mercredi 2 avril 2008

Putain de banderole!

Scandale. Émotion. Colère. Bruit médiatique.

On éditorialise, on contextualise, on s'interroge, car la France d'en haut, d'en bas, du milieu, vient de subir un choc terrible. S'agit-il de l'entrée en vigueur prochaine du nouveau Code du Travail, dûment "simplifié" par les experts du MEDEF? S'agit-il de la transformation à peine discrète du Grenelle de l'Environnement en Azincourt de la Bio-diversité, ou bien encore de la suppression effective de 575 postes à l'usine Arcelor-Mittal de Gandrange malgré la "prise en main du dossier" par le Président de la République en personne? Mais vous n'y êtes pas, voyons, toutes ces choses ne sont que peccadilles.
Non, le choc, c'est le déploiement, par une bande de supporters durant un match de foot PSG-Lens, d'une banderole de trente mètres de long insultant les gens du Nord de la France ("Pédophiles, chômeurs, consanguins: bienvenue chez les ch'tis"). Tout cela devant les caméras de télévision et en présence de Sarkozy, Delanoë et Jospin. L'indignation est générale, et ce soudain mais sans doute éphémère consensus Droite-Gauche fait chaud au coeur. "C’est du dégoût, c’est de la colère. Et puis c’est surtout une détermination absolue que ces comportements soient très très durement sanctionnés», expliquait hier François Fillon sur France Inter, tandis que Martine Aubry attend "des supporters parisiens qu’ils fassent amende honorable". Pour l'occasion, le maire (PS) de Lens Guy Delcourt a été reçu à l'Elysée: "Nous sommes bien en phase, le Président, Gervais Martel [patron du club lensois] et moi-même sur la volonté de mettre un terme définitif à ces comportements», déclarait-il suite à cet entretien (citations extraites de www.Libération.fr ). Bref, le rêve de François Bayrou se réalise: lorsque l'enjeu est majeur, les hommes et femmes de bonne volonté, d'où qu'ils viennent, savent faire front commun.


D'ores et déjà, Michèle Alliot-Marie, Ministre de l'Intérieur, annonce les grands moyens: on va procéder à des tests ADN sur la banderole pour identifier les coupables, et on va voir ce qu'on va voir. (Bientôt, un nouvel épisode de "Les Experts-Saint Denis - Stade de France", avec un flic exhibant, hilare, un résultat d'empreinte génétique: "Hey, I have a match... a football match, ha ha ha elle est bonne, hein, chef?")

Non mais franchement, sérieusement, on est où, là, c'est quoi, ce cirque?

Soyons clairs: je fais partie des très rares bipèdes humains de sexe mâle que le football laisse totalement indifférents. Même une finale de la Coupe du Monde, si si. Ça doit sûrement influencer mon jugement sur cette histoire, mais je ne désespère pas d'être sur la même ligne que la plupart des "footeux" ou tout au moins "non-indifférents" ou "passionnés occasionnels" que je connais.
Cela étant posé, revenons à nos moutons. De quoi s'agit-il, en définitive? Il se passe que la France, ses journalistes, son personnel politique se trouvent confrontés à un phénomène archi-connu: la passion du football, poussée à fond, çà donne de la haine à l'état brut. Et, le cas échéant, des blessés voire des morts. Une banderole insultante pour le camp d'en face est déployée par une bande de supporters. J'ai envie de dire: et alors, quoi de neuf sous le soleil (que les gens du Nord ont dans le coeur, pas dehors)? En quoi cet événement justifie-t'il un tel émoi, si on ramène çà à son contexte, c'est-à-dire un match de foot? Que je sache, personne n'envisage de mener des tests ADN sur les bananes que des "passionnés de football" jettent aux joueurs Africains, si?
Justement: traiter un Noir de singe, c'est déplorable mais que voulez vous, ces choses-là arrivent, Madame la Ministre... Tandis que remuer la tronçonneuse dans les plaies de drames sociaux terribles, qu'un cliché tenace juge récurrents dans une région bien de chez nous alors là, non, trop c'est trop. Surtout lorsque par ailleurs les spectateurs se ruent par millions vers un film qui se fait fort de réhabiliter ladite région avec humour (à ce qu'il paraît, je ne l'ai pas encore vu). Ce coup de canif dans un consensus bon-enfant, plus de quarante ans après la célèbre chanson d'Enrico Macias, c'est la mouche dans le lait, la transgression absolue, impardonnable.
La transgression: avec la connerie à l'état chimiquement pur, c'est sans doute la notion qui résume le mieux le phénomène des tifosi, hooligans et autres "ultras". Voilà des gens qui, l'espace d'un match, désinhibés par la bière et/ou un fort sentiment tribal, vont se mettre à rompre les barrières qui séparent l'homo sapiens du primate et ce, bien souvent, en conscience. Le but n'est pas tant d'exprimer bruyamment son soutien à une équipe donnée que de hurler à la face du monde: "Moi et mes potes on craint vraiment, on le sait et on vous emmerde". Saluts nazis, insultes racistes, violence... banderoles insultantes, tout est bon pourvu que cela souligne une infréquentabilité définitive.
Ce qui me frappe depuis vingt-trois ans (les morts du Heysel), dans tout çà, c'est: 1) qu'on s'en étonne; 2) qu'on rejette le hooliganisme à la marge de ce qui serait le "vrai" football.
Le football est, quoi qu'on en dise, bien davantage qu'un spectacle sportif. C'est aussi d'une part une formidable pompe à fric, d'autre part un amplificateur de passions grégaires locales ou nationales ("A bas Paris, vive Marseille" ou "Aux chiottes les Boches, allez la France") toujours vivaces. L'exaltante griserie d'un affrontement, soulignée par une présence totalitaire au sein des médias, vente d'espaces publicitaires oblige: cocktail détonant pour exciter un maximum de gens, excitation dont on espère bien qu'elle aura un effet démultiplicateur sur le business de ce spectacle. Le tout sur fond de sociétés, en Europe comme ailleurs, où les inégalités se creusent, où les sentiments d'appartenance, locaux ou nationaux, se résument à des notions d'autant plus basiques que "le politique" est perçu comme lointain: des sociétés où le foot, pour un nombre croissant de gens, c'est tout ce qui reste de tangible comme sentiment du "nous".
Dès lors, qu'une frange des spectateurs persiste, malgré les injonctions de bienséance ou plutôt à cause de ces injonctions, à vivre cