jeudi 6 décembre 2012

Apocalypse Soon

Un soir de 1990,  George Bush père, Mikhaïl Gorbatchev et Ytzhak Shamir se promènent à Central Park, pour se détendre d'une session épuisante à l'ONU. Soudain, face à eux, un grand éclair accompagné d'un coup de tonnerre retentissant. Un nuage de fumée apparaît, d'où surgit un homme barbu, vêtu d'une toge, la tête surmontée d'un triangle lumineux. "Salut à vous, grands de ce monde, leur dit-il, c'est Moi, Dieu le Père. Je suis venu à votre rencontre pour vous annoncer que J'en ai plein le cul des massacres, des guerres, des viols, de la torture, de la pollution, des génocides, de vos bombes atomiques. Bref J'en ai marre de l'humanité alors jeudi prochain, 9 heures du matin heure de New York je fais péter la Terre, ça sera la fin du monde, et voilà pour vous, merde, à la fin." Et aussi soudainement qu'Il est apparu, Dieu le Père disparaît dans un grand tourbillon de fumée blanche.

Comme chacun le sait, la fin du monde aura lieu le 21 Décembre de cette année, si on en croit certaines interprétations d'une prophétie Maya. Plus que deux semaines et hop, 'a p'us. C'est court, deux semaines.

Les trois chefs d'Etat sont bien évidemment stupéfaits. Ils se séparent, presque sans échanger un mot. George Bush monte dans sa limousine et file tout droit vers les studios de CBS, où il diffuse un message en direct, interrompant les programmes: "Mes chers compatriotes, dit-il, j'ai deux nouvelles de la plus haute importance à vous annoncer, une bonne et une mauvaise. La bonne c'est que nous, Américains, avons bien raison d'être une nation profondément chrétienne car Dieu existe, il m'est apparu ce soir. La mauvaise, c'est que Jeudi prochain c'en est fini de l'Amérique, du monde libre et même du reste de la planète. Ca sera la fin du monde, alors laissez tout tomber."

La perspective de la fin du monde à brève échéance peut entraîner toutes les nuances possibles du comportement humain, de la résignation à la colère. Plus rarement, cependant, imaginerait-on qu'elle incite à la destruction systématique de ce que l'on possède, ou au suicide. Pourtant, si l'on observe le comportement actuel des principaux dirigeants politiques français, on ne voit qu' auto-destruction.

Atermoiements, reculades, pas de deux, le gouvernement Ayrault, et avec lui la présidence Hollande, entreprennent avec méthode et détermination de mettre à bas le peu de confiance qu'il leur restait dans l'opinion. Passons sur la toute nouvelle "clause de conscience" des officiers d'Etat Civil, inconnue au bataillon des guides Dalloz, mais relevons le coup de barre à mine particulièrement significatif de ces derniers jours dans cette entreprise de démolition: avoir réussi à faire publiquement cocus les sidérurgistes de Florange. De même que "Walk On By" des Stranglers en 1978 sonnait comme un écho du "Light My Fire" des Doors onze ans plus tôt, ce pitoyable épisode évoque insidieusement l'enfumage des braves travailleurs post-Mai 1981. Ah, il était loin, le bel unanimisme de gauche de la manif' du 23 Mars 1979: les illusions des Lorrains faiseurs d'acier allaient se fracasser sur les "réalités économiques". On voudrait, avant l'Armaggedon, donner des arguments à Jean-Luc Mélenchon qu'on ne s'y prendrait pas autrement... Et encore, s'il n'y avait que le Front de Gauche, finalement plus musclé des cordes vocales que du potentiel électoral...

Gorbatchev se jette dans un avion, vole sans plus tarder vers Moscou, et une fois arrivé se rend directement dans les studios de la télévision d'Etat. Il s'adresse, lors d'un flash spécial improvisé séance tenante, aux télespectateurs soviétiques: "Mes chers compatriotes, dit-il, j'ai deux nouvelles de la plus haute importance à vous annoncer, deux mauvaises nouvelles à vrai dire: la première c'est que ça fait plus de soixante-dix ans que nous nous fourrons collectivement le doigt dans l'oeil avec notre athéisme marxiste-léniniste, car Dieu existe, il m'a parlé comme je vous parle maintenant. Si si, j'insiste. La seconde mauvaise nouvelle c'est que Jeudi prochain c'en est fini de la Patrie du Socialisme, du monde capitaliste et même du reste de la planète. Ca sera la fin du monde, alors laissez tout tomber."

Enfin débarrassée du poids de l'exercice du pouvoir - et, de facto, du bruyant histrion qui lui a servi de leader durant des années - la droite frétillait de bonheur, tout compte fait. Mais pour elle aussi, la perspective du 21 Décembre ne suggère que l'idée d'un seppu-ku en bonne et due forme. Mortelles élections primaires, qui ont vu s'affronter les deux héritiers auto-proclamés de "l'autre", pathétique exercice vaguement démocratique au déroulement à peu prés aussi limpide qu'une phrase de Roland Barthes. Au terme du processus en question, Fillon-le-clown-blanc se fait souffler le gros lot par Copé-l'Auguste et, de rage, crée un groupe parlementaire nouveau dont l'acronyme (RUMP) évoque, au choix, soit un problème de digestion, soit une onomatopée façon "Marvel Comics Group" - quand Hulk abat son gros poing vert sur la tronche d'un méchant. Quant à la signification de l'acronyme - le Rassemblement de l'Union pour une Majorité Populaire - si ce n'est pas du foutage de gueule, autant abandonner définitivement la francophonie. On voudrait, avant l'Apocalypse, faire décoller significativement l'usine à gaz politique de jean-Louis Borloo, qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Et encore, s'il n'y avait que l'UDI... C'est bien connu: quelques coups de pied au cul et les centristes se remettent dans les rangs, en cas de besoin...

Ytzhak Shamir, lui aussi, rentre chez lui et, une fois à Tel Aviv, se précipite dans les bureaux de la première chaîne télévisée israélienne. Interruption du programme, le Premier Ministre s'adresse solennellement à son peuple: "Mes chers compatriotes, dit-il, j'ai deux nouvelles de la plus haute importance à vous annoncer, deux bonnes nouvelles en vérité. La première bonne nouvelle c'est que nous avons bien de la chance, nous les Juifs, d'être le Peuple Elu, car Dieu existe, il m'a parlé hier au soir. La seconde bonne nouvelle, c'est qu'il n'y aura jamais d'Etat Palestinien."

Se persuader d'une fin imminente de la planète ne rend pas forcément clairvoyant - Etat Palestinien il y a désormais, fût-il déjà en loques - ni particulièrement intelligent, c'est un fait: n'étaient les neuneus New Age globalisés se piquant de culture pré-Colombienne, le spectacle politique français du moment suffirait à en convaincre les plus indulgents des observateurs de rumeurs s'il s'avère que Hollande, Ayrault et les deux comiques du Sarkoland sont certains que tout s'arrêtera le 21 Décembre.

Quoiqu'il en soit si ça continue, il n'est pas exclu que des électeurs de plus en plus nombreux leur signifient une fin de leur monde: sachant le naufrage du conservatisme néo-libéral et l'anémie congénitale de l'extrême-gauche, si la politique social-démocrate se résume à ce qui nous est donné à voir depuis le 6 Mai et singulièrement depuis quelques jours, alors suivez mon regard, on n'a pas fini d'entendre parler du F.N. Bravo, les mecs!

Salut à tous, on se retrouve après la fin du monde.


vendredi 19 octobre 2012

UMP, Une Mémoire Particulière

Les "primaires de l'UMP" c'est bien évidemment une nouveauté, c'est sans aucun doute un événement politique d'un certain intérêt, c'est peut-être bien une rupture avec une tradition bonapartiste de ce côté de l'échiquier, mais si on s'en tient à l'actualité toute récente, on est tenté de dire que c'est avant tout un pléonasme.
Le 17 Octobre, François Hollande s'est fendu d'une déclaration selon laquelle "la République reconnaît avec lucidité" la "répression sanglante" de la manifestation des Algériens de Paris cinquante-et-un ans auparavant. On peut remarquer qu'il vaut mieux reconnaître avec "lucidité" qu'avec aveuglement, on observera surtout que la "République" comprend vite, mais qu'il faut lui expliquer longtemps: cela fait maintenant des décennies que les historiens se sont penchés sur la question, et même si le nombre exact de victimes est loin de faire consensus (lire l'article de Pascal Riché à ce sujet sur Rue89), tout le monde s'accorde à dire que, ce soir-là, la police parisienne, aux ordres d'un certain Maurice Papon, a dérapé grave dans la ratonnade. Mais la "République" a parfois la comprenette un peu difficilette: la guerre d'Algérie justement qui, des années durant, n'en fut pas une, le régime de Vichy et sa myriade de fonctionnaires longtemps considérés comme un trou noir, une "absence de France". Mais avec le temps, va, tout s'en va, vient un moment où les silences officiels tournent tellement au ridicule que même les "officiels" finissent par s'en apercevoir: Jacques Chirac en 1995 à propos de la rafle du Vél' d'Hiv', François Hollande en 2012 sur les bavures à grande échelle d'Octobre 61, donc, l'un et l'autre contribuant à donner du pays qu'ils représentent une image plus respectable: l'escamotage ou le traficotage de l'Histoire par les "officiels" est davantage une spécialité des régimes totalitaires que des démocraties.
Oui mais voilà, depuis quelques années maintenant, c'est devenu une habitude: à droite, on a le "mémoriel" sensible, notamment lorsqu'il s'agit de la guerre d'Algérie. Longtemps, la défense envers et contre tout de l'empreinte historique de la France, notamment militaire, et singulièrement lors des guerres coloniales, fut l'apanage de l'extrême-droite qui, du coup, avait le monopole d'une certaine forme de patriotisme - "right or wrong, my country" disait Rudyard Kipling. Mais depuis quelques années, ce nationalisme intransigeant ("intégral", diraient certains en pensant à Charles Maurras) est devenu tendance au sein de la droite parlementaire. La "droite décomplexée" chère à Jean-François Copé, c'est une droite qui,  en l'occurrence, se met à chanter "Debout, les paras", à bouffer du porteur de valises et du combattant FLN, cinquante ans après la bagarre.
Alors aujourd'hui on a entendu un Christian Jacob, et même un François Fillon, en stéréo avec les Le Pen, s'insurger contre l'initiative de François Hollande qui s'inscrit, selon l'ancien Premier Ministre, dans une attitude de "culpabilité permanente" qui contraste avec le lourd silence des autorités algériennes sur "les crimes de l'Algérie au moment de l'indépendance, le massacre des harkis (...)".
On ne s'attardera pas sur les ressorts politiques - indépendamment de la sincérité des convictions - de cet accaparement, par la droite parlementaire, d'une certaine "mémoire" de la guerre d'Algérie : concurrence avec le Front National, arrivée aux manettes d'une génération trop jeune pour avoir vécu les guerres coloniales, démagogie d'élus de territoires à fort "vote pied-noir", etc...

On retiendra plutôt que cette crispation mémorielle fait parfaitement écho à celle qu'on observe de l'autre côté de la Méditerranée, en Algérie même: ce qu'on appelle là-bas la "guerre de libération nationale" est un thème récurrent du discours officiel, en particulier à destination de la France: on se souvient d'un Bouteflika parlant sans ambages de "génocide" à propos des exactions françaises en Algérie. Renvoyer la France à son passé colonial, c'est même devenu un rituel. Mais l'évocation, encore et encore, de la "guerre de libération nationale" a surtout son utilité sur le plan intérieur car elle permet d'éviter les sujets qui fâchent : chômage et déficit d'infrastructures indignes d'un pays gorgé de pétrole et de gaz naturel, inégalités, contrôle économique du pays par des clans de généraux, corruption endémique, élections-bidon, notamment, mais aussi toutes les cicatrices non résorbées d'une guerre civile qui aurait fait environ 150 000 morts en une dizaine d'années.


Or ce rabâchage par les officiels algériens de la "mémoire" de la guerre contre la France, outre le fait que son récit comporte un certain nombre de trous - impasses sur les massacres de partisans de Messali Hadj par le FLN, voile pudique sur les rivalités entre les combattants de l'intérieur et l'Armée de Libération Nationale abritée dans le sanctuaire tunisien - a tendance à franchement tomber à côté de la plaque, pour une population dont la moitié environ est âgée de moins de vingt-cinq ans.
Bref, la gesticulation mémorielle autour de la guerre d'indépendance, en Algérie, c'est surtout l'affaire d'un régime qui suscite auprès de ses citoyens au mieux l'indifférence, au pire le mépris voire l'exaspération - une affaire de vieux cons qui se gobergent.

Ainsi lorsqu'en France l'UMP somme François Hollande de ne surtout pas entacher, fut-ce en énonçant des évidences, le beau récit national et son glorieux épisode algérien, elle nous prouve qu'elle est "décomplexée", car elle affiche la couleur: l'histoire nationale, si on l'évoque comme il faut, c'est un truc formidable pour distraire les foules.

Le modèle à suivre pour la droite française, finalement, ce n'est pas Angela Merkel, c'est Mohammed Bouteflika, un type malin comme tout. Même si son discours est parfois un peu primaire.

See you, guys.

samedi 22 septembre 2012

"Charlie" does surf

"Charlie-Hebdo" n'aime pas la corrida, le nucléaire, le capitalisme, les militaires, la chasse, le racisme, les chants polyphoniques corses et la bigoterie sous toutes ses formes. Pour l'une ou l'une ou l'autre de ces raisons, voire pour toutes à la fois, nous sommes quelques uns - et, pour certains d'entre nous, depuis plusieurs décennies - à considérer son existence comme salutaire.
Donc, lorsque "Charlie" s'en prend, comme cette semaine, à la figure du prophète Mohammed, comme il peut s'en prendre à la Vierge Marie, à Jéhovah ou au Petit Jésus, on se dit au premier abord qu'il est dans son rôle, et que lui contester ce droit constitue une entrave inacceptable à la liberté d'expression. Que si on lui fixe des limites parce que ce genre d'initiative "heurte-la-sensibilité-des-musulmans-dans ce-qu'ils-considèrent-comme-étant-le-plus-sacré", on crée une brèche dans laquelle ne vont pas manquer de s'engouffrer grenouilles de bénitier et piliers de synagogues, excités à poil ras du Sacré-Coeur-de-Jésus et amis Facebook des colons de Hebron. Sans oublier les Bouddhistes, les Hindouistes, les Mormons, les Evangélistes, les Témoins de Jéhovah mais aussi, pourquoi pas, les Scientologues, les Raëliens ou les militants de Lutte Ouvrière dont, soudainement, il serait convenu de "respecter la sensibilité". Bref, la porte ouverte au rétablissement du délit de blasphème.
On peut même également se dire que ce genre d'initiative signe, mine de rien, l'inscription durable de l'Islam comme composante respectable de la vie spirituelle en Europe, et singulièrement en France. Tout comme les catholiques ou les Juifs religieux, les musulmans auraient acquis suffisamment de "visibilité institutionnelle" pour qu'on brocarde leurs totems et tabous avec la même allégresse que, par exemple, celle dont fit preuve, en des temps plus anciens, un Cavanna avec ses "Ecritures". En d'autres termes, les caricatures de leur Prophète seraient une sorte d'hommage de la laïcité aux musulmans: "Bienvenue chez nous, par ici la mort de Dieu est une hypothèse défendable, et réjouissez-vous: tout comme vos frères en monothéisme, vous aussi, désormais, avez le droit de vous en prendre plein la gueule pour pas un rond". Bref, pour des croyants dont certains doutent qu'ils soient "assimilables", un symbole, fût-il un peu douloureux, d'intégration pleine et entière.

Oui, sauf que bon.

Ce choix éditorial de l'hebdomadaire satirique fait suite à la circulation, sur Internet, de la bande-annonce d'une série Z islamophobe qui a mis - et continue de mettre - le monde arabo-musulman en ébullition. Ces derniers jours, des gens de par le monde sont morts car des foules déchaînées, ici et là, s'en sont pris aux représentations des Etats-Unis, des foules suffisamment manipulables pour ne pouvoir imaginer un instant qu'aux USA, comme dans les autres pays occidentaux, le gouvernement n'intervienne pas dans la production audio-visuelle ou littéraire de la nation. Dans la foulée, une poignée de musulmans, dont on ne sait trop s'ils sont salafistes, et, s'ils le sont, plutôt quiétistes ou kalashnikoviens, ont jugé bon d'aller à leur tour manifester devant l'ambassade des Etats-Unis à Paris, place de la Concorde.
Dès lors, le sang de la rédaction de "Charlie-Hebdo" n'a fait qu'un tour: "Pas de ça, Lisette, non mais pis quoi, encore, si ça continue, les bigots à barbe, faudra que ça cesse. T'en veux, du blasphème et de l'outrage au Prophète, ben on va t'en  donner, et prends ça dans ta grande gueule". Dont acte. La veille de la publication des dessins, toutes les rédactions en étaient informées. "Charlie-Hebdo" a, comme on dit, "rebondi" sur l'actualité. Emoi, émoi, émoi. Depuis mercredi dernier, le Quai d'Orsay serre les miches, les Français résidant en terre d'Islam sont invités à se terrer chez eux et le débat fait rage entre défenseurs inconditionnels de la liberté d'expression et tenants de la "raison". Bien évidemment, "Charlie-Hebdo" a explosé son tirage, feu le Professeur Choron, naguère trésorier-jongleur du journal, en bande de joie dans sa tombe.

(Parenthèse historico-cinéphilique: lors de la guerre du Vietnam, les militaires américains désignaient leur ennemi sous le nom de "Charlie", raccourci de "Victor-Charlie" pour V.C./Viêt-Cong en langage radio. D'où la légendaire réplique du personnage déjanté du colonel Kilgore dans "Apocalypse Now" de F.F. Coppola - devenue le titre d'une chanson des "Clash": "Charlie don't surf!". Peut importait que le village qu'il s'apprêtait à attaquer soit truffé d'ennemis armés jusqu'aux dents: l'endroit se situait au bord d'un "spot" où il comptait surfer - activité bien trop noble pour des Vietnamiens ignorants - alors il déchaînerait le feu  de ses hélicos sur ces idiots.)

Revenons à notre affaire: à l'origine du coup d'éclat de "Charlie", un bout de film insultant pour l'Islam, dont on découvre qu'il est vraisemblablement "l'oeuvre" d'un Egyptien de confession copte vivant aux Etats-Unis. Tiens, tiens, un chrétien, donc, dont on peut imaginer que l'islamophobie est guidée par beaucoup de choses, mais sûrement pas par une forme quelconque d'athéisme. Par ailleurs, il semble bien que le sous-titrage en arabe de la fameuse bande-annonce - permettant sa large diffusion au Moyen-Orient - ait été réalisé par un chrétien Libanais. Bref, on aurait voulu allumer une poudrière et pointer les projecteurs sur le fanatisme musulman par opposition à la "civilisation chrétienne" qu'on ne s'y serait pas pris autrement. Une chouette provoc', une barbouzerie de la pire espèce. Et derrière tout ça, on peut raisonnablement imaginer, sans jouer les conspirationnistes, une manip' de l'extrême-droite américaine, façon "Tea-Party" tendance radicale, afin de déstabiliser Obama. Quoiqu'il en soit ce truc pue violemment le "Fou de Dieu" version adorateur de la croix, et c'est à tout le moins un violent dommage collatéral du fameux Premier Amendement. Mais c'est aussi un "buzz" formidable, sur lequel sont venus se greffer quelques excités musulmans ultra-minoritaires un beau jour de Septembre, place de la Concorde.

"Charlie-Hebdo" s'est, depuis la tonitruante affaire de la publication des caricatures du "Jyllands Posten", construit une réputation de "bouffeur d'imams". C'est, somme toute, un titre de gloire. Et contrairement à une Marine Le Pen, dont la défense de la laïcité est à géométrie variable, ses attaques au vitriol contre les extrémistes musulmans ne masquent aucune arrière-pensée xénophobe. Seulement là, l'initiative prise par l'hebdomadaire me laisse un sale goût dans la bouche.

Lorsque "Charlie" s'en prend aux chasseurs de tourterelles ou aux aficionados, il ne le clame pas sur les toits... C'est peut-être bien parce que les "beaufs" qu'il entend ainsi chatouiller sont moins "vendeurs" que quelques douzaines de barbus et de femmes en hijab clamant leur colère en plein Paris. Pour le coup, en parlant de "beaufs", il ne serait guère étonnant que le dernier numéro de l'hebdomadaire ait fait un malheur auprès des "défenseurs de la laïcité" à la sauce Marine... Il faut bien que l'accroissement des ventes vienne de quelque part, et après tout ces gens-là sont des millions, en France. Bien sûr, objectera-t-on, on ne choisit pas forcément ses lecteurs. Mais tout de même.

