au désarroi des apôtres du libre-échange quand les lasagne se mettent à hennir. Mais la gauche fut servie également, notamment à l'occasion de la débâcle bancaire à Chypre. Et puisqu'il a fallu, à un moment, assumer ma "bretonnitude", je vous ai dit tout le bien que je pensais des "bonnets rouges"
Sept ans de réflexions, donc, sept ans de petits bonheurs dont je n'oublie pas que je les dois tout d'abord à vous, mes lecteurs.
Alors un grand merci pour votre fidélité durant toutes ces années...
Et à bientôt, évidemment.


dimanche 19 janvier 2014

François Hollande, les Mots et les Choses

"Les mots nous éloignent-ils des choses?"... Joli sujet de philo terriblement d'actualité, si on y regarde bien.
François Hollande ce mardi, a usé lors d'une conférence de presse d'un certain nombre d'expressions dont les mots peuvent claquer comme des étendards, mais dont le lien avec les "choses" qu'ils sont censés désigner n'est pas évident. Vous me direz: c'est la définition même d'une abstraction - la liberté, l'égalité, la fraternité, euh... la sexualité casquée, etc... - et il n'est pas interdit à un(e) politique de faire usage d'abstractions dans son discours. C'est même une pratique assez fréquente. Cela étant, les préoccupations des citoyens sont marquées par les effets de la crise économique et sociale et devraient susciter, chez les dirigeants politiques, des discours a priori ancrés dans le concret, des "mots" renvoyant sans détours aux "choses". Mais paradoxalement, pour que les mots (et les "choses" qui vont avec) soient compréhensibles par le plus grand nombre - sinon de citoyens, du moins le plus grand nombre de journalistes politiques influents - ils convient qu'ils soient ramassés en une formule compacte, à la limite du slogan publicitaire. Et donc un peu creuse, voire inepte ("Mon contrat minceur").
On a donc découvert, lors de cette conférence de presse, le nouveau mantra du gouvernement socialiste quant à sa relation au monde de l'entreprise. Les "mots" sont: "Pacte de Responsabilité". Quant aux "choses": les entreprises, grâce à un ambitieux programme d'allègement de charges sociales (30 milliards d'Euros sur trois ans), vont davantage pouvoir investir et embaucher. Et donc, in fine, le chômage baissera. Notons qu'intervient ici une autre formule compacte, furieusement tendance: "La politique de l'offre", à savoir que la relance économique doit d'abord, voire exclusivement passer par la prospérité du plus grand nombre d'entreprises possibles. Et pour ce faire, autre empilage de "mots", il faut "restaurer leur compétitivité".
Reprenons, dans l'ordre. La "compétitivité" d'une entreprise, c'est sa capacité à être viable dans un environnement concurrentiel. Etre viable, c'est à dire vendre des produits ou services en dégageant suffisamment de profit pour payer ses salariés, ses fournisseurs, rémunérer ses actionnaires et investir pour garantir sa pérennité à moyen et long terme. Chaque année davantage, mieux, plus vite et avec plus d'efficience que ses concurrents. Voilà pour les "choses". Cela étant, les entreprises ne sont pas situées dans les limbes d'un monde parallèle et sont parties prenantes d'un truc qu'on appelle au choix "pays", "nation", "société", lui même éventuellement encastré dans une aire civilisationnelle comme l'Union Européenne, le tout marqué par l'Histoire. Du coup, de même que les individus, il a longtemps été admis qu'une partie des richesses qu'elles peuvent dégager doivent servir au bien commun - impôts, charges. Mais l'économie s'étant mondialisée depuis trente ans, des mots comme "environnement concurrentiel" renvoient désormais à des "choses" potentiellement multiformes, en tout cas toujours changeantes. Et, d'autres mots aidant, généralement anglais comme "business-friendly" ou "free trade", la notion de "compétitivité" s'est, lentement mais sûrement, de plus en plus opposée aux exigences de participation à la richesse commune. En tout cas dans le discours, implicite ou explicite, des représentants du monde patronal, épaulés par des armées de "penseurs", d'éditorialistes de tout poil, sans oublier certains politiques. Bref, "restaurer la compétitivité", ce sont des mots qui, s'ils nous rapprochent d'une chose concrète comme le profit, peuvent nous éloigner d'une autre, tout aussi concrète: l'enracinement local, national, régional des entreprises et leur capacité à "faire société" c'est-à-dire du lien humain, concrétisée par la part de leurs richesses qu'elles consacrent à des (infra-, super-) structures communes.
