samedi 28 juillet 2007

Des mamours à Mouammar

Les Talibans sont des cons. Non seulement parce que, pour la plupart, leur niveau d'éducation se résume au mieux à l'apprentissage par coeur du Coran (remarquez, faut le faire, quand même), formation agrémentée ici et là de quelques notions en matière d'explosifs et de maniement d'armes, mais aussi parce que terroriste ou "bête-noire-de-l'Occident", c'est un métier, ça ne s'improvise pas.
Lesdits Talibans retenaient depuis un moment vingt-trois otages Sud-Coréens. Ils viennent d'en tuer un, et que demandent-ils en échange de la libération des vingt-deux autres? Que le gouvernement afghan sorte vingt-deux des leurs de ses prisons. Et rien d'autre. Faut vraiment en tenir une couche: voilà des gens qui tuent de sang-froid quelqu'un qui ne leur a rien fait pour voir leurs rangs s'incrémenter de types encore plus bêtes qu'eux, puisqu'ils se sont fait prendre. Avec pour perspective de reprendre tous ensemble une guerre sainte en vue de bouter les "croisés" hors d'Afghanistan et y établir une République Islamique version 2.0. En d'autres termes, au mieux vivre au coeur d'un régime moyen-âgeux - qui les privera de DVD pour le restant de leur vie et maintiendra leurs femmes et leurs filles sous la forme de salières bleues -, au pire se faire buter par les forces de l'OTAN ou lors de la guerre civile qui suivra leur départ. Alors qu'ils auraient pu, je ne sais pas, moi, exiger qu'on leur livre George Bush enduit de goudron et de plumes, ou que la Basilique Saint-Pierre de Rome soit transformée en Mosquée Rouge remplie de barbus... Aucune imagination... Des cons, je vous dis.

Terroriste, c'est un métier qui exige intelligence et raffinement et qui mène à tout, à condition d'en sortir juste à temps. "La trahison, c'est une question de moment" disait Talleyrand (une espèce d'Eric Besson du XIXème siècle, en beaucoup plus lettré): jouer les vilains-qui-font-flipper-les-pays-occidentaux-et-leurs-alliés, c'est la même chose.

