mardi 30 décembre 2008

Gnôme de l'année

Il m'arrive parfois de lire le magazine américain "Time", espérant y entendre un son de cloche différent de celui émis par la presse française, espérant également y lire des articles un tant soit peu dépaysants. Pour ne rien vous cacher, ça ne marche pas à tous les coups. Pourtant la dernière fois ça s'annonçait plutôt bien, a priori: à l'occasion de la désignation par le magazine de Barack Obama comme "personnalité de l'année" 2008, numéro spécial et interview du President-elect. Bon.
Ce dont je ne me souvenais pas, c'est que lorsque "Time" choisit son homme ou sa femme de l'année, la rédaction hésite en général entre plusieurs personnalités: de fait le magazine dresse , dans son numéro de décembre-janvier, un portrait des autres nominés, par ordre décroissant d'éligibilité. Or qui peut-on découvrir en troisième position, entre Henry Paulson et Sarah Palin? Le Dalaï-lama? Dany Boon? Martine Aubry? Benoît XVI? Bernard Madoff? Kim Jong-Il? Non non. C'est une autre espèce de bipède que le monde entier est désormais sommé de nous envier, car c'est bien d'un français qu'il s'agit. Un être dont les tribulations quotidiennes constituent depuis dix-huit mois LA pulsation de la vie politique hexagonale, continentale et même mondiale - en attendant que les progrès de la conquête spatiale permettent d'y associer les extra-terrestres, j'ai nommé, vous l'aurez deviné, Nicolas Sarkozy, le seul, l'unique.
Cela étant dit, on note que l'hyper-président n'est arrivé que troisième dans la grande course de la notabilité médiatique globale. Somme toute, une performance limite humiliante, même pas digne d'un Raymond Poulidor.
Tout de même, j'en ai été pour mes frais question dépaysement. Toutes proportions gardées, je me suis senti un peu comme "numéro six", le héros de la série "Le Prisonnier": lorsqu'il croit qu'il a enfin réussi à s'évader de cette foutue colonie, une grosse boule blanche le rattrape et le cauchemar recommence.
Un malheur n'arrivant jamais seul, "Time" n'a pas trouvé mieux, pour rédiger l'article hagiographique consacré à la lumière vivante de l'Elysée, que Tony Blair. Si si, Tony Blair. Lequel en fait des tonnes dans la manipulation de la brosse à reluire, dans un article organisé en quatre points:
  1. Nicolas Sarkozy est un vrai décideur: il voit un problème, hop il décide de le résoudre
  2. Il est capable de "sortir du cadre" (think outside the box) en allant par exemple chercher des socialistes pour constituer son gouvernement, Blair citant en exemple "l'immensément capable"... Bernard Kouchner
  3. Il a "remis la France sur la carte" - je traduis mot à mot - notamment à travers son rapprochement d'avec les Etats-Unis
  4. Enfin c'est un homme d'action, comme l'a démontré la présidence française de l'Union Européenne
A partir de là, de deux choses l'une: soit on se tape la tête contre les murs, soit on éclate de rire, j'avoue que j'hésite encore.

"Time magazine"est loin d'être le journal le plus fufute de la presse américaine, enfin tout de même il y a plus idiot, dans le genre. Mais là, il faut reconnaître qu'ils ont fait très fort. D'abord , bien sûr, en plaçant l'histrion de l'Elysée dans leur palmarès. Ensuite en allant chercher Tony Blair, qui a su prouver au monde entier à quel point il avait de la jugeote et de l'honnêteté: c'est tout de même un type qui, à coups de mensonges gros comme lui, a réussi à entraîner une vieille et sage nation européenne dans l'aventure militaire la plus stupide qu'on ait connue depuis la campagne du Mexique de Napoléon III. Enfin, en laissant ce bonimenteur publier un tissu de conneries tellement énormes qu'elles feraient passer un communiqué de l'Elysée pour un modèle d'objectivité. Il n'y a, dans cet article, pas l'ombre d'un début de commencement de lucidité. Aucune analyse, mais une accumulation d'affirmations où la description des postures Sarkozyennes tient lieu de récit de la réalité: Tony Blair produit un boulot comparable à celui de ces journalistes qui se contentent de recopier les communiqués de presse.
Nul n'est prophète en son pays, dit-on. On sait désormais que l'alignement de Sarkozy sur la diplomatie américaine lui aura au moins rapporté l'admiration sans borne d'un homme que ses concitoyens surnommèrent le caniche de George W. Bush. Le chenil se remplit. Qu'un média de diffusion aussi large que "Time" se soit prêté à cette mascarade n'est cependant pas pour rassurer.

Remarquez, on peut également lire ce palmarès d'une autre façon: Nicolas Sarkozy serait à mi-chemin entre Henry Paulson et Sarah Palin, autrement dit entre la tentative pathétique de sauvegarder l'idéologie du marché et la caricature de la démagogie - moins con que la colistière de John Mac Cain et un peu moins calamiteux que le Secrétaire au Trésor.
Je doute que soit la façon dont les rédacteurs de "Time" souhaitent qu'on interprète ce classement, mais on se console comme on peut.

Allez, bonne année à tous

mardi 23 décembre 2008

En piste, les clowns!

Je vous parle d'un temps que les moins d'quarante ans ne peuvent pas connaître: quand j'étais gosse, l'ORTF diffusait régulièrement une émission qui faisait mon bonheur: "La piste aux étoiles", spectacle de cirque présenté par une espèce de vieux beau déguisé en majordome de l'hôtel Crillon, Roger Lanzac. Par cette diffusion régulière des exploits des enfants de la balle, la télévision se faisait pardonner d'assassiner de facto le spectacle vivant. Soit dit en passant, de nos jours, le spectacle vivant se porte plutôt bien tandis que la télé publique, passée au Kärcher par le Silvio hexagonal, tousse comme une Marguerite Gautier.
Pourquoi donc me revient en mémoire cette "piste aux étoiles" en cette fin d'année? C'est que, entre deux annonces de plans sociaux, entre deux déclarations-coup-de-menton du nouvellement nommé Ministre Délégué à la Relance (Devedjian), le spectacle politico-médiatique des six prochains mois tournera inéluctablement autour d'un rendez-vous quinquennal: les élections européennes. Moi, dans l'état actuel des choses, cette échéance électorale me fait inévitablement penser à un cirque, une piste de sciure qu'on décore des étoiles d'or du drapeau européen, sur laquelle viennent s'agiter des amuseurs, sans même un Roger Lanzac pour donner un sens à cette agitation.
Bien sûr, sur le papier, c'est une belle idée: 785 députés élus par 492 millions de citoyens, la première et la seule institution démocratique à l'échelle du continent. Des hommes et des femmes issus de 27 nations qui, il y a peu au regard de l'Histoire, se massacraient allègrement les unes les autres siègent ensemble, débattent, font des propositions. Et qui, de temps en temps, au grand dam des chefs d'état "responsables", prennent une initiative façon bras d'honneur. Dernière en date: le prix "Sakharov" décerné à Hu Jia, dissident chinois emprisonné, ce qui a fait s'étrangler de rage la junte plouto-communiste de Pékin.
Oui mais bon, comment sont-ils élus, ces députés? C'est là que le bât blesse: ces élections, dans leur mise en oeuvre, sont tout sauf européennes. Si on s'arrête à l'exemple de la France, quels sont les "enjeux"du scrutin, tels qu'on ne cessera de nous en rebattre les oreilles d'ici à juin prochain? Pas besoin d'un doctorat en Sciences Politiques ni d'une boule de cristal: les uns et les autres commentateurs gloseront sur les scores, la performance de tout ce que la classe politique française compte de leaders, de partis, de groupuscules. Par exemple, on s'interrogera sur ce qui pourra bien émerger à la gauche du PS , on spéculera sur les résultats des centristes de tout poil, on surveillera de près le Front National. Si d'aventure se présentait un parti des coureurs cyclistes en cure de désintoxication, nul doute que la question de son leadership occuperait largement les commentateurs. Car de quoi s'agit-il en France, en définitive, lorsqu'on parle d'"élections européennes"? D'un sondage, mais grandeur nature, un census comme on dit dans le jargon des études de marché. Une élection, pour laquelle les gens se déplacent, à laquelle se présentent tous les ténors en vue, à droite comme à gauche, mais dont tout le monde sent bien que les candidats se tamponnent comme de leur premier tract. Un seul exemple: Bayrou, l'"Européen" auto-proclamé, a bien vite abandonné son siège à Strasbourg une fois élu en 2005. Ce qui comptait, pour lui, c'était d'aller se faire élire dans ses terres béarnaises... Eh oh, soyons sérieux: l'Europe c'est bien beau, mais ça ne vaut pas une bonne garbure partagée avec des chasseurs de palombes. Sondage "en vrai": c'est à se demander si la régionalisation du scrutin n'a pas été décrétée en France pour pouvoir jauger le poids des uns et des autres en vue de scrutins "qui comptent": municipales, cantonales, législatives, régionales. Se faire élire au Parlement Européen, c'est affirmer son existence sur la scène politique française sans le désagrément d'avoir à rendre des comptes, bref c'est une chance quand on fait ce métier. C'est pour ne pas l'avoir compris - ou plutôt admis - qu'une Rama Yade se trouve aujourd'hui en disgrâce.
Ma connaissance de la vie politique slovène, roumaine, lettone ou même allemande, italienne, britannique est très limitée, mais j'ai le sentiment qu'à travers notre continent, quel que soit le pays, la situation est la même: les "élections européennes" sont à un exercice démocratique de conquête du pouvoir ce que la piste de ski artificielle de Dubai est aux sports d'hiver dans les Alpes- une illusion.
Moi, ça me désole. Alors je rêve un peu. Je rêve de vraies élections européennes, organisées autour de cinq règles simples:
  1. Scrutin proportionnel organisé le même jour dans les 27 pays membres
  2. Circonscriptions = les 27 nations
  3. Les citoyens européens votent de leur lieu de résidence, quel qu'il soit
  4. Ne peuvent se présenter que des formations politiques proposant un programme à vocation continentale, composées de partis présents dans des pays représentant au moins 55% du corps électoral (ou 50, ou 60, si vous voulez, je m'en fous)
  5. Chaque formation propose sur sa liste des candidats issus de tous les pays européens - un candidat d'une même nation toutes les 27 places. Ne sont représentées au Parlement que les formations ayant recueilli au moins 3% des voix (27/785).

