samedi 8 novembre 2014

Le Front National, l'étroit Moscoutaire

Marine Le Pen veut, paraît-il, adresser une "lettre aux Français" suite au congrès de son parti qui se tiendra à la fin de ce mois. Bon, c'est sympa, une lettre. Ca les changera, les Français, des "cartes postales" de Sarkozy-le-récidiviste.
Ca vous a un côté littéraire, instruit - presque vieille France, pour tout dire, surtout à l'heure des "tweets" à gogo. Et puis ça laisse entendre une volonté de de s'ouvrir, de clarifier et d'aller loin dans l'explication des choses: tout ça n'avait pas échappé à François Mitterrand en 1988, lorsque sa "Lettre à tous les Français" prit résolument le contre-pied du style bruyant et lapidaire, voire lessivier, de la communication politique du moment - affichage tapageur, clips télévisuels. Tout cela n'était bien sûr qu'une nouvelle astuce de "communiquant" mais bon, sur le coup, nous fûmes nombreux à tomber dans le panneau (pour ce qui me concerne: parce qu'au moins, ça avait de la gueule).

Tout ça pour dire que, fondamentalement, l'idée d'envoyer une missive, plutôt que de produire un énième clip, laisse entendre qu'on va s'adresser à l'intelligence de l'électeur plutôt qu'à ses émotions de consommateur d'images. La lettre, c'est l'argumentation plutôt que la répétition, le développement plutôt que le résumé. Mais c'est aussi, et surtout, un souci de transparence et d'exhaustivité.
Dès lors, je me prends à rêver que Marine Le Pen n'oublie pas, dans sa correspondance qui préfigurera sans doute son programme politique pour 2017, d'évoquer sans ambages l'un des piliers de ses orientations en matière de politique étrangère: son tropisme pro-Russe. Je rêve qu'en ce domaine comme dans d'autres - l'Europe, la mondialisation, l'immigration... - elle se mette à annoncer la couleur en toute franchise. Ne serait-ce que parce qu'on aura célébré depuis peu le vingt-cinquième anniversaire de la fin du mur de Berlin.
Berlin, 1984, vue par votre serviteur
En 1989 s'effondrait le symbole le plus visible de l'existence d'une "autre Europe" dominée par l'Union Soviétique. Cette dernière, in fine, ne s'en remit pas, et cette désintégration de la "maison-mère" à Moscou précipita la chute de ses filiales étrangères, et singulièrement du Parti Communiste Français - désormais réduit, suprême humiliation, à la taille d'une formation trotskyste.
Ah, le P.C.F.... S'il n'avait pas existé, y aurait-il seulement une extrême-droite en France? Car l'anti-communisme ("primaire, secondaire, et même supérieur", pour reprendre les mots de Jean-Marie Le Pen) comme raison d'être fut longtemps l'apanage de cette droite "nationale" qui fit son beurre de son hostilité à l'égard de l'Union Soviétique. Et, de facto, fustigea avec constance la servilité à peine dissimulée des communistes français à l'égard du "grand frère" de l'Est. Cette droite "nationale" créa même à cet effet, et ce dès les années trente, un adjectif: "moscoutaire". Tout était dit dans ce qualificatif, notamment la nature singulièrement étrangère et "anti-nationale" des communistes et de leurs partisans. Notons que le plus drôle est qu'il se trouva des crétins, au sein de la gauche non-communiste, pour contester cette accusation, avant (au nom de l'anti-fascisme) et après (au nom de la Résistance) la seconde guerre mondiale, alors que s'il est un point sur lequel la droite "nationale" a eu raison avant tout le monde ou presque, c'est bien sur la question de la subordination inconditionnelle des communistes, en tant qu'organisation, aux intérêts de l'Union Soviétique.
Cet anti-communisme structurel, et pour tout dire ontologique, de l'extrême-droite française, lui permit à maintes occasions de se poser en défenseur de la Liberté - notamment lorsque fut, une bonne fois pour toutes, mise à jour en nos contrées la nature totalitaire du régime soviétique (le "choc" Soljenitsyne à la fin des années 70). De même, les folliculaires d'extrême-droite firent naguère leurs choux-gras de la publication de l'ouvrage de Jean Montaldo sur Les finances du P.C.F. (Albin Michel, 1977), mettant en lumière le rôle d'une certaine "Banque Commerciale de l'Europe du Nord", faux-nez soviétique, dans le maintien à flot des caisses du "parti". Bref, n'eurent été les turpitudes des "moscoutaires", l'extrême-droite et le Front National auraient été bien peine de se trouver des figures crédibles de l' "anti-France". Et donc, quelque part, d'exister.

Or, de nos jours, la complaisance vis-à-vis de Moscou est de mise, chez les Le Pen. On ne compte plus les voyages de Marine dans la capitale russe, reçue notamment cet été par le président de la Douma. Un récent article de "L'Obs" (édition du 23 Octobre) laissait même entendre que le Front National, à l'instar d'autres formations en Europe comme le parti Jobbik en Hongrie, bénéficierait de financements des oligarques proches du pouvoir russe. Reconnaissance du ventre ou vraie conviction? Marine Le Pen ne manque pas une occasion de fustiger "l'atlantisme" du gouvernement français et les sanctions décrétées par les Etats-Unis et l'Union Européenne à l'encontre de la Russie de Vladimir Poutine. On l'a vu ici, cette fascination, à l'extrême-droite, pour un pouvoir fort, héraut d'une "civilisation chrétienne" que menacerait le "cosmopolitisme" d'Outre-Atlantique, ne date pas d'hier. Mais justement: si la Russie, à la fin du XXème siècle, a radicalement changé de système économique et social, il ne s'est guère passé de temps avant que, sur le plan politique, les faits ne viennent contredire les mensonges des ultra-libéraux sur les liens prétendument indéfectibles entre économie de marché, d'une part, droits de l'individu et démocratie, d'autre part: on pourra justifier, expliquer la nature du régime Poutine comme on voudra, il n'empêche que, sur le plan des libertés politiques, le pouvoir de l'ex-KGBiste Poutine ne constitue pas un "saut qualitatif" spectaculaire par rapport au soviétisme finissant. Par ailleurs il reste à démontrer que "l'intérêt de la France" est à un revival de l'alliance franco-russe de 1901, dont on sait combien elle contribua à la catastrophe d'Août 14... A tout le moins elle se ferait au prix d'une rupture définitive avec la Pologne et les pays baltes qui, eux, ont payé pour voir.
Nonobstant, le Front National de Marine Le Pen est aujourd'hui à la Russie de Vladimir Poutine ce que le P.C.F. de Georges Marchais était hier à celle de Leonid Brejnev: une formation satellite, un tremplin vers la constitution de troupeaux "d'idiots utiles". La différence est que les communistes croyaient, ou faisaient semblant de croire, que le pouvoir de Moscou construisait "l'avenir radieux de l'humanité", tandis que le F.N. vit très bien avec le fait qu'il soutient un régime autoritaire et liberticide. Arguant, comme le faisaient naguère nos staliniens nationaux, des compromis récurrents et à peine honteux que font les démocraties occidentales, et en premier lieu les Etats-Unis, avec la défense inconditionnelle de la paix et des libertés dans le monde (les exemples ne manquent pas de ces hypocrisies, il est vrai).
De fait, la formation de Marine Le Pen peut sans hésitation être qualifiée de "moscoutaire": un parti, faisant l'impasse sur l'Europe non seulement en tant que construction politique mais aussi et surtout en tant que système de valeurs, tourné vers l'Est, y décelant un modèle. Un "parti de l'étranger", en quelque sorte, dont la vision est étroite, subjuguée qu'elle par les "lumières" de Moscou tel un lapin dans les phares d'une automobile, comme autrefois le P.C.F... Singulier chamboulement des figures de la politique, étrange tête-à-queue de l'Histoire. Ou pas, finalement.

Toujours est-il qu'il serait bon, qu'il serait juste, qu'il serait honnête que Marine Le Pen, dans sa "lettre aux Français", expliquât à ses concitoyens tout le bien qu'il faut penser de la Russie de Vladimir Poutine. Et donc d'un pouvoir politique qui fait assassiner des journalistes et emprisonner ses opposants, qui protège les mafieux, entretient des guerres chez ses voisins et envoie des jeunes femmes dans des camps, pour cause d'irrespect envers la religion et le gouvernement. Il serait bon qu'elle les informe qu'à compter de 2017, si elle est élue, la France opérera un revirement diplomatique la rapprochant significativement de ce pouvoir.

On verrait alors, pour autant que suffisamment d'électeurs sachent lire, si sa marche vers l'Elysée est aussi irrépressible qu'on le dit. C'est d'ailleurs pour ça que sa "lettre" ne pipera pas un mot sur le sujet, en tout cas pas clairement. On parie?

