mardi 15 mars 2011

Retour triomphant d'un racisme sans chichis

Je navigue sur "Libération.fr" lorsque paf, mon regard est arrêté par une pub "en partenariat" avec la FNAC: "meilleures ventes romans", numéro un "Le Camp des Saints" de Jean Raspail.


Intéressant.

A vrai dire, j'ignorais que ce bouquin datant de presque quarante ans (1973) avait été réédité. Je me souviens de l'avoir lu quelques années après sa sortie et, petite recherche rapide, je m'aperçois que l'auteur s'est longuement expliqué de cette réédition dans le "Figaro Magazine" le mois dernier.
Ah, le "Camp des Saints". L'auteur le dit lui-même, sans cacher sa jubilation: un tel ouvrage est susceptible de lui valoir aujourd'hui les foudres de la justice car, pointe-t'il gravement en substance, il existe une "bien-pensance" qui interdit "au nom de l'anti-racisme" qu'un certain nombre de choses soient dites. La loi Gayssot, la HALDE, tout ça. Car ce roman n'est pas n'importe quel roman. Le site de la FNAC nous précise, dans son "prière d'insérer" en ligne: "(...) Certains ont été choqués par la façon dont la question était posée, d'autres, en France comme à l'étranger, ont parlé d'oeuvre prophétique. Aujourd'hui, ce débat n'a rien perdu de son actualité (...)". Dans l'interview du "Fig' Mag'," Jean Raspail nous en dit plus: un des étrangers qui ont vu en lui un "prophète" n'est autre que l'Américain Samuel Huntington, l'auteur du "Choc des civilisations". Sans blague?
Il est vrai que le "Camp des Saints" raconte une histoire terrible: un  jour, une centaine de bateaux (ambiance "rafiots pourris") portant chacun en leurs flancs des milliers de gueux à peau sombre en provenance d'Afrique et du sous-continent Indien, font route vers la douce terre de France et finissent par s'échouer sur les plages de la Côte d'Azur (l'histoire ne dit pas ce qu'il advient de Brigitte Bardot en sa résidence de la "Madrague"). Tout au long du périple de cette armada d'un nouveau genre  "l'Occident", tétanisé par son humanisme, son "droits-de-l'hommisme" comme l'explique Jean Raspail, ne fait rien d'autre qu'attendre l'inéluctable, à savoir l'engloutissement sous une marée humaine. Oh, il y a bien quelques tentatives de "résistance" ici et là: un hebdomadaire "courageux" (Rivarol?), discrétement soutenu par le Président de la République (Pompidou?) qui, sous les injures de médias tous ralliés à un tiers-mondisme naïf, sonne le tocsin. Ou bien l'admirable République d'Afrique du Sud (en 73, c'était encore la joyeuse époque de l'apartheid) qui tente de stopper les navires lorsqu'ils passent au large du Cap de Bonne-Espérance. Las, sous la pression de puissances occidentales décidément bien inconscientes, les gentils Afrikaners renoncent à leur projet. Pendant ce temps-là, la "civilisation" s'effondre. On voit même les Noirs sortirs de leurs ghettos, du côté de l'Alabama et du Mississipi, et se ruer sur les quartiers Blancs, c'est vous dire. La fin du livre voit une poignée de "résistants", réfugiés dans un mas provençal, faire face les armes à la main -  façon film de zombies à la George Romero ou à la manière du "ranger" encerclé par les "skinnies" Somaliens dans "Blackhawk down" - à une marée humaine qui, inévitablement, les submerge. Fin du mas provençal, fin de la France, fin de l'Occident, fin du monde, donc.
"Le Camp des Saints" best-seller à la FNAC, qui ne se tient plus de joie et le fait savoir aux lecteurs de "Libé", il faut reconnaître que l'événement est des plus instructifs sur ce qu'on appelle l' "air du temps".