Alors lorsqu'on entend les mots "Pacte de Responsabilité" dans la bouche du Chef de l'Etat français, on se représente des "choses" comme, concrètement, une poignée de mains. Entre, par exemple, le Président de la République ou son Premier Ministre et Pierre Gattaz, président du Medef:
"Tope-là, mec. Maintenant on va tous se comporter en personnes responsables. Moi, l'Etat, je te soulage d'une partie des contributions au pot commun car je suis d'accord, c'était vraiment trop. Toi, de ton côté, tu n'oublies pas d'où tu viens et où tu vis, et tu investis, tu crées des emplois...
- Banco, depuis le temps que j'attendais ça, t'inquiète, bien sûr qu'on est responsables, on fera tout ce qui est possible pour améliorer l'emploi"
Sauf que non, les "choses", les vraies, n'ont pas grand-chose à voir avec ces "mots". Pas de poignée de mains mais un long, têtu travail d'influence de la part du syndicat patronal. Appelons-ça "communication", "lobbying", peu importe, en l'occurrence une avalanche d'autres mots pour saturer l'espace public d'une "vérité" indépassable: si les entreprises françaises embauchent peu ou pas assez, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Ce n'est pas parce que les banques supposées les épauler les laissent souvent dans la panade, tout occupées qu'elles sont à "investir" sur les marchés financiers, non non, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Ce n'est pas parce que leurs clients les paient parfois à 90, 120 voire 150 jours, non non, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Ce n'est pas parce que leur offre de produits ou de services est parfois mal pensée, mal fabriquée et mal vendue, non non, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Allégeons les charges et les impôts, tout ira mieux.
Message reçu cinq sur cinq au sommet de l'Etat. Seulement de "pacte", point. Pour faire un pacte, c'est comme pour l'amour ou la guerre, il faut être deux. Or il n'a pas fallu trop longtemps avant que des voix ne se fassent entendre, du côté du monde de l'entreprise, pour dire que "Oulà, attention, faut voir à voir, on ne peut s'engager sur rien". Le journal "les Echos", dès mercredi, expliquait même doctement que cet allègement de charges serait très vraisemblablement affecté, par la plupart des entreprises, à l'amélioration de leur trésorerie - ce qui ne devrait pas manquer d'enchanter leurs banquiers - "dans un premier temps", bien sûr...
Faudrait-il pour autant hurler à la trahison et pointer du doigt un manque criant de "responsabilité"? Même pas: le remplissage des carnets de commandes ne se décrète pas... En revanche on notera qu'en l'espèce la nouvelle "doctrine" présidentielle relève au mieux du fourrage de doigt dans l'oeil, au pire du foutage de gueule. Car ce fameux "socialisme de l'offre" (l'expression est de Laurent Joffrin du "Nouvel Obs", elle sonne à peu près aussi juste que "capitalisme du partage" ou "communisme de la liberté"), qu'on nous vend désormais comme la quintessence de la social-démocratie à la française, n'est rien d'autre que l'adhésion résignée au discours du lobby patronal. Franco-français, de surcroît. Embrasser ce discours, c'est se payer de mots - comme "Pacte de Responsabilité" - et ne pas voir que ces mots sont à des années-lumière de la réalité, c'est confondre le slogan d'un groupe d'intérêts particuliers (en gros, le CAC 40) avec un levier macro-économique.
Anecdote: quelques jours avant la conférence présidentielle, on apprenait que l'Etat allait "investir" rien moins qu'un milliard d'Euros pour "moderniser le Rafale". Car figurez-vous que le "meilleur avion de combat du monde" est obsolète: il n'est pas compatible avec les nouveaux systèmes d'armes développés par Thalès - entreprise dont Dassault est actionnaire à 29,55%. Il est sympa, le contribuable. Il "investit" dans une entreprise infoutue, depuis quarante ans, de développer les bons produits aux bons prix pour les bons marchés, par ailleurs dépassée par la technologie d'entreprises dont elle est partenaire. Pour quel "retour sur investissement"? Des emplois, ne serait-ce que sous la forme d'absence de licenciements? Combien, exactement? C'est difficile à dire, non? Ah putain c'est pas simple, le "socialisme de l'offre"... En tout cas, Dassault Aviation bénéficiera, comme les copains, de l'exonération des charges familiales. Nul doute que sa "compétitivité" en sera "restaurée"... A défaut de restaurer les neurones de ses dirigeants.
Alors, "les mots nous éloignent-ils des choses?". Ben oui, ça arrive assez souvent. Surtout lorsque ceux qui les prononcent s'éloignent de ceux qui, a priori, sont disposés à les écouter. Comme François Hollande avec les gens de gauche.