A bientôt


mercredi 10 septembre 2014

Le Vide de la Chaise Politique

Fin 1965, défendant les intérêts bien compris de l'Etat français - entendez: le maintien d'une Politique Agricole Commune déjà providentielle pour la France et, surtout, repousser à tout prix l'idée d'un début de supra-nationalité - De Gaulle fit pratiquer à son gouvernement la "politique de la chaise vide" au sein des conseils des ministres européens. "Mongénéral" obtint in fine gain de cause, semant la petite graine fructueuse d'une Désunion Européenne promise à un long avenir - mais c'est une autre histoire.

En cette fin d'été 2014, c'est une affaire entendue, le gouvernement socialiste au pouvoir sera cohérent, hommes et femmes désormais tous alignés, le petit doigt sur la couture du pantalon ou du tailleur. Exeunt les trublions potentiels ou réels, une seule ligne, celle du "Pacte de Responsabilité". J'ai déjà dit ici tout le bien qu'on pouvait penser de cette chimère, rien à ajouter ou à retrancher. Il y a que, désormais associé à l'ambition de réduire les déficits budgétaires tout en freinant la pression fiscale, ce "pacte" constitue l'intégralité du logiciel de la gauche au pouvoir, nonobstant quelques velléités d'ordre sociétal - pour autant que les zozos de la "Manif pour tous" n'y voient pas trop d'objections. Le "pacte", tout le "pacte", rien que le "pacte", fermez le ban.

Bon, pourquoi pas. A condition, toutefois, de clarifier un certain nombre de points:
  1. Il faut mettre fin, sans plus attendre, au débat sur le qualificatif qu'il conviendrait d'accoler au nouveau gouvernement Hollande: il se revendique social-démocrate, on le qualifie de social-libéral, et nul doute que le fameux "social-traître" dont usèrent et abusèrent les staliniens est déjà judicieusement ressorti de la naphtaline. Je dis: brisons là. Et posons-nous la question: pourquoi "social"? Va falloir trouver autre chose. 
  2. Tandis que le gouvernement gouverne, donc, le Parti Socialiste se lance dans un grand remue-méninges: les Etats Généraux des Socialistes, ça s'appelle. Les militants et sympathisants sont invités à faire part de leurs doléances, idées, suggestions et à débattre autour de thèmes comme "Laïcité et République", "Croissance et Social-Ecologie", etc.. Nul doute que ces contributions de la "base" nourriront une profonde réflexion au sein des instances dirigeantes du parti qui, moyennant quelques synthèses habiles, construiront, sinon un programme politique, à tout le moins un réservoir d'options pour la prochaine élection primaire. C'est bien beau, mais au fait, pour quoi faire? De deux choses l'une: soit le P.S. entend représenter la "gauche de gouvernement", auquel cas un gouvernement issu de ses rangs devrait mettre en oeuvre des politiques que le parti préconise ou a préconisé (pas de trace du "Pacte de Responsabilité", à ma connaissance) soit il se contrefout de gouverner, mais à ce moment-là qu'il le dise. Comme la seconde option est peu probable, qu'il annonce clairement aux militants et sympathisants que ses "Etats Généraux" en fait c'est pour d'la fausse, cause toujours, camarade 
  3. Au gouvernement comme dans l'opposition, le discours du moment c'est: "soutenez moi, sinon vous aurez Marine Le Pen". Tandis que Manuel Valls entonne l'air de la "République en danger" pour resserrer les rangs d'un P.S. un poil ronchon, le principal argument en faveur du retour en scène de Nicolas Sarkozy est celui qui consiste à le positionner comme le seul candidat crédible face au F.N. (cf. l'avalanche récente de sondages plus ou moins certifiés). De part et d'autre, donc, on est d'accord: Marine Le Pen est au centre de la vie politique, il y a elle et "les autres", qui tentent comme ils le peuvent de se différencier comme challengers potentiels. Seulement voilà, il y a un petit, tout petit détail à régler: pour faire se déplacer des électeurs en nombre suffisant, le coup du "barrage au Front National" ne suffira vraisemblablement pas, en tout cas pas éternellement. Va falloir aller piocher des idées au delà des think-tanks du MEDEF, les uns et les autres. Ou alors dire clairement qu'un gouvernement Marine Le Pen est une option envisageable
Cela étant posé, revenons à nos moutons. Le "Pacte de Responsabilité" et la dérégulation du marché du travail quasiment annoncée qui va avec sont, à juste titre, qualifiés d'opération de "triangulation": de ce programme, la droite n'a foncièrement rien à redire, sinon qu'elle entend faire de même mais plus fort et plus vite, tout en sabrant ouvertement dans les effectifs de la fonction publique. Pas très audible ni très excitant, tout ça. Partant, cette "triangulation" est qualifiée d'habileté politique par les thuriféraires du couple Hollande/Valls. Et on les rapproche d'un Tony Blair ou d'un Gerhard Schröder. Petite nuance: on peut penser ce qu'on veut de ces deux "modernisateurs" de la Gauche Européenne, il n'empêche que l'un et l'autre ont annoncé la couleur avant de concourir aux suffrages des militants de leurs partis, puis des électeurs. Valls, pour sa part, a été vitrifié aux primaires de la gauche, tandis que Hollande n'a pas mentionné l'ombre d'un commencement de son "pacte" à la noix lorsqu'il était en campagne: bref, Blair et Schröder ont fait de la politique, Hollande et Valls font du bricolage, faussement soutenus par un P.S. qui n'en peut mais et mitonne ses "états généraux" dans une indifférence tout aussi générale. En face, "triangulée" à mort, la droite se complait dans une pathétique bagarre d'egos, où la médiocrité le dispute au cynisme. A côté, le F.N. se nourrit de cette pourriture ambiante, avançant ses "solutions" dont on ne saurait dire si elles sont plus bêtes que méchantes.
Cinq ans de Sarkozysme - la pensée brouillonne travestie en volontarisme - et vingt-sept mois de Hollandisme - le renoncement face à tous les lobbies déguisé en pragmatisme - sur fond de crise et de chômage, et nous voilà, tels les personnages de "Gravity", confrontés à un vide mortifère, celui de la pensée politique. La centralité actuelle d'une Marine Le Pen en est d'ailleurs le symptôme le plus flagrant, car il faut que ses électeurs le sachent: si leur candidate accède un jour au pouvoir, il ne faudra pas longtemps avant que, tout comme les électeurs de Hollande voire davantage, ils ne se sentent profondément et durablement cocus. Ce n'est pas un pari, c'est une certitude.

Insondable vacuité que celle du pouvoir et de l'appétit de pouvoir tels qu'il nous sont montrés, en ce crépuscule de la cinquième république. De Gaulle, avec sa "politique de la chaise vide", faisait de la politique. Son lointain successeur trône sur le vide, le vide de la chaise politique.

A bientôt

jeudi 5 juin 2014

Préserver l'hexagonalitude

Les lois de décentralisation de 1982 furent, à l'époque, qualifiées de "grand affaire du septennat". Rien que ça. Il est vrai que la victoire de Mitterrand en 1981 devait beaucoup à un refus, largement partagé après Mai 68, du jacobinisme gaullien, fût-il revisité par Giscard. Au bout du compte, cependant, plutôt qu'à l'émergence de robustes et autonomes entités régionales, à l'image des Länder allemands, on assista à une montée en puissance des départements qui fit le
bonheur, entre autres, des publicitaires: il était en effet impensable que chacune de ces entités ne disposât pas d'une "identité visuelle", d'une "stratégie de communication" en lien avec son "positionnement de marque". Anecdotique? Pas forcément, tant était cruciale la nécessité d'encourager un sentiment d'appartenance chez le citoyen lambda. Car "se sentir" de la Saône-et-Loire plutôt que de la Côte d'Or, du Haut- plutôt que du Bas-Rhin, des Côtes d'Armor plutôt que de l'Ile-et-Vilaine, voilà qui était juste et bon. Et vas-y que je te crée des logos, des campagnes de pub à tours de bras, en avant la "différenciation" du 11 (Aude) vis-à-vis du 81 (Tarn), chacun ses Cathares.
Car l'essentiel était qu'à aucun moment ne fût sérieusement contestée la seule, la vraie "identité" qui soit, celle qui embrasse dans un même mouvement "le Sacre de Reims et la Fête de la Fédération" (pour reprendre les mots célèbres de l'historien Marc Bloch) mais aussi Philippe Auguste et Christine Boutin, Victor Hugo et Gérard De Villiers, Claude Debussy et Mireille Mathieu: l'identité nationale, une et indivisible.
C'est bien pourquoi la "grande affaire" du premier septennat de François Mitterrand se garda bien de renforcer sérieusement le rôle des régions. C'est bien pourquoi, également, fut écartée d'un revers de main l'idée d'une reconstitution de la Bretagne historique - le retour de Nantes en son sein. "Historique" sans être pour autant antédiluvienne, puisque la séparation de Nantes de la Bretagne date du régime de Vichy, mais qu'à cela ne tienne: la Bretagne sans Nantes ferait moins la fière, Nantes hors de la Bretagne ferait une "capitale" acceptable pour les "Pays de la Loire", une invention de la Quatrième République.
Trente-deux ans plus tard, un gouvernement socialiste français entend de nouveau rebattre les cartes territoriales. Autre époque, il ne s'agit plus de "changer la vie" mais tout simplement de faire des économies. Et donc - ta-daa! - de faire disparaître les départements, dont on a fini par réaliser qu'en plus des cantons, des communes, des communautés de communes, des régions et de l'Etat, ça faisait un peu beaucoup - le millefeuilles, on appelle ça. Les temps ont changé mais les fondamentaux restent les mêmes: dans un grand effort de simplification et de "rationalisation" de l'action publique, on réalise, dans la foulée, que vingt-deux régions, c'est beaucoup, qu'il faut "clusteriser" ce merdier. Moins de régions, donc, mais plus grandes. Alors, du coup, Nantes en Bretagne, par exemple? Et bien non. Car pas question de remettre en cause les régions existantes: Pays de la Loire il y a, Pays de la Loire il y aura. Les contours des régions sont non-négociables, circulez, y a rien à voir.