Il y a sûrement des tonnes d'objections techniques à ce schéma, qui semblera simpliste à des professionnels de la politique européenne si d'aventure ils parcourent ces lignes. Mais sachant que les mêmes professionnels nous ont concocté la bruyante et inutile usine à gaz actuelle, j'estime que ces cinq principes mériteraient d'être envisagés. Ne serait-ce qu'en rêve.

D'ici là, que les réalistes se rassurent: en France et sans doute ailleurs, l'exercice de juin 2009 permettra à de talentueux clowns de se lancer sur la "piste aux étoiles". On frissonne à l'idée du formidable spectacle qui nous attend, on se réjouit d'avance d'avoir réponse à un tas de questions cruciales: le NPA du postier dépassera-t'il encore les timbrés de Lutte Ouvrière? Robert Hue, tel Lénine, lancera-t'il sa NEP? Bayrou branchera-t'il son MoDem? Quel sera le poids des Ségolénistes au sein des positions éligibles du PS? Qui pour diriger la liste UMP d'Ile-de-France? Le gouvernement sera-t'il sanctionné? Quel sera le score de la Fédération Buffeto-Mélenchoniste? Les Verts vont-ils enfin sortir du trou? Que va devenir le Front National, avec sa Marine sans paquebot? Et les chasseurs, hein, les chasseurs?

Les élections européennes, telles l'ORTF d'antan, serviront au moins à ça: tant qu'il regarde Roger Lanzac, le bon peuple ne pense pas à faire sérieusement de la politique.

Joyeux Noël à tous

mardi 9 décembre 2008

Ces gens-là

Vous aimez Jacques Brel? Moi aussi. En ce moment me trotte dans la tête la superbe chanson "Ces gens-là", lorsque j'essaie de faire le point sur la déferlante d'"actualités" qu'inflige à ses concitoyens le gouvernement de Nicolas Sarkozy.
La grande affaire du moment, c'est bien évidemment "la" crise économique. On vient d'apprendre avec soulagement que la Commission Européenne avait donné son feu vert à la France pour que nos pères (et mères) Ubu activent sans trop compter leur Pompe à Phynances au bénéfice des banques. Non que ladite Commission ait trouvé à redire au fait que le contribuable, sans même s'inviter dans leurs conseils d'administration, éponge les conséquences de la déraison spéculative des établissements financiers... Non, ça, c'est normal. Les inquiétudes de la Commission portaient sur le fait que les 10,5 milliards d'euros promis risquaient de porter atteinte à la fameuse "concurrence libre et non-faussée". Et là, fouyouyou, ç'aurait été très très grave. Mais tout bien réfléchi, la Commission trouve que là, non, ça va. On respire, le CAC 40 aussi, bref l'espoir renaît. Il renaît d'autant plus que le Président en personne, la semaine dernière, a annoncé un train de "mesures" pour protéger la France du vilain coup de tabac économique (fermetures, chômage technique, chômage tout court...) consécutif aux facéties de la planète financière (voir plus haut): il y en a pour 26 milliards d'euros, excusez du peu. On n'entrera pas ici dans les détails de ce "plan", mais on notera deux choses: la première, c'est que la majorité de cet "effort" consiste en règlements anticipés de dettes de l'Etat aux entreprises (TVA) et en "accélération" de programmes déjà prévus (TGV, etc...), la seconde c'est que selon les mots mêmes du chef de l'Etat "notre réponse à la crise, c’est l’investissement", en d'autres termes une politique d'offre. Il n'est à ce titre pas fortuit que le Medef s'en soit bruyamment réjoui, déclarant en substance que ce plan allait "dans le bon sens". Ben tiens, tu m'étonnes, Laurence. Faire en sorte que les salaires augmentent, lutter contre le travail précaire, les licenciements au gré de délocalisations profitables? Mais vous n'y pensez pas, voyons. Non, si les pauvres veulent de l'argent en plus, il faut qu'ils travaillent plus, mettons, tiens, le dimanche, par exemple. Car bien sûr on en est conscient: à la base, il s'agit bien d'un problème de consommation des ménages. L'institut d'études Nielsen mesure à intervalles réguliers les achats de dizaines de catégories de produits. Chiffres du troisième trimestre 2008 comparés à ceux de la même période en 2007 pour la France, sur la base d'un "panier" de catégories alimentaires et non-alimentaires de consommation courante: -3% en volume... mais +6% en valeur. En clair: c'est plus cher, ma pauvre dame, alors on achète moins.
Taratata: la réponse, c'est "l'investissement", coco.
Bref, l'Etat déverse à pleins tombereaux l'argent du contribuable dans l'escarcelle des entrepreneurs, à commencer par les plus fougueux d'entre eux - les banquiers - en croisant les doigts très très fort pour que la machine consommatrice, moteur de la croissance en France, se remette un poil en branle. Même si on a du mal à voir comment l'un peut avoir un effet sur l'autre.
Car chez ces gens-là,
on ne pense pas, Monsieur,
on ne pense pas:
on prie.
Autre grande affaire: la "réforme de l'audiovisuel". Premier volet: il s'agit de supprimer la publicité sur les chaînes publiques. Petit souci: les recettes publicitaires des chaînes publiques c'est 800 millions d'euros par an. Qu'à cela ne tienne, avait claironné Sarkozy, qui pense à tout: on instaurera une taxe de 3% sur les recettes publicitaires des chaînes privées, et puis une autre taxe sur la téléphonie mobile, sur Internet, tout ça. Vous inquiétez pas. Oui mais voilà: l'état-major de TF1 a fait un lobbying du feu de Dieu, tant et si bien que les députés UMP, dans leur grande sagesse, prévoient de ramener cette taxe à 1,5%. Sachant que par ailleurs les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d'accès à Internet ne sont pas manchots non plus, au final les 800 millions n'y seront pas. C'est donc l'Etat (encore lui) qui en sera de sa poche. Second volet: fi de l'"hypocrisie" des instances de régulation officiellement indépendantes du politique (Haute Autorité, puis CSA), désormais les responsables de chaînes publiques seront nommés par le Président de la République. Et bisque, bisque, rage.
Ce n'est pas un scoop, Nicolas Sarkozy attache une très grande importance aux médias, et réciproquement. De fait, les grands patrons des médias en France (Bouygues, Lagardère, Dassault...) sont très officiellement des amis du Président. Des amis utiles: on ne saurait négliger l'impact d'une "une" sympa de Paris-Match ou d'un bon reportage télé sur une cote de popularité et, à terme, sur une réélection. Que ne ferait-on pas pour ses amis? Et zou, une réforme de l'audiovisuel, en espérant que la grande majorité des 800 millions de recettes évaporés de France Télévision tombe dans l'escarcelle de TF1. Et puis on ne va pas prendre le risque d'un irrespect, même timide, des rédactions de France Télévision vis-à-vis des grandioses réalisations du Génie-des-Hauts-de-Seine. Allez hop, je te remets de l'ordre dans ce bazar. C'est que 2012, c'est dans trois ans.
Car chez ces gens-là,
on ne cause pas, Monsieur,
on ne cause pas:
on compte.
Enfin, on ne saurait oublier l'événement certes mineur, mais ô combien symptomatique que constitue le mini-remaniement ministériel en cours: Xavier Bertrand quitte ses fonctions au Ministère du Travail pour prendre la tête de l'UMP. Exit de la direction de ladite UMP le légendaire Patrick Devedjian, nommé Ministre en charge de l'exécution du Plan de Relance (par l'"investissement", voir plus haut). Il est vrai que ça manquait dans le dispositif, un Ministre de la Relance. Christine Lagarde s'occupe de l'Economie et des Finances, c'est très prenant comme fonction: pas le temps de s'occuper, en plus, de la crise. D'ailleurs elle n'a pas reçu l'e-mail comme quoi il y en avait une, de crise. Passons.
Xavier Bertrand à la tête de l'UMP, donc, mais au fait comment se fait-ce? Aurait-on, à l'insu des médias, organisé des élections au sein des militants-du-parti à-jour-de-leurs-cotisations, comme on dit? Impossible, ça se serait su. On aurait donc mis en place un vote au sein des membres dirigeants, genre responsables régionaux ou départementaux? Non plus, là encore il y aurait eu des fuites. Vous n'y êtes pas du tout: les élections, c'est un truc ringard, résolument archaïque, tout juste bon pour des socialistes et on voit où ça les mène, ces conneries. Non, à l'UMP, on est moderne et pragmatique: le Président a décidé, ça sera Xavier Bertrand, et ceux qui ne sont pas contents n'ont qu'à aller se faire estimer chez Bayrou, ça lui fera des vacances, au Président. Le Parti du Président, c'est comme la France: on aime, ou on s'en va.
Foin de la "démocratie interne" et autres chimères. Verrait-on un PDG élu par ses salariés, hein, je vous le demande?
Car chez ces gens-là,
on ne vote pas, Monsieur,
on ne vote pas:
on nomme.
Sur ce, à bientôt.

