jeudi 17 septembre 2009

Brice-la-poilade ou la vraie "rupture"

Après l'hilarant Brice Lalonde, qui égaya le paysage politique des années 70 et Brice de Nice, fulgurante icône "culte" des moins de trente ans il y a quelques années, a surgi il y a une semaine la figure d'un nouveau comique: Brice Hortefeux. Une semaine, dans les temps politico-médiatiques que nous vivons, c'est très long, et déjà s'estompe l'événement, toutefois on aurait tort de le ramener à une simple anecdote. Il y a, dans cette affaire, la matérialisation d'un phénomène politique important, j'entends la présence au pouvoir, en France, d'un nouveau courant de la droite: la droite "kestananafout" ou "ranapété", comme disaient Sabatier et Foucault dans les sketches des "Guignols" de naguère.
Déambulant, le 10 septembre dernier, dans les allées de l'"université d'été" de l'UMP, Brice Hortefeux, à l'occasion d'un échange avec un militant d'origine maghrébine déclare, goguenard (devant les caméras de la chaîne Public Sénat) : "un, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". La seule chose sur laquelle tout le monde est d'accord à ce jour, c'est qu'il s'agissait d'un trait d'humour. Brice Hortefeux, sous ses dehors un peu austères, est en réalité un vrai rigolo. On se souvient qu'il avait dit à Rama Yade, dans l'avion qui les emmenait avec Sarkozy en direction du Sénégal quelque chose comme "tu viens avec nous, mais c'est pas sûr qu'on te laisse revenir". De l'humour, là encore. Ah, décidément, Brice n'engendre pas la mélancolie. "Brice-la-poilade", c'est peut-être bien comme ça qu'on le surnomme, au gouvernement.
Passons sur la pathétique et sinueuse ligne de défense adoptée par l'intéressé et ses amis politiques lorsqu'ici et là on s'émut qu'un ministre d'Etat puisse tenir de tels propos. On est même allé jusqu'à incriminer Internet, décrit comme l'instrument diabolique d'un "lynchage médiatique" désormais instantané. Henri Guaino, hier matin, sur France Inter, n'écartait pas l'idée qu'il faille un jour "légiférer" sur la diffusion de l'information sur la Toile. Ben voyons. Lorsque le doigt montre la lune, c'est faire preuve d'intelligence, comme chacun sait, que de regarder le doigt.
Passons, donc, car l'important dans cette histoire c'est moins la question de savoir si le ministre de l'intérieur est pas du tout, juste un petit peu, moyennement ou franchement raciste que l'effarante désinvolture avec laquelle Brice et ses amis traitent la question elle-même: ce qui importe, c'est que s'exercerait en France une censure insupportable du "politiquement correct" (voir l'excellente analyse de Chloé Leprince à ce sujet sur Rue89), sur le thème "ah ben, si on peut plus rigoler, alors, où on va, hein".
Il y a que la droite au pouvoir s'est, à l'image de son chef suprême, largement affranchie de règles de comportement qui jusque là faisaient concensus au sein de la classe politique: peser ses mots et ses actes lorsqu'ils sont publics et se soucier de montrer qu'on a du respect pour tout un chacun, fut-ce hypocritement, fut-ce au prix de l'adoption d'une langue de bois convenue. De la soirée au "Fouquet's" aux bonnes blagues de Brice-la-poilade, en passant par les bagouzes et les tenues Dior de Rachida Dati, il y a en vérité continuité, celle d'une caste qui désormais semble dire aux médias (et, par transitivité, aux citoyens) qui trouveraient à y redire: c'est comme ça et je t'emmerde. La droite "kestananafout", la droite "ranapété", donc. L'un de mes amis a eu un jour ce mot: "La différence entre dictature et démocratie? La dictature c'est "ferme ta gueule", la démocratie c'est "cause toujours"". En ces temps Sarkozyens, ce n'est plus une boutade, c'est un constat.
Mais l'"affaire Hortefeux" n'est que l'écume d'une vague rien moins qu'historique. Il y a cinquante ans presque jour pour jour, De Gaulle se déclarait publiquement en faveur de "l'auto-détermination" de tous les habitants de l'Algérie, ouvrant ipso facto la voie à l'indépendance de celle-ci. De ce mois de septembre cinquante-neuf date la marginalisation durable d'une fraction de la droite qui, s'agrégeant aux nostalgiques de la collaboration (pour autant qu'elle en fut distincte), ne trouva désormais plus comme porte-voix que des Tixier-Vignancour ou des Le Pen. Campagne présidentielle agitant le thème de l'"identité nationale" (voir ici-même), rapprochement d'avec le vicomte De Villiers ou défense inconditionnelle de Brice-la-poilade, une même logique: celle de la réintégration dans le giron de la droite gouvernementale des brebis égarées de cinquante-neuf pour qui un Arabe, fut-il miltant UMP, sera toujours un bicot. Manoeuvre de surcroît effectuée au vu et au su de tous.
Cette manoeuvre et la désinvolture qui l'accompagne constituent certainement la seule vraie "rupture" Sarkozyenne. Elle est de taille, faut admettre.
Ciao, belli.

