mercredi 27 février 2008

Le "pauvre con" utile

Les journalistes politiques fonctionnent en essaim, en banc de poissons, pour ne pas dire en troupeau d'ovins. Entendons-nous bien: je ne suis pas de ceux qui crient au complot organisé, mais force est de le constater: à un instant t, l'intégralité de la production journalistique en matière politique s'articulera autour d'un événement unique. Cet instant pourra durer de 24 ou 48h à 1 semaine, c'est selon. Normal, me direz-vous: le boulot du journaliste, c'est de couvrir "l'actualité". Or l'"actualité", en matière politique, selon le même paradigme, est constituée des mots et des faits et gestes du personnel politique en vue. Qui, par définition, se renouvellent jour après jour, une "actualité" chassant l'autre. Entretemps, on aura exploité autant que faire se peut l'histoire du moment selon deux modalités:
  • La collecte des "réactions": A fait ou dit quelque chose, on demande à B, C, D ce qu'ils en pensent. Avec un peu de chance, A nourrira de nouveau la machine en réagissant aux commentaires des uns et des autres

  • L'éditorialisation: on s'efforcera de replacer ce qu'a dit ou fait A dans un contexte plus large, et d'en signifier les "enjeux" pour la Démocratie, la République, l'Etat de Droit, la Morale, l'Histoire, enfin toute cette sorte de choses qu'on ne saurait écrire sans majuscule

Le danger inhérent à cette mécanique c'est - outre le fait d'alimenter le sentiment que le monde politique est exclusivement occupé à la production de petites phrases - l'annihilation de toute réflexion en profondeur sur le sens éventuel d'un événement, sur l'importance qu'il convient de lui accorder. Et, partant, en produisant du spectaculaire et de l'éphémère en permanence, de transformer le citoyen en spectateur. Le problème est que ce phénomène de spectacularisation et de nivellement des priorités est, jusqu'à preuve du contraire, consubstantiel de la liberté de la presse, qu'on ne saurait remettre en cause tant c'est une denrée rare sur cette planète: les journalistes sont libres d'écrire ce qu'ils veulent ou presque, notamment des conneries, tant mieux, tant pis.

Toujours est-il qu'un personnage comme Nicolas Sarkozy a parfaitement compris, et depuis longtemps, cette mécanique, nous déjà avons eu l'occasion d'en parler ici (cf http://helvetia-atao.blogspot.com/2007/09/les-larbins-volontaires.html): l'idée c'est de "nourrir la bête" médiatique au jour le jour jusqu'à l'indigestion. Avec succès, jusqu'à très récemment. Cette saturation par la Sarkozerie faisant elle-même événement, elle alimentait un discours somme toute admiratif sur le personnage, sur le thème: "quel talent, le bougre, ah il nous a encore bien eus", car personne n'est dupe, dans cette relation. Et puis un beau jour, les sondages qui dérapent, l'initiative de trop, et c'est la curée: l'essaim, de protecteur, devient curieux, vindicatif, voire sordidement hargneux: Airy Routier, du Nouvel Observateur, se remettra t'il un jour d'avoir été fouiller les poubelles avec la publication en ligne de l'histoire sur le fameux SMS présidentiel? A mes yeux en tout cas, il est carbonisé.

Le plus remarquable, dans ce retournement, c'est d'une part sa simultanéité, d'autre part son côté tardif. Toutes proportions gardées, ce comportement moutonnier rappelle celui des médias américains à propos de la guerre en Irak: il a fallu attendre 2004 avant que ne se dégage un nouveau concensus autour du fait que, finalement, cette invasion n'était pas vraiment une idée géniale et que par ailleurs George Bush était, tout bien réfléchi, aussi con qu'il en avait l'air.