N'en déplaise au colonel Kilgore: "Yes, in France, "Charlie" does surf". Le pourfendeur, à ses heures, des dégâts de la société marchande, a fait un "coup". Non, comme il y a six ans, en publiant courageusement, par solidarité, des dessins qui provoquaient la colère d'extrémistes violents. Mais en surfant délibérément sur une vague déclenchée par d'autres extrémistes tout aussi dévastateurs. En surfant, également, fût-ce à son corps défendant, sur un "air du temps" nauséeux, fait de tirades sur nos prétendues "racines chrétiennes". Je vous fiche mon billet qu'en ce moment-même, il se trouve quelques rednecks du Midwest, gavés de sermons évangélistes et fidèles auditeurs de "Fox News", qui regrettent amèrement de ne pouvoir lire le Français afin de goûter le subtil humour hexagonal. Et qui se disent que, tout compte fait, la France est peut-être bien dans le camp de la "civilisation"puisqu'on y trouve un "Charlie-Hebdo" pour cracher à la gueule des musulmans, ces barbares. "Charlie does surf" et déclenche le feu de son ironie, à défaut d'hélicos, contre lesdits barbares.

Soyons clairs: il est sain, il est heureux que le blasphème ait droit de cité. Mais je n'aime pas quand "Charlie" surfe. Qu'il dégomme de l'Immaculée Conception, du buisson ardent ou de la Visite de l'ange Gabriel tant qu'il veut, j'en redemande. Mais qu'il le fasse de façon permanente, toutes les semaines si possible, et non à la façon dont "l'Obs" ou "L'Express" nous la jouent avec le salaire des cadres ou le palmarès des hôpitaux: la provocation blasphématoire ne vaut que si elle constitue une constante éditoriale, elle devient suspecte si elle se transforme en "marronnier". A fortiori lorsque l'occasion de vendre du papier est suscitée par un acte de fanatisme haineux.

Alors ne demandons pas à "Charlie-Hebdo" d'être "responsable", c'est contre sa nature et c'est tant mieux. Souhaitons-lui, simplement, un surcroît d'intelligence. Sinon, il finira par n'être lu que par des cons.

A bientôt




  


vendredi 7 septembre 2012

Nostalgie du nez rouge


Regardez bien cette image en concentrant votre attention sur le nez rouge qu'arbore cette personne, pendant 10 secondes au moins. Puis fixez immédiatement une surface bien blanche, par exemple un mur. Etonnant, non?

L'un des phénomènes physiologiques à l'oeuvre dans cette expérience est (entre autres) ce qu'on appelle "la persistance des impressions rétiniennes": notre perception de la réalité (le mur blanc) est influencée par une représentation qui s'est inconsciemment imprimée dans dans notre cerveau. En l'espèce, une représentation bien différente de la réalité "imprimée".

C'est apparemment un phénomène de même nature qu'on observe dans le tohu-bohu politico-médiatique du moment. A ceci près que la phase d'imprégnation inconsciente du cerveau des protagonistes a duré davantage que 10 secondes. Cinq ans, pour être précis.

Depuis le 6 Mai dernier, la scène politique française a été brusquement privée d'un de ses acteurs les plus tonitruants, Nicolas Sarkozy. Retiré sur on ne sait quel Aventin de l'ouest de la région parisienne, l'ancien président a subitement décidé de la fermer, ne sortant de son silence que pour, à la suite de BHL (voir post précédent), réclamer une action plus musclée de la France en Syrie. Et c'est tout (même si, en soi, ce n'est pas rien, mais c'est une autre question). Le silence, donc et, dans ce monde où la parole tient lieu de preuve de vie, l'absence.

Mais un silence bruyant, en l'occurrence.

Dans sa famille politique, on s'est bien sûr attelé à combler ce vide: les "primaires à droite", ça s'appelle. L'exercice consiste à départager les prétendants au trône laissé vacant, c'est-à-dire à décider de qui présidera l'UMP et, ipso facto, sera candidat à la présidentielle en 2017. Punto, basta, car on serait bien en peine de déceler dans cet affrontement le début d'un commencement de débat. Non qu'ils soient a priori d'accord sur tout - même si, sur le plan économique, on sent bien qu'une très légère adaptation de l'agenda du MEDEF ferait unanimement l'affaire - mais la seule question qui semble se poser est: lequel d'entre eux est digne de succéder à Nicolas Sarkozy. Alors en lieu et place d'un débat, on assiste à un chassé-croisé où l'ombre tutélaire de l'ex-président se pose successivement sur l'un - Copé adoubé par fifils, le "prince Jean" en personne - et sur l'autre - un Fillon que rallie Christian Estrosi, Sarkozyste pur-sucre et leader de la mouvance Pernod-Ricard au sein du parti. Lorsqu'on s'échine à affirmer, comme la droite le fait, que ce n'est pas François Hollande qui a gagné l'élection mais Nicolas Sarkozy qui l'a perdue, on pourrait immédiatement en tirer la conclusion que le "business model" politique de l'ancien leader avait peut-être un peu de plomb dans l'aile - une fois ânonné le couplet sur "la faute à la crise et aux médias". Mais non. L'image "imprimée" est celle du Génial Leader, celui qui avait tout compris, tout prévu, tout fait bien comme il faut. "Et si Sarkozy avait eu raison?" s'interroge faussement "L'Express" de cette semaine... Cela étant, malgré tout, on comprend qu'à droite on rechigne à faire table rase de ce passé vieux de quelques mois. Un reniement aussi rapide serait, somme toute, assez indécent.

En revanche, on reste pantois devant le procès récurrent que font certains commentateurs à François Hollande et son gouvernement, un procès en "inaction". Déclencheur: une série de sondages qui donnent le duo exécutif en chute libre. Pourquoi, s'interroge-t-on? La réponse est simple, en substance: "les Français affrontent une crise sans précédent, le chômage explose et le gouvernement ne fait rien pour répondre à leurs angoisses". Les gens ayant un peu plus de deux neurones - les journalistes politiques en font a priori partie - savent qu'il est objectivement impossible, en quatre mois, de faire bouger des curseurs à la sensibilité au mieux semestrielle, sinon annuelle (sans parler de l'inertie issue de l"héritage" de dix ans de gouvernements de droite... et de la furie dé-régulatrice de plusieurs gouvernements de gauche antérieurs).
Alors qu'a-t-on en tête, dans les médias, lorsqu'on critique "l'inaction" de François Hollande? C'est bien simple: le contraste avec "l'autre", le désormais absent, le silencieux. Souvenez-vous: pas une semaine voire un jour ne se passait sans que, dans un permanent coq-à-l'âne à donner le tournis, le président ne vienne abreuver les médias, en "on", en "off", de ses vues et de ses projets sur à peu près tout et n'importe quoi, flot auquel venait s'ajouter la chronique de sa vie sentimentale et familiale. Le "coup d'éclat permanent", c'était pain-bénit: des news, coco, des news, le mois dernier c'est déjà la préhistoire - de toute façon, c'est bien connu, le lecteur-auditeur a une mémoire de poisson rouge. Nicolas Sarkozy avait érigé le faire-savoir en savoir-faire donc, en ce XXIème siècle d'hyper-communication, en "faire" tout court. Et ce à un rythme infernal. Avec François Hollande, rien de tout cela, les journalistes s'emmerdent à cent sous de l'heure. Et certains d'entre eux, encore sous le coup de l'impression rétinienne du précédent quinquennat, tentent de nous faire croire que leur propre ennui est un fait politique en soi - François Hollande est inactif car il ne les distrait pas: la chute dans les sondages de l'exécutif n'aurait à voir, finalement, qu'avec leurs bâillements de chroniqueurs blasés.

Mais observez, de nouveau, l'image ci-dessus: si le "souvenir" fugace que vous en projetez sur la surface blanche est différent de la réalité objective qui aurait a priori dû s'imprimer dans votre cerveau, c'est à cause d'un élément: le nez rouge dont est affublée la pin-up. Un truc de clown. Un clown, c'est distrayant. En l'occurrence, ce nez rouge transforme un film négatif en un "positif".

Au-delà de la loyauté, on admettra qu'à droite on puisse regretter cette magie du spectacle. Mais il est plus embêtant que des gens supposés éclairer le débat politique se laissent aller à ce genre de nostalgie, enfin moi je trouve.

See you, guys.

dimanche 5 août 2012

BHL et l'oreille des princes


On se souvient, il y a une trentaine d'années, d'un sentiment diffus dans l'opinion française, que d'aucuns eurent tôt fait d'ériger en lame de fond idéologique: la montée des "déçus du socialisme". A moins de cent jours de présidence Hollande, on serait encore bien en peine d'identifier un phénomène équivalent. Pas véritablement de "déception du Hollandisme" à date, encore que: il conviendrait semble-t'il non pas de mesurer le nombre de citoyens désappointés, mais plutôt d'examiner quels citoyens en particulier expriment leur déception. La qualité plutôt que la quantité, donc.

Or depuis ce vendredi, nous voilà servis: un grand leader d'opinion, un penseur hors-pair du monde contemporain, un véritable phare de la pensée dont la lumière permet à tout-un-chacun de distinguer le Bien du Mal vient de faire savoir qu'il était "déçu par François Hollande": Bernard-Henri Levy, ex-nouveau philosophe.



Dans un entretien au "Parisien/Aujourd'hui en France" (cf "Libération" du 03/08/12), BHL remarque que lors de la campagne, François Hollande parlait de "chasser Bachar El-Assad", n'excluant aucun moyen, "même militaire". "On est loin du compte", note le philosophe, soulignant que "(…) Devant ce qui restera peut-être comme la plus grande épreuve historique, politique, morale, du quinquennat, cet attentisme, ce flot de bonnes paroles sans effet, ce n’est plus possible". Que devrait donc faire François Hollande pour redonner sourire et espoir à BHL? Ce n'est pas très clair mais, in fine, il conviendrait de "passer outre" le veto russo-chinois au Conseil de Sécurité de l'ONU et "forger une alliance ad-hoc avec la Ligue arabe et les Turcs".