Alors on explique ici et là que tout ça a été fait sur un coin de table de l'Elysée, sans concertation aucune, qu'il s'agissait de ménager à la fois la chèvre (Ségolène Royal, présidente de Poitou-Charentes) et le chou (Jacques Auxiette, président des Pays de la Loire) et, d'une façon générale, de ne pas brusquer les présidents de région, tous socialistes ou presque. Ca a du peser, c'est sûr, et comment ne pas le comprendre: "pacte de responsabilité" aidant, les élus socialistes se ramassent râteau sur râteau. Les élus municipaux, c'est fait; le corps des députés européens a été décimé, ça aussi, c'est fait; reste encore à liquider les conseillers généraux, amenés à disparaître avec les départements, justement. Dans ce contexte de "restructuration" tous azimuths, préserver, au contraire, l'espèce en danger des présidents de région socialistes, c'est une louable intention qu'il convient de souligner.
Mais ces enjeux de politique politicienne ne sont rien en regard de l'essentiel: garantir "l'unité de la nation", comme l'a véhémentement souligné le Premier Ministre Manuel Valls. Et donc tirer un trait définitif sur une vraie régionalisation, c'est-à-dire une régionalisation qui s'appuierait sur des identités historiques, culturelles, voire linguistiques susceptibles de relativiser la sacro-sainte hexagonalitude. Et donc Nantes en Bretagne, pas de ça, Lisette.

Les responsables actuels de l'Etat français, comme leurs prédécesseurs et sans aucun doute leurs successeurs, ont la trouille. La trouille que progressivement, parce que l'action publique serait ici un peu plus bretonne, là-bas un peu plus bourguignonne, occitane ou alsacienne, les citoyens de la troisième puissance nucléaire mondiale se sentiraient moins Français. C'est-à-dire indéfectiblement unis et égaux. Ah, l'égalité, l'argument suprême. Peu importe que les promotions de l'ENA comptent moins de fils d'ouvriers que les régiments de paras ne comptent de gauchistes, peu importe que les uns se gavent de stock-options tandis que les autres chassent les promos chez Lidl: la République est perfectible, certes, mais l'idée qu'elle se fait d'elle-même est tellement belle, ça serait trop dommage de s'arrêter à sa réalité.
Alors à la poubelle, les singularité régionales, ça, c'est bon pour les autres: le Premier Ministre, en meeting politique à Barcelone, s'exprime en Catalan. Mais il ne lui viendrait pas à l'idée d'en faire autant à Perpignan. D'abord parce que ça fait des lustres que la République a fait tout ce qu'il fallait pour que meure cette langue de péquenots. Ensuite parce que quand bien même il se trouverait  suffisamment de Perpignanais parlant Catalan dans un meeting du PS, l'idée même de l'unité française serait compromise s'il prenait l'envie à Manuel Valls de s'exprimer autrement qu'en Français, en deçà des Pyrénées. L'unité espagnole, hein, par contre, on s'en fout: elle est tellement moins nécessaire à l'humanité.

Mais le truc c'est que, crise économique et sociale aidant, l'unité française au prix de la crispation jacobine - nonobstant le bruit que fait Jean-Luc Mélenchon avec sa bouche - n'est d'ores et déjà plus un thème politique légitime pour la gauche, ni même pour la droite parlementaire. A ce petit jeu, d'autres, suivez mon regard, font bien mieux, car ils donnent à l'"identité française" un contenu plus tangible que "le Sacre de Reims et la Fête de la Fédération": un Français doit avoir la peau blanche et bouffer son Dieu le dimanche, plutôt que de s'accroupir devant Lui cinq fois par jour.

François Hollande et Manuel Valls, par atavisme politique, ne veulent pas d'une Bretagne forte. Ils préfèrent se raconter l'histoire de la République une et indivisible. Et "compétitive", cela va de soi. Les illusions, c'est tout ce qui reste quand la réalité sent la merde.

A wech all




mercredi 28 mai 2014

Comme en Quatorze

"Adieu, vieille Europe, que le Diable t'emporte", un truc que chantaient naguère, de leurs mâles voix aux accents-pas-d'ici, les soldats de la Légion Etrangère.

Piétinée, envoyée au "Diable", l'idée d'unir le destin de peuples qui ont passé la quasi-totalité de leur Histoire à s'étriper joyeusement. Un peu partout sur le continent, mais singulièrement en France,
où triomphe depuis dimanche dernier un Front National qui va envoyer vingt-quatre de ses neuneus au Parlement de Strasbourg. Un Parlement qu'ils abhorrent en tant que tel - l'embryon d'une démocratie fédérale, quelle horreur, pensez donc - mais qu'ils comptent, c'est promis, user comme d'un cheval de Troie, s'alliant avec leurs homologues hongrois, danois, autrichiens... Une alliance d'Européens pour, justement, saboter l'idée même d'alliance d'Européens, un peu comme une fête des voisins dont l'objectif serait que chacun se claquemure au plus vite dans son appartement.
Car ces gens-là partagent, outre l'obsession de l'immigration, une idée simple: hors du cadre national, point de salut. Les nations, c'est bien, les nations c'est "l'identité", clament-ils haut et fort.
Alors premier constat: l'une des choses les plus sidérantes dans les résultats de ces élections européennes, c'est que ce retour de flamme nationaliste coïncide avec le centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale. Dix millions de morts, trois millions de veuves, six millions d'orphelins, des millions d'estropiés et de "gueules cassées" et les germes semés çà et là pour le déclenchement de la suivante, car on n'avait pas encore vu le plus beau. Et que trouve t'on, comme idée-force, aux sources de cette catastrophe? Le patriotisme, sous toutes ses formes, de l'arrogance impériale austro-hongroise à "l'esprit de revanche" français, en passant par la paranoïa militariste du jeune empire allemand, sans oublier les ambitions russes, l'inconscience serbe et le sentiment de toute-puissance des britanniques. Les nationalismes ont, en Europe, envoyé les foules au tombeau. On pensait être vaccinés, et bien non: c'est une formation xénophobe, cocardière, tricolore jusqu'à l'écoeurement, lointaine héritière du boulangisme, des anti-dreyfusards et du pétainisme, qui vient de récolter les suffrages d'un quart des électeurs français.

Les électeurs français, tiens, parlons-en. Il se trouve que 57% d'entre eux se sont trouvé d'excellentes raisons pour ne pas aller voter le 25 Mai - j'en connais, nous en connaissons tous. Alors on peut disserter à l'envi sur les motivations des électeurs de Marine Le Pen et arriver, comme votre serviteur, à la conclusion que contrairement à ce qu'on nous assène depuis des années, il s'agit bien d'un vote de conviction et non de "protestation" ou de "colère". Mais ce n'est pas forcément ce qu'il y a de plus grave dans cette histoire. Les plus cons, en l'occurrence, ne sont pas ceux qui apportent leurs suffrages à Marine Le Pen et ses séides: ce sont ceux qui, par leur silence électoral, permettent à ce vote de glaner des victoires, faute de combattants dans le(s) camp(s) d'en face. Aucune excuse à cette connerie-là, encore moins qu'à celle qui consiste à glisser un bulletin "bleu marine" dans l'urne. Car il faut en tenir une sacrée couche pour ne pas avoir vu venir ce bazar: sondages largement relayés et commentés, élections municipales en Mars, on ne peut pas dire que personne n'avait été prévenu. Car il faut vraiment avoir du jeu dans la direction pour imaginer que l'abstention ait un quelconque sens politique: le gouvernement PS me déçoit, les dirigeants de l'UMP sont un ramassis de vauriens, Borloo est malade et Bayrou me fatigue, les Verts sont illisibles, l'extrême-gauche est divisée et impuissante... alors je boude, na? Ce désintérêt, c'est du consumérisme: l'assortiment du magasin ne me plait pas, je me suis trop fait avoir avec des promos alléchantes, alors aujourd'hui je n'achète pas. Comme si on attendait du monde politique ce que précisément on peut lui reprocher: la séduction, le racolage, une relation à l'électeur marquée du sceau de la transaction, du marchandage - un clientélisme à l'échelle nationale - faute de quoi on ira voir ailleurs et, en définitive, nulle part. C'est une tarte à la crème, mais tant pis: chaque jour, dans le monde, des gens sont emprisonnés, torturés ou tués parce qu'ils rêvent à voix haute de pouvoir un jour choisir leurs dirigeants. Alors cette désinvolture de nantis a quelque chose de franchement indécent.
Deuxième constat: on nous bassine désormais avec un "désaveu de la classe politique" qu'illustreraient l'abstention et le "vote extrême". Il est vrai que ladite "classe politique" en fait des wagons, faisant trop souvent preuve d'un aveuglement proprement stupéfiant. Mais au final, en démocratie, on a la "classe politique" qu'on mérite. En l'espèce, la plupart des électeurs français ont bien mérité le triomphe de Marine Le Pen: je veux parler des 57% d'abstentionnistes qui ont tous les droits, sauf celui de geindre et/ou de nous faire le coup de l'anti-fascisme et du "sursaut citoyen".