Il n'aura échappé à personne que, ces derniers jours, le Président a de nouveau alimenté la chronique, comme on dit. Comme plus d'un million d'internautes depuis samedi dernier, je suis allé sur le site du "Parisien" pour entendre Sarko répondre "Casse-toi alors, pauvre con" à un quidam refusant de lui serrer la main et lui disant "Me touche pas, tu me salis". A la limite, ce qui m'a le plus frappé, c'est qu'il a sorti çà avec la même mimique, le même rictus que les "bonjour, merci" adressés à ceux qui se pressaient pour lui serrer la paluche. Le genre: "Regardez-moi bien, là c'est ma gueule de quand j'en ai strictement rien à foutre".

Dès lors s'est enclenché le processus décrit plus haut:
  • Réactions: de "quand on veut être Président, il faut savoir se présider soi-même" (Laurent Fabius) à "moi je comprends, à la limite, je lui en aurais collé une, au type" (Roger Karoutchi)

  • Editorialisation: Mon-Dieu-mais-qu'advient-il-de-la-nécessaire-solennité-de-la-fonction-présidentielle-en-Démocratie?/Quel-exemple-de-Civisme-donné-aux-jeunes /... etc

Oui mais voilà, çà fait plus de quatre jours que çà dure, ce "bruit médiatique". Au détriment de tout un tas de choses, la liste est longue, autrement plus importantes que ce constat d'évidence: Nicolas Sarkozy est à l'exercice du pouvoir républicain ce que les milliardaires russes sont à la consommation de produits de luxe - le style ne suit pas. Et alors?

Si la "question Sarkozy" se ramenait à une question de mauvais goût ou de mauvaise éducation (notez: quand on pense qu'on prenait Chirac pour un plouc...), elle n'aurait pas lieu d'être. La vraie question, c'est celle d'une politique qui s'assoit sur les libertés individuelles (la "rétention de sécurité", les expulsions pour les expulsions), qui ignore délibérément l'enjeu des salaires, qui entend nationaliser les pertes (le coup de pouce promis au groupe Arcelor-Mittal), qui mène une diplomatie brouillonne, anti-européenne, pour ne citer que ces exemples. Le problème notamment, ce n'est pas que Sarkozy traitât publiquement un malotru de "pauvre con", le problème c'est que, dans sa tête, "pauvre con" soit un pléonasme. Oui, reprenons cette métaphore, Nicolas Sarkozy est au pouvoir républicain ce que les milliardaires russes sont aux produits de luxe: mais le vrai problème ce n'est pas le style, le vrai problème c'est l'absence totale de discernement dans les choix.
A partir de là, la lancinante rengaine médiatique du moment sur le "dérapage" du Salon de l'agriculture n'est, en définitive, qu'une variante de la stratégie Sarkozyenne de l'écran de fumée: quand on parle du "pauvre con", on ne parle pas des choses qui fâchent vraiment. Finalement, même à son insu, Sarkozy fait de la com', le "pauvre con" est bien utile. Et tout le monde plonge, y compris les dirigeants du PS qui, les uns après les autres, ont défilé devant les micros pour dire tout le mal qu'ils pensaient d'un si vulgaire monsieur. A ce rythme là, c'est pas gagné, l'alternance.
Le tout petit monde médiatico-politique, pendant ce temps-là, nous concocte la prochaine "actualité": la taille du rateau que la Droite va se prendre aux municipales. Editorial: Un vrai désaveu, un résultat mitigé ou, tout bien pesé, un résultat "illisible" voire "inespéré-compte-tenu-du-contexte"? Réactions: que va répondre Claude Allègre à la question: "Pourquoi rejoindre un bateau en difficulté"? Que va penser Hollande de la réélection de Delanoë?
Journaliste politique, c'est un métier.
Allez, encore un ou deux jours autour du "pauvre con" et on passe à autre chose. Mais non, on va pas parler des salaires et des profits, t'es con, toi, allez, casse-toi.
A bientôt

jeudi 21 février 2008

Le retour de la machine à perdre

Moi, si j'étais électeur de droite, disons UMP, je me ferais du souci.