Que n'y a t'on, en haut lieu, pensé plus tôt? Quelle pusillanimité, quel formalisme dans ce respect des institutions internationales! George W. Bush s'est-il enquiquiné avec le veto de l'ONU dés lors qu'il avait décidé de "chasser Saddam Hussein"? Non, bien sûr... Plus près de nous, Nicolas Sarkozy s'est-il contenté de strictement respecter le mandat des Nations Unies ("protéger les populations civiles") lorsqu'il a lancé son opération de promotion du "Rafale" au-dessus des sables Libyens? Pas davantage... Le premier était un vrai dur... et le second était dûment conseillé par BHL en personne... qui souligne dans son entretien au "Parisien" que "Bachar El-Assad est plus isolé dans le monde arabe que ne l'était Kadhafi".
Bref, basta les Nations Unies, pour commencer.

Ensuite c'est très simple: il suffit de convaincre Recep Erdogan que les temps sont venus pour la restauration de l'Empire Ottoman - un leadership militaire turc sur les masses arabes - et qu'il convient d'aller rétablir l'ordre à sa frontière orientale. Et yalla, fissa.

N'étaient les drames vécus par les populations syriennes, les flots de sang répandus par El-Assad (le "tueur en Syrie"), on serait tenté de partir d'un grand éclat de rire devant ces déclarations BHL-iennes et de se redire avec Michel Audiard que, décidément, "les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait". Mais au delà de l'incroyable naïveté de ce "y a qu'à, faut qu'on", il y a une bonne dose de culot dans ces déclarations.

Sur le fond, on ne saurait blâmer quiconque de fustiger Bachar El-Assad, quand bien même on pourrait souligner que dans cette partie du monde qui est la nôtre on n'y risque pas sa vie. Brassens le chantait il y a bien longtemps "J'ai conspué Franco, la fleur à la guitare, durant pas mal d'années/Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail/ Y avait les Pyrénées": quelle que soit la justesse des causes qui l'ont embrasé (Bosnie, Tchétchénie), BHL pourrait bien incarner l'archétype de ces "intellectuels engagés" qui mènent d'acharnés combats pour la justice et la morale, attablés devant un petit crème au Café de Flore. Mais tout le monde ne peut pas être Malraux ou Hemingway, après tout si en Europe on ne trouve personne pour risquer ses mots à défaut de sa peau, dans quelle partie du monde faudra t-il aller pour lire ou entendre l'indignation face à l'oppression sanglante?

Seulement voilà: entre la nécessaire indignation et la prétention à devenir un démiurge de la stratégie politico-militaire occidentale, il y a une marge. Or c'est un fait: déloger Bachar El-Assad, fût-ce à coup de porte-avions, c'est un poil plus compliqué que de livrer un édito hebdomadaire à un magazine de grande diffusion, BHL devrait avoir l'humilité de le reconnaître.

Mais non. Car si BHL est "déçu" par François Hollande, c'est peut-être bien parce qu'il ne s'agite pas en faveur d'une option militaire en Syrie, mais gageons que c'est surtout parce que le Président commet une faute grave: il mène la politique étrangère de la France sans le consulter, lui, BHL. L'homme aux chemises blanches n'a plus l'oreille du prince et ça, c'est un véritable drame.

BHL n'est pas simplement ridicule, il est indécent: les Syriens n'ont pas mérité, en plus de se faire massacrer par leurs dirigeants, de servir de caution aux ambitions d'un intellectuel égocentrique.

Ciao, belli.





mardi 12 juin 2012

All the President's women

«Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », à ce qu’il paraît. Et celle qui partage la vie du Président de la République, quand « ça » ne ferme pas sa gueule, « ça » divorce ? Mais quand « c »’est pas marié ? Un claquement de porte, et hop ? Questions passionnantes, certes, mais il en est de plus urgentes par les temps qui courent. Malgré tout l’événement du jour nous amène à nous les poser.

Valérie Trierweiller ne supporte pas l’ex- de son Président de petit copain. Elle enrage de voir Ségolène Royal s’avancer avec confiance vers la Présidence de l’Assemblée Nationale, qui ferait d’elle le quatrième personnage de l’Etat dans l’ordre protocolaire - alors qu’elle-même compte pour du beurre – en vertu d’un accord passé avec le désormais Président durant la campagne électorale. Du coup, elle en éprouve de la sympathie pour Olivier Falorni, écarté comme une vielle chaussette de l’investiture promise à Ségolène et chassé du PS parce qu’il persiste à concourir. Jusque là, rien que de très banal. Pathétique à tous égards, mais banal.

Seulement voilà : la compagne du Président a jugé opportun d’apporter publiquement son soutien audit Falorni, via un « tweet ». Ici-même, nous constations la semaine dernière que la prétention de Valérie Trierweiller à demeurer journaliste malgré son nouveau statut ne posait somme toute qu’un problème mineur, dans la mesure où son employeur, « Paris-Match », présente en matière d’agitation d’idées politiques un encéphalogramme parfaitement plat. C’était sans compter la personnalité de l’intéressée qui, visiblement, ne supporte pas d’être réduite au silence médiatique : heureusement il y a « Twitter », alors « twittons », comme si de rien n’était. Ce n’est pas vraiment un conflit d’intérêts au sens strict, c’est probablement la manifestation d’un ego désinvolte et surdimensionné, quoiqu’il en soit c’est incontestablement une connerie. Et même une connerie monumentale:
  • En pleine campagne des législatives, ce « tweet » envenime une situation déjà passablement sordide – un fidèle parmi les fidèles comme Falorni traité comme un malpropre, ça commence bien, la France « juste » - que le bon sens politique inclinerait à minimiser sur la scéne des médias
  • Cette boulette fait ricaner la droite, c’est bien naturel. Or on aimerait davantage la voir pleurer de rage à la perspective de l’inéluctable cohabitation qui lui pend au nez, sa cohabitation avec le Front National

La présidence Hollande s’annonçait plutôt bien : grave mais sans trémolos, déterminée mais pragmatique, a priori avare de coups médiatiques, bref le jour et la nuit en comparaison du quinquennat précédent. Mais les idées de génie de la compagne « journaliste » du Président, comme le chantait Hubert-Félix Thiéfaine, si ça continue, faudra que ça cesse. Car ce genre d’initiative, à la longue, peut transformer un exercice du pouvoir jusque là formellement respectable en histoire de corne-cul.

Bob Woodward et Carl Bernstein étrillèrent autrefois le Richard Nixon du Watergate avec « Les Hommes du Président », histoire portée à l'écran par Alan J. Pakula, avec Dustin Hoffmann et Robert Redford. Personne n’a besoin d’un remake hexagonal de cette histoire – une version forcément bien franchouillarde, loin de la gravité de son modèle américain - un « Trierweillergate » qu’on titrerait « Les Femmes du Président ».

Le sarkozysme avait offert le spectacle tragique d’un pouvoir décrédibilisé par sa connivence avec les puissances de l’argent. Les électeurs n’ont pas brutalement baissé le rideau de cette pièce de théâtre pour entendre sonner les trois coups d’un vaudeville.

Valérie Trierweiller était, encore récemment, journaliste politique de métier - elle était a priori bien placée pour savoir ce qui l’attendait. Alors il va falloir qu’elle se fasse une raison : c’est sans doute cruel, dur à vivre, mais une compagne ou une épouse de Président, en matière politique, ça ferme sa gueule, ou bien ça ferme sa gueule. Et si elle décide de plaquer son mec, ce n'est pas de la "matière politique".

Espérons qu'elle le comprendra vite, qu'on puisse passer à autre chose.

See you, guys

mercredi 6 juin 2012

Journaliste, mais à "Paris-Match"

Cinq ans voire davantage d’ « éléments de langage » quatre fois par jour, le « drill » était épuisant et les Français n’en pouvaient plus, ils avaient besoin de vacances. Ca tombe bien, depuis un mois règne un étrange calme médiatico-politique. Malgré la crise et les Grecs quasiment invités à aller se faire estimer dans leur propre pays, malgré les cessations de paiement, les mises en faillite, les plans sociaux qui bourgeonnent en un printemps sinistre, malgré l’enjeu des élections législatives qui viennent, le nouveau pouvoir s’abstient d’abreuver les médias au-delà du raisonnable. On avait fini par l’oublier : en matière politique comme pour le reste, il y a une différence entre faire et faire-savoir. Repos des oreilles après le tintamarre Sarkozyen, donc, même si, comme on l’avait dit de Mozart à propos de sa musique, « le silence qui suit est encore de lui ».

Quoique. Le nouveau pouvoir aurait fait un sans-faute médiatique n’était un vilain soupçon, celui d’un mélange des genres fort mal venu et portant en germe un terrible dysfonctionnement : le conflit d’intérêts. Crac, la mouche dans le lait. Quoi ? François Hollande aurait-il nommé au Ministère du Budget le trésorier de son parti politique ? La femme dudit ministre aurait-elle de surcroît été embauchée par une officine d’ « optimisation fiscale » travaillant exclusivement pour la femme la plus riche de France ? Le président entretiendrait-il des relations amicales avec des dirigeants d’entreprises travaillant pour l’état ou les collectivités locales ? Non, rien de tout cela : il y a, cependant, que la compagne de François Hollande est journaliste. Pire, de même que Fécamp-petit-port-de-mer dans le discours du Général de Gaulle, elle entend le rester. Aïe, aïe, aïe. Là, c’est du lourd.

Car c’est une évidence : le métier de journaliste, dans la galerie archétypale de la scène démocratique, surpasse en utilité collective le juge ou l’instituteur, tout juste vient-il après le pompier et l’infirmière - encore que, des fois, on se demande : lorsque des infirmières, Bulgares il est vrai, furent prises durablement en otage dans un pays sableux, nous a-t’on ressassé tous les jours leurs patronymes aux heures de grande écoute ? Non, et c’est normal, car le journaliste a une mission quasi-sacrée : il est l’observateur vigilant du monde-tel-qu’il-est, il se doit de rendre compte et d’éclairer ses concitoyens, ce faisant il est à la fois acteur et gardien de la liberté d’opinion, ce qui n’set pas rien, convenons-en, dans une démocratie. Dès lors un(e) journaliste ne saurait être ouvertement proche du pouvoir. Valérie Trierweiller compagne du Président de la République et malgré tout journaliste, oulala, non, décidément, ça peut pas le faire.