dimanche 23 novembre 2008

Quand les dirigeants du PS jouent aux cons, ils gagnent

Parti Socialiste Français, 23 Novembre 2008 : une organisation politique d’une inanité pyramidale, où le pathétique le dispute à la bêtise et dont le spectacle fait hésiter entre la colère et le découragement.

Flash-back... Comme des dizaines de milliers d’adhérents du PS je m’apprêtais, après m’être prononcé sur les “motions”, à désigner un(e) premier(ère) secrétaire pour le parti. Un choix cornélique et bordelien, vous pensez bien. Comment choisir? Ils étaient tellement enthousiasmants, nos trois finalistes – Ségolène-l’inspirée, Martine- la-sévère-mais-juste, Benoît-la-nouvelle-têtequ’on aurait aimé les mélanger et obtenir le leader parfait. Apres la motion de synthèse, le premier secrétaire de synthèse, voila qui aurait été véritablement innovant. Oui mais voilà, c’était pas possible, d’autant que ce coup-là, même les textes n’avaient pu être synthétisés, alors…
Il y aurait bien eu l’option pouf-pouf : placer les photos des trois candidats sur une table, les pointer successivement en chantant : « Ce-sera-toi-que-je-choi-si-rai-mais-comme-Jau-rès-et-Blum-ne-le-veulent-pas-ce-ne-se-ra-pas-toi : c’est pas toi ! », laissant au hasard le soin d’en éliminer deux sur les trois. Mais reconnaissons-le, ca n’aurait pas été très sérieux.
J’aurais également pu jouer la « préférence communautaire » : mon choix se serait porté alors sans hésitation sur Benoît Hamon, que plus Breton parmi les trois, tu cherches longtemps. Mais si tous les adhérents avaient fait comme moi, on aurait observé une abstention massive parmi tous les non-Picto-Charentais, non-Chtis et non-Bretons, ce qui fait quand même du monde. Et puis à l’heure de la mondialisation et des « identités plurielles », comme on dit, ç’aurait été un peu réac.
Rien à faire : faute de pouvoir utiliser le hasard ou ma tripe philo-celte, il fallut me résoudre à utiliser ma raison:

. Le PS ne souffre pas d’un manque d’idées – les « contributions » et « motions » des uns et des autres en sont pleines, pour qui prend la peine de les lire – mais d’une absence de « fils rouges », de lignes directrices, à l’instar de la « valeur travail » et du primat de l’individuel sur le collectif dans le dispositif Sarkozyen communément appelé UMP. A la limite, il y aurait davantage trop-plein que déficit, chaque motion prenant soin de présenter un catalogue d’actions a mettre en œuvre quel que soit le sujet, de la politique étrangère a la stratégie d’alliances électorales. Or seule l’émergence d’un leader « clivant », non-synthétique, permettrait de formuler une « vision » qui soit intelligible, à défaut d’être totalement consensuelle au sein du parti voire, à certains égards, réaliste. C’est la nature du leadership qui peut dégager des lignes de force programmatiques, et non l’inverse.
. La question des alliances électorales est à la fois centrale et secondaire. Centrale car l’importance qu’on lui accorde est révélatrice du type de projet qu’on porte. En clair : poser comme préalable que le PS ne saurait s’allier qu’à sa gauche signifie une vision du corps électoral dont la structure aurait été figée une fois pour toutes au début des années 70. Secondaire car il s’agit avant tout de définir un projet. Se demander si telle ou telle formation politique concurrente est susceptible d’y retrouver ses petits à l’heure des ralliements de second tour, c’est perdre son temps. D’autant que rien n’est moins certain, de nos jours, qu’un report de voix.
. La préservation de la pérennité du PS, en tant que système et mode de fonctionnement, ne peut être un but en soi. Ce qui compte, c’est que de cette organisation émerge une force politique en mesure d’influer sur le « cours des choses » : en l’occurrence, une force dont la vocation centrale soit de rebattre les cartes du « deal » passe entre la collectivité et le monde de l’économie au cours des vingt-cinq dernières années, une force qui construise le monde post-Reaganomics en France... et en Europe autant que faire se peut.