La météo du moment vous a des allures de crachin, pour qui avait rêvé ces derniers mois de la Grande Réforme. Il fait vilain temps pour qui espérait que la France, enfin, allait simultanément libérer l'énergie de ses entrepreneurs des pesanteurs de l'Etat-Providence - comme ont su le faire avec tant de bonheur les Etats-Unis et la Grande-Bretagne - et remettre au goût du jour des valeurs que trente ans de post-soixante-huitardisme avaient quelque peu bousculé: l'Ordre, l'Autorité, le Travail, la Famille, la Patrie (oui bon ben j'y peux rien, moi, si Philippe Pétain était plutôt à droite, comme garçon), voire Dieu, si affinités.
Il faut dire que l'électeur UMP s'était trouvé un chef, un vrai, qui par la magie de son verbe, par son énergie inépuisable, allait rendre tout celà possible. Car ce chef avait un truc imparable: la maîtrise absolue du temps et des contenus des médias, en matière de politique voire au delà. Depuis 2002 il créait, à son gré, ce qu'on appelle "le débat". Sur à peu près tout et n'importe quoi, parfois "à contre-pied"- genre récupération de propositions réputées de gauche -, parfois dans le limite bordure - clins d'oeil lourdissimes à l'électorat Lepéniste, mais toujours, au final, à son avantage. Même après la victoire, cette machine à gagner les élections continuait sur sa lancée, et semblait ne devoir se calmer qu'après 2012, une fois le deuxième mandat acquis. Et encore.
Las: Nicolas Sarkozy ces dernières semaines ne contrôle plus rien, son pouvoir quasi-magique de "faire" l'actualité politique part en sucette. Cette perte de contrôle s'est récemment manifestée de deux façons:
- Par le vacarme assourdissant d'un événement qui n'aurait du être qu'une douce mélodie

- Par le lancer d'un javelot qui, contre toute attente, s'est en chemin transformé en boomerang dévastateur

Le tintamarre inattendu: la banlieue parisienne souffre parfois d'un mal-être qui, à son paroxysme, ramène ses habitants au degré zéro de la vie en société. C'est le règne de la violence, de l'affrontement entre bandes, la loi des petits caïds prêts à tout pour une parcelle de pouvoir. Prenez Neuilly-sur-Seine, par exemple: la campagne pour l'élection municipale, là-bas, c'est South-Central, Los Angeles, à la grande époque du tabassage de Rodney King. Baston générale, du sang sur les murs. A ma droite: un chouchou de l'ex-femme du Président, un fils du Président, un candidat UMP officiel, un candidat UMP dissident. A ma gauche: euh... ben, à ma gauche, pas grand-chose mais c'est pas grave, c'est de l'autre côté que çà se passe.
Au départ, la manip' s'annonçait tranquille: le Président, ex-maire de la ville, adoube officiellement son porte-parole David Martinon pour lui succéder, quoi de plus naturel. Et là, çà commence à déraper. Le jour de son intronisation, en plein hôtel de ville, la foule des militants UMP locaux ne veut pas du parachuté et le fait savoir: "Martinon, non, non", crient ces braves gens (on aurait été à Pantin ou Aubervilliers, ç'aurait plutôt été "Martinon, tête de fion", mais à Neuilly on sait se tenir). Par la suite le feuilleton se corse: Jean Sarkozy entre en scène, d'abord pour soutenir Martinon dans sa campagne, puis pour le torpiller en sous-main avec la complicité d'Arnaud Teullé, un des colistiers du parachuté.

Jean Sarkozy, signalons-le au passage, a un impact médiatique du tonnerre: il a en commun avec Rahan, le héros de BD, d'afficher une longue crinière blonde du plus bel effet. Rahan, vous connaissez? L'homme des âges farouches, fils de Craô... Jean-han, lui, c'est l'homme à face trop louche, fils de Sarkô.