Cette victoire du Front National en France n'en demeure pas moins la conséquence logique d'une construction européenne menée sans Européens, dans tous les sens du terme: je veux parler des peuples, bien sûr, dont on désavoue les choix quand ils ne "collent pas au plan" (cf. le retour par la fenêtre d'un Traité Constitutionnel évacué par la porte), mais également des dirigeants, dont la fibre européenne est le plus souvent fonction de leurs intérêts nationaux (voir l'enthousiasme immuable des Présidents français, de De Gaulle à Hollande, pour la Politique Agricole Commune). Car contrairement à ce qu'affirme la langue de bois Lepéniste, le vrai pouvoir européen n'est pas "à Bruxelles" (la Commission) mais au sein du Conseil Européen (les chefs d'état et de gouvernement). Conséquence logique, également, bien sûr, des ravages d'un néolibéralisme conjugué à un monétarisme obtus. Mais conséquence logique, surtout, d'un scrutin totalement inepte, aux modes divers, désynchronisé, qui transforme un exercice démocratique unique en son genre en une somme de petits scrutins locaux totalement désinvestis.
Troisième et dernier constat (pour aujourd'hui): Marine Le Pen a raison sur un point, le projet européen est bien a priori un projet "post-national", et je fais partie de ceux qui s'en réjouissent. Mais que ce soit sur le plan des institutions (la domination d'acteurs obnubilés par leurs agendas nationaux), de la pensée économique (la concurrence de tous contre tous) ou des modalités de l'élection du Parlement (28 élections nationales qui prennent l'allure de "sondages grandeur nature"), tout se passe comme si la construction européenne se ramenait à une gigantesque et spectaculaire mise en scène des rivalités et des égoïsmes de nations par ailleurs irrémédiablement vouées à l'impuissance, quoiqu'on en dise, prises isolément.

"Adieu, vieille Europe, que le Diable t'emporte", commençait la chanson... Mais elle continuait par: "Adieu, vieux pays, pour le ciel si brûlant de l'Algérie". Eh oui, à l'époque, les légionnaires partaient faire de la "pacification" dans les djebels.
Et envoyer, de nos jours, l'Europe au Diable, comme viennent de le faire 10 pour cent  des électeurs français avec la complicité de 57 autres pour cent, c'est un peu la même chose: c'est s'embarquer, au nom de "la patrie", pour des combats pas bien nets. Mais nul doute qu'on cherchera désormais à nous faire croire que le nationalisme, c'est tendance. Comme en quatorze.

Auf wiedersehen, Genossen

jeudi 24 avril 2014

Sunday, Bloody Sunday

De 100 à 95.9. C'est, en indice, l'évolution du chiffre d'affaires des grandes surfaces alimentaires entre 2010 et 2013 (source: INSEE, cité dans un rapport de la DGCCRF, Panorama de la Grande Distribution Alimentaire en France, Février 2014). Badaboum: en clair, après des années de croissance sans  interruption (même indice en 2004: 89.9) - malgré un léger tassement consécutif à la crise de 2008 - le business des Carrefour, Leclerc, Intermarché et consorts ne va pas pour le mieux. En cause, toujours selon l'INSEE, une baisse du pouvoir d'achat des ménages (sans blague?), proportionnellement moins de dépenses consacrées à l'alimentaire et le développement de circuits de distribution alternatifs (vente en ligne, voire commerce de proximité...).
A partir de là, on comprend mieux le développement récent du "débat" sur l'ouverture des magasins le dimanche.

Première vague, il y a quelques mois: les grandes surfaces de bricolage. Confronté à  des distorsions entre enseignes engendré par de un ces fatras réglementaires dont la France a le secret, le gouvernement lâche du lest et simplifie le bazar: le 8 Mars de cette année, un décret au Journal Officiel autorise l'ouverture des magasins de bricolage le dimanche. Deuxième vague, ce week-end: Laurent Fabius, ajoutant désormais le Tourisme aux Affaires Etrangères, fait part de sa position en faveur de la généralisation de l'ouverture dominicale, au motif de développer le tourisme en France. Remarque qui se veut définitive: "ll y a une certitude, c'est que le touriste qui vient le dimanche et qui trouve un magasin fermé ne va pas revenir le jeudi".
Reprenons.
Pour ce qui est des grandes surfaces de bricolage, on a à bon droit invoqué l'équité (pourquoi certaines enseignes ou régions, et pas d'autres?) pour justifier le décret de Mars dernier. Mais pas seulement. On a entendu également deux arguments soi-disant massues:
  1. Ca va créer des emplois
  2. Ca correspond à une demande des consommateurs
Pour le second, en l'occurrence, on nous a expliqué que, voyez-vous, le bricoleur, et bien c'est surtout le dimanche qu'il bricole. Du coup, c'est le dimanche qu'il a envie d'acheter une nouvelle perceuse ou juste quelques mèches, des clous, ou un truc quelconque qui lui manque justement, là, quand il a envie de bricoler, le bricoleur. Et là, crotte de crotte, la peste soit des législateurs, il est fermé, le magasin.
Laurent Fabius ne nous dit pas autre chose à propos des touristes. C'est un peu plus capillo-tracté, nonobstant sa calvitie, mais c'est la même rengaine: le touriste, contrairement aux apparences, ne vient pas visiter la France pour se détendre, aller à la plage ou en montagne, ou bien visiter des monuments, se cultiver dans un musée. Que nenni: il vient pour ACHETER. Et donc prenez un Chinois qui s'est tapé douze ou quinze heures d'avion pour atterrir un samedi, mettons à Toulouse, et bien le dimanche il n'a qu'une envie: aller faire des courses au "Carrefour" de Portet-sur-Garonne ou dans un "Gap" de centre-ville. Et là, flûte de flûte, pas possible, c'est fermé. Furieux, il reprend le premier avion dès le lundi.

Le premier argument, celui des emplois, devrait être a priori plus recevable: un jour d'ouverture en plus, c'est des besoins en main-d'oeuvre supplémentaires donc hop, des jobs. On a même entendu un chiffrage précis: "au moins 22 000 emplois à temps plein". Sauf que.
Sauf que toute création nette d'emplois par l'addition généralisée d'un jour d'ouverture par semaine suppose, en toute logique, une progression, nette également, du chiffre d'affaires de l'ensemble des commerces de détail. Accroissement lui-même soutenu par une croissance des dépenses des ménages hors logement, transports, énergie, équipements durables, donc, de fait, une progression du pouvoir d'achat desdits ménages. Or il sera difficile de faire croire à quiconque que les fameuses nouvelles créations d'emploi dans le commerce de détail vont, à elles seules, générer ce surcroît de pouvoir d'achat. Ne serait-ce que si on considère les salaires octroyés dans la distribution.

Derrière cette offensive au nom de la création d'emplois et de la satisfaction d'une demande, l'une et l'autre franchement hypothétiques, il y a une réalité triviale: la grande distribution est confrontée, on l'a vu, à une baisse sensible de son chiffre d'affaires. Or, lorsqu'on s'appelle Carrefour ou Auchan et qu'on entend enregistrer de la croissance (et, comme tout un chacun, engraisser ses actionnaires chaque  année un peu plus), il n'y a que deux solutions: soit augmenter le nombre des points de vente, soit augmenter le chiffre d'affaires par point de vente. La première solution est quasiment exclue, compte tenu de la saturation du territoire en termes de grandes surfaces commerciales. Reste la seconde qui demande, à nombre de jours d'ouverture constant, énormément d'imagination, d'investissements et, souvent, de temps (ré-agencement des magasins, diversification ou équilibrage de l'assortiment et, bien sûr, baisse des prix pour gagner sur les volumes) pour, au final, des gains relativement marginaux. Ouvrir un jour de plus, par contre, là c'est bingo, direct. Bingo, oui, mais pour Auchan, Leclerc, Carrefour, etc... pris individuellement. Car l'évolution du pouvoir d'achat étant ce qu'elle est, l'ouverture le dimanche opérera un déplacement dans le temps et l'espace du chiffre d'affaires de l'ensemble des acteurs, pas son accroissement net.
Autrement dit: chaque enseigne espère, dans son coin, faire mieux que les petits copains sur le nouveau "segment" du dimanche, qui par sa politique de prix et d'assortiment, qui par ses implantations dans des zones de chalandise plus profitables. Et donc accroître sa part d'un gâteau qui, au mieux, gardera la même taille. Au passage, ce jour d'ouverture supplémentaire accroîtra le rendement des actifs des distributeurs (immobilier, terrains), ce qui leur permettra d'afficher de meilleurs ratios de gestion. Et donc de ravir leurs banquiers.
Et le collectif, dans tout ça? Pas grand-chose sinon, bien sûr, un jour supplémentaire par semaine durant lequel circuleront camions et camionnettes de livraison, un jour supplémentaire durant lequel seront amenés à travailler les fournisseurs des distributeurs (sur la base du "volontariat", n'en doutons pas) - le tout, là encore, dans la perspective de conquête de parts de marché, un jeu à somme nulle. Enfin, un jour supplémentaire pour consommer ou travailler, plutôt que s'amuser, réfléchir ou échanger entre humains.