See you, guys


mercredi 8 janvier 2014

Dieudonné, ou l'intégration chez les dingues

Il fut un temps où Dieudonné faisait légitimement rire. Lorsqu'il Elie Semoun et lui jouaient les duettistes - souvenons-nous de cette affiche d'un de leurs spectacles que l'on croisait partout à Paris montrant l'un, Juif, habillé en SS et l'autre, Noir, portant les habits du "Klan", ah
ah, j'en pouffe encore - mais pas seulement: ses débuts en solo furent assez prometteurs et, quoiqu'il en soit, installaient l'artiste dans un paysage humoristique des plus ordinaires, j'entends par là: après Raymond Devos le Belge, Guy Bedos le Juif Pied-Noir et Coluche le Rital mais avant Jamel Debbouze le Marocain, Dieudonné s'apprêtait à devenir membre honorable d'une cohorte de "rigolos-pas-Français-pur-porc" réussissant l'exploit de faire s'esclaffer jusqu'au plus obtus des xénophobes "de souche". M'bala M'bala l'ancien Camerounais était bien parti pour bénéficier de cette "filière d'intégration accélérée", qui fait en France concurrence au football ou à l'Armée lorsqu'il s'agit de faire accepter une "différence visible" (et, du coup, la rendre invisible) par le plus grand nombre.
Cela jusqu'au jour où l'intéressé a littéralement pété un câble. Mis au pilori médiatique pour un sketch pas franchement drôle mettant en scène un rabbin faisant le salut nazi et criant "Isra-heil", Dieudonné s'est soudainement découvert une vocation. Puisque la presse était quasiment unanime à trouver ce sketch de mauvais aloi, c'est bien qu'une limite avait été franchie, qu'une transgression avait été commise. Si personne ou presque n'avait naguère bronché devant l'uniforme SS d'Elie Semoun, c'est sûrement parce que ce dernier est Juif et que selon une règle non-écrite, seul un Juif pourrait se permettre de déconner avec ce genre de symbole. Limites, règles, donc transgression, Dieudonné avait trouvé son truc. Jusque là, même si ça pouvait éventuellement tomber sous le coup de la loi ou susciter des procès, à la limite tout allait bien, le Dieudonné-2.0 aurait pu éventuellement susciter l'intérêt. Un humoriste au rire un peu borderline, mais un humoriste avant tout.
Seulement voilà: là où "Dieudo" a franchement pris du jeu dans la direction, c'est lorsque l'idée lui est venue d'habiller publiquement le tout d'un voile "politique" naviguant autour du thème des Juifs "banquiers-esclavagistes" et donc exploiteurs et suceurs du sang de ses ancêtres africains. Lorsque les critiques dont il a pu faire l'objet ont pris à ses yeux l'allure d'un "débat d'idées". Lorsqu'il a repris à son compte la fameuse antienne "pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour" et s'est découvert une attirance pour l'Iran d'Ahmadinedjad, la Syrie d'Assad ou le Hezbollah. Lorsqu'il s'est, last but not least,  auto-proclamé porte-parole d'une obscure minorité plus ou moins silencieuse, opprimée par les "médias sionistes" et présenté en tant que tel aux suffrages des électeurs.