Pas besoin d'aller chercher entre les lignes, Jean Raspail y exprimait bien explicitement son obsession: celle d'une "race blanche" qui, si elle n'y prend garde, sera inéluctablement submergée par un métissage généralisé sous la pression migratoire des masses du tiers-monde. Dans l'univers de Jean Raspail, seuls une poignée de "Sudistes" (les fameux "Saints") ont pris conscience de la chose mais, horreur et damnation, ils subissent l'opprobre et l'injure des "bien-pensants". Dans cette réédition 2011, l'auteur persiste et signe et évoque, dans sa préface, une force nuisible qu'il baptise "Big Other".
A l'aube des années 80, Jean Raspail signait un dossier de plusieurs pages dans le "Figaro Magazine" (déjà lui) intitulé "Serons-nous encore Français en l'an 2000?" dans lequel, projetant hardiment sur vingt ans et plus les taux de fécondité ou supposés tels des "E.N.E." (Etrangers non-Européens - sic!), il prédisait, "chiffres à l'appui" que non, justement, les Français ne le seraient plus, Français, en l'an 2000, tout mélangés qu'ils seraient d"E.N.E.", beurk.
Bref Jean Raspail c'est du brutal, de la bonne vieille pensée réactionnaire droite dans ses bottes. A 86 ans le bonhomme brandit son monarchisme légitimiste comme d'autres une banderole et - osera-t'on, au risque de se voir interner dans le camp des "pas-Saints" avec les séides de "Big Other" - une vision du monde franchement, ouvertement et bruyamment porteuse d'un racisme à l'état chimiquement pur. Car chez Jean Raspail on ne tourne pas autour du pot, façon Zemmour ou Marine Le Pen, on ne s'affuble pas du masque de la "laïcité". L'islam n'est un problème que parce qu'il s'agit d'une religion pratiquée par des "E.N.E.", la vraie question c'est celle du métissage potentiel, point-barre. Il annonce la couleur, si l'on ose écrire. Je vous fiche mon billet que Jean Raspail est plus à l'aise avec l'hypothèse de voir émigrer en France 30 000 Suédois convertis à la religion de Mahomet ou à l'Hindouisme qu'avec celle de voir approcher des côtes 300 Burkinabès adeptes de Jésus-Christ.

"Le Camp des Saints" best-seller à la FNAC, donc. Il se trouvera bien encore ici et là, au "Fig' Mag'" ou ailleurs, quelques plumitifs pour nous jouer la rengaine d'e la "bien-pensance" opprimant de courageux "dissidents", surtout s'il prend l'envie à quelque organisation antiraciste d'aller pousuivre l'auteur en justice - Jean Raspail s'en vante, il y aurait matière à le faire. Mais un ouvrage qui cartonne au box-office du premier libraire de France, libraire a fortiori trimballant, à tort ou à raison, une réputation gauchiste-intello, j'ai du mal à le considérer comme un brulôt "dérangeant la pensée dominante". Surtout si ledit libraire trouve judicieux d'en faire l'article à la une d'un autre éminent symbole du "Big Other", le journal "Libération".

Pour tout dire, il conviendrait d'informer Jean Raspail que la "pensée dominante" ou en tout cas une pensée qui a le vent en poupe, ces temps-ci, c'est peut-être bien la sienne. Il n'est qu'à voir le succès dans l'opinion d'une certaine candidate à la présidence qui n'a que le mot de "tsunami migratoire" à la bouche, discours repris presque mot pour mot par Sarkozy et ses séides. Trente-huit ans plus tard, l'obsession du "Camp des Saints" est une réalité politique. Tant il est vrai que "the times they are a-changin' ", même si ce n'est pas dans le sens où l'imaginait Bob Dylan en 1963.

Ciao, belli.

mardi 8 mars 2011

Sondages: et si on arrêtait les conneries?