Par ailleurs: lorsque le gouvernement français a baissé sa culotte devant les vociférations des "bonnets rouges" (voir ici-même) on a cru y déceler le terme d'un affrontement entre des "technocrates parisiens" et des petits transporteurs, des artisans et des paysans, bref une "Bretagne qui se lève tôt". On aurait dû plutôt y voir le triomphe d'un "business model" cher à la grande distribution: exiger des fournisseurs, pour pas un rond, de se faire livrer n'importe quoi, n'importe où, et le plus vite possible. Forcément, seul le transport routier permet ce genre de gymnastique. Et forcément, le fournisseur en question et son transporteur, l'"écotaxe", ils sont contre: ils brûlent des portiques, bien obligés. Mais contester ensemble les exigences exorbitantes de "m'sieu not' bon maître", Michel-Edouard Leclerc ou un autre, non mais ça va pas, la tête?

Enterrement de l'"écotaxe", ouverture des magasins le dimanche: les épiciers en rêvaient, la droite  aurait à peine osé, la gauche l'a fait. Elle est pas belle, la vie?

A bientôt

A lire également, pour ceux qui ont manqué le début:
Si rien ne bouge - Février 2008

mardi 15 avril 2014

Marine Le Pen, nouvelle crème franco-russe

Se construire une stature internationale, lorsqu'on fait de la politique, ça prend généralement des années. Surtout si on est dans l'opposition, et de façon durable a priori - par exemple lorsqu'on porte l'étendard d'un mouvement comme le Front National français. Il faut, comme on dit, "se créer des opportunités" et faire parler de soi. Pas facile. Quelquefois ça tourne en eau de boudin, Marine Le Pen ne fut pas reçue à bras ouverts en Israël et ce voyage fut, il faut bien le dire, un bide monstrueux. Mais bon, Israël, hein, en même temps, c'était peut-être pousser un petit peu mémé dans les orties, à ce stade encore prématuré de la fameuse "dé-diabolisation"  du Front National. Qu'à cela ne tienne, le monde est vaste, après tout Israël c'est beaucoup d'Histoire mais bien peu de Géographie, si on regarde bien.
Alors est-ce l'appel des grands espaces qui a amené Marine Le Pen à se rendre pour la deuxième fois ce week-end à Moscou, capitale du plus grand pays du monde? C'est possible, mais on peut douter que l'agoraphilie soit la seule motivation de ce voyage, qui a pris des allures de "déplacement officiel", avec l'occasion qui a été donnée à la présidente du F.N. de rencontrer le président de la Douma, la chambre basse de la Fédération de Russie.
La Russie, ces temps-ci, il n'aura échappé à personne qu'elle fait un poil figure de va-t-en-guerre, non seulement aux yeux des diplomates mais aussi à ceux de la plupart des éditorialistes. Cependant cette mise au pilori d'une "volonté de puissance" qui vient étouffer les aspirations "démocratiques" de la (relativement) petite Ukraine manque, c'est certain, parfois de nuances et, surtout, de lucidité. Cette condamnation de la Russie oublie parfois la désinvolture avec laquelle les occidentaux ont amputé la Serbie du Kosovo - tout ça pour créer une sous-Albanie survivant sous perfusion internationale, carrefour de tous les trafics, tu parles d'un progrès - et par ailleurs peut faire l'impasse sur la question de savoir comment réagiraient les Etats-Unis s'il prenait l'envie au Mexique de se rapprocher du Venezuela ou de Cuba - remember La Grenade.
Il n'empêche que les agissements de la Russie il y a peu en Crimée et, plus récemment, à l'est de l'Ukraine, n'ont rien pour déclencher l'enthousiasme. A tout le moins, l'enthousiasme de ceux pour qui la ploutocratie autoritaire actuellement aux manettes à Moscou fait figure de repoussoir, dont votre serviteur.
Ben justement, c'est en partie ça, le trucLors d'une conférence de presse, Marine Le Pen a déclaré qu'elle s'opposait aux sanctions décidées par l'Union Européenne et les Etats-Unis à l'encontre de certains intérêts russes (et de certains Russes tout court, dont son hôte Serguei Narychkine), déplorant qu'"au sein" de l'Union Européenne une "guerre froide" ait été "déclarée" à la Russie, "ce qui nuit à nos relations". Le truc c'est en partie ça, car en se démarquant du quasi consensus au sein de la classe politique française sur l'attitude à adopter face à la diplomatie musclée de Poutine, Marine Le Pen se prouve, et prouve à ses électeurs actuels ou potentiels, qu'elle est différente.
Mais en partie seulement car il y a, dans ce "positionnement" quelque chose de plus profond qu'un simple démarquage de circonstance: le rejet viscéral d'un "Occident" - dans lequel est amalgamée la construction Européenne - auquel on oppose les "vraies nations", en premier lieu la France. En cela, elle est quasiment sur la même ligne qu'un Mélenchon (ou, naguère, un Chevènement) qui s'est récemment inquiété de l'arrivée au pouvoir de "fascistes" à Kiev. L'ennemi, à la fin des fins, c'est avant tout la démocratie libérale et son leadership américain (l'Europe, dans cette vision, n'en étant qu'un cache-sexe), et le déclin des "valeurs" dont son avènement est porteur.
Flash-back: il y a un peu plus de trente ans, les intellectuels de la "nouvelle droite" (Alain De Benoist, Guillaume Faye, et bien d'autres) avaient ouvertement prôné le rejet de l'"Occident" - davantage en faveur d'une vision européenne que nationale, notons-le - rompant bruyamment avec des décennies d'anti-soviétisme inconditionnel dans cette famille de pensée. Et au fondement de cette rupture radicale il y avait déjà (ou encore, c'est selon) la haine viscérale de deux "vices" originels, consubstantiels de l'"idée occidentale": le cosmopolitisme et "l'égalitarisme judéo-chrétien". Partant, l'Union Soviétique, dans sa version "sécularisée" (stalinienne notamment) - et accessoirement agitée de pulsions antisémites -, faisait figure de contre-modèle salutaire. Dans cette mouvance, certains y voyaient même un "bastion de la race blanche" face à une Amérique irrémédiablement métissée.
Dès lors le tropisme pro-Russe d'une Marine Le Pen, d'une certaine façon, vient de loin. Et il serait un peu court de se contenter de rire de la puérilité de prises de position publiques "pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour, et bisque bisque rage". Notons tout de même que, dans son élan, Marine Le Pen se retrouve à défendre l'idée d'une fédéralisation de l'Ukraine, "solution logique" à ses yeux. Ah bon? Pourquoi ce qui serait "logique" là-bas serait-il impensable en France? Parce que l'Ukraine est un pays de seconde zone, parce que l'unité et l'indivisibilité comme dogme, ça ne vaut que pour la grande et belle nation française? Parce que l'"identité nationale" version Ukrainienne c'est un truc dangereux, contrairement à celle qu'il convient d'exalter en France? C'est ça le problème avec les nationalistes, d'où qu'ils soient: ils ont du mal avec le nationalisme des autres.
Mais passons: l'important, dans cette histoire, c'est que la présidente du Front National nous laisse entrevoir une vision du monde qui n'a rien d'anecdotique. Même si c'est encore un peu brouillon, Marine Le Pen, mine de rien, se construit véritablement une stature internationale. Qui l'amène à se rapprocher du régime Poutinien, dont on se demande s'il est davantage mafieux qu'impérialiste, ou bien l'inverse.
Moins glamour que la lutte pour la "justice sociale" et contre le "capitalisme sauvage", moins porteuse que la "défense de la laïcité" à la sauce anti-musulmane, la politique internationale façon Marine Le Pen commence néanmoins à prendre forme. On le dit à ses électeurs, ou on garde ça pour nous?

