lundi 5 octobre 2015

Défroqué Pride

Horreur et putréfaction! Abomination de la désolation! Un haut dignitaire religieux polonais vient de faire son « coming out » - il est homosexuel et vit avec un homme depuis des années. Ni une, ni deux, le Vatican entreprend d’éjecter la brebis galeuse vite fait bien fait de son troupeau. Satan l’habite, sors de ce corps, Elton John!

Certes, les histoires de curés à la soutane entre les dents sont aussi vieilles que l’instauration du célibat des prêtres, et les cas de défroqués sont légion, si on considère l’histoire de l’Eglise romaine depuis ses origines. Mais on ne peut s’empêcher de déceler de l’inédit dans cet événement.
Le personnage, tout d’abord. Mgr Krzysztof Olaf Charamsa fait partie depuis un moment de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, autrefois dénommée le Saint-Office, une entité qui descend en droite ligne de la « Sainte Inquisition ». L’homme nous avoue aujourd’hui que bon, il y était mal dans ses pompes, tant y fleurit l’homophobie… Sans blague? Un peu comme si un Juif allemand, en Mai 1945, avait publiquement déclaré:« Pfou, toutes ces années passées au parti national-socialiste, j’vous jure, c’était pas facile tous les jours, pas mécontent que ça s’arrête… ».

Le contexte, ensuite: l’histoire se passe en Pologne, contrée qui est au catholicisme ce que la Silicon Valley est à la technologie numérique. En Suisse, en France, aux Pays-Bas ou en Allemagne, pays depuis longtemps travaillés par le mécréance ou, pire, par le protestantisme, passe encore, mais en Pologne, tout de même…

Le moment, enfin: ce « coming out » survient juste avant l’ouverture d’un synode convoqué par le pape François sur les questions de la famille. On sait ledit pape partisan d’une évolution des positions de l’Eglise sur les questions « sociétales » - possibilité de  mariage religieux pour les divorcés, par exemple - hypothèse d’évolution que les fractions les plus conservatrices de l’Eglise romaine réfutent avec acharnement. Alors cette histoire survient comme une mouche chez un crémier, elle risque d’entamer la sérénité des débats, comme on dit. La question c’est: à qui profite le « crime »? Aux conservateurs, qui pourront dire: « Voyez, même l’Eglise polonaise part en sucette, tout fout le camp, il est temps de remettre de l’ordre »? Ou aux autres, qui pourraient arguer que cette affaire remet à tout le moins la question du célibat des prêtres sur le tapis - sinon celle de « l’amour contre nature »? C'est apparemment la seconde option qui a la préférence de l'intéressé: «Je souhaite que le synode affronte la question des fidèles gays et de leurs familles. Si j’ai décidé de parler maintenant, c’est parce que je craignais que ce ne soit pas le cas. La question avait disparu de toutes les déclarations officielles.» Dont acte.



De l’inédit, donc. Cela étant, cet événement nous renvoie également à deux considérations qui n’ont rien de nouveau:
  • La première, c’est une confirmation de l’historique et universelle imbrication du fait religieux et du mensonge. Krzysztof Olaf Charamsa  dans son « coming out », se pose en victime: il a souffert, toutes ces longues années, de ne pouvoir affirmer à la face du monde la vérité de sa vie. Soit. Mais bon, pourquoi n’a t-il pas démissionné de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, lieu entre tous de l’intolérance obtuse au sein de l’Eglise catholique? Pour la gamelle? Parce que le « job » était prestigieux? Il y a entendu nombre de propos homophobes, déclare-t’il. Mais qui nous dit qu’il n’en a pas lui-même tenu, histoire de donner le change? Au mieux, Krzysztof Olaf Charamsa est une version catholique-romaine du dédoublement de personnalité - Docteur « J’encule » et Mister « Aïe » - au pire, ce monsieur est un hypocrite de dimension pyramidale
  • La seconde, c’est ce que cette histoire nous dit de la façon dont les autorités catholiques distinguent ce qui est moralement intolérable de ce qui l’est moins. Durant très longtemps, des évêques de par le monde ont systématiquement couvert les prêtres pédophiles - avec l’assentiment implicite du Vatican, jusqu’à très récemment. Combien de temps s’est-il passé avant que les salopards qui ont bousillé des gosses pour le restant de leur vie ne soient officiellement et publiquement réprouvés par l’Eglise? Des décennies! Ici, en moins de vingt-quatre heures, le compte de Krzysztof Olaf Charamsa est réglé. D’un côté une violence exercée sur des enfants, de l’autre une relation consentie entre adultes. Au final, pour les autorités de l’Eglise catholique, il aura été à l’évidence plus urgent de traiter la seconde que la première


Ce « coming out » serait somme toute un événement assez baroque s’il ne nous rappelait, au passage, l’absolue nécessité de tenir à bonne distance les tenants de la religion, de toutes les religions, lorsqu’ils entendent réguler moralement des sociétés entières. Quant à l’Eglise catholique elle devrait, en toute honnêteté, à son mantra « Jésus est Amour » ajouter « Encore que, faut voir ».

See you, guys