Entretemps l'UMP locale a investi Jean-Christophe Fromentin, au départ candidat dissident divers-droite. Des rumeurs bruissent sur une possible candidature de Jean-han. Là-dessus Arnaud Teullé, l'autre Martinonicide, se déclare candidat. Dissident, donc, du coup. Et propulse Jean-han comme candidat aux cantonales. Vous suivez? Moi, j'ai un peu de mal. En tout cas les médias ont largement couvert toutes ces histoires... Et une interview par-ci, et un sujet télé par là... Bref, ce qui ne devait être qu'une formalité discrète se transforme en un bruyant barnum.

L'abus de confiance (en soi): vous le savez, et nous en avons parlé ici-même, notre Président, à défaut de tenir ses promesses sur le pouvoir d'achat, se pique de "re-civiliser" ses compatriotes. Les valeurs, le Bien, le Mal, tout çà, l'Elysée a décidé de s'en occuper. Cette initiative se décline sur deux axes:

  • L'un, plutôt risible, déclenche la colère de tous ceux qui, à droite comme à gauche, entendent laisser Dieu et la spiritualité à leur place, c'est-à-dire hors des sphères du pouvoir républicain et de l'organisation de la chose publique. Par petites touches, le Chef de l'Etat les y réintroduit. Exemple entre tous, le fameux discours du Vatican: "Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance". Et en matière de pédophilie, les instituteurs pourront-ils, un jour, espérer faire jeu égal avec les curés?
  • L'autre est franchement plus sinistre: l'enseignement de la Shoah et de ses implications morales, notamment, ne serait pas aujourd'hui correctement assuré par l'Education Nationale. Nicolas Sarkozy, lui, il sait comment faire: il faut ajouter de la proximité, de l'émotion, coco. D'où l'idée d'un "parrainage" de chacun des 11 000 enfants déportés par les élèves de CM2. Tollé quasi-général, de Simone Veil aux enseignants, en passant par les pédo-psychiatres, pour d'excellentes raisons. Cette irruption du spectaculaire - sur le fond et la forme - sur un tel sujet a choqué. On pourrait ajouter que les effets d'une telle "personnalisation" pourraient être inverses de ceux espérés... Conversation de deux gamins de 10-11 ans, entre Titeuf et Nintendo DS: "Eh, comment il s'appelle, toi, ton filleul de la Shoah ?- Euh... Maurice Elie - Ouah, t'as du bol, eh, moi c'est un nom polonais, c'est trop nul!". J'exagère? Pas sûr. Ce qui est certain c'est que lorsque j'étais en CM2 (c'était il y a très très longtemps), il y avait une expression très populaire dans les cours de récré pour désigner les idées saugrenues: "N'importe quoi, du moment que çà mousse"

Bref, les initiatives du Président en matière de "civilisation" lui reviennent en pleine poire.

Il va falloir que Nicolas Sarkozy se fasse une raison: sa belle mécanique médiatique fonctionne de plus en plus à son détriment. Du coup, et sur fond de dégringolade dans les sondages de l'intéressé, l'électeur UMP est en droit de se demander si la Droite française, en se jetant dans les bras de l'artiste, ne vient pas de remettre en marche la fameuse machine à perdre. Symptôme à Paris: dix-neuf listes UMP dissidentes! Heureusement qu'il n'y a que vingt arrondissements...

Non, franchement, si j'étais de droite, je me ferais du souci. Mais bon, chacun sa merde.

Ciao, belli.

mardi 5 février 2008

Si rien ne bouge...