Il est un phénomène que tous les professionnels des études de marché et d'opinion, dont votre serviteur, observent constamment. Il s'agit de la façon dont certains clients accueillent les résultats des études:
  • Soit les résultats sont conformes à ce qu'ils ont envie d'entendre, auquel cas ils affirmeront qu'ils savaient déjà, il s'agit donc d'une très bonne étude, même si on peut remettre en question, tout bien réfléchi, son utilité
  • Soit les résultats contredisent leurs idées préconçues, dès lors ils contesteront la robustesse  de l'échantillon, la qualité de la méthodologie et de l'analyse des données, etc...Il s'agit d'une mauvaise étude, non seulement inutile mais nuisible
Pour ce qui concerne le dernier sondage d'intentions de vote pour 2012 réalisée par l'institut Harris Interactive, il semble que l'on se situe dans le second cas de figure. Marine Le Pen y figure en tête au premier tour, avec 23% d'intentions de vote contre 21% chacun pour Nicolas Sarkozy et Martine Aubry. "Non mais c'est n'importe quoi", entend-on ici et là. Branle-bas de combat, tout le monde sur le pont. Les instituts concurrents - TNS, CSA, IPSOS et consorts - se gaussent ou crient au scandale. Marine en tête c'est pas possible, eux le savent bien, c'est donc que les gens de Harris Interactive se sont plantés quelque part et qu'ils auraient dû réfléchir à deux fois avant de publier ces chiffres. Cette attitude bien peu confraternelle est relayée par différents éditorialistes qui crient à la manipulation, voire par des spécialistes de l'information, comme sur Rue89. Que reproche-t'on, techniquement, à cette enquête?
  1. Le choix proposé aux interviewés n'envisageait que le scénario Martine Aubry pour ce qui concerne le Parti Socialiste. Point de Strauss-Kahn, de Hollande, de Royal ou de Montebourg à l'horizon
  2. Marine Le Pen étant une nouvelle venue au sein de l'offre politique, on se demande de quelle façon les résultats ont pu être "redressés" vu qu'on ne dispose d'aucun historique de résultats de vote réels
  3. L'étude a été réalisée via Internet et on se pose de sérieuses questions quant à la représentativité de l'échantillon
Reprenons.
  1. L'absence d'alternative à Martine Aubry comme candidat du PS dans ce sondage , notamment de l'"imam caché" (qui se cache de moins en moins) Dominique Strauss-Kahn est-elle un problème en soi? Elle en serait un si la candidature de la Première Secrétaire était totalement improbable et, jusqu'à preuve du contraire, elle ne l'est pas. Admettons cependant qu'il serait plus "juste" d'évaluer plusieurs scénarios
  2. Redressement des résultats: à quelque chose "malheur" est bon, cette polémique rappelle à tous que les résultats des sondages ne sont pas livrés "bruts" mais que les réponses des interviewés sont "corrigées". Correction légitime lorsqu'il s'agit de pondérer les résultats en tenant compte de la certitude qu'expriment les répondants sur leur intention de vote. Correction davantage capillo-tractée lorsqu'on applique un coefficient, à la hausse ou à la baisse, à une intention de vote. On demandera notamment aux interviewés ce qu'a été leur vote en 2007 puis on comparera les résultats de cette question au résultats réels de l'élection. S'il s'avère que tel ou tel vote est sur- ou sous-déclaré, alors on "redressera" les résultats de l'enquête. En d'autres termes, on réévalue une déclaration portant sur un comportement futur en fonction de l'exactitude du souvenir d'un comportement passé.  Le fait qu'une  "correction" des intentions de vote soit  impossible dans le cas de Marine Le Pen n'implique pas qu'une telle bidouille soit parfaitement légitime pour tout autre candidat, pourvu qu'il ait un passé électoral
  3. Les enquêtes via Internet: bien évidemment, il ne suffit pas qu'un échantillon interrogé "on line" soit représentatif sur des critères d'âge, de sexe, de revenu etc.. pour que tout aille pour le mieux: le simple fait d'être d'utiliser ce média pour une enquête situe l'interviewé dans un mode de vie, des habitudes qui, en soi, sont singulières et, dans certains cas, atypiques. Sans compter que la sincérité des déclarations portant sur l'âge, le revenu etc sont, dans ce contexte, à tout le moins sujettes à caution.. Cela étant les sondages politiques via Internet se pratiquent depuis des années et il est étonnant qu'on attende aujourd'hui pour s'offusquer d'une telle pratique