Oui, mais sauf que bon. Valérie Trierweiller entend certes rester journaliste, mais à « Paris-Match », hebdomadaire sans les « une » duquel les kiosques à journaux seraient tristes comme un jour sans pain. Bien sûr il y a « Ici Paris », « Gala », « Voici », « Points de Vue » mais ces quatre-là, c’est pas pareil : ce sont ouvertement des torche-cul people-isants, spécialisés sans ambages dans le ragot ou la mièvrerie. « Paris-Match », c’est autre chose : ça se veut sérieux, ça parle d’actualité. Alors le regard qu’on pose sur ses « une » est, inconsciemment, différent de celui qu’on jette sur celles de ses concurrents « populaires ». D’ailleurs faites le test : si vous avez un cerveau normalement constitué et que vous vous trouvez dans une salle d’attente, que choisirez-vous de feuilleter si votre choix se limite à ces cinq hebdomadaires ? « Paris-Match », bien sûr, à tout prendre vous aurez l’air moins con. Cela étant, tout est relatif, n’exagérons rien : si cet hebdomadaire contribuait en quoi que ce fût à éclairer le jugement du citoyen, à stimuler son esprit critique, ça se saurait. Si demain une dictature s’établissait en France, l’interdiction de « Paris-Match » et l’arrestation de ses journalistes n’entrerait certainement pas dans ses priorités. Car ce journal a une relation tout-à-fait particulière au pouvoir politique, comme à tout le reste, d’ailleurs : l’actualité qu’il relate n’a de valeur que si elle est susceptible de susciter l’émotion. Pour cela, il s’agit de laisser croire aux lecteurs-trices que s’effacent, comme par magie, les distances qui les séparent de « l’actualité » ou des célébrités qui la font. Distances géographiques – les cadavres déchiquetés du dernier attentat à Kaboul, comme si vous y étiez – ou distances sociales – Edouard Balladur et ses chaussettes rouges, Jacques Chirac et son labrador, « finalement ils sont comme tout le monde » : ce qu’on donne à voir du pouvoir et les commentaires qui vont avec sont tout, sauf subversifs. Lorsqu’il prend l’idée à « Paris-Match » de publier sur sa couverture une photo de Cécilia Sarkozy en compagnie de son amant Richard Attias, l’hebdomadaire joue la transgression, pas la subversion. Certes, en un coup de téléphone à son ami Lagardère, Nicolas Sarkozy aura la peau d’Alain Génestar, rédacteur-en-chef du journal. Mais de là à faire de Génestar un martyre de la liberté d’informer, il y a une marge. Car s’il y a bien une chose dont, fondamentalement, le citoyen devrait se foutre, c’est bien des aléas de la vie conjugale du Président. Il y a que pendant ce temps-là, l'hebdomadaire ne se fatigue pas à disséquer la politique économique, sociale, sécuritaire etc… dudit Président. Lagardère, pour le coup, en prendrait spontanément ombrage, sans coup de fil de l’Elysée, ne serait-ce que parce que le lecteur n’achète pas « Paris-Match » pour comprendre, mais pour ressentir. Gageons qu’une fois l’alternance digérée, il ne prendra pas l’envie à ce journal de se transformer en Figaro-bis : un Président reste un Président, gros plan sur les chaussettes ou le museau du clébard, et puis voilà.

Donc certes, il y a une forme de « conflit d’intérêts » dans le fait que Valérie Trierweiller soit la compagne du président Hollande. Mais ce « conflit » ne se situe pas entre une vocation à poser un regard critique sur le pouvoir, d’une part, et le fait de bénéficier de ses privilèges, d’autre part. Car le « regard critique », chez « Paris-Match », c’est un œil bienveillant qu’on jette soi-disant par le trou d'une  serrure, on est loin du « Canard Enchaîné » ou de « Médiapart ». Le « conflit d’intérêts» se situe au sein-même de l’hebdomadaire, qui salarie une personne et de ce fait-même doit se priver – sauf à devenir la risée du tout-Paris médiatique - de « une » bien accrocheuses genre « Exclusif : nous avons pu approcher celle qui partage la vie du Président » … et des tirages qui vont avec.

Salarier Valérie Trierweiller, c’est un sérieux manque-à-gagner pour le groupe Lagardère… Mais vivre avec ne saurait constituer une faute éthique bien grave pour le Président de la République. Sauf à considérer que la réticence probable de « Paris-Match » à étaler complaisamment sa vie privée, comme il l’a fait pour tous les présidents dans le passé, constitue un affaiblissement du débat démocratique. Ce que ne manqueront pas de faire certains, tant la connerie humaine est sans limites.

Ciao, belli.

mercredi 2 mai 2012

Sarkopen, clap final


Ils auraient pu sortir par le haut, avec fierté. J’entends par là : la droite UMP, au pouvoir depuis dix ans, face à l’éventualité probable d’une alternance, aurait pu vouloir donner d’elle-même l’image d’une force politique fidèle à ses valeurs et à son histoire. C’est raté.
C’est raté car le champion de l’UMP en titre, candidat sortant, persiste et signe : hors du labourage des terres lepénistes, point de salut, l’objectif est simple : rafler la plus grande proportion possible des 18% d’électeurs du Front National. Dès lors pour le second tour, lui et ses thuriféraires n’en font pas des wagons, mais des porte-conteneurs. L’intox sur « l’appel des 700 mosquées » et les « piscines séparées à Lille », la viande halal dans les cantines de nos chères têtes blondes, le vote des étrangers non-européens qui va « créer du communautarisme », l’horizon imaginaire d’une « régularisation massive » : tout est bon pour laisser entendre aux électeurs de Marine Le Pen que François Hollande est le candidat des afro-arabo-musulmans-pas-de-chez-nous.
A tout le moins, on peut reconnaître à Nicolas Sarkozy et à son Karl Rove hexagonal, Patrick Buisson, le mérite d’avoir lucidement identifié les ressorts du vote F.N. Foin des analyses socio-économico-misérabilistes (un « vote de la souffrance », refrain brièvement mais clairement entonné par François Hollande, qui ce jour-là aurait mieux fait de la fermer) : le vote F.N. n’est pas un vote de protestation mais bien un vote d’adhésion. Oh, pas d’adhésion à tout le fatras idéologique de l’extrême-droite, non, mais d’adhésion à une conviction : l’immigration arabo-africaine est a priori inassimilable, dommageable aux affaires du pays et au bien-être de ses habitants « de souche ». Et cette non-assimilabilité se transmet éventuellement d’une génération à l’autre, le temps ne garantit rien. Punto, basta, le reste n’est que verbiage. Y compris le patriotisme cocardier et la défiance vis-à-vis de la construction Européenne. Car si le souverainisme était si « porteur », un Nicolas Dupont-Aignan ne plafonnerait pas à 1,8% des voix. D’aucuns diront : « Mais y a tout de même pas 18% de racistes, en France ! ». Ben si, faut croire. De xénophobes, si ça vous gratte moins. Cette conviction, donc, Nicolas Sarkozy entend expliquer aux électeurs du Front National qu’il la partage, tandis que François Hollande, non. C’est l’axe central de sa campagne de second tour.
Ce faisant, on l’a dit et redit, il brise un tabou et entreprend un rapprochement qui balaie cinquante ans de gaullisme (lire ici-même « La Droite façon puzzle »). Mais il y a, dans la stratégie électorale « Buissonnière », une faille monumentale qui relève clairement du fourrage de doigt dans l’œil. Lorsqu’en 2007 Nicolas Sarkozy « siphonna » manifestement les voix de Jean-Marie Le Pen, il proposa un contrat à ces électeurs, un contrat qui comportait trois clauses :
  1. Avec moi, vous ne serez plus emmerdés par les voyous car j’ai fait mes preuves en matière de Sécurité
  2. Avec moi, votre situation économique va s’améliorer car je vais faire la chasse aux assistés, notamment immigrés
  3. Avec moi, vous serez fiers d’être Français car je vais envoyer balader l’ « héritage de Mai 68 » et son immoralité
Et pour emballer le tout : la promesse d’un « Ministère de l’Intérieur, de l’Immigration et de l’Identité Nationale ». Ce contrat, une bonne moitié des électeurs du Front National l’ont signé il y a cinq ans. Ca les arrangeait d’autant mieux que le vote Jean-Marie, décidément, c’était un peu lourd à trimballer. Seulement voilà, on connaît la suite : aucune des clauses du contrat n’a été respectée, notamment la clause numéro trois, noyée dans les turpitudes des connivences à la Woerth-Bettencourt ou les outrances à la « casse-toi, pauv’ con ».
Là-dessus, le Front National a changé de prénom et de genre, tandis que quelques plumitifs se sont mis à éditorialiser dans un bel ensemble sur, au choix : « le tournant historique », « le nouveau visage » ou la « dédiabolisation » du Front National. Il est vrai que Marine, la fille, ne manifestait, contrairement au père, aucun symptôme d’antisémitisme, fût-il « latent » ou « codé ». Non, Marine, n’était « qu’anti-islamiste », donc tout allait bien. Anti-Arabe, singulièrement lorsque c’est entre les lignes, ça serait moins grave qu’anti-Juif, non? Bref, un Front National tout neuf, débarrassé en apparence de ses habits historiques.
Non sans avoir entretemps manqué de faire mousser la question de l’ « identité », le tandem Buisson-Sarkozy revient cinq ans plus tard avec le même contrat et là, paf : à « siphonné », siphonné et demi, le Front National est plus fort que jamais, le candidat de l’UMP trébuche. Mais le duo infernal insiste. Et avec lui, la meute hurlante des caciques de l’UMP qui quasiment tous, à de rares exceptions, entonnent l’air du « nouvel élément de langage » : Hollande, candidat de l’immigration. Fi des tergiversations, on attaque maintenant le vote F.N. dans le dur : « OK, message reçu, y a trop de Noirs et d’Arabes par chez nous »
A la marge, ça peut fonctionner. Mais à la marge seulement, car les électeurs qui ont choisi Marine Le Pen au premier tour ont, toutes choses égales par ailleurs, majoritairement en commun la détestation d’un candidat qui les a roulés dans la farine il y a cinq ans. Et le coup du « je vous ai compris » on lui a déjà fait, à l’extrême-droite. Après le carnaval, il y a le mercredi des cendres, Patrick Buisson va vraisemblablement devoir, lui aussi, se trouver un nouveau boulot.
Nonobstant, le Front National est bien parti pour durablement pourrir la vie de la droite « républicaine ». Même si elle l’aura bien cherché, pas sûr qu’il faille forcément s’en réjouir. Mais c’est une autre histoire. Ou presque.