Vint le temps d’examiner les candidats en lice :

- Martine Aubry est brillante mais présente deux handicaps : tout d’abord, elle tient dans cette compétition le rôle peu enviable de concentré pachydermien, à savoir de représentante, par défaut, de ce qu’il est convenu d’appeler « les éléphants ». Par Ségolénophobie en effet se sont successivement ralliés à sa candidature Fabius, DSK, Delanoë (donc Hollande et Jospin) puis Lang. A ce titre, et éventuellement à son corps défendant, elle synthétise un casting de losers dont la seule obsession semble être de maintenir un statu quo, où les écuries s’écharpent dans un entre-soi de bon aloi ; par ailleurs par ses positions, ses attitudes, elle représente, à tort ou à raison, un épouvantail à patrons, or pour négocier, il faut être deux.
- Benoît Hamon: Breton et plein d’allant, certes, mais il est le porte-parole, au sein du parti, de ceux qui rêvent encore d’ « union de la gauche », un concept remis a l’ordre du jour par Mitterrand à une époque où le PCF pesait 20% des voix. Or de nos jours, mis à part les Verts (dont le poids électoral est à ce jour plutôt ténu), le moribond PCF et le squelettique PRG, de quoi parle-t-on ? S’il s’agit de rallier les néo-bolcheviks du NPA, non seulement c’est crétin, mais c’est peine perdue : ces gens-là ne veulent pas entendre parler d’une participation ou du soutien à un gouvernement qui ne soit pas léniniste et l’un de leurs objectifs explicites est, comme ils disent, de « plumer la volaille social-démocrate ». Quant a vouloir capter la nébuleuse altermondialiste, t’as qu’à croire, comme on dit en Basse-Bretagne

Bref, j’en étais là et m’apprêtais, par élimination, à voter Ségolène Royal lorsque crotte de bique, je m’aperçus que le vote du premier tour était clos. Qu’à celà ne tienne, me dis-je, me reste le second tour. Je votai donc Ségolène Royal au second tour.

Comme tout le monde, j’ai pu ces jours-ci prendre connaissance des résultats du scrutin, et surtout des conséquences de ces résultats: un désastre, et on n’a pas encore vu le plus beau.

On peut voir les choses de deux façons : on peut se dire que Ségolène Royal, en sortant du « Frigidaire » sa candidature a cristallisé une opposition à sa personne jusque là diffuse, ou bien arguer que la constitution de ce « front-tout-sauf-Ségolène » a créé de toutes pièces un clivage idéologiquement artificiel mais, au final, politiquement réel et, de fait, totalement paralysant.

Dans l’un et l’autre cas, cependant, le constat s’impose : ce ne sont pas des éléphants ou une gazelle que cette organisation a placés au sommet de sa hiérarchie, mais une bande de taupes abruties.

D’un côté, une ex-candidate à la présidentielle qui se croit suffisamment populaire pour faire l’impasse sur la construction d’alliances tactiques avec les leaders en place (Après avoir, durant la campagne présidentielle, fait l’impasse sur ses anti-sèches en matière économique et sociale, décidément c’est une manie). De surcroît, elle se construit sciemment une image d’ « outsider », convaincue que cette « externalité » constituera un atout. Le tout en en faisant des tonnes dans un registre bigot-gnan-gnan propre à exaspérer le plus tolérant des athées.

De l’autre, une brochette de dirigeants, dont la principale occupation consiste à se bouffer le nez, s’allie soudain sur une ligne selon laquelle non, ça va pas être possible, une femme pareille. Et d’inventer des polémiques à deux balles genre « alliance ou non avec le MoDem » (ectoplasme qui n’existe politiquement que lorsqu’on en parle) ou « parti de militants Vs parti de supporters » (comme si, de 1971 à 1988, le Parti Socialiste ne s’était pas inquiété de faire élire François Mitterrand). De part et d’autre une incompatibilité savamment cultivée et surtout, surtout, une incapacité totale à prendre conscience de l’indécence de ces querelles de lutins aux yeux de l’opinion.

Tout bien réfléchi, aucun des acteurs de ce casting minable ne méritait mon vote. Et j’imagine qu’à cette heure je ne suis pas le seul à penser ainsi. Ce vote 50/50 (sous réserve de tripatouillages éventuels) traduit peut-être une indécision, mais aussi très sûrement deux vagues de rejet dont les effets s’annulent.

A ce train, la victoire de Sarkozy en 2012 n’est plus une éventualité, c’est une certitude : alors à vous tous, Ségolène, Martine et les autres, un grand merci et encore bravo.

Ciao, belli.

mercredi 5 novembre 2008

Yes, They Can?

Le spectacle de l’actualité m’incite d’ordinaire plus souvent à l’ironie – sinon à la colère - qu’à l’enthousiasme. Mais là, je dois l’admettre - au risque de me fondre dans un large troupeau consensuel: on peut dire que l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis est vraiment une bonne nouvelle.
D’abord, bien sûr, il y a cet événement qui il y a peu relevait du doux délire ou de la fiction hollywoodienne: un Noir à la Maison-Blanche. Contre tous les cynismes, l’Amérique « walks the talk » et tient symboliquement sa promesse du E pluribus unum. Au siècle dernier, lorsqu’existait encore le bloc soviétique, il y avait une rengaine qu’entonnaient systématiquement les communistes dès lors qu’on critiquait l’URSS : « Oui, mais, regardez les Noirs aux Etats-Unis… ». C’était à leurs yeux un argument imparable, censé clouer le bec à ceux qui, tout bien pesé, se sentaient mieux de ce coté-ci du mur de Berlin. Alors bien sûr, la question raciale n’a pas été réglée d’un coup de baguette magique. Mais cette élection met en lumière un fait que l'on pouvait pressentir : la question de la couleur de peau est désormais secondaire aux Etats-Unis. S’il existe de l’autre côté de l’Atlantique des injustices à combattre, celles-ci se situent dorénavant principalement dans l’aire du social : ça tombe bien, Barack Obama est démocrate, c’en est a priori fini là-bas des politiques de redistribution des revenus du bas vers le haut.
Ensuite, et nonobstant les appels du vainqueur de ces élections à une sorte de réconciliation nationale, on ne peut que se réjouir de la formidable déculottée reçue par la clique de culs-bénits va-t-en-guerre à la tête de la première puissance mondiale depuis huit ans. La crise financière et ses ondes de chocs redoutables dans l’économie réelle auront eu raison de l’illusion néoconservatrice : vendre aux pauvres une aggravation de leur pauvreté sous l’emballage d’un patriotisme benêt. Un « businessman » écrasant tout sur son passage, se rêvant la Bible d’une main, une Winchester de l’autre, telle était la figure indépassable du Bushisme. Ce raz-de-marée du 4 Novembre 2008, c’est la revanche de Robert Redford sur Chuck Norris, de Bob Dylan sur Dolly Parton. L’irruption dans la campagne de « Whoopie-la-Reine-des-Glaces » (l’expression est d’un éditorialiste de l’International Herald Tribune) – l’impayable Sarah Palin – aux côtés de John Mac Cain n’aura au fond que clarifié l’enjeu de l’affrontement. En choisissant cette caricature de l’Amérique « authentique » (comrprenez: ignorante du reste du monde et fière de l'être) comme colistière, Mac Cain annonçait la couleur : « vous avez aimé George W. Bush et son allure de simplet, vous adorerez Sarah Palin et son look de démarcheuse de chez Amway». Le candidat Républicain a ouvertement pris ses concitoyens pour des demeurés, qu’ils s’en soient massivement aperçus est on ne peut plus rassurant.
Enfin il y a ce que disait un New-Yorkais sur Times Square la nuit dernière, au fil d'un micro-trottoir : « maintenant, nous n’allons plus être détestés par le reste du monde ». A priori, on pourrait se dire que l’image de l’Amérique est avant tout le problème des Américains, et que bien fait pour leur gueule, ils n’avaient qu’à pas réélire George Bush . Il n’empêche que, volens nolens, il est de nombreuses parties du monde où on a vite fait de fourrer Européens, Américains, Canadiens, voire Australiens et Néo-Zélandais dans un même sac détestable baptisé « Occidentaux ». On ne s'étalera pas sur les raisons historiques et culturelles de cet amalgame, on notera simplement qu'il n'est pas innocent qu'Al Qaida ait récemment fait savoir qu'elle souhaitait la victoire de Mac Cain. Alors oui, il y a fort à parier qu'avec Obama à sa tête, l'Amérique va radicalement changer son image dans le monde. En tout cas dans ce qu'on appelle "les grandes lignes".
Car - et c'est un bémol de taille - rien n'indique dans les discours du candidat Obama le début du commencement d'une inflexion dans la politique américaine à l'égard du conflit israélo-palestinien. Or ce conflit a un caractére central, nodal: tant que durera l'injustice objective faite aux Palestiniens - le déni de la terre, de l'eau, de la dignité - se trouvera un allumé pour semer ou encourager la mort et la destruction dans cette minuscule partie du monde. On sait qu'Ahmadinedjad, Bachar El Assad, Kadhafi, Ben Laden et bien d'autres de leurs "défenseurs" se foutent du sort des Palestiniens comme de leur première Kalashnikov, mais la persistance de cette "cause" donne de l'écho à leurs diatribes. Jusques et y compris sous nos latitudes, où l'antisémitisme sous couvert d'antisionisme n'est pas qu'un fantasme à la BHL. Or à la source du blocage actuel il y a, côté Israélien, l'impasse politique à laquelle conduit la représentation proportionnelle à la Knesset: après un mois de tractations, Tzipi Livni a renoncé à s'allier avec le Shas (Droite Religieuse, farouchement opposé à un accord avec les Palestiniens, 10% des députés) et a appelé à des élections anticipées en Janvier prochain. Elections que, selon les sondages, le Likoud de Netanhyahou est susceptible de gagner: la "relance du processus de négociation" est a priori mal barrée. Le Hamas, le Hezbollah et tous ceux qui se nourrissent des frustrations palestiniennes ont de beaux jours devant eux. Seuls les Américains sont en mesure, par leur influence, de changer la donne: or si la politique étrangère américaine persiste, comme au cours des huit années qui viennent de s'écouler, à appuyer aveuglément toutes les prises de position du gouvernement Israélien, même les plus désastreuses - dictées par une minorité d'"ultras" à une majorité qui n'en peut mais, on ne doit pas donner cher de l'"image de l'Amérique" à court- ou moyen-terme, Obama ou pas.
Yes, We Can: ce slogan optimiste a emporté une large majorité d'Américains dans un élan historique. Nous pouvons élire un Président métis, immigré de la deuxième génération, nous pouvons renvoyer les néocons à l'asile d'aliénés dont ils n'auraient jamais dû sortir, nous pouvons donner un coup d'arrêt à la Finance devenue démente, nous pouvons remettre à plat notre modèle de société, nous pouvons regarder le monde autrement que comme un océan hostile. Vu l'état de délabrement dans lequel George Bush laisse l'Amérique à son successeur, ils n'en auront que trop besoin, de cet optimisme. On ne peut que souhaiter qu'il leur en reste suffisamment pour peser, de tout leur poids, en vue d'éteindre le feu qui couve du côté du Jourdain.