Les arguments contre le sondage Harris Interactive sont, en soi, parfaitement recevables. Mais la conclusion qu'on doit en tirer n'est pas que la publication de ces chiffres est scandaleuse. La conclusion, c'est que l'anecdote "Marine-en-tête-selon-le-sondage-du-5-Mars-2011" est une bonne occasion d'affirmer, une bonne fois pour toutes, que les mesures d'intention de vote sont un tissu de conneries si elles sont effectuées plus d'un mois avant des élections - voire plus d'une semaine avant. Et que le sérieux avec lequel on les commente est le signe d'un dérèglement de l'intelligence politique.
Il y a belle lurette que dans le domaine du marketing les mesures d'intention d'achat - courantes en matière de tests de produit, de packaging ou publicitaire - sont traitées avec la plus grande circonspection: on les lit, on les analyse, mais on les replace dans leur contexte et, à tout le moins, on ne les "redresse" pas en fonction du souvenir des achats réels des consommateurs - pour autant qu'on les connaisse. En tout cas il ne viendrait à l'idée de personne d'en faire l'alpha et l'oméga des prévisions de parts de marché, sans prendre en compte la pression publicitaire, l'environnement concurrentiel, le prix  ou les enjeux de la distribution, surtout à plus d'un an du lancement du produit.
Le vrai problème, avec les mesures d'intention de vote, n'est pas tant la méthode employée - nonobstant, excusez du peu, les "corrections" en tout genre, la qualité des échantillons ou la sincérité des répondants - mais le sens prédictif qu'on donne, même implicitement, à de tels exercices. Oh bien sûr, lorsqu'on vient à prononcer le mot "prédiction" les professionnels des instituts de sondage se récrient et jouent les vierges effarouchées - "il s'agit d'une photographie de l'opinion à un instant t", annonent-ils, selon la formule consacrée. Et tout le monde - médias, hommes et femmes politiques - d'opiner du bonnet... avant de se lancer derechef dans quelque sarabande spéculative sur ce qui risque de se passer en Mai 2012.
L'enjeu véritable si on entend mesurer l'opinion politique, à un instant t ou t+1, c'est qu' il faut d'emblée oublier "l'intention de vote", car cette dernière suppose, de la part de l'interviewé, un choix exclusif. Or, en matière d'hommes et femmes politiques comme, il faut bien l'admettre, en matière de yaourts à boire ou de barres de céréales, l'exclusivité du choix de "marque" est l'exception plutôt que la règle. La vérité de l'opinion politique, pour la plupart des citoyens, c'est une préférence (une relativisation, donc) et non un choix dans l'absolu, à l'exclusion de tout autre.
Dès lors, une mesure sincère et fiable, une vraie "photographie de l'opinion à un instant t" consisterait à demander aux interviewés de classer tous les candidats - réels ou hypothétiques - sur une échelle de préférence, en commençant par les deux extrêmes (celui ou celle qu'ils préfèrent le plus, celui ou celle qu'ils préfèrent le moins) puis en plaçant tous les autres entre les deux. Une telle mesure à intervalles réguliers permettrait de voir les personnalités progresser ou décliner dans les affinités des électeurs... En tout état de cause, il en ressortirait une "vérité" de l'opinion certainement moins artificielle que celle issue d'un questionnaire posé sous l'hypothèse que les élections aient lieu "dimanche prochain". Avec une telle mesure - transparente, simple, intuitive - aucune excuse pour "corriger" les résultats.
Mais pas question de convertir ce palmarès en parts des suffrages. Du coup, c'en serait fini de la prétention des uns, même si elle est toujours niée, à prédire l'avenir - et de la jubilation des autres, même avec l'usage du conditionnel, à gloser à l'infini sur l'image apparue dans la vraie-fausse boule de cristal. Mais parions que le débat démocratique y gagnerait en discernement.