Prenez quelqu'un comme Mouammar Kadhafi, par exemple. Sa responsabilité - ou celle de son régime, ce qui revient au même - est patente dans des attentats contre des avions civils - Lockerbie (270 morts) en 1988, le DC 10 d'UTA en 1989 (170 morts)- et son soutien financier et logistique à tout ce qui portait cagoule et Kalashnikov dans les années 70-80 a été maintes fois établi. Mais depuis quelques années, le monsieur est rentré dans le rang, donnant des gages aux américains en renonçant à son "programme d'armes de destruction massive" et en aidant discrètement la CIA à chasser le jihadiste au Maghreb. Ce virage à 180 degrés a fait suite au 11 septembre, Kadhafi ayant eu la sagesse de se rendre compte qu'une vitrification de son pays par le Pentagone était un scénario probable: pour Dick Cheney, Paul Wolfowitz et consorts, il aurait pu faire un excellent Saddam Hussein de substitution. Toujours est-il que la Libye est passée du statut d'"Etat-voyou" à celui de membre quasi-officiel de l'"Axe du Bien". Gorgé de pétrole, ce qui ne gâte rien.
Mais bon, on ne se refait pas: depuis plus de huit ans, Mouammar-le-facétieux retenait en otages cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien. Au cas où.
Officiellement, ces gens étaient condamnés à mort pour avoir inoculé le virus du SIDA à 200 enfants Libyens. Officiellement, ils n'avaient pas encore été exécutés car la justice Libyenne est très procédurière, c'est bien connu. Et cela malgré des aveux circonstanciés, obtenus très spontanément dans l'ambiance bon-enfant d'une prison de Tripoli. Ces infirmières et ce médecin détenus en Libye posaient tout de même un léger problème aux chancelleries occidentales. Car enfin personne ne croyait sérieusement à cette histoire d'inoculation du virus du SIDA (à part les Talibans, peut-être), et çà la foutait mal dans l'"Axe du Bien". D'autant que le palestinien, se disait-on honteusement, passe encore, mais la Bulgarie fait partie de l'Union Européenne depuis janvier 2007. Difficile de "normaliser" les relations, et c'était bien embêtant car la Libye est riche et a grand soif de produits et services de toute sorte. Et bisque, bisque, rage, se disait Mouammar.
Vous connaissez la suite... Saisissant le dossier et sa femme à bras-le-corps, Sarkozy s'asseoit sur le dossier - quatre mois de négociations menées par l'Union Européenne - et envoie sa femme à Tripoli. Nul ne sait exactement ce qu'elle y fait, toujours est-il qu'au bout de deux voyages, hosanna au plus haut des cieux, les infirmières et le médecin sont libérés. Emoi à Paris, éruption de Sarkomania à Sofia.
Et quelques grincements de dents qui douchent un peu les enthousiasmes : "Non mais, qu'est-ce que c'est que ces manières de faire de la politique étrangère en famille?". Dès mardi prochain, Bernard Kouchner viendra expliquer à la Commission des affaires Etrangères de l'Assemblée ce qu'a été le rôle exact de Cécilia Sarkozy dans cette affaire. Que va-t'il bien pouvoir leur raconter? Il n'est que Ministre des Affaires Etrangères, il n'a donc absolument pas été impliqué dans l'histoire... On verra bien...
J'ai une théorie sur ce "miracle de Cécilia", comme le clame France-Dimanche cette semaine. Elle vaut ce qu'elle vaut, je vous la livre: Kadhafi est un autocrate, il ne conçoit pas qu'un quelconque pouvoir politique soit symbolisé par autre chose qu'une personne physique. Il ne "sent pas" quelque chose comme une délégation de l'Union Européenne. "C'est qui, l'Union Européenne, se demande-t'il, je peux l'inviter sous ma tente?" Sarkozy, qui est loin d'être un imbécile, l'a compris: il a laissé entendre qu'il en faisait une affaire personnelle, et l'a prouvé à Kadhafi en faisant accompagner son éminence grise Claude Guéant par sa propre femme. Pas étonnant que Kouchner ait été mis de côté. Mouammar, de son côté, s'est dit qu'il obtiendrait bien davantage en accordant un succès personnel à un président d'un grand pays de l'Union qu'en passant un accord avec d'obscurs hauts fonctionnaires Européens. En ce sens, il faut reconnaître que l'implication de Sarkozy dans cette affaire a été déterminante. Une telle fin - la libération d'otages - justifie bien des moyens dans la forme de la diplomatie... Mais bon, faudrait pas que çà devienne une habitude, sinon autant rétablir la monarchie, direct.
Quant au fond de cette diplomatie, soyons clairs, le preneur d'otages a obtenu gain de cause: un large "dédommagement des familles des victimes", une petite centrale nucléaire par-ci, quelques avions de combat par là (pas d'inquiétude à avoir: c'est un pays de l'"Axe du Bien")... Avec à la clé la perspective de vendre de l'uranium en plus du pétrole. La Libye est pleinement de retour dans le "concert des nations", comme on dit. Çà vous a quand même une autre gueule que les Talibans avec leurs vingt-deux enturbannés, non?
Bravo, Mouammar. En plus, maintenant, tu as un vrai pote à Paris, qui reviendra te faire des mamours dès qu'il te prendra l'envie de dépenser tes pétro-dollars. Tu vas moins te faire chier, sous ta tente, désormais.
Ciao, belli.

lundi 23 juillet 2007

Que vivà la Renovacion!