Yes, We Can? Chiche!


See you, guys

mercredi 15 octobre 2008

Sifflons-z-enfants de la Patrie-i-eu

Ce qu'il y a de bien, avec le foot, c'est que, contrairement au water-polo ou au curling, c'est un sport qui donne à réfléchir. Attendez, partez pas, je m'explique: avec les autres sports, lorsque se déroule une épreuve, la plupart du temps l'événement en soi ne sera jamais que sportif. Tandis qu'avec le foot, on a vite fait d'embrayer sur des tas d'autres choses...
Souvenez-vous, c'était il y a à peu près six mois (voir ici-même et la même chose, en couleur, sur Rue89), la France s'émouvait parce qu'une banderole insultante pour les "ch'tis" avait été déployée par des supporters du PSG. Enfin, "la France", disons ses médias et une bonne partie de sa classe politique. On découvrait ou feignait de découvrir que les stades sont souvent remplis d'un nombre non-négligeable de crétins absolus. Et on était d'autant plus choqué que, cette fois, il ne s'agissait pas d'injures racistes "ordinaires": les bananes jetées aux joueurs noirs, passe encore, mais insulter les "gens du Nord", ça, non.
Aujourd'hui, nouveau drame d'ampleur nationale: des supporters ont sifflé la "Marseillaise" lors d'un match amical France-Tunisie hier soir. Les supporters en question, d'après les documents que diffuse la presse, étaient plutôt jeunes et bronzés, bref des "Français d'origine maghrébine" comme on dit, car quand on n'est pas blanc-blanc on est toujours un Français-d'origine-quelque-chose, même à la quatrième génération. (Là-dessus j'en ose une très mauvaise: un match amical, c'est un match qui compte pour du beur)
L'affaire est grave: Nicolas Sarkozy lui-même, délaissant un moment le sauvetage de l'économie mondiale, s'est emparé du "dossier", flanqué de son Premier Ministre et des membres du gouvernement concernés. S'en sont suivis une avalanche de communiqués, la convocation séance tenante des instances nationales du foot et une série de "mesures à prendre". Ce soir, Roselyne Bachelot, Ministre des Sports, de la Santé et de je ne sais plus quoi, occupait le plateau du journal de France 2. Branle-bas de combat, tout le monde sur le pont.
Le truc, ce coup-là, c'est que contrairement à l'"affaire" de la banderole anti-"ch'tis", il y a des précédents identiques: la "Marseillaise" fut également sifflée lors de matches France-Algérie et France-Maroc.
Il y en a un à qui ça n'a pas échappé: Jean-Marie Le Pen s'est fendu d'un communiqué sur l'échec de l'intégration de "masses étrangères". On lui objectera, a minima, que s'il n'avait tenu qu'à lui à une certaine époque, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie et tout un tas d'autres pays remplis de gens à peau sombre seraient restés dans le giron de la France. Ces "masses", bien que nées sur des sols lointains, auraient donc été moins étrangères que ces gamins ayant vu le jour à moins de vingt kilomètres de Notre-Dame, hein, dis, Jean-Marie? N'empêche, cet hymne national sifflé pose la question de l'intégration. Mais pas forcément comme on l'imagine a priori.
Reprenons: des gens dont les parents ou grands-parents sont nés de l'autre côté de la méditerranée viennent assister à un match de foot entre la France et, disons, le pays d'origine de leurs ancêtres. Pour simplifier, admettons que les supporters siffleurs d'hier soir soient tous d'origine tunisienne. Rappel: un supporter de foot, qu'il soit ukrainien ou berrichon, est avant tout un supporter de foot. Son truc, c'est de démontrer bruyamment à quel point il adore l'équipe A. Assez fréquemment , cette dévotion implique ipso facto la détestation de l'équipe B, et plus encore des supporters de l'équipe B. En Amérique Latine, cette passion pourra aller jusqu'au meurtre, sous nos latitudes on se contentera le plus souvent d'insultes, de bousculades ou de bagarres.
Tout ça pour dire que nos supporters de l'équipe tunisienne, en tant que supporters, vivent l'événement avec une idée en tête: exprimer avec éclat leur détestation du camp d'en face, en l'occurrence "la France". Bon, là-dessus se pose un problème matériel: aucun d'entre eux n'a eu le temps de préparer une chouette banderole du genre "Français = enculés". A défaut de l'image, reste le son: on siffle donc l'hymne national du camp d'en face - fût-il chanté par une "compatriote" - c'est toujours ça de pris. Bref le supporter de l'équipe tunisienne, surtout en bande, ne se distingue en rien des autres supporters, c'est avant tout bien souvent un con: exemple s'il en est de l'unité de l'espèce humaine, exemple à jeter à la face de tous les racistes.
Là où ça devient troublant, c'est qu'on peut aisément affirmer que la plupart de ces supporters "tunisiens" sont de jure des Français car nés en France, et si ça se trouve leurs parents aussi. Idem pour les supporters "algériens" et "marocains" des matches précédents. Par ailleurs on peut imaginer que leur expérience du Maghreb, aux uns et aux autres, se limite à quelques vacances de ci-de là, et leur connaissance de l'Arabe, pour la plupart, à "Nah'din a mouk". D'où vient dès lors cette expression soudaine de déloyauté?
Première explication évidente, d'ores et déjà reprise ici et là dans les médias: l'"intégration" ne fonctionne pas comme elle devrait, c'est le moins qu'on puisse dire. Le sentiment national ne se décrète pas, notamment lorsqu'au quotidien flics, employeurs et un certain nombre de "Français de souche" vous rappellent que vous êtes d'origine ceci ou celà, explicitement ou implicitement. Celà étant dit il y a autre chose, qui renvoie au "phénomène foot": de même que pour la banderole anti-"ch'tis", il y a dans ces sifflets quelque chose de transgressif, donc d'éminemment jouissif pour un supporter chauffé à blanc. Siffler la "Marseillaise" - le départ tonitruant de Chirac de la tribune officielle lors du "France-Algérie" l'a prouvé - c'est l'assurance d'une réprobation outrée de la part d'une France perçue comme bien-pensante: politiques et médias mais aussi, dans le cas qui nous occupe, Français "de souche". La sur-réaction du gouvernement (et de l'opposition) quant aux incidents d'hier ne saurait que renforcer nos facétieux supporters dans le sentiment qu'ils tiennent là un truc efficace, aussi efficace qu'une bonne banderole remplie de gros mots ou une baston générale à coups de battes de base-ball.
Sur le fond, quant à moi, cette "Marseillaise" sifflée me laisse indifférent: pour des tas de raisons, je n'ai jamais vibré à cet hymne aux paroles grotesques, je n'ai pas de sillons à abreuver (mon côté urbain, sans doute) et quand bien même j'en aurais, j'ai beaucoup de difficultés avec la notion de "sang impur". Je suis sûrement un mauvais Français.
Finalement, on peut dire que siffler la "Marseillaise" ou la chanter au garde-à-vous avec la larme à l'oeil, si on y réfléchit bien, c'est la même chose: c'est exprimer une émotion autour de quelques vers de mirliton jetés sur une partition pompeuse, c'est renoncer à l'intelligence et se laisser entraîner par une force d'ordre symbolique et irrationnelle.
Du coup, ces supporters qui sifflent la "Marseillaise" expriment deux choses: d'une part l'importance qu'ils accordent à ce chant, d'autre part l'alignement sur un comportement - la transgression - qu'on retrouve chez tous les supporters excités de France et de Navarrre. Paradoxalement, cette "Marseillaise" sifflée signe une certaine forme d'intégration. D'intégration par la connerie, certes, mais d'intégration quand même.
Ciao, belli.