Ciao, belli.


mardi 1 avril 2014

Le syndrome SONY

Etrange visuel que nous laisse à voir la campagne de SONY pour le dernier-né de sa gamme de "smart phones" Xperia. "Ose comparer", nous somme la marque japonaise, espérant de fait nous amener à "changer".  Mais comparer à quoi, pour changer par rapport à quoi? L'image est sans ambiguïté: fond blanc, police de caractère, mise en scène du produit, tout rappelle le style d'APPLE. Tout porte à croire que SONY, qui naguère fut un "game changer" dans l'industrie de l'électronique grand-public, a désormais renoncé à toute ambition novatrice. En matière de design, avec ce modèle "compact", il tire un trait de surcroît sur ce qui pouvait faire la spécificité de son offre - un écran long, une forme effilée. Bref, cette campagne nous suggère que le nouveau SONY Xperia, c'est un truc qui ressemble à s'y méprendre à l' iPhone 4 ou 5, mais en moins cher. Sic transit gloria mundi.
Au moins, cependant, la marque SONY annonce-t-elle la couleur: pas question de jouer les malins et d'essayer de faire les choses différemment. Dès lors le "I change" n'est qu'une figure de style, une contradiction assumée en tant que telle, un clin d'oeil cynique de publicitaire - "Changer? Même pas dans tes rêves, au fond..."
C'est parce qu'ils n'auront pas eu cette honnêteté que François Hollande et le Parti Socialiste se sont pris la dérouillée que l'on sait aux élections municipales. "Le changement, c'est maintenant", de fait le "maintenant" faisait référence très exactement au 6 Mai 2012, quand Nicolas Sarkozy, a.k.a. Paul Bismuth, a été renvoyé à ses mises en examen potentielles, et ses affidés à leurs batailles d'ego, sur fond de vide intersidéral de leur pensée politique. Avec l'élection de François Hollande, les Français ont troqué la surexcitation et l'outrance verbale contre la pusillanimité et la componction. Pour le reste... Pour le reste, il n'a pas fallu longtemps avant que le nouveau pouvoir ne se range à une forme de fatalisme, prenant soin de n'offenser aucun lobby, des députés et sénateurs cumulards aux pollueurs, des banquiers aux grandes surfaces de bricolage, des fonctionnaires de Bercy aux "entrepreneurs", des médecins aux chauffeurs de taxi, des défenseurs de "la famille" à ceux du moteur diesel. Le tout dans une cacophonie assourdissante émaillée de faits-divers pathétiques, "de Cahuzac en Leonarda" comme on dirait "de Charybde en Scylla".
Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est que le cadre national, en matière économique et sociale, est définitivement obsolète. L'essentiel est qu'on ne saurait mettre l'économie au service des humains, et non l'inverse, qu'à l'échelle de l'Europe. L'essentiel est qu'on ne saurait favoriser le dynamisme entrepreneurial qu'à l'échelle des régions ou des "territoires".  Le paradigme hexagonal, dans lequel sont enfermés les dirigeants socialistes - tout comme leurs opposants de droite, est un piège à cons: il les conduit tout naturellement aux compromis quant à leurs ambitions social-démocrates, sinon à des compromissions avec les lobbies bancaire et (grand-) patronal, eux aussi douillettement lovés dans leur cocon franchouillard - qu'on songe à l'ahurissante consanguinité des conseils d'administration des entreprises du CAC 40 - compromissions qu'on baptisera "pacte". A cet égard, les vociférations d'un Mélenchon ou d'une Le Pen contre "Bruxelles", loin d'être "hors-système", ne font que conforter ledit "système": les uns et les autres entretiennent l'illusion de la pertinence du cadre national, méprisant ouvertement tout ce qui est en deçà (le local, le régional) ou au delà (l'Europe) de ce cadre, c'est-à-dire méprisant les seuls espaces où la politique (économique et sociale) peut s'avérer crédible et durable.
Dès lors le seul vrai "changement" qui vaille ne saurait être un changement façon SONY Xperia, où le "me-too" est travesti en nouveauté et le renoncement en volontarisme. Le seul vrai "changement" qu'il serait important d'annoncer est que le schéma national et jacobin a fait son temps, que la pensée politique doit changer de braquet. Comme le chantait Renaud, "ça fait p't'être mal au bide, mais c'est bon pour la gueule", il faut arrêter de se raconter des histoires.

Mais je ne suis pas bien sûr que le remaniement gouvernemental en cours soit autre chose qu'un "I change" à la SONY. Un poisson d'Avril de mauvais goût.

See you, guys.


vendredi 7 février 2014

Vous avez dit "hystérique"?

Pathétique? Minable? Indéfendable? Suicidaire? Lâche? Méprisable? On cherche l'adjectif idéal pour qualifier la toute récente reculade du gouvernement français, encore une, renonçant à sa "grande loi sur la famille". Pas toujours facile de trouver les bons mots.
Une reculade façon Juin 40, tout ça parce que des dizaines de milliers de réacs ont cru bon de ressortir du placard les petites banderoles roses et bleues de leur "Manif' pour tous", agitant leur fantasme d'un gouvernement "familiphobe". Le tout, une semaine après qu'un conglomérat d'antisémites, de crypto-fascistes mêlés de "bonnets rouges" recyclés ou de quidams tout simplement malheureux de leur sort a cru bon, via Facebook, de défiler pour un improbable "jour de colère": deux événements marqués, bien qu'à des degrés différents, du sceau d'un grand n'importe quoi, deux événements qu'on peut raisonnablement qualifier de "fêtes du slip" tant leur vacuité et leur inanité dépassent l'entendement.
La "Manif' pour tous", donc, tombeuse d'un projet de loi tout ce qu'il y a de plus consensuel, à tout le moins peu susceptible de déclencher une guerre civile. Il y a que, programme du président Hollande oblige, il convient à tout prix de bâtir une "France apaisée".
On tente d'apaiser, donc, madame Ludovine de La Rochère, présidente de ladite manif'. En pure perte, car Ludovine est comme la Thérèse de la célèbre chanson: elle rit, quand on l'apaise. Remontée comme une pendule, la voilà qui, maintenant, exige que le Ministère de l'Education Nationale interrompe son expérimentation de l'"ABCD de l'égalité" dans les classes primaires. Tu parles d'un apaisement. Oignez vilain, il vous poindra... Mais bon, l'essentiel, visiblement, c'est que s'éloigne l'hydre d'un remake des manifs monstres de 1984 pour la "liberté de l'école". Il est vrai qu'une certaine France à loden vert et pompes à glands, proprement exaspérée par la loi Taubira sur le mariage et l'adoption par les homosexuels (si ce n'est par le simple fait que la gauche a gagné les élections), a pris goût aux manifestations. Quitte à s'inventer des raisons de manifester, l'important c'est de se serrer les coudes face à une société désespérément différente de celle du XVIIIème siècle, de promener les gosses dans un entre-soi de bon aloi, tout en goûtant aux frissons que procurent la foule, la banderole et le mégaphone.
Cela étant 1984 c'est loin, la croissance exponentielle de ce genre de manifs n'est qu'une hypothèse de travail. Alors comment, au gouvernement, justifier cette soudaine trouille, comment donner de la substance à cette stratégie "d'apaisement"? Pas toujours facile de trouver les bons mots. Mais à n'en pas douter, on s'est creusé la tête, en haut lieu. Et on a trouvé: le gouvernement fait le choix "raisonnable" de repousser son projet sine die ou presque, car il est à ce jour confronté à des mouvements d'opinion de nature hystérique. "Hystérique", le mot a été balancé par la porte-parole du gouvernement Najat Valaud-Belkacem puis repris en boucle par les uns et les autres, y compris par le Premier Ministre en personne. Un "élément de langage", comme on disait du temps de Sarkozy.
Pour le coup, nous voilà confrontés à un sacré paradoxe: le mot, malgré sa violence rhétorique ("nos opposants sont cinglés"), pourrait, en fait, participer (inconsciemment?) de ladite stratégie d' "apaisement". L'hystérie, comme son nom l'indique, désignait chez les Anciens une affection mentale dont on pensait qu'elle était due à un dérèglement de l'utérus. Le mot évoque aussi l'archaïque formule "tota mulier in utero" dont usèrent et abusèrent les médecins façon comédies de Molière. "Tota mulier in utero, en Latin ça signifie "les bonnes femmes, ça n'a rien dans le crâne"", suggérait Claire Brétécher.

"Hystérie", le mot est donc "chargé", comme on dit. Et chargé des pires préjugés sexistes, ce qui ne devrait pas manquer d'"interpeller" Ludovine et ses amis. Car tant qu'à se faire insulter, autant que ce soit sur un registre de langage dont on est familier. Qualifier d'"hystérique" Ludovine de La Rochère (dont les riches ovaires rôdent sur la dune?), c'est, mine de rien, faire allégeance à son univers mental. Un univers où il est "naturel" et donc souhaitable que les petites filles jouent à la poupée, les petits garçons à la guerre, tout comme il est "naturel" qu'une fois devenus grands ils s'abstiennent de faire des cabrioles avant le mariage. Un univers où il est bien normal que les femmes "hystériques" aient naguère été envoyées au bûcher par notre Sainte Mère l'Eglise, ou plus tard trépanées, comme Frances Farmer, par quelque médecin inévitablement de sexe masculin.

On aurait voulu se dédouaner, par le langage, des accusations "d'imposer la théorie du genre", qu'on ne s'y serait pas pris autrement. Pas toujours facile de trouver les bons mots mais, des fois, on y arrive, même sans le faire exprès.

Mais si on n'est pas membre du gouvernement et donc dispensé du "devoir d'apaiser" des gens qui de toute façon vous verraient volontiers pendus haut et court, on peut choisir des épithètes dénués de toute connotation sexiste pour qualifier le mouvement d'opinion "en faveur de la famille": manipulation ou bêtise, l'un n'excluant pas l'autre. Et clamer haut et fort que non, devenir ingénieur n'a rien à voir avec le fait de disposer de testicules, et que oui, ça s'appelle "réfléchir à la notion de genre", et qu'on vous emmerde, bande d'arriérés.

Car il ne faut rien leur lâcher, à ces crétins. Pas même les insultes qu'on leur adresse.

See you, guys.




lundi 27 janvier 2014

Sept Ans de Réflexions


Ce "post" constitue le 150ème d'une série qui a commencé un certain 27 Janvier 2007. Un anniversaire, donc, et l'occasion de revenir sur sept ans d'observation parfois goguenarde, mais toujours énervée, d'une actualité souvent aussi fugace que le souffle d'une rame de métro.
Sept ans, donc, et je vous propose quelques flashbacks parmi les 149 papiers que j'ai commis. Il y eut bien sûr, durant presque toutes ces années, l'omniprésence d'un omniprésident qui, il faut l'admettre, nous a quand même bien fait rigoler. Il y eut aussi la disparition (ou presque) d'un "machin" pour le moins obscène, le "Dakar", toponyme désignant désormais un truc en Amérique Latine, comme quoi "les cons, ça ose tout, et c'est même à ça qu'on les reconnaît" (Michel Audiard).
L'occasion nous a bien sûr été donnée de bouffer un peu de curés, en tout cas de ceux de la variété à poil ras. De pointer la tartuferie de nos démocraties dès lors que du pognon est en jeu, comme en Birmanie. Mais aussi, plus futilement, de "questionner" un tantinet les polémiques comme celle qui agita la Gôchedelagôche lorsqu'il prit l'envie à un parti trotskiste de présenter une candidate portant le hijab. Ou bien de désespérer une fois de plus de l'Europe, incapable de faire respecter ses principes fondateurs dans un pays travaillé par une clique fascistoïde, la Hongrie.
On s'est arrêté également sur la légère dérive opérée par un "Charlie-Hebdo" occupé à faire son beurre avec l'"islam-bashing". On a bien sûr raillé la droite "la plus bête du monde" qui pense se refaire une santé en soufflant sur les braises de la mémoire de l'Algérie... Et relevé le cocasse de sa campagne contre le "matraquage fiscal" lorsqu'elle se choisit un Depardieu comme martyr (martyr, c'est pour rire un peu). Ricanements, toujours, face au désarroi des apôtres du libre-échange quand les lasagne se mettent à hennir. Mais la gauche fut servie également, notamment à l'occasion de la débâcle bancaire à Chypre. Et puisqu'il a fallu, à un moment, assumer ma "bretonnitude", je vous ai dit tout le bien que je pensais des "bonnets rouges"
Sept ans de réflexions, donc, sept ans de petits bonheurs dont je n'oublie pas que je les dois tout d'abord à vous, mes lecteurs.
Alors un grand merci pour votre fidélité durant toutes ces années...
Et à bientôt, évidemment.


dimanche 19 janvier 2014

François Hollande, les Mots et les Choses

"Les mots nous éloignent-ils des choses?"... Joli sujet de philo terriblement d'actualité, si on y regarde bien.
François Hollande ce mardi, a usé lors d'une conférence de presse d'un certain nombre d'expressions dont les mots peuvent claquer comme des étendards, mais dont le lien avec les "choses" qu'ils sont censés désigner n'est pas évident. Vous me direz: c'est la définition même d'une abstraction - la liberté, l'égalité, la fraternité, euh... la sexualité casquée, etc... - et il n'est pas interdit à un(e) politique de faire usage d'abstractions dans son discours. C'est même une pratique assez fréquente. Cela étant, les préoccupations des citoyens sont marquées par les effets de la crise économique et sociale et devraient susciter, chez les dirigeants politiques, des discours a priori ancrés dans le concret, des "mots" renvoyant sans détours aux "choses". Mais paradoxalement, pour que les mots (et les "choses" qui vont avec) soient compréhensibles par le plus grand nombre - sinon de citoyens, du moins le plus grand nombre de journalistes politiques influents - ils convient qu'ils soient ramassés en une formule compacte, à la limite du slogan publicitaire. Et donc un peu creuse, voire inepte ("Mon contrat minceur").
On a donc découvert, lors de cette conférence de presse, le nouveau mantra du gouvernement socialiste quant à sa relation au monde de l'entreprise. Les "mots" sont: "Pacte de Responsabilité". Quant aux "choses": les entreprises, grâce à un ambitieux programme d'allègement de charges sociales (30 milliards d'Euros sur trois ans), vont davantage pouvoir investir et embaucher. Et donc, in fine, le chômage baissera. Notons qu'intervient ici une autre formule compacte, furieusement tendance: "La politique de l'offre", à savoir que la relance économique doit d'abord, voire exclusivement passer par la prospérité du plus grand nombre d'entreprises possibles. Et pour ce faire, autre empilage de "mots", il faut "restaurer leur compétitivité".
Reprenons, dans l'ordre. La "compétitivité" d'une entreprise, c'est sa capacité à être viable dans un environnement concurrentiel. Etre viable, c'est à dire vendre des produits ou services en dégageant suffisamment de profit pour payer ses salariés, ses fournisseurs, rémunérer ses actionnaires et investir pour garantir sa pérennité à moyen et long terme. Chaque année davantage, mieux, plus vite et avec plus d'efficience que ses concurrents. Voilà pour les "choses". Cela étant, les entreprises ne sont pas situées dans les limbes d'un monde parallèle et sont parties prenantes d'un truc qu'on appelle au choix "pays", "nation", "société", lui même éventuellement encastré dans une aire civilisationnelle comme l'Union Européenne, le tout marqué par l'Histoire. Du coup, de même que les individus, il a longtemps été admis qu'une partie des richesses qu'elles peuvent dégager doivent servir au bien commun - impôts, charges. Mais l'économie s'étant mondialisée depuis trente ans, des mots comme "environnement concurrentiel" renvoient désormais à des "choses" potentiellement multiformes, en tout cas toujours changeantes. Et, d'autres mots aidant, généralement anglais comme "business-friendly" ou "free trade", la notion de "compétitivité" s'est, lentement mais sûrement, de plus en plus opposée aux exigences de participation à la richesse commune. En tout cas dans le discours, implicite ou explicite, des représentants du monde patronal, épaulés par des armées de "penseurs", d'éditorialistes de tout poil, sans oublier certains politiques. Bref, "restaurer la compétitivité", ce sont des mots qui, s'ils nous rapprochent d'une chose concrète comme le profit, peuvent nous éloigner d'une autre, tout aussi concrète: l'enracinement local, national, régional des entreprises et leur capacité à "faire société" c'est-à-dire du lien humain, concrétisée par la part de leurs richesses qu'elles consacrent à des (infra-, super-) structures communes.
Alors lorsqu'on entend les mots "Pacte de Responsabilité" dans la bouche du Chef de l'Etat français, on se représente des "choses" comme, concrètement, une poignée de mains. Entre, par exemple, le Président de la République ou son Premier Ministre et Pierre Gattaz, président du Medef:
"Tope-là, mec. Maintenant on va tous se comporter en personnes responsables. Moi, l'Etat, je te soulage d'une partie des contributions au pot commun car je suis d'accord, c'était vraiment trop. Toi, de ton côté, tu n'oublies pas d'où tu viens et où tu vis, et tu investis, tu crées des emplois...
- Banco, depuis le temps que j'attendais ça, t'inquiète, bien sûr qu'on est responsables, on fera tout ce qui est possible pour améliorer l'emploi"
Sauf que non, les "choses", les vraies, n'ont pas grand-chose à voir avec ces "mots". Pas de poignée de mains mais un long, têtu travail d'influence de la part du syndicat patronal. Appelons-ça "communication", "lobbying", peu importe, en l'occurrence une avalanche d'autres mots pour saturer l'espace public d'une "vérité" indépassable: si les entreprises françaises embauchent peu ou pas assez, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Ce n'est pas parce que les banques supposées les épauler les laissent souvent dans la panade, tout occupées qu'elles sont à "investir" sur les marchés financiers, non non, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Ce n'est pas parce que leurs clients les paient parfois à 90, 120 voire 150 jours, non non, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Ce n'est pas parce que leur offre de produits ou de services est parfois mal pensée, mal fabriquée et mal vendue, non non, c'est parce qu'il y a trop de charges et d'impôts. Allégeons les charges et les impôts, tout ira mieux.
Message reçu cinq sur cinq au sommet de l'Etat. Seulement de "pacte", point. Pour faire un pacte, c'est comme pour l'amour ou la guerre, il faut être deux. Or il n'a pas fallu trop longtemps avant que des voix ne se fassent entendre, du côté du monde de l'entreprise, pour dire que "Oulà, attention, faut voir à voir, on ne peut s'engager sur rien". Le journal "les Echos", dès mercredi, expliquait même doctement que cet allègement de charges serait très vraisemblablement affecté, par la plupart des entreprises, à l'amélioration de leur trésorerie - ce qui ne devrait pas manquer d'enchanter leurs banquiers - "dans un premier temps", bien sûr...
Faudrait-il pour autant hurler à la trahison et pointer du doigt un manque criant de "responsabilité"? Même pas: le remplissage des carnets de commandes ne se décrète pas... En revanche on notera qu'en l'espèce la nouvelle "doctrine" présidentielle relève au mieux du fourrage de doigt dans l'oeil, au pire du foutage de gueule. Car ce fameux "socialisme de l'offre" (l'expression est de Laurent Joffrin du "Nouvel Obs", elle sonne à peu près aussi juste que "capitalisme du partage" ou "communisme de la liberté"), qu'on nous vend désormais comme la quintessence de la social-démocratie à la française, n'est rien d'autre que l'adhésion résignée au discours du lobby patronal. Franco-français, de surcroît. Embrasser ce discours, c'est se payer de mots - comme "Pacte de Responsabilité" - et ne pas voir que ces mots sont à des années-lumière de la réalité, c'est confondre le slogan d'un groupe d'intérêts particuliers (en gros, le CAC 40) avec un levier macro-économique.
Anecdote: quelques jours avant la conférence présidentielle, on apprenait que l'Etat allait "investir" rien moins qu'un milliard d'Euros pour "moderniser le Rafale". Car figurez-vous que le "meilleur avion de combat du monde" est obsolète: il n'est pas compatible avec les nouveaux systèmes d'armes développés par Thalès - entreprise dont Dassault est actionnaire à 29,55%. Il est sympa, le contribuable. Il "investit" dans une entreprise infoutue, depuis quarante ans, de développer les bons produits aux bons prix pour les bons marchés, par ailleurs dépassée par la technologie d'entreprises dont elle est partenaire. Pour quel "retour sur investissement"? Des emplois, ne serait-ce que sous la forme d'absence de licenciements? Combien, exactement? C'est difficile à dire, non? Ah putain c'est pas simple, le "socialisme de l'offre"... En tout cas, Dassault Aviation bénéficiera, comme les copains, de l'exonération des charges familiales. Nul doute que sa "compétitivité" en sera "restaurée"... A défaut de restaurer les neurones de ses dirigeants.
Alors, "les mots nous éloignent-ils des choses?". Ben oui, ça arrive assez souvent. Surtout lorsque ceux qui les prononcent s'éloignent de ceux qui, a priori, sont disposés à les écouter. Comme François Hollande avec les gens de gauche.