De fait, il s'est trouvé un noyau dur d'inconditionnels mêlant antisémites "de souche" opportunément reconvertis en farouches défenseurs des Palestiniens et soi-disant musulmans issus de l'immigration arabo-africaine, les uns et les autres ayant en commun la haine du "sionisme". Un public qu'il a fallu satisfaire à coups de provocs, de dérapages sciemment construits, genre Faurisson en habits de déporté. Un public qui en redemande.
Passons sur l'énergie que déploie actuellement le gouvernement pour faire disparaître le vilain-pas-beau du paysage, acharnement que la Ligue des Droits de l'Homme considère très justement comme contre-productif: n'eût été la malencontreuse cabriole de Michael Schumacher sur les pentes de Méribel, Dieudonné serait en France le "people" le plus en vue du moment.
Et notons qu'il y a des signes qui ne trompent pas: cela fait maintenant plusieurs semaines que le "ravi" du Théâtre de la Main d'Or fait la "une" admirative de l'hebdomadaire Rivarol, journal qui, pour faire court, se situe quelque part entre la droite et l'extrême-droite du FN. C'est un signe car les rédacteurs de cet hebdo en connaissent un rayon côté "antisionisme" et savent à coup sûr distinguer un vrai bouffeur de Juifs, où qu'ils soient et quoi qu'ils fassent ou disent, d'un d'humaniste mou du genou simplement choqué par le sort fait aux Palestiniens. Dieudonné a passé le test avec succès, bon pour le service, le voilà désormais enrôlé du côté des pourfendeurs de l"Anti-France".
Mais ce "signe", en même temps, donne à penser.
D'une part, accessoirement, parce que "Rivarol" ne manqua pas, en d'autres temps, de dire tout le mal qu'il pensait de la décolonisation et tout le bien qu'il fallait penser du régime de l'apartheid en Afrique du Sud. Voilà, aujourd'hui, qu'il se met à encenser un Noir tout noir affublé d'un patronyme tout ce qu'il y a de plus post-colonial. Tout fout le camp, ma pauvre dame.
D'autre part, surtout, parce que comme le disait Desproges, on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui: faute de quoi ce ne sont pas seulement les limites de l'intelligence que l'on franchit mais aussi, potentiellement, celles qu'on fixe à l'image que l'on veut donner de soi. Naguère, un Dieudonné habillé en "Klansman" provoquait tout autant qu'un Semoun en SS, mais il était entendu que l'homme originaire du Cameroun ne portait pas davantage dans son coeur les Sudistes au crâne pointu que le Juif ne chérissait les défenseurs de la "race supérieure". Désormais, au vu de l'admiration qu'il suscite chez les excités de l'Occident hélléno-chrétien (sic), ce costume ne lui va rétrospectivement pas si mal.

Dieudonné M'bala M'bala a bien, tout compte fait, suivi une "filière d'intégration accélérée". Mais à un moment, il s'est gouré de porte. Le voilà intégré à une France rancie, aigrie, haineuse, paranoïaque. Il fut un temps où Dieudonné faisait légitimement rire. Mais à l'époque on ne savait pas que c'était avec un n'importe qui, qui finirait par faire n'importe quoi.

Bonne année à tous, cela étant.