A bientôt, et surtout faites pas les cons, dimanche prochain.

jeudi 12 avril 2012

Mélenchon, piège à cons?

En cette campagne électorale, dont le tempo paraît définitivement marquer l’alignement du politique sur le médiatique, une campagne durant laquelle l’intensité des polémiques n’a d’égales que leur obsolescence et leur futilité – citons en vrac l’étiquetage de la viande halal, les modalités d’accès au permis de conduire, la « dignité » face aux drames de Toulouse et Montauban – bref une campagne toute sarkozyenne faite de « coups », de « buzz » et d’échange de noms d’oiseaux émerge, à la surprise de tous, un phénomène qui semble issu des profondeurs du corps électoral : la montée spectaculaire de Jean-Luc Mélenchon dans les faveurs de l’opinion. Faisant craquer la lisse surface d’un combat politique voué au zapping et aux guéguerres d’image, surgirait le geyser d’une colère trop longtemps étouffée – « la rivière est sortie de son lit » comme le disait l’intéressé lors d’un de ses meetings. Du coup, on ressort de la sacristie les vieux numéros du « Cri du Peuple », les drapeaux rouges, les portraits de Guevara. On fredonne de nouveau « La Jeune Garde ». Et on se dit que le vieux Marx n’est pas mort, car il bande encore.


Le phénomène Mélenchon dans l’opinion a pris de telles proportions qu’au PS on se dit ici et là qu’un appel au « vote utile » ne ferait vraiment pas de mal. Seulement voilà, on se le dit en silence car l’appel au « vote utile », camarade, c’est ringard, vois-tu. « Pas d’ennemis à gauche » au premier tour, de toute façon on se rassemble au second, n’est-ce pas ? Mélenchon, somme toute, aurait son utilité : face aux tentations Sarko-Lepénistes qui hantent la « France d’en bas », sa grande gueule jouerait les voitures-balais, captant le vote populaire en vue de la victoire finale du 6 Mai. Car les sondeurs sont formels : 85% au moins du vote Mélenchon se reporte sur Hollande. Et puis on ne saurait insulter la démocratie en se prétendant « utile », donc supérieur, sous prétexte qu’on évite de promettre la lune. Que certains, surtout les plus démunis, préfèrent les utopies aux programmes, c’est bien leur droit, ils souffrent tant : laissons-les rêver un peu, ça fait de mal à personne, tant que le populo reste hors d’atteinte des griffes de l’hydre xénophobe.

M’ouais. Et si cette complaisance vis-à-vis du leader du Front de Gauche était tout simplement une forme de paresse, de résignation et, in fine, de connerie?

Pour commencer, vous je ne sais pas, mais moi Mélenchon malgré son talent, son humour dévastateur, son énergie, sa culture, il me les brise menu. Même s’il me rappelle un peu mon grand-père que j’aimais beaucoup - parce qu’il versait tout autant sa larme à l’écoute du « Temps des Cerises » que de celle de la « Marseillaise » - j’ai beaucoup de mal avec ce bonhomme qui personnifie la franchouillardise jacobine et centralisatrice, l’arrogance du « gallus » perché sur ses ergots qui pense avoir raison contre le monde entier sous prétexte qu’il fait davantage de bruit que ses voisins de basse-cour.

Et puis c’est quoi, le Front de Gauche ? A la base, un groupuscule issu de la gauche du PS, le Parti de Gauche, dont les effectifs auraient pu tenir congrès dans une cabine téléphonique. Mais parce que son leader a du charisme est venu s’agréger à ce groupuscule un Parti Communiste Français en phase terminale depuis Novembre 89 et la faillite de sa maison-mère. Et avec lui, malgré tout, un appareil en état de marche et surtout un réseau d’élus et une expérience multi-décennale de la pratique des campagnes électorales. Sans oublier une galaxie d’intellectuels, de militants déçus des impasses de la « gauche de la gauche ». Car contrairement au NPA et surtout à Lutte Ouvrière, le Front de Gauche n’entend pas injurier l’avenir en excluant a priori toute forme d’alliance avec le PS. Bref le Front de Gauche, c’est une alliance de bolcheviks qui réfléchissent : ils ont su dépasser Ramon Mercader et son marteau meurtrier, et ont compris qu’on ne construit pas une force politique conséquente en se comportant comme des Raëliens.

Mais tout ça mis bout à bout n’atteindrait jamais 15% dans les sondages, n’étaient les formidables dons d’orateur de Jean-Luc Mélenchon. « Bon client » des médias, il vitrifie ses contradicteurs et galvanise les foules par des fulgurances objectivement brillantes. N’était surtout l’exaspération de millions de chômeurs, de précaires, de sous-payés ou de « gens normaux » face à l’insoutenable culot d’une certaine élite politico-économique ânonnant, comme si de rien n’était, son catéchisme néolibéral. Exaspération que ne saurait a priori complètement calmer un programme social-démocrate comme celui de François Hollande.

Chez Mélenchon, en revanche, pas de problème : les riches, les banques, les entreprises, tous paieront jusqu’au dernier cent pour financer une spectaculaire augmentation du SMIC, les retraites comme au bon vieux temps, un accroissement des dépenses publiques dans quasiment tous les domaines. S’ils ne sont pas contents, c’est pareil, vive l’Etat tout-puissant et volontariste. Le tout en faisant un bras d’honneur à l’Europe, sans parler du reste du monde. Si Mélenchon était à droite, on appellerait ça de la démagogie. Mais comme il est à gauche, on parle pudiquement d’ « utopie mobilisatrice », voire « d’espoir de vrai changement ». Et on respecte cette « sensibilité ».

Foutaises, merde, à la fin. Car quelle est la posture qu’on nous vend, dans cette histoire ? Au final, la même que dans le supermarché Sarkozy : à bas les mous, vivent les durs, en politique il faut de la « volonté », une « colonne vertébrale ». Tandis que Sarkozy veut passer outre les corps intermédiaires à coup de référendums, Mélenchon piétine ce qui fait une démocratie moderne – le compromis avec le réel. Au fond, ces deux là se ressemblent, je dirais même qu’ils se complètent. Et s’entendent implicitement comme larrons en foire pour fustiger un François Hollande qui, pensez-donc, entend négocier, avec patronat et syndicats, le financement des retraites et bien d’autres choses encore. Négocier ? Un truc de gonzesses, ça. Votez Nicolas ou Jean-Luc, des hommes, des vrais.

Là-dessus il faudrait trouver normal, voire légitime, qu’ouvriers, employés, chômeurs, précaires et autres « damnés de la Terre » se rallient derrière le drapeau rouge de Jean-Luc-le-tribun. Car bien sûr c’est ça ou Le Pen, le peuple est con, c’est bien connu. Incapable il est, le peuple, de discerner le possible du souhaitable et donc de voter Hollande dès le premier tour. Mais pas de problème, il le fera au second, les sondeurs nous l’affirment. Non mais où on est, là ? Moi je dis qu’il y a du mépris, de la condescendance dans le fait de baisser les armes devant ce Grand Timonier à la sauce bleu-blanc-rouge. De l’inconscience, aussi. Car derrière Mélenchon et ses sourires, il y a une nébuleuse qui ne rêve que d’une chose, « plumer la volaille social-démocrate », quitte à travailler à l’élection de Jean-François Copé en 2017, et ce dès le 7 Mai si Hollande est élu.

Le vote Mélenchon n’est pas un piège à cons : c’est au contraire un piège pour des gens plutôt intelligents qui se disent qu’ils vont eux-mêmes pouvoir influencer les orientations de Hollande pour le second tour, tandis que ceux qu’ils tiennent pour moins intelligents qu’eux pourront se défouler sans risque. Outre le fait que c’est donner beaucoup de crédit à des sondeurs qui ne savent plus où donner du coefficient de redressement, c’est un piège qui les amène à cautionner un marchand d’illusions gorgé de testostérone qui ne vaut guère mieux, au fond, que l’autre.

Alors je le dis sans honte : « vote utile » n’est pas un gros mot. Jaurès plutôt que Guesde, Mendès-France plutôt que Thorez, Mitterrand plutôt que Marchais. Say it loud : I’m social-democrat and I’m proud.


Ciao, belli.

dimanche 11 mars 2012

La Droite façon puzzle

Comme dans ces « sequels » vite-faits mal-faits que produit parfois Hollywood, le président sortant réitère à l’identique les appels du pied et clins d’œil appuyés aux Lepénistes qui firent le succès de sa campagne de 2007. « Sarkozy en campagne, le retour », même scénario que le film d’origine. Comme il y a cinq ans, on nous rebat donc de nouveau les oreilles avec une « chasse aux électeurs du Front National », le plus souvent pour la déplorer – en tant que légitimation a posteriori des thèmes centraux du parti d’extrême-droite, mais aussi, ici et là, pour s’en réjouir – ne pas laisser au F.N. le monopole du souci de l’ « identité nationale ». Mais dans l’un ou l’autre cas, on se placera dans une lecture tactique du phénomène : le premier tour des élections présidentielles approche, le vote Front National est vu comme un réservoir de voix et sa captation peut numériquement faire la différence pour un Sarkozy un tout petit peu mal barré, quoiqu’on en dise.