See you, guys


mercredi 8 janvier 2014

Dieudonné, ou l'intégration chez les dingues

Il fut un temps où Dieudonné faisait légitimement rire. Lorsqu'il Elie Semoun et lui jouaient les duettistes - souvenons-nous de cette affiche d'un de leurs spectacles que l'on croisait partout à Paris montrant l'un, Juif, habillé en SS et l'autre, Noir, portant les habits du "Klan", ah
ah, j'en pouffe encore - mais pas seulement: ses débuts en solo furent assez prometteurs et, quoiqu'il en soit, installaient l'artiste dans un paysage humoristique des plus ordinaires, j'entends par là: après Raymond Devos le Belge, Guy Bedos le Juif Pied-Noir et Coluche le Rital mais avant Jamel Debbouze le Marocain, Dieudonné s'apprêtait à devenir membre honorable d'une cohorte de "rigolos-pas-Français-pur-porc" réussissant l'exploit de faire s'esclaffer jusqu'au plus obtus des xénophobes "de souche". M'bala M'bala l'ancien Camerounais était bien parti pour bénéficier de cette "filière d'intégration accélérée", qui fait en France concurrence au football ou à l'Armée lorsqu'il s'agit de faire accepter une "différence visible" (et, du coup, la rendre invisible) par le plus grand nombre.
Cela jusqu'au jour où l'intéressé a littéralement pété un câble. Mis au pilori médiatique pour un sketch pas franchement drôle mettant en scène un rabbin faisant le salut nazi et criant "Isra-heil", Dieudonné s'est soudainement découvert une vocation. Puisque la presse était quasiment unanime à trouver ce sketch de mauvais aloi, c'est bien qu'une limite avait été franchie, qu'une transgression avait été commise. Si personne ou presque n'avait naguère bronché devant l'uniforme SS d'Elie Semoun, c'est sûrement parce que ce dernier est Juif et que selon une règle non-écrite, seul un Juif pourrait se permettre de déconner avec ce genre de symbole. Limites, règles, donc transgression, Dieudonné avait trouvé son truc. Jusque là, même si ça pouvait éventuellement tomber sous le coup de la loi ou susciter des procès, à la limite tout allait bien, le Dieudonné-2.0 aurait pu éventuellement susciter l'intérêt. Un humoriste au rire un peu borderline, mais un humoriste avant tout.
Seulement voilà: là où "Dieudo" a franchement pris du jeu dans la direction, c'est lorsque l'idée lui est venue d'habiller publiquement le tout d'un voile "politique" naviguant autour du thème des Juifs "banquiers-esclavagistes" et donc exploiteurs et suceurs du sang de ses ancêtres africains. Lorsque les critiques dont il a pu faire l'objet ont pris à ses yeux l'allure d'un "débat d'idées". Lorsqu'il a repris à son compte la fameuse antienne "pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour" et s'est découvert une attirance pour l'Iran d'Ahmadinedjad, la Syrie d'Assad ou le Hezbollah. Lorsqu'il s'est, last but not least,  auto-proclamé porte-parole d'une obscure minorité plus ou moins silencieuse, opprimée par les "médias sionistes" et présenté en tant que tel aux suffrages des électeurs.
De fait, il s'est trouvé un noyau dur d'inconditionnels mêlant antisémites "de souche" opportunément reconvertis en farouches défenseurs des Palestiniens et soi-disant musulmans issus de l'immigration arabo-africaine, les uns et les autres ayant en commun la haine du "sionisme". Un public qu'il a fallu satisfaire à coups de provocs, de dérapages sciemment construits, genre Faurisson en habits de déporté. Un public qui en redemande.
Passons sur l'énergie que déploie actuellement le gouvernement pour faire disparaître le vilain-pas-beau du paysage, acharnement que la Ligue des Droits de l'Homme considère très justement comme contre-productif: n'eût été la malencontreuse cabriole de Michael Schumacher sur les pentes de Méribel, Dieudonné serait en France le "people" le plus en vue du moment.
Et notons qu'il y a des signes qui ne trompent pas: cela fait maintenant plusieurs semaines que le "ravi" du Théâtre de la Main d'Or fait la "une" admirative de l'hebdomadaire Rivarol, journal qui, pour faire court, se situe quelque part entre la droite et l'extrême-droite du FN. C'est un signe car les rédacteurs de cet hebdo en connaissent un rayon côté "antisionisme" et savent à coup sûr distinguer un vrai bouffeur de Juifs, où qu'ils soient et quoi qu'ils fassent ou disent, d'un d'humaniste mou du genou simplement choqué par le sort fait aux Palestiniens. Dieudonné a passé le test avec succès, bon pour le service, le voilà désormais enrôlé du côté des pourfendeurs de l"Anti-France".
Mais ce "signe", en même temps, donne à penser.
D'une part, accessoirement, parce que "Rivarol" ne manqua pas, en d'autres temps, de dire tout le mal qu'il pensait de la décolonisation et tout le bien qu'il fallait penser du régime de l'apartheid en Afrique du Sud. Voilà, aujourd'hui, qu'il se met à encenser un Noir tout noir affublé d'un patronyme tout ce qu'il y a de plus post-colonial. Tout fout le camp, ma pauvre dame.
D'autre part, surtout, parce que comme le disait Desproges, on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui: faute de quoi ce ne sont pas seulement les limites de l'intelligence que l'on franchit mais aussi, potentiellement, celles qu'on fixe à l'image que l'on veut donner de soi. Naguère, un Dieudonné habillé en "Klansman" provoquait tout autant qu'un Semoun en SS, mais il était entendu que l'homme originaire du Cameroun ne portait pas davantage dans son coeur les Sudistes au crâne pointu que le Juif ne chérissait les défenseurs de la "race supérieure". Désormais, au vu de l'admiration qu'il suscite chez les excités de l'Occident hélléno-chrétien (sic), ce costume ne lui va rétrospectivement pas si mal.

Dieudonné M'bala M'bala a bien, tout compte fait, suivi une "filière d'intégration accélérée". Mais à un moment, il s'est gouré de porte. Le voilà intégré à une France rancie, aigrie, haineuse, paranoïaque. Il fut un temps où Dieudonné faisait légitimement rire. Mais à l'époque on ne savait pas que c'était avec un n'importe qui, qui finirait par faire n'importe quoi.

Bonne année à tous, cela étant.