Vous avez vu la dernière pub Carrefour, à la télé? Oui, parce que maintenant, les distributeurs aussi font de la pub à la télé, c'est vrai que çà manquait, avant... Bref, la pub Carrefour: on y voit un type (sympathique accent du sud-ouest genre putain'g con'g), éleveur de truites de son état, nous expliquer comment il fait çà tout bien, alimentation, conditions d'élevage, traçabilité, parce que vous comprenez, le monsieur, çà fait des années qu'il vend ses truites à Carrefour et que chez Carrefour les truites, hein, c'est sacré. D'ailleurs, tout au long du spot s'affiche à intervalles réguliers avec un petit "dring" un sceau marqué "Garantie Qualité Carrefour", c'est dire. Puis vient la dernière image: chez Carrefour, la truite qu'on a pris si grand soin à élever (tout juste si on ne lui donne pas des cours particuliers d'Anglais ou de piano), et bien on vous la fait à un Euro et cinquante cents. Le kilo, j'imagine, mais bon, quand même. Un Euro et cinquante cents. Merde, alors. Et l'éleveur, là-dessus, il touche combien? Cà, c'est pas dit dans la chanson. Mais bon, vous restent en tête les images du monsieur et franchement, il n'a pas l'air malheureux, on sent même qu'il y prend du plaisir, à bichonner sa poissecaille pour quelques dizaines de cents du kilo. Moins les frais de nourriture des bébêtes et d'entretien des bassins. Moins les salaires de ses employés et les charges qui vont avec (à moins qu'il n'emploie des clandestins). Moins les frais de transport parce que si çà se trouve il les livre lui-même, ses truites. Moins la pension alimentaire qu'il verse à cette salope qui s'est tirée parce qu'elle ne supportait plus l'odeur du poisson. Mais bon, heureux, il est, le monsieur.

De toute façon le consommateur est sensé s'en contrefoutre, du destin des éleveurs de truites, de même que de celui des éleveurs en général, des agriculteurs, même. Tout autant que de la fiche de paie et de la précarité potentielle des employés des entreprises qui livrent Carrefour, comme Danone. Il est sensé se tamponner le coquillard de tout celà car la grande distribution a une mission, ici-bas: permettre au consommateur de consommer et, ce faisant, d'après le Grand Sage Attali, de générer de la croissance. Et la croissance, c'est bien. C'est d'ailleurs pourquoi le Grand Sage Attali préconise de déréguler la grande distribution, de lui laisser ouvrir des magasins où et quand elle veut, même le dimanche.

Ah, bien sûr, il arrive que le consommateur soit lui-même éleveur de truites, agriculteur ou salarié chez Danone: du coup, des fois, il trouve çà moins farce les marges riquiqui que Carrefour impose à ses fournisseurs. Il arrive même assez souvent qu'en ce qui le concerne, l'idée de travailler le dimanche lui sorte par les yeux, même s'il n'a pas pour habitude d'aller à la messe avant l'apéro dominical. Mais tous les commerces de bouche de son quartier ont fermé les uns après les autres, notamment le poissonnier sympa qui avait de si bonnes truites. Le truc, c'est qu'elles étaient à trois Euros le kilo, tandis que chez Carrefour... Alors il va chez Carrefour, pas le choix, enfin si, autrement il y a Leclerc ou Casino.
La télé, ce n'est pas seulement de la pub Carrefour, c'est aussi de l'information: on a pu y apprendre que nonobstant ses épousailles avec sa squaw du moment, Little Big Man se prend un rateau dans les sondages (-13 points d'opinions positives en un mois d'après LH2/Libération). On a également appris que la Société Générale s'était fait enfumer d'environ cinq milliards d'Euros suite au comportement indélicat d'un de ses traders, et qu'il convenait de qualifier l'événement de "scandale". Quel rapport avec ce qui précède, allez-vous me dire? J'y viens.