Cette lecture à court-terme n’est pas fausse. Mais cette interprétation tactique ne saurait, comme l’arbre, cacher la forêt : c’est bien à un revirement stratégique de la droite parlementaire qu’on assiste. Car il y a des coïncidences qui vous font douter de la notion de hasard.
Dans quelques jours on commémorera les cinquante ans des accords d’Evian, dans quelques mois ceux de l’indépendance de l’Algérie : d’une mémoire vivante, la « guerre sans nom » qu’évoquaient Patrick Rotman et Bertrand Tavernier en 1992 bascule, symboliquement et définitivement, dans les livres d’histoire. Deux générations ont passé, et il est une fracture qu’on peut envisager de considérer comme résorbée : celle qui, depuis 1959 et le fameux discours sur le droit à l’autodétermination de l’Algérie, sépare l’extrême-droite française du général de Gaulle. Cette rupture avec le gaullisme fut un drame pour beaucoup, tant l’extrême-droite, loin s’en faut, n’était pas, à l’époque pas plus qu’aujourd’hui, exclusivement constituée de nostalgiques de Vichy ou du nazisme. Le quasi-coup d’état de 1958 fut d’ailleurs tout autant sinon davantage le fait de la « droite musclée » - notamment des ultras de l’ « Algérie Française » et de l’armée de métier - que de l’agitation de Michel Debré et des gaullistes. De Gaulle lui devait son retour aux affaires en 1958, l’extrême-droite ne lui pardonna pas son revirement anticolonialiste de 1959. En même temps, ces nationalistes, partisans de l’autorité qui exécraient le parlementarisme de la IVème République, eurent du mal à se remettre de ce divorce. Depuis ils étaient, sans vraiment se l’avouer, orphelins du gaullisme – dans sa permanente exaltation de la « grandeur de la France » et son tropisme de l’ « homme providentiel ». C’est en ce sens qu’il faut interpréter la tendance de Jean-Marie Le Pen à se poser en « héritier du général De Gaulle », qui n’est pas qu’une provocation : Le Pen, pour certains, c’est De Gaulle moins « l’abandon » de l’Algérie.
Cinquante ans plus tard, Sarkozy recolle les morceaux : pour reprendre la célèbre lecture de René Rémond sur « Les Droites en France » (1982), il fusionne « bonapartistes » et « légitimistes », tournant le dos aux « orléanistes ». Cinq décennies se sont écoulées et Nicolas Sarkozy, sans aucun doute inspiré par son conseiller Patrick Buisson, fait les constats suivants :
  • En cinquante ans, le gaullisme historique - où affleuraient préoccupations sociales et planification de l’économie nationale - a disparu du paysage idéologique, enterré par ceux-là même qui s’en prétendaient les continuateurs, sous les coups de boutoir du néo-libéralisme anglo-saxon
  • En cinquante ans, précarisation et paupérisation des classes moyennes et ouvrières aidant, le rejet de l’immigré et, singulièrement, de l’ « Arabe » - originellement ancré dans le drame algérien – n’a pas perdu de sa vigueur, bien au contraire : ce sentiment, pour peu qu’on l’habille d’une « défense de la laïcité » réinterprétée, est un puissant levier politique
Sachant que par ailleurs Jean-Marie-l'ancien-para a laissé la place à sa descendance, il est temps de solder une bonne fois pour toutes le contentieux de la guerre d’Algérie et de tendre la main aux « enfants perdus ». Et pas simplement dans un but électoraliste : à moyen et long-terme, il s’agit de se redonner une ossature idéologique car la crise du capitalisme financiarisé a rendu inopérante, auprès d’une vaste partie des électeurs français, l’utopie du « tout-marché ». Une pensée « identitaire », débarrassée de la culpabilité coloniale (la deuxième fin de la guerre d’Algérie en ce mois de Mars 2012) mais aussi environnementale (défense du nucléaire, de l’agriculture productiviste), mâtinée de conservatisme sociétal (hostilité au mariage gay, à l’homoparentalité, à l’euthanasie, voire au remboursement de l’IVG) et de mépris des corps intermédiaire (recours au référendum) fera parfaitement l’affaire.
Ce faisant, ce parti « bonaparto-légitimiste », qu’on le baptise UMP ou autre chose, n’a plus vocation à rassembler la droite parlementaire : nul doute que ce « nouveau » socle de pensée servira de répulsif idéologique à la majorité des politiques du centre-droit, qu’ils soient proches de Bayrou ou de Borloo. Mais Nicolas Sarkozy et ses inspirateurs font le pari (pas très risqué) que si ce corpus d’idées s’avère payant sur le plan électoral, il ne se passera guère de temps avant que les formations centristes, quasi-exclusivement composées d’élus, ne se trouvent de bonnes raisons de faire alliance avec cette UMP « re-loaded ». Quant au Front National, il continuera sa surenchère tout en servant éventuellement de force d’appoint (car ce basculement idéologique ne saurait que le faire progresser) – au détriment ou en complément des centristes, selon les régions ou les circonscriptions.

En attendant, la droite explose et Nicolas Sarkozy joue les Bernard Blier dans « Les Tontons Flingueurs » :
« Aux quatre coins d'Paris qu'on va [la retrouver, la droite] éparpillé[e] par petits bouts façon puzzle... Moi quand on m'en fait trop j'correctionne plus, j'dynamite, j'disperse... et j'ventile »
On lui en a trop fait, dans son camp, c’est bien vrai. Alors qu’il perde ou qu’il gagne les élections, Nicolas Sarkozy ne laissera pas se perpétuer une alliance de carpes libérales, de lapins démocrates-chrétiens et de roquets national-autoritaires : soit il divisera pour régner, soit il se délectera que personne à sa suite ne puisse bénéficier d’une machine électorale en ordre de marche : « avec moi, le tremblement de terre ou après moi, le déluge ».
Il est des alternatives plus riantes. Pauvres électeurs de droite…
Ciao, belli

jeudi 16 février 2012

La béquille d'un président faible

Si la candidature de Nicolas Sarkozy au mandat présidentiel 2012-2017 n’était une hypothèse que pour quelques désespérés de droite, le slogan publicitaire qui serait le fil rouge de la campagne du président sortant restait un mystère. « Avec moi, tout est devenu possible, et vous n’avez encore rien vu », « Travailler plus, pis c’est tout, estime-toi déjà heureux si t’as un boulot » eurent été des options logiques, mais leur sincérité n’aurait en rien compensé leur manque de concision. Or dire beaucoup en peu de mots, c’est le B-A-BA de la communication. Mais que veut-on nous dire avec  « La France forte » ? A travers ce vrai-faux lancement de campagne, on devine tout autant qu’on entend les deux principaux axes d’un Blitzkrieg :
  •  Perte du « triple A » chez S&P en attendant Moody’s et les autres :  pichenette négligeable ou injuste poing dans la gueule, c’est selon,  en tous les cas cette dégradation la fout mal. Le vrai problème, c’est qu’au fond la France est chétive, malingre, désarmée dans ce monde de brutes : la faute à ce foutu conservatisme, ces « blocages » que représentent des choses comme le Droit du Travail ou la coûteuse indemnisation de ces fainéants de chômeurs. La France est faible car elle s’est amollie dans un monde qui demande du muscle et de l’effort : alors direction la salle de gym, hop là, et plus vite que ça. Les « réformes », ça s’appelle. « La France forte », enfin pas encore, mais elle va le devenir, un peu de fonte à soulever et tout ira bien
  • De « repentance » en « laïcité extrémiste », de « droits-de-l’homme-isme » en « auto-dénigrement », les Français ont perdu confiance en eux-mêmes, des salopards d’intellectuels, de journalistes leur ont bourré le crâne à un point tel qu’ils en ont oublié, entre autres, leurs « racines chrétiennes » et un bien naturel sentiment de supériorité quant à leur « civilisation ». Le doute, le relativisme, la tolérance : autant de signes de faiblesse dans un univers peuplé de nations sûres d’elles-mêmes. « La France forte » bombera le torse pour peu qu’on lui redonne des certitudes
Le premier ne va bien évidemment pas sans le second : complaire à tout prix aux « marchés financiers » et, somme toute, à leur idéologie bien anglo-saxonne, est difficile à vendre si par ailleurs on n’hypertrophie pas le sentiment national. Faire semblant de vouloir ce que l’on vous impose ne saurait tromper son monde qu’un temps, il faut par ailleurs manifester des signes de volonté et d’autonomie : l’esclave peut, s’il le veut, repeindre un à un les maillons de sa chaîne. En bleu-blanc-rouge, si ça lui chante.
« La France forte », donc. Une vraie position centriste, à mi-chemin de « La France brutale » d’une Marine Le Pen -  mal taillée pour les subtilités de l’économie mondialisée – et de  « La France molle » d’un François Bayrou empêtré dans un balancement digne des radicaux de la IIIème République. Et à mille lieues des solutions « passéistes » d’un social-démocrate comme François Hollande. Au cœur de la droite, et nulle part ailleurs. Bon.

Cela étant, on ne peut s’empêcher de penser que ce slogan nous en dit également beaucoup sur l’état d’esprit du président-candidat. Il y a comme de l’auto-persuasion et de la provocation dans le choix de la formule : Nicolas Sarkozy bat encore, à l’heure où j’écris ces lignes, des records d’impopularité. Et l’impopularité pour un homme ou une femme politique, dans une démocratie fonctionnant normalement, c’est inévitablement une faiblesse. Alors voilà, Nicolas Sarkozy semble nous dire : «  J’accole ma bobine à un slogan parlant de force, ça vous la coupe, hein ? C’est parce que vous ne me connaissez pas bien, j’en ai encore sous la pédale, vous allez voir ce que vous allez voir ». Méthode Coué ? Oui, bien sûr, mais pas seulement.

Car de « Figaro Magazine » en 20h de TF1, on a entendu le désormais candidat agiter son premier hochet, une première « idée-force » (il y en aura sûrement d’autres, a priori pas loin d’une soixantaine puisqu’il reste environ deux mois d’ici au premier tour) : le recours au référendum.  Et ce pour trancher les nœuds gordiens des « blocages » (voir plus haut) et « mener les réformes nécessaires » sans retard. Car la France est faible de ses multiples corps intermédiaires (politiques, syndicalistes, journalistes, magistrats…) qui passent leur temps, comme leur nom l’indique, à interférer entre « le peuple » et ceux qui doivent prendre des décisions bonnes pour lui – le Président et son gouvernement. Le peuple le sait bien, a priori, que ce sont de bonnes décisions, puisque justement il a voté pour ledit président. Et ne comprend pas que le vainqueur des élections soit empêché d’agir par tous ces gens que pour la plupart il n’a pas élus, justement. On « redonne la parole au peuple », en voilà une idée qu’elle est bonne.
Passons sur l’ambiance très « second empire » de l’idée, passons également sur le fait que de tels référendums ne sauraient être organisés, au sein de « La France forte », sur des sujets comme le nucléaire ou la fiscalité, et relevons simplement que cette première proposition concrète de Nicolas Sarkozy vise avant tout un but : muscler à discrétion, et de façon pérenne, le pouvoir du président lui-même. Face notamment à un Sénat désormais acquis à la gauche, mais aussi face à des « élites », nouveau nom donné sans ambages aux représentants du corps social, faiseurs ou donneurs d’opinion(s), avec lesquels il faut régulièrement composer.  Face enfin à son propre camp politique, pas forcément toujours aussi « godillot » qu’il le faudrait.