mercredi 8 octobre 2008

NPA: Ne Pas Admettre

Des "caisses" que l'on disait vides finalement s'avèrent pleines de milliards d'euros que l'Etat français, à l'instar de ses homologues européens et américain, verse à pleins tombereaux dans la machine bancaire. Sans plus d'effet - en France comme ailleurs - qu'un cautère sur une jambe de bois, si on en juge par la persistante déroute des marchés boursiers. Pompiers pyromanes, les laudateurs du marché se réjouissent de cet interventionnisme revigoré, quand ils n'en demandent pas davantage. A l'exception d'un Madelin qui attribue la crise à une "mauvaise régulation" (Le Nouvel Observateur, 3/10/08), les gallo-ricains libéraux font par ailleurs entendre un silence assourdissant. Même les "ultras" de la Commission Européenne (les "gnomes de Bruxelles", comme les appelle Jacques Juillard) jouent les avions furtifs.

Bref, ces temps-ci, le capitalisme débridé a du plomb dans l'aile, le mythe de l'autorégulation du marché s'effondre vraiment et l'on redécouvre soudain les vertus de la puissance publique en matière d'économie. Ce n'est pas ici qu'on va s'en plaindre, cette dégelée que prennent les idées ultra-libérales a quelque chose de vraiment jouissif.

Tout naturellement, cependant, cette crise du système ouvre en France un boulevard façon Bucarest à la vivace Gôchedelagôche, j'ai nommé la nébuleuse en cours de formation autour de la LCR et de son charismatique postier: le "NPA" ou "Nouveau Parti Anticapitaliste", le nom est provisoire. Que prône en effet cette mouvance? La rupture avec le capitalisme, rien de moins. "Nos vies valent mieux que leurs profits", le slogan claque comme un drapeau rouge et sonne comme un évidence aux oreilles de ceux et celles que le spectacle de la "misère du monde" post-Reaganomics emplit de désespoir, puis de colère.
Ce boulevard est d'autant plus large que le réformisme social-démocrate que porte le PS est inaudible, à commencer par les commentateurs politiques passionnés par les batailles d'ego (on en a parlé ici).

Le NPA, donc, ou la énième tentative de construire une organisation unitaire d'extrême-gauche, dans le vide que laisse l'effondrement du PC. Je peux me tromper mais ce coup-là, il est bien possible que ça réussisse, les prochaines élections Européennes devraient réserver quelques surprises. Réédition du "coup du FN" Mitterrandien par la droite, trop heureuse de mettre des bâtons dans les roues du PS, relayé par des médias "amis" ou sous influence? Actualité brûlante d'un capitalisme qui semble chanceler? Toujours est-il qu'Olivier Besancenot est, ces temps-ci, particulièrement "audible". Il faut dire que certains sondages le placent dans les sommets des "personnalités préférées" à gauche. Et les sondages, bien sûr, c'est sacré. On a donc entendu le "porte-parole" (pas de chefs, chez ces gens-là, c'est bien connu) de l'auto-dissoute LCR sur France Inter hier matin.
Au-delà de la forme (l'incontestable séduction qu'opère la rhétorique incisive du bonhomme), une chose m'a frappé, sur le fond, dans ce qu'a pu raconter Olivier Besancenot: j'y ai perçu un discours d'évitement. En clair, on n'admet pas les choses qui fâchent et, face à la réalité, on pratique le déni. Dans un cas ça reste bénin, dans l'autre c'est plutôt inquiétant.

Là où ça ne mange pas vraiment de pain, c'est lorsque, ayant conclu son analyse critique implacable - et souvent imparable - des dérives du capitalisme, ce cher Olivier en vient, sous les questions des journalistes, à nous expliquer le système alternatif dont il rêve. En toute logique, il devrait nous annoncer la fin de l'économie de marché, car au fond c'est bien de cela qu'il s'agit, au NPA comme dans certains "papiers" du Monde Diplomatique. Oui mais voilà, l'auditeur de France Inter n'est pas complètement abruti, et si on lui annonce ça tout de go, il va logiquement en déduire que Besancenot préconise l'économie administrée, et c'est moyennement "porteur", comme projet de société. L'auditeur de France Inter est pragmatique, il n'aimerait pas que l'épicier en bas de chez lui soit remplacé par un fonctionnaire en blouse bleue, comme en Corée du Nord. Alors on n'en parle pas: on parle plutôt d'une "économie planifiée non-bureaucratique", d'une économie qui serait "planifiée par le bas", au niveau des usines, tout ça. Historiquement, ce projet porte un nom: les soviets. Mais bon, on ne prononce pas ce genre de mot à une heure de grande écoute. De même qu'on évite d'appeler "communisme" la vilaine planification "par le haut": ne surtout pas injurier l'avenir, des fois qu'on puisse extraire quelques frères ennemis staliniens de l'immeuble effondré du PCF. Lorsque ce n'est pas vendeur, on évite d'admettre ce qu'on est - un partisan du Trotskisme, à savoir d'un Bolchevisme qui aurait raté le train de l'Histoire. Mais ce déni-là, tellement prévisible, c'est de la rigolade.