Tout porte à croire que la dégringolade de Sarko dans l'opinion est due à une immense désillusion quant à l'une des promesses majeures de sa campagne: le "pouvoir d'achat". Surprise surprise, les cadeaux fiscaux aux foyers les plus riches, les défiscalisations et baisses de charges sur les heures sup', tout celà a beau coûter une quinzaine de milliards d'Euros en année pleine, l'impact du "choc de confiance" sur les porte-monnaie est nul. Et le problème c'est que "les gens" ne sont pas suffisamment cons - ni assez abrutis par la com' de l'Elysée - pour ne pas s'en apercevoir. Cette baisse dans les sondages est tout sauf anecdotique, elle révèle la persistance d'une lancinante question sociale: précarisation de l'emploi, stagnation des salaires, sur fond de hausse des coûts du logement et des matières premières. Or les économistes, même Jean-Marc Sylvestre, s'accordent à penser qu'en France la croissance - et a priori la création d'emplois - est essentiellement "tirée" par la consommation. Mais comme il est admis au nom de la "compétitivité" que l'augmentation des salaires et une moindre précarisation ne sont pas des options viables, ne restent que deux solutions sur la table pour assurer un minimum de croissance: la première est de stimuler la concurrence par les prix au niveau du commerce de détail, revoilà Carrefour et ses truites à 1,50 Euros le kilo. La seconde est de laisser les ménages s'endetter, coucou la Société Générale et ses profits confortables.

Seulement voilà, Carrefour et les autres distributeurs ne pressurent pas que leurs fournisseurs, leurs salariés également, pas mal, merci. Vendredi dernier, on a assisté à un événement quasi-inédit: une grève nationale des caissières, pardon, des hôtesses de caisse. En cause: des salaires plutôt bas et stagnants et surtout, surtout, du travail à temps partiel subi et des horaires changeant au gré de l'employeur, quasiment sans préavis. Il est probable que ce mouvement n'ait concrètement pas changé grand-chose. Il constitue cependant un précédent.
Téléscopage indécent dont l'actualité a le secret: au même moment, ou presque, on apprenait qu'un obscur trader de la Société Générale, Jérôme Kerviel (un compatriote!) a réussi à engager en Bourse pas loin de cinquante milliards d'Euros - soit l'équivalent des actifs de la banque. Soldant les opérations du korrigan facétieux en catastrophe, son employeur se retrouve planté de cinq milliards. Branle-bas de combat à Bercy: c'est une honte, madame Lagarde, il faut y mettre bon ordre. Parce que cinq milliards d'Euros, c'est l'équivalent de ce que dépense la collectivité en un an pour le RMI? Mais non, çà, on s'en fout, voyons. Cette affaire est un "scandale" parce qu'elle met en lumière le désordre intrinsèque, le chaos consubstantiel de la dérégulation financière mondiale. Et, de fait, la vaste foutaise que constitue l'idée d'une rationalité auto-régulatrice des acteurs économiques privés, autant dire le socle de croyance des libéraux en peau de lapin qui dirigent la France aujourd'hui.
Résumons: pour garantir la croissance, il convient de consommer davantage et plus souvent, à crédit s'il le faut puisque l'incertitude sur les revenus salariaux est la règle. Le crédit enrichira les banques qui pourront spéculer à loisir dans l'économie virtuelle, pour autant qu'elles le fassent avec discrétion. La truite à 1,50 Euros le kilo que je règle avec ma carte Carrefour car on n'est que le 15 du mois, c'est ma contribution à une croissance enfin "libérée".

Un truc de Bertrand Cantat et Noir Désir me passe entre les oreilles: Regarde là-bas /Au bout de mon doigt / Si rien ne bouge / Le ciel devient rouge

Si on ne s'attelle pas dare-dare à une remise à plat du "pacte" entre la collectivité et les entreprises, si la "compétitivité" est un tabou y compris pour les socio-démocrates, alors fleuriront les Besancenoteries et Lepèneries sur un terreau fertile: la colère et le désespoir de consommateurs/électeurs qui, soudain, se seront découvert salariés.
D'ailleurs nous y sommes déjà, l'écran de fumée Sarkozyen n'aura duré qu'un temps.
A bientôt.