lundi 7 septembre 2009

Gabon: la France au cul merdeux

Les Iraniens méritent mieux que leur gouvernement actuel” a, en substance, récemment déclaré le président Sarkozy. Nonobstant l’archi-connue allégorie de la paille et de la poutre (les Français, by the way, méritent-ils vraiment Sarkozy ?), cette assertion ne manque pas de stimuler la réflexion. Sur le fond, pas de problème: en affirmant que les Iraniens méritent mieux qu’une bande de théocrates fanatiques, Nicolas Sarkozy ne fait qu’exprimer tout haut ce que bon nombre d’occidentaux – et de non-occidentaux - pensent tout bas. Toutefois on s’interroge: puisque la France est désormais en position, par la voix de son génial président, d’évaluer les régimes politiques de par le monde à l’aune des peuples qu’ils dirigent, et inversement, que n’use-t-elle de son regard aiguisé de façon plus systématique?
Que je sache la France, a priori, avalise l’élection d’Ali Bongo à la présidence du Gabon, ou alors c’est que j’ai loupé quelque chose. Les Gabonais, avec Ali Bongo, ont donc ce qu’ils méritent. S’il y avait le moindre problème côté droits de l’homme, démocratie, gouvernance ou autre, vous pensez bien que la France – son président – le ferait savoir a la terre entière, non? Puisqu’on n’a rien entendu de tel, c’est que l’élection d’Ali Bongo n’a rien de contestable, et que par ailleurs l’homme présente toutes les garanties d’une gestion des plus équitables et intègres de la manne pétrolière du pays.
Evidemment, chacun sait qu’il n’en est rien. Qu’il y a toutes les chances qu’Ali, au delà d’une élection contestable, et à l’instar de son père Omar, se goinfre allégrement des royalties que ne manquera pas de lui verser Total. Qu’il y a toutes les chances que se perpétue la confusion, au Gabon, comme ailleurs, entre les caisses de l’état et la cassette du chef dudit état. Que très probablement il ne fera pas bon, comme sous feu son père, exprimer se désaccords avec le gouvernement de façon trop ostensible.
Mais le Gabonais n’est pas un Iranien: c’est un nègre tout noir qui, comme l’a très bien explique Henri Guaino par la voix de Nicolas Sarkozy, a de la peine à « entrer dans l’histoire » : un dirigeant simili-démocratique devrait lui suffire. L’Iranien, lui, est blanc, en tout cas plus que le Gabonais, il a davantage droit, a priori, aux bienfaits de la démocratie. Par ailleurs le gouvernement Iranien, à date, ne fait rien pour favoriser la bottom-line de Total ni de quelque autre entreprise du CAC 40. Au Gabon, en revanche, Total est comme à la maison, feu Omar Bongo y a veillé. Alors on se dit que le fils, Ali, saura perpétuer la position dominante du « champion » de l‘ex-colonisateur. On se dit qu’il saura ouvrir ses portes à n’importe quelle entreprise, pourvu qu’elle soit française. Et que c’est toujours ça que les Américains n’auront pas.

Le Gabon, et les Gabonais « de base » n’y peuvent rien, pue la Françafrique triomphante: cynisme et condescendance vis-à-vis des populations concernées, complaisance à l’égard d’affairistes peu scrupuleux, souci primordial de garantir une mainmise « française » sur les richesses du pays. « Paris vaut bien une messe», aurait dit le protestant Henri de Navarre avant de se convertir au catholicisme. « Libreville vaut bien une pirouette», entend-on du côté de l’Elysée.

« On ne grimpe pas au mât de cocagne quand on a le cul merdeux, » disait mon père. Il avait raison. Dans le même ordre d’idées, il serait bon que la France se garde de donner des leçons a quelque régime que ce soit dans le monde tant que dureront la Françafrique et, avec elle, son cortège d’injustices, de barbouzeries fumeuses et de profits juteux plus ou moins nets. On m’objectera que les Etats-Unis n’ont pas fait / et ne font pas mieux en Amérique Latine (« This guy is a son-of-a-bitch, disait-on un jour au président Truman a propos d’un dictateur latino-américain - Yes, but he’s our son-of-a-bitch, répondit le président »)… Je répondrai que ce n’est pas une raison.

Mais le paradigme de la Françafrique semble indépassable, tant sont persistants les tropismes postcoloniaux : réagissant à l’attaque, par des opposants gabonais, du consulat de France, Bernard Kouchner a déclaré : « je pense qu’il n’y a pas de vraie tension, ni de rébellion ». Le dernier terme sonne comme un aveu… Si on parle de rébellion, c’est qu’il y a domination… Or le Gabon est indépendant, a priori. Pourquoi parler de « rébellion » vis-a-vis de la France ? Le Gabon, tout compte fait, ne serait-il pas un poil moins indépendant qu’on pourrait le croire ? Ce lapsus rappelle celui de Nicolas Sarkozy lors d’un discours à la communauté française de Cotonou, au Bénin, en 2007 : évoquant la France, celui-ci parlait de « métropole ». On ne se refait pas.

Alors c’est certain, les Iraniens méritent mieux que leur régime actuel. Mais s’il y a un pays qui est franchement mal placé pour le dire, c’est bien la France. Et notamment son président qui, à l’instar de ses prédécesseurs, pratique la rhétorique des droits de l’homme à géométrie variable.

A bientôt