Plus grave est le discours du "porte-parole" lorsqu'on évoque ce qui est devenu l'"affaire Rouillan". Résumons: Jean-Marc Rouillan, condamné à perpète, comme se copains d'Action Directe, pour la mort de Georges Besse et du Général Audran, était en semi-liberté aprés plus de vingt ans de prison. Une fois sorti il a rejoint, comme simple militant, le "comité NPA" de sa région. Seulement voilà, ce régime de semi-liberté ne lui était accordé qu'à la condition qu'il ne s'épanche pas publiquement sur son passé. Las: lors d'une interview à l'Express et à Libération, il a jugé bon d'affirmer en substance qu'il ne regrettait rien de sa "lutte armée". Zou, le juge le remet au gnouf aussi sec. Et Besancenot de s'indigner qu'on emprisonne "quelqu'un qui a purgé sa peine" tout en jurant ses grands dieux que "la LCR a toutours désapprouvé la lutte armée en France et fortement critiqué Action Directe", ce qui est certainement vrai... mais la question n'est pas là. Ce qui est époustouflant, dans ce discours, c'est le vocabulaire employé: "lutte armée". A moins qu'on ne me prouve le contraire, en Droit, un meurtre avec préméditation s'appelle un assassinat. Et la personne qui commet ce meurtre, un assassin. Seulement tout se passe, chez Besancenot, comme si cette réalité-là, ces mots-là n'étaient pas prononçables. Tout ça parce que les illuminés d'Action Directe pratiquaient un verbiage pseudo-marxiste et s'étaient eux-mêmes convaincus que leurs actes constituaient un combat politique: Olivier, c'est plus fort que lui, ça lui "parle". Et lorsqu'on évoque la violence d'Action Directe il répond quelque chose comme "oui mais, la violence sociale...", comme s'il y avait égalité formelle entre un licenciement et deux balles dans la peau. Lorsqu'elle est sordide, on évite d'admettre la réalité. Que Rouillan ait été le bienvenu au NPA, c'était déjà suspect: on aurait pu le traiter comme un vrai musulman traite un allumé jihadiste - "ton islam est une caricature, barre-toi de ma mosquée". Mais qu'on prenne sa défense au nom d'une indulgence inavouée pour la "lutte armée", masquée sous une revendication de "justice", c'est carrément pathétique et ça n'a rien de rassurant.
Déroute en rase campagne des ultra-libéraux, socio-démocrates englués, dégradation de l'économie réelle (notamment pour ceux en bas de la pyramide!), mousse médiatique nourrie de sondages, habileté du personnage: toutes les conditions sont réunies pour un succès significatif de Besancenot. Nonobstant, de déni de soi en déni du réel, ce NPA est sans aucun doute anti-capitaliste, c'est certainement déjà un parti, mais il n'a rien de nouveau: les bolcheviks, on connait. Historiquement, ça commence par une colère juste... mais ça se termine toujours par du totalitarisme. Et, tout au long du parcours, une bonne dose de bêtise.


Allez, salut.

jeudi 2 octobre 2008

Impartialité positive

Envie à cette heure d'opérer un léger flash-back: lors de la visite du pape à Paris, l'opposition et une bonne partie de la presse attendaient Sarkozy au tournant. Après le surréaliste discours de Latran, le président-aux-six-cerveaux allait-il en remettre une louche bien épaisse sur les bienfaits de la religion en général et de la foi catholique en particulier? Bien que rédigé, comme celui de Latran, par Emmanuelle Mignon, sa bigote "plume" en ce genre de circonstance, le discours fut perçu par tous comme assez modéré: Sarkozy, tel Jésus, est resté dans les clous.
Quoique: de nouveau été mis en avant le concept de "laïcité positive". Quoi donc? On connaît la "positive attitude" du très regretté Raffarin, le néologisme benêt "positiver", usé jusqu'à la corde par les Conseils en Management, et bien sûr la "discrimination positive", traduction approximative de l'affirmative action. Mais bon, la "laïcité positive", ça c'est nouveau, ça vient de sortir, avant le règne Sarkozyen il ne serait venu à l'idée de personne d'accoler un tel adjectif au mot "laïcité".
D'emblée, une idée vient à l'esprit: si on éprouve le besoin d'ajouter "positive", c'est qu'on pense que par défaut la laïcité est quelque chose de mauvais, comme la discrimination. Pourtant l'idée de laïcité est un des fondements de la République, depuis 103 ans très exactement, depuis qu'un gouvernement radical-socialiste décida de faire voter la fameuse loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat . Après avoir combattu cette loi toutes griffes dehors, l'Eglise catholique a fini par se résigner, par lassitude d'un combat visiblement perdu d'avance, à n'être officiellement considérée que comme une option parmi d'autres sur le "marché" encombré des croyances. De fait, en ce début de vingt-et-unième siècle, et si l'on met à part les enjeux que peut éventuellement soulever l'ancrage de l'islam de ce côté-ci de la méditerranée, la laïcité "à la française" est un principe largement rassembleur, droite et gauche, athées et croyants. Pourquoi dès lors, en en imaginant une version qui serait "positive", suggérer que ce principe pourrait avoir quelque chose de néfaste?
Il y a que la laïcité, dans sa version hexagonale, c'est l'affirmation d'une idée simple: la croyance ou l'incroyance relèvent de la liberté individuelle, et en matière de conscience l'Etat se doit d'être impartial. Impartial, ça veut dire qu'aux yeux de l'Etat aucune religion ne saurait être privilégiée.
Sur le papier c'est net, sans bavure. En pratique, ça se complique, car ce principe n'est pas sensé s'appliquer sur la lune mais en France, partie du monde historiquement marquée par le catholicisme. Dès lors l'affirmation du principe de laïcité ne va pas de soi, tant l'histoire, la géographie, la culture sont marqués par cet atavisme: la tentation est permanente pour les représentants de l'Etat, pour les élus, de jouer avec les religions à la "Ferme des animaux" d'Orwell - toutes égales, mais certaines plus que d'autres. Les entorses à ce principe d'impartialité sont monnaie courante. Par exemple: combien d'argent public - ne serait-ce qu'en présence policière - dépensé pour la visite du pape à Lourdes? Au nom de quoi la République finance t-elle en partie un événement comme le cent-cinquantenaire des "apparitions de la vierge", qu'un athée comme votre serviteur considère comme une manifestation collective de superstition, et dont par ailleurs les protestants, les juifs, les musulmans, les bouddhistes se tamponnent allègrement le coquillard? L'impartialité de l'Etat ou des collectivités locales en matière de religion n'est pas un fait acquis: la défendre est un combat sans cesse renouvelé.
La laïcité comme signe de l'impartialité de l'Etat, c'est là que le bât blesse pour Sarkozy. De la réforme de l'audiovisuel taillée sur mesure pour remplir le tiroir-caisse de l'ami Bouygues à l'ouverture, ce jour, des "Etats généraux de la Presse", avec en ligne d'horizon la possibilité pour les amis Lagardère, Dassault, Arnault et Bouygues, encore lui, de contrôler quelques médias de plus, en passant par la mutation de ce préfet de police corse n'ayant pas assez protégé l'ami Clavier, les exemples s'accumulent d'une instrumentalisation de l'appareil d'Etat en faveur d'intérêts particuliers. Il est vrai qu'en la matière, les exemples abondent du côté des prédécesseurs de Sarkozy. Quelque chose de nouveau sous le soleil, cependant: tandis que les Giscard, Mitterrand, Chirac faisaient tout pour cacher leurs dérapages, Sarkozy, sur le mode "moi, je ne suis pas hypocrite", semble ne rien vouloir cacher de cette partialité: "Oui, Martin Bouygues est mon ami, et alors?". Non non, rien, Nicolas, tout va bien, t'inquiète pas.