Depuis le 6 mai, le PS est un rassemblement d'âmes en peine: une horde de spectres écervelés errant sur un chantier embrumé, qui un marteau, qui une scie ou une perceuse à la main, cherchant dans le plus grand désordre une tâche de construction qui ait un quelconque sens. Mais une terrible malédiction pèse sur ces ectoplasmes: quoiqu'ils puissent entreprendre, leur action est vouée à l'échec. En effet Sauronzy, le Seigneur des Arnaud, a définitivement gagné la guerre de la Terre-du-Milieu-de-l'Europe. Il doit sa victoire à une arme qu'il a patiemment forgée du fond de son repaire de Neuilly-sur-Mordor: l'idéologie.
En forçant un peu (oh, à peine), c'est le tableau que l'on voit émerger si l'on s'efforce de résumer le tumulte médiatique de ces deux derniers mois. Ainsi la victoire de Sarkozy le 6 mai serait due à la mise en oeuvre efficace d'un "logiciel" (ça c'est l'expression à la mode, vous avez remarqué? On parle de "logiciel" à propos de tout et de rien, surtout de rien) politique qui aurait tout balayé sur son passage. Même victorieux, ledit "logiciel" continue d'agir contre ses adversaires: après avoir poussé un Besson à la trahison (quoiqu'il n'ait pas fallu le pousser bien fort, celui-là), vas-y que je t'embauche un Kouchner, et que je te case un DSK par-ci, un Lang par-là, j'en oublie... c'est plus un "logiciel", c'est carrément un virus. Résultat, donc, un PS qui, médiatiquement parlant, ressemble à un village tchétchène après un passage d'hélicoptères de la Fédération de Russie.
Cependant, il faut le reconnaître, les médias ne font ici qu'amplifier, sublimer une réalité. Quelle est-elle, cette réalité? Pour l'essentiel une campagne présidentielle que le PS et sa candidate ont singulièrement ratée. Du côté de Ségolène Royal, sa popularité, qu'elle rêvait quasi- transcendante, l'a laissée croire qu'elle pouvait se dispenser de tâches aussi triviales que bosser ses anti-sèches et être ponctuelle à ses rendez-vous avec les journalistes. Comportement encouragé par des conseillers qui oublient que Monsieur- ou Madame-tout-le-monde ont autre chose à foutre dans la vie que de se connecter sur http://www.désirsdavenir.org/, quand ils n'ont pas bien compris des messages subliminaux comme "tout se tient" ou "donnant-donnant". Du côté du PS, une cacophonie entretenue par des aigris de toute sorte, une logorrhée de "commentaires-sur-les-commentaires", où l'imbécillité tactique le disputait au machisme. Le tout s'articulant autour d'un programme présidentiel où la chèvre, le chou, le crottin de chavignol et la potée au lard étaient savamment ménagés. Mais quelles qu'aient pu en être les ambiguïtés, programme il y avait, malgré tout. Le truc, c'est qu'à aucun moment la candidate n'a vraiment donné l'impression d'avancer grâce à ce qu'il pouvait contenir. On peut être une bonne conductrice et disposer d'une voiture avec une motorisation correcte: sans embrayage, les accélérations font beaucoup de bruit mais ne mènent le véhicule nulle part.
Campagne ratée et "crise de leadership" qui en découle, certes. Peut-on pour autant parler comme on le fait ces jours-ci de "défaite idéologique"? C'est à mon avis faire grand cas de la pensée Sarkozienne que de la qualifier d"'idéologie". Je n'y vois qu'un salmigondis de pulsions libérales et d'élans Colbertistes, le tout mâtiné de moralisme et d'autoritarisme. Sans oublier le "coup de menton" bien franchouillard. Mais ce fatras bourré de contradictions est communiqué avec talent, et çà marche.
"Idéologie" ou pas, le système Sarkozien est là, et bien là: je ne suis pas le dernier à ricaner de cette "hyperprésidence" (voir article précédent), mais cette mécanique est trop bien huilée, le ridicule ne la tuera pas. Cela ne doit pas nous empêcher de montrer du doigt l'avalanche d'impostures que ce président et ses faire-valoir nous donnent à voir quotidiennement. Mais en parallèle doit se construire une alternative, et on en vient tout naturellement à une autre tarte à la crème du moment: la "rénovation" du PS.
Rénovons, donc. Disons-le tout de suite: çà va être dur, tant s'entrechoquent la satellisation de l'une ("ce mouvement ne doit pas s'arrêter, je suis prête"), le formalisme de l'autre ("on en reparle lors du congrès de 2008") et les ambitions à peine dissimulées de tout le monde. En admettant cependant que les problèmes de casting soient secondaires (ahem!), voici quelques pistes de clarification du "logiciel" qu'il me semblerait judicieux de creuser:
  • L' "Entreprise" avec un grand "E", c'est comme "le Salarié", "la Ville", "la Campagne", çà n'existe pas. Il y a des entreprises, des salariés. Rénover le PS, c'est affirmer une fois pour toutes que l'économie de marché est le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres, et que ceux qui rêvent de "rupture avec le capitalisme" n'ont rien à y foutre. Mais que si le profit est un des moteurs de l'économie, il n'est pas le seul et n'en est certainement pas la finalité. Rénover le PS, ce n'est pas vouloir "réconcilier les français avec l'Entreprise", c'est tout d'abord vouloir que les entreprises soient "réconciliées" avec l'intérêt commun, par la négociation si possible, par la régulation si nécessaire
  • La dépense publique n'est pas un gros mot, mais le gâchis du bien commun est un désastre. Rénover le PS, c'est lui faire tenir un discours clair par rapport aux bataillons syndicalisés des grands services publics: le maintien des "moyens" et des "effectifs" tout en assurant des rémunérations et des évolutions de carrières décentes passe par une remise à plat des pratiques et des organisations du travail lorsque celles-ci ne remplissent pas leurs missions
  • L'Europe fut naguère une belle idée, ce n'est pas pour rien que Gaullistes et Communistes s'y opposèrent. Désormais cependant il s'agit d'un "machin" à vingt-sept pays dont l'obsession explicite - et le plus petit commun dénominateur - est la dérégulation sociale et financière au nom d'une "concurrence libre et non-faussée", aspiration aussi bénéfique et réaliste que la "société sans classe". Rénover le PS, ça consisterait à ce qu'il prône ouvertement une "Europe à deux vitesses" - les nations souhaitant renforcer leur intégration politique, et les autres. Rénover le PS, ça consisterait à attaquer de facon frontale le soubassement idéologique dérégulateur, avec l'aide du SPD, du PSOE, etc...
  • L'abstention aux législatives le prouve: la crise de la représentation perdure. Rénover le PS, c'est en faire l'adversaire du cumul des mandats, n'en déplaise à quelques caciques députés-maires-conseillers généraux-présidents-de-communautés-de-communes