Bref, « la France forte » c’est sans aucun doute un concept qui vous ancre une campagne bien à droite. Mais « la France forte » c’est aussi la béquille d’un Sarkozy faible, un président qui, par ses pirouettes, ses outrances, ses erreurs, son incessante agitation, a anémié la présidence elle-même. « La France forte » c’est un champion très amoindri qui a recours à un anabolisant : « le peuple ».

Ce « peuple », on lui envoie tout soudainement des preuves d’amour. Même si tout porte à croire que ce n’est pas réciproque.

A bientôt

vendredi 27 janvier 2012

Notre quinquennat

D'une élection présidentielle, l'autre: cela fait aujourd'hui très exactement cinq ans que l'aventure de ce blog a commencé.

Un quinquennat, donc, votre quinquennat tout autant que le mien car ce blog, par définition, n'existe que parce que vous consentez à y poser vos yeux. Vous êtes plusieurs centaines à le faire chaque mois, si j'en crois mes statistiques. Pas loin de 130 billets au compteur depuis Janvier 2007, avec bien sûr des hauts et des bas, et, entretemps, le formidable coup de pouce qu'a constitué mon arrivée en Avril 2008 sur les pages de Rue89 avec un "post" sur un de mes sujets d'énervement favoris: la connerie footballistique.

Une affiche ne décidant jamais d'elle-même sur quel mur elle va bien pouvoir se retrouver collée, cette présence chez Rue89 m'a valu, en Juillet 2010, d'être publié sur le site de revue de presse du Front National (Nations Presse Info - notez le pluriel bien singulier): les commentaires qui s'en sont ensuivis valent leur pesant de bérets basques, commentaires auxquels j'ai répondu jusqu'à ce qu'on me coupe le sifflet, j'en ris encore.

Un quinquennat bien sûr passé à scruter les gesticulations de Nicolas Sarkozy, mais pas seulement. Puisqu'à toute règle il faut des exceptions, je me suis un jour risqué à vous raconter sérieusement une histoire exemplaire, qui se passe au Burkina Faso. A part ça, il faut bien le reconnaître, sur ces pages on ricane plus souvent qu'on n'encense, d'ailleurs vous l'aurez remarqué, je n'aime pas trop l'odeur de l'encens. Pas trop de sympathie, non plus, pour les fumigations trotskistes, pas plus que pour les fumisteries néo-libérales.
Accessoirement, on aura abordé le sujet des sondages d'opinion et, puisqu'on parle d'usines à gaz, de la construction européenne. Nous nous sommes même quelquefois aventurés sur le terrain potentiellement casse-gueule du soutien Américain à Israël, une politique étrangère qui dépasse autant l'entendement que la formidable impuissance européenne.

Un quinquennat s'achève, le nôtre, mais contrairement à celui de l'agité du bocal qui occupe encore le palais de l'Elysée, je vous garantis que celui-là sera renouvelé et peut-être pas qu'une fois, allez savoir...

En tous cas, à tous je voulais dire un grand merci... Et puis bien sûr à très bientôt

See you, guys

vendredi 20 janvier 2012

L’aiguille du déconnomètre

Tous marxistes, ou presque. Evanouie, l’illusion selon laquelle la France serait exclusivement constituée d’une gigantesque classe moyenne : trois candidats à la présidentielle, et non des moindres, organisent ouvertement leurs discours autour la conquête de ce qu’il est convenu d’appeler « le vote populaire ». Les classes sociales sont de retour, donc, et en particulier celles les moins bien loties – ouvriers, employés, précaires, chômeurs.

Il y a bien sûr Nicolas Sarkozy, candidat flagrant sinon avoué des dirigeants du MEDEF et de ce que tout le pays peut compter d’évadés fiscaux en puissance, qui a bien compris cependant que sa réélection ne peut être acquise que s’il regagne la confiance d’une partie significative de la fameuse « France d’en bas ». Celle-ci représente, mine de rien, une bonne moitié du corps électoral, pour peu qu’il lui prenne l’envie d’aller voter. En attendant de trouver une nouvelle ficelle socio-économique genre « travailler plus pour gagner plus », tâche ardue au demeurant, le Président fait donner Claude Guéant et ses statistiques d’expulsions d’étrangers ou va chercher Jeanne d’Arc (voir billet précédent) – avec les dents, comme naguère la croissance. Car l’analyse de son conseiller Patrick Buisson (ancien du journal « Minute ») est claire : à défaut de satisfaire le populo question pouvoir d’achat, il faut flatter son côté « la France aux Français » et images-d’Epinal-du-bon-vieux-temps. Il est comme ça, le populo, vu par Buisson : beaucoup de bleu-blanc-rouge, un poil voire plusieurs de xénophobie et le voilà content, prêt à oublier la mélasse dans laquelle il patine. Mais attention, il ne faut pas lésiner sur la quantité, sinon il va de nouveau voter Le Pen.

Marine Le Pen, justement : maintenant que le gouvernement de la République a pompé, digéré, banalisé et diffusé l’idée selon laquelle l’ « identité» de la France est en péril du fait de l’immigration, et sachant que son patronyme lui garantit implicitement un surcroît de crédibilité sur ce discours, la présidente du Front National a clairement déplacé son message vers le terrain social : haro sur les banquiers et dirigeants d’entreprise dé-localisateurs, promesse d’une augmentation de 200 € nets pour tous les salaires jusqu’à 1,4 fois le SMIC, etc… Elle se veut la candidate des « petits » - pour autant qu’ils soient plutôt blancs de peau et, de préférence, catholiques.

Cette prétention à incarner le « peuple », Jean-Luc Mélenchon la discute sans ambages à Marine Le Pen et à coup de noms d’oiseaux, la bataille est frontale, si l’on ose dire. Son « peuple » à lui est sensé ignorer les nuances de couleur de peau et la date de validité des cartes de séjour. Nonobstant, il convient de lui faire voir rouge, dans tous les sens du terme - autrefois on aurait dit « le conscientiser » - sans pour autant qu’il aille égarer ses bulletins de vote auprès de quelque chapelle trotskiste. Cependant on entend bien « plumer la volaille social-démocrate » comme les concurrents (au demeurant marginalisés) du NPA et de LO et incarner/défendre « les intérêts de la classe ouvrière ».

Les « travailleurs », le « peuple », les « petits », la « France-qui-se-lève-tôt » (ou celle qui aimerait bien), quel que soit le nom qu’on lui donne, cet ensemble sociologique bien réel fait de gens payant de leur bien-être et de leur avenir la financiarisation de l’économie est, c’est évident, au cœur des enjeux électoraux en France – ne serait-ce que numériquement. Et non plus comme addition d’intérêts catégoriels mais « en tant que classe », pour reprendre un jargon qu’on croyait obsolète. Cette « classe » que se disputent Le Pen et Mélenchon, Nicolas Sarkozy ne désespère pas d’en séduire une bonne part, à coup de Guéanteries, de postures « identitaires » et de quelque astuce sémantique pour faire glisser la pilule de la « compétitivité» . Tout porte à croire qu’il se fourre allègrement le doigt dans l’œil, mais là n’est pas la question.

La question, c’est que dans le contexte du moment, si les prolos n’ont pas davantage de chance qu’autrefois de devenir dictateurs, le prolétariat exerce une vraie dictature sur les enjeux électoraux : or que font ou disent le Parti Socialiste et son candidat dans ce contexte ? C’est simple : rien. Rien de bien audible, en tout cas.

En revanche, on a entendu ces jours-ci Benoît Hamon, Marie-Noëlle Lienemann et Henri Emmanuelli bruyamment s’émouvoir du fait que les 60 000 postes supplémentaires dans l’Education Nationale promis par François Hollande ne seraient pas nécessairement des créations nettes mais plus certainement des redéploiements d’effectifs. Enfin c’est pas bien sûr, ou peut-être que oui, quoique, faut voir : le programme du candidat est, depuis bientôt plusieurs mois, toujours en phase d’ « ajustement ». Toujours est-il que la simple hypothèse qu’on n’assiste pas à une incrémentation du nombre de fonctionnaires si le candidat du PS est élu a fait ruer dans les brancards la fameuse « aile gauche du parti ».

Passons sur l’effet désastreux d’une telle cacophonie, qui vient s’ajouter aux cafouillages sur le nucléaire ou le quotient familial – cacophonie dont se délectent les grandes gueules de l’UMP, par ailleurs à l’abri de ce genre d’incident tant la pratique de la répétition en boucle des « éléments de langage » est devenue chez eux une seconde nature.

Passons, donc, et venons-en au fond . Certes l’éducation est une question cruciale pour tous, mais franchement , là, aujourd’hui : les caissières exploitées de chez Leclerc ou Carrefour, les futures chômeuses de chez Lejaby, les précaires de l’industrie du bâtiment, les soutiers du marketing téléphonique, les préretraités de force trop jeunes pour ne plus avoir à bosser mais trop vieux pour avoir le droit de bosser encore, oui, tous ces gens bien trop nombreux et pas encore assez « compétitifs », qu’est-ce qu’ils peuvent bien en avoir à secouer, de savoir si les 60 000 fonctionnaires de l’Education Nationale promis seront « nets » ou « redéployés » ? Tous ces gens-là, et bien d’autres, se contrefoutent royalement de ce genre de problème, et ils ont bien raison.

Mais pour « l’aile gauche du parti », la simple hypothèse que l’Education Nationale française – deuxième organisation humaine au monde après l’Armée Populaire Chinoise – ne puisse augmenter ses effectifs sous un gouvernement PS relève de l’inacceptable. Et mérite qu’on aille perturber une pré-campagne déjà mal emmanchée.
Quitte à laisser croire, au final, que dans cette élection « de classe », si Sarkozy défend ouvertement Neuilly-Auteuil-Passy tout en voulant consoler Nanterre-Aubervilliers-Pantin, si Mélenchon et Marine Le Pen se disputent les faveurs de la classe ouvrière, le PS, lui, a choisi de défendre exclusivement les agents de la fonction publique d’Etat. C’est certainement faux, mais c’est l’impression que ce pathétique déballage d’états d’âme doit certainement laisser dans l’opinion. Bien joué, camarades.

La machine à perdre de la gauche est ornée d’un compteur : le déconnomètre. Ces jours-ci, son aiguille indique 60 000.

Ciao, belli.