En matière de religion, on a cru comprendre trois choses de l'animal au travers de ses différentes déclarations: 1. C'est un catholique - pas très zélé, mais quand même - ce qui est son droit le plus strict; 2. Il considère la foi comme un dérivatif utile à la misère du monde, ce qui est plus contestable; 3. Il revendique l"identité chrétienne" de la France, ce qui pour le Président d'une République laïque est totalement inacceptable. Pourquoi? Parce que s'il fallait parler d'une "identité" historique, il faudrait prendre en compte le passé lointain - les paganismes celte et germanique, la Grèce et la Rome antiques - et le passé récent - les Lumières. C'est ça, la laïcité "normale", on comprend que ça le gène, de même que le gènent toutes ces règles qui empêchent ses amis de se goinfrer davantage. Du coup ce principe de laïcité mérite d'être retoqué, pour le confort intellectuel du Prince: va pour la "laïcité positive", principe selon lequel les idées, les propositions marquées par la foi seront a priori bonnes à prendre, quand on ne les suscitera pas. Principe selon lequel est également jetée à la poubelle l'impartialité: allons, soyons sérieux, comment voulez-vous être impartial quand vous comprenez à quel point vous êtes "historiquement chrétien"?

Benoît XVI, qui n'est pas la moitié d'un con, a beaucoup aimé le concept de "laïcité positive". En pleine reconstruction de la bonne vieille Eglise catholique droite dans ses bottes aux semelles cloutées, c'est un bonheur inespéré, autant dire un miracle, ce virage à 180 degrés au sommet de l'exécutif français. De quoi alimenter de belles analyses Kantiennes sur l'unité de la Raison et de la Foi.


Quant à l'impartialité de l'Etat d'une façon générale , au train où vont les choses il ne serait guère étonnant qu'on se mette à parler bientôt "d'impartialité positive": impartial, oui, mais les copains d'abord.

Ciao, belli.

mercredi 24 septembre 2008

Méditer Schoendoerffer

Dans "La 317ème section" (1965), Pierre Schoendoerffer faisait dire à un de ses personnages: "Quand on fait la guerre, y a une chose dont il faut être sûr, c'est que l'objectif à atteindre justifie les pertes. Sinon, on peut plus commander".

Mille-huit-cents milliards de dollars, c'est paraît-il ce que les contribuables américains vont devoir débourser pour sauver leurs banques - et, si j'ai bien tout compris, rien moins que le système financier mondial - d'un effondrement façon dominos. C'est une somme colossale, je vous l'accorde, mais le jeu en vaut tellement la chandelle qu'on ne se pose pas la question de savoir si une telle perte pour le Trésor Américain est justifiée par l'objectif à atteindre. En gros, c'est l'histoire du pilote de 747 qui annonce à ses passagers, au dessus de l'atlantique: "Remboursez-moi le prix de mes années d'études, logement, nourriture et loisirs inclus - j'ai calculé, y en a pour trois millions de dollars, sinon je fais un vol en piqué et vous y passez tous, parce que contrairement à moi vous n'avez pas de parachute, na-na-nè-reu". Forcément, les passagers se cotisent dare-dare.

Tout de même, c'est beaucoup d'argent, se dit le citoyen-contribuable... Mais, se demande t-il aussitôt, comment en est-on arrivé là? Et puis il se rappelle: un jour, c'était dans les années 80, on lui a expliqué que le top du top, en économie, consistait à la libérer, l'économie, justement. A la débarrasser de tous ces carcans qui, notamment, empêchaient la libre circulation des capitaux et bridaient la créativité des ingénieurs en produits financiers.
Évidemment, on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs: le fait que plusieurs milliards de dollars pourraient, en une fraction de secondes, aller de Buenos Aires à Hong Kong aurait pour corollaire la fin d'un monde où les jouets, les pulls et les chaussures de sport étaient fabriqués par des adultes payés largement plus de deux dollars par jour. On verrait également s'effondrer tout un univers, où on ne spéculait que sur ce que l'économie produisait réellement. Bref: la dérégulation et la mondialisation financières bousculeraient pas mal d'habitudes, et cette bousculade se traduirait par quelques menus désagréments: chômage et précarisation ici, exploitation et acculturation là-bas, pollution et surexploitation des ressources partout. Bref, des pertes sèches. Mais "l'objectif à atteindre" justifiait-il ces pertes? Là, le citoyen-contribuable se gratte la tête: c'était quoi, au fait, l'objectif? Ah oui: plus de richesses pour plus de monde. C'est un fait établi: il y a de plus en plus de millionnaires en dollars sur notre belle planète. La seule ville de Moscou en compterait 30 000, à ce qu'il paraît. Par ailleurs en Inde, en Chine, au Brésil et ailleurs la libre circulation des capitaux aura permis de créer des emplois salariés, donc un poil plus de richesse matérielle pour plein plein de monde, c'est mieux que rien. Objectif atteint, donc.
"Oui mais voilà, se dit le citoyen-contribuable: si j'ajoute aux mille-huit-cents milliards de dollars mon salaire bridé, mon emploi volatil et mes couvertures-santé et vieillesse en peau de chagrin, ça fait beaucoup de pertes pour ma pomme... Ca me fait une belle jambe de savoir qu'il y a beaucoup plus de millionnaires et un tout petit peu moins de miséreux."
Bref, il devient potentiellement difficile à "commander", le citoyen-contribuable... Mais pour ce qui concerne la France, pas d'inquiétude: Nicolas Sarkozy s'occupe de tout.

A l'initiative de son génial Président, la République a envoyé ce printemps 700 citoyens-contribuables supplémentaires en Afghanistan, pour combattre les Talibans. Le 18 Août, la tuile: dix d'entre eux se font occire.
Nous en avons parlé ici, l'objectif à atteindre est on ne peut plus vasouillard ("combattre le terrorisme") et mériterait d'être clarifié, par ailleurs contre toute évidence le Ministre de la Défense Hervé Morin se refuse à parler de "guerre", de même qu'autrefois ses prédécesseurs lors des "événements d'Algérie". Enfin le problème du "commandement" ne se pose pas: la majorité UMP vient de voter comme un seul homme, le petit doigt sur la couture du pantalon, le "maintien et le renforcement" de la présence française là-bas. (On note que ce vote va en théorie permettre de fournir aux 700 soldats supplémentaires les moyens d'accomplir les missions qu'on leur confie. Il était temps de s'en inquiéter, mais c'est un détail).
Pour l'instant, quoiqu'il en soit, pas de guerre, pas de problème de commandement, donc aucune raison pour Sarkozy de méditer Schoendoerffer.
Mais ce dialogue de film doit, consciemment ou non, le tarauder. A tel point que, autant sur la crise financière que sur l'engagement des troupes en Afghanistan, il développe une attitude visant à son évitement: une attitude empreinte d'émotion et de compassion.
  • La compassion: on l'a vu s'envoler pour Kaboul dès l'annonce du désastre de la vallée d'Uzbin, discuter sans protocole avec les bérets rouges là-bas, puis nous organiser une grande cérémonie sur le thème "la-France-n'est-pas-ingrate-qui honore-ses-morts". Quelques plans rapprochés sur les larmes des familles, et roule ma poule.
  • L'émotion: tout colère, il a sans ambages déclaré devant l'assemblée Générale des Nations Unies que "certains" devraient "rendre des comptes" au sujet de la crise financière. (Des noms, vite, des noms!).

Dans l'un et l'autre cas, on évite de remettre en cause les logiques inhérentes à des systèmes conduisant à des désastres: celles d'une posture guerrière qui ne s'en donne ni le nom ni les moyens, celles d'une économie virtuelle a-céphale... Systèmes qui n'ont en définitive pour objectif que leur propre perpétuation.

Dans l'un et l'autre cas, on prend le citoyen-contribuable pour un demeuré.
Le pire, c'est qu'on n'est même pas certain qu'un quelconque problème de "commandement" se pose en 2012.
Allez, tchao