Bon, je vais m'arrêter là pour l'instant. On pourrait aussi parler d'écologie, de politique étrangère... Les sujets ne manquent pas, qui permettraient de voir au delà de l'écran de fumée Sarkozien, et de se sentir mieux.

Encore faudrait-il que cesse au plus vite la valse des pantins qui ne souhaitent rénover que leur carrière. Et là, c'est pas gagné.

A bientôt

dimanche 15 juillet 2007

Extension du domaine de la flûte

On parlait, jusqu'il y a peu, d'un concept très particulier, nullement inscrit dans la Constitution française mais pratiqué avec constance de De Gaulle à Chirac: le "domaine réservé du Président de la République". On entendait par là les grandes initiatives prises en matière de Politique Etrangère et de Défense d'une part, les magouilles barbouzo-économiques de la politique Africaine d'autre part. Au-delà de ces "champs" jalousement gardés, le Président se faisait volontiers rare et discret.

Nicolas Sarkozy, jusqu'en 2002, se contentait de jouer du pipeau dans les Hauts-de-Seine, mais s'arrangeait déjà pour que sa musique se fasse entendre jusqu'à l'Elysée. Puis vint sa nomination Place Beauvau où, comme Ministre de l'Intérieur, il couvrit de facon tonitruante les vagues sons qu'aurait éventuellement pu émettre, par exemple, son collègue Garde des Sceaux, Dominique Perben. Idem à l'Economie, puis de nouveau à l'Intérieur: pour une raison ou pour une autre, il fit en sorte qu'on le consultât à peu près sur tout et n'importe quoi. Il est vrai qu'il était déjà en campagne pour l'élection présidentielle.
En campagne, donc, Nicolas Sarkozy avait des idées sur tout (il avait surtout des idées, aurait dit Coluche) et n'aimait rien tant que les partager. Ça tombait bien, une grande majorité de journalistes n'attendait que ça, interviewer Sarkozy pour savoir ce qu'il pense: de la situation au Proche-Orient, du clônage thérapeutique, des ongles incarnés, du réchauffement climatique, de la dernière collection de Karl Lagerfeld, du SMIC, de la vivisection, des parachutes dorés, de la proportionnelle, du rap, de la dissuasion nucléaire, du Festival d'Avignon ... Quel que soit le sujet, Nicolas avait une réponse, c'est qui était bien. Mais bon, c'était une campagne électorale, la logique et la tradition historique eussent voulu qu'une fois adoubé, le Président prît "de la hauteur".

Que nenni, j't'en fous, oui.