Cela étant un tel changement ne risque pas de se produire: sauf dans le cas des arrangements à la Patrick Buisson, les sondages politiques ne rapportent pas un fifrelin (ou bien peu, en comparaison des études marketing) à ceux qui en font profession, ce sont de purs vecteurs de notoriété et de réputation. Aucune chance que l'une ou l'autre des sociétés d'études ne remette en cause des habitudes multi-décennales, juste pour la gloire. D'autant que les clients - médias ou politiques - seraient très perturbés de ne plus se voir proposer de "simulation" du premier et, tant qu'on y est, du second tour. Et cesseraient d'acheter lesdits sondages.

Personne n'a donc véritablement intérêt à mesurer l'opinion des électeurs de façon rigoureuse et un tant soit peu réaliste. A partir de là. il faut en accepter les conséquences. Et se dire que "Marine Le Pen en tête au premier tour", c'est pas plus con que "Domique Strauss-Kahn, le candidat de gauche idéal".

See you, guys.

mercredi 2 mars 2011

Quand Nicolas joue avec Marine

Fillon rame, Copé meuble. Vocation ou malédiction, deux des béquilles de Nicolas Sarkozy tentent ce jour, tant bien que mal, de donner du sens à la dernière foucade du Président: l'organisation d'un "débat" sur la "place de l'islam dans la société française" désormais requalifié en "débat sur la laïcité". Chez le premier c'est un sacerdoce, chez le second l'occasion de se poser en exégète serein mais exigeant d'une ligne présidentielle parfois un peu dure à suivre et donc, in fine, en successeur probable. L'un rame l'autre meuble, donc, car il n'échappe à personne, y compris à droite, que cette envie soudaine, sortie du chapeau élyséen lors du laborieux exercice "Paroles de Français" sur TF1, constitue un tropisme "identitaire" propre à labourer les terres du Front National.
Or depuis la présidentielle de 2007, durant laquelle la recette a fait merveille, les choses ont changé: la politique en matière de sécurité est un fiasco, à tout le moins dans la perception qu'en ont les électeurs sinon dans les faits, le "grand débat" sur l'identité nationale s'est terminé en eau de boudin, la crise et une persistante "politique d'offre" ont laminé le pouvoir d'achat des catégories les plus défavorisées, le tout nourrissant un regain de popularité du Front National qui, last but not least, s'est payé un lifting en se choisissant "fifille" pour leader.
A partir de là, évidemment, la réactivation soudaine d'une thématique propre à légitimer les thèses du F.N. et donc à en accroître le potentiel électoral peut apparaître comme suicidaire. Nombreux, à droite, sont ceux qui commencent à se demander si le président, naguère adulé pour sa clairvoyance, ne commencerait pas, par hasard, à avoir un petit peu de jeu dans la direction. Surgit l'hypothèse, terrifiante pour la majorité, d'un "21 Avril à l'envers" qui verrait s'affronter, au second tour de la présidentielle de 2012, le (la) candidat(e) du P.S. et Marine Le Pen.
L'accusation de faire le jeu du Front National est donc un air largement entonné par la classe politique, par toute la gauche pour en faire un argument polémique, par certains, à droite, pour en pointer les risques électoraux. Les uns et les autres, bien sûr, au nom de "valeurs républicaines", balayant d'un revers outragé le soupçon de préoccupations purement politiciennes. Quoiqu'il en soit, le constat selon lequel Nicolas Sarkozy en fait des wagons pour préempter les thèmes de prédilection du F.N. fait quasiment l'unanimité. Il est vrai que les preuves ne manquent pas. Tout récemment, encore, on relève le tour de passe-passe consistant à affubler le délestage du boulet Alliot-Marie du masque d'un réajustement nécessaire de l'action gouvernementale. Avec, en ligne de mire, l'idée que l'on entend protéger le territoire français et ses habitants des soubresauts incertains de l'outre-méditerranée. Les masses arabes que ne contiennent plus ces garde-chiourme un peu rudes, certes, mais si familiers, forcément ça peut effrayer le boulanger du coin, se dit-on en haut lieu. Tout se passe comme si, à propos de tout et n'importe quoi, il convenait d'aller chatouiller Marine.
Au premier abord, cette fuite en avant Le-Péno-centrée de Sarkozy (par ailleurs aux abois dans les indices de popularité) revient pour le président à se tirer une balle dans le pied. Mais à y regarder de plus près on se dit deux choses:
  1. Nicolas Sarkozy est tout sauf un imbécile