Nicolas Sarkozy, une fois élu Président, s'avère être Ministre de tout (ci-dessous une photo du gouvernement en place, qu'un de mes lecteurs a bien voulu me faire parvenir), Député, Préfet et Sénateur de partout . A un journaliste qui lui dit: "Vous vous occupez de tout", il répond: "Les français ne m'ont pas élu pour que je ne m'occupe de rien". Là-dessus, le journaliste en question aurait pu rebondir en objectant qu'entre tout et rien, il y a ce qu'on appelle un "nice average" dans le monde anglo-saxon. Mais dans la France d'aujourd'hui, le journaliste objecte peu, surtout avec Nicolas Sarkozy: il se contente d'enregistrer la réponse à une question que, parfois, on lui aura suggérée. Réponse enregistrée, donc, sans autre commentaire. Nous voilà flanqués d'un Président omnipotent, omniscient, s'assurant qu'on le voit traiter l'intégralité des questions. De l'Europe aux institutions, en passant par l'économique et le social, le Président est partout, complaisamment relayé par des médias amis et/ou fascinés. A tel point qu'on finit par s'interroger sur l'utilité, par exemple, de Christine Lagarde, ministre de l'Economie et des Finances: lorsqu'on lui demande à quoi peuvent bien être utiles les allègements fiscaux (13 milliards d'Euros, une paille) consentis aux foyers les plus riches, elle répond, en substance, que la disparition de ces charges va encourager l'initiative, l'investissement, et donc relancer la croissance. En est-elle convaincue? Certainement pas davantage que la plupart des économistes un peu sérieux. Oui mais voilà: ces mesures étaient prévues dans le Programme-de-Nicolas-Sarkozy-qui-fait-ce-qu'il-a-dit-qu'il-ferait. Dès lors c'est bon pour l'économie et l'emploi, forcément. Christine Lagarde n'est là que pour redire aux médias, avec ses mots à elle, ce que le candidat a pu dire en campagne. Sa véritable valeur ajoutée, c'est que pendant qu'elle assure ce service après-vente façon centre d'appel (relecture de la notice), Sarkozy peut parler d'autre chose à un autre endroit.

Ce comportement Sarkozien, qui consiste à penser, décider et parler en lieu place de ses subordonnés, n'a rien d'inédit. Dans les grandes entreprises, on appelle çà le "défaut de délégation": en gros, c'est lorsque le Directeur ou le Manager d'un département, d'une unité, manifeste si peu de confiance dans son équipe qu'il/elle en vient à se mettre en avant quel que soit le sujet: c'est en général un dysfonctionnement grave, susceptible de fortement démotiver les collaborateurs et, partant, d'affecter sérieusement la gestion de l'entreprise. A ce titre, l'appel quasi-compulsif à des personnalités du PS (l'"ouverture") n'est rien d'autre qu'un message de dénigrement adressé par Sarkozy à ses troupes: "Vous êtes décidément trop cons, je vais devoir recruter chez la concurrence". Tout ça pour dire que si Sarkozy entend faire preuve de modernité en montrant qu'il gère son gouvernement et, au delà, le pays, comme un dirigeant d'entreprise (pour autant, soit dit en passant, que la gestion d'entreprise soit une forme "moderne" du pouvoir), le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas compris grand-chose aux règles de base du "management".

Mais nous sommes en France, en 2007: après 14 ans d'évanescence mitterrandienne et 12 ans de je-m'en-foutisme chiraquien, un Président hyperactif laisse accroire que "quelque chose change", c'est la fameuse rupture. Dès lors ledit Président bénéficie d'un "état de grâce" qui, j'en ai peur, va durer un bon moment. D'autant que la plupart des médias "suivent": même ceux de gauche ne peuvent s'empêcher de gloser sur cette ubiquité de Sarkozy. Et, de facto, la renforcer, tant l'écho médiatique a cette aptitude à devenir un fait en soi. La bobine du Président partout, ses mots et ses actes sur toutes les pages et tous les écrans: au Bélarus, en Ouzbekistan ou au Venezuela, on appellerait "le culte de la personnalité", et on s'en lamenterait. En France, on appelle ça "talents de communication", et on trouve ça bien.

Le joueur de flûte de Neuilly-sur-Seine, alignant les mélodies, se contentait naguère de faire danser les hommes et femmes politiques de Droite. Il entend désormais faire valser un pays tout entier, le nouveau "domaine réservé" du Président. Vous avez le droit de rester assis.



Tchao.