  2. Il tient par-dessus tout à sa ré-élection en 2012
    A partir de là, la seule conclusion logique est que "faire le jeu du Front National" est, de la part du président, une volonté délibérée. Nicolas Sarkozy veut refaire le coup du 21 Avril. Mais à l'endroit. Avec lui face à Marine Le Pen au second tour, et l'électorat de gauche de nouveau contraint, dix ans plus tard, d'aller voter à reculons. Ré-élection garantie, donc, même si c'est au prix d'un score moins Zaïrois que les 82% de son prédécesseur - banalisation du "Marinisme". Un petit côté roulette russe mais cette hypothèse qui, paraît-il, circule dans les couloirs de l'assemblée, a été prudemment soulevée par Renaud Dély vendredi dernier sur France Inter. L'éditorialiste soulignait la bonne dose de cynisme qu'une telle stratégie pouvait induire chez le président, tout en sonnant bruyamment le tocsin sur le thème "on joue avec le feu". Certes. On pourrait objecter que François Mitterrand ne fit pas moins preuve de cynisme lorsqu'au milieu des années 80, il agita discrètement le chiffon rouge des "potes", tout en instaurant le scrutin proportionnel aux législatives. Et installa, de facto, le Front National dans le paysage. On objectera, surtout, que Nicolas Sarkozy n'a pas le choix: la montée, aussi haut que possible, de la popularité de Marine Le Pen est une nécessité vitale s'il entend rempiler.
    Tout porte à croire, en effet, que le seul thème qui soit a priori objectivement - et légitimement - porteur pour 2012 soit celui des questions économiques et, surtout, sociales. Or sur cette thématique la droite, et, singulièrement, son leader, sont d'ores et déjà dans les choux (chômage persistant, pouvoir d'achat en panne sèche, frustrations multiples au sein de la classe moyenne, notamment des fonctionnaires, colère sourde face à l'insouciance des nantis à la Woerth-Bettencourt). Dès lors il convient d'éviter ce terrain à tout prix. Et se déplacer sur celui d'une "identité", d'une "sécurité" que viendraient mettre en péril des bigots barbus et des jeunes à capuche, les uns encombrant les rues en se prosternant par dizaines vers l'est cinq fois par jour, les autres démolissant les vitrines des magasins qui bordent ces mêmes rues. Réécrire, encore et encore, le code pénal à chaque nouveau faits-divers bien sordide, et fantasmer une impraticable justice "du peuple" (les jurés en correctionnelle) pour mieux souligner le "laxisme" des magistrats professionnels. Etc, etc... L'avantage c'est que, sur le triptyque sécurité-identité-immigration, la gauche sera nécessairement en retrait, soit par souci éthique - éviter les amalgames... et singulièrement le triptyque lui-même - soit parce qu'elle ne s'exprimera pas d'une seule voix. Il sera alors aisé de mettre le P.S. et son (sa) candidat(e) hors-jeu en l'accusant de faiblesse.
    Nicolas Sarkozy fait le pari suivant, qui est loin d'être idiot ou irréaliste: la montée du F.N. ne saurait obligatoirement se faire davantage au détriment de sa personne qu'à celui du (de la) candidat(e) du P.S., bien au contraire, et le récent tournant "social" du F.N. ne peut que le conforter dans ce pari. Plutôt que d'éteindre l'incendie, il convient de l'attiser, en se disant que le vent le portera à dévaster les terres du voisin. Entre les deux tours, il sera temps d'adopter une posture "républicaine" et de siffler la fin de la récréation.
    Dans cette perspective, la matérialisation - ou pas - de l'ectoplasme D.S.K. sur la scène de la présidentielle n'a strictement aucune importance, même si la probabilité de cette matérialisation n'est pas pour rien dans la frénésie national-populiste qui saisit l'Élysée. Mieux, la présence de D.S.K. n'est pas nécessairement une mauvaise chose dans le contexte de cette stratégie de campagne, et la sortie limite-Pétainiste de l'inénarrable Christian Jacob sur le côté "loin du terroir" du président du F.M.I. n'est sans doute pas fortuite.

    L'enjeu n'est pas de savoir si l'hypothèse selon laquelle Nicolas Sarkozy fait sciemment progresser le Front National est juste - c'est une évidence. L'enjeu n'est pas de dénoncer, de pousser des hauts cris et de rivaliser d'éditoriaux brillants sur la "république humaniste en danger" - ça ne servira malheureusement pas à grand-chose. L'enjeu, c'est de ramener l'économique et le social au centre du débat. Pour cela, il faudrait notamment un P.S. un peu moins occupé à se gratter les primaires. C'est pas gagné.

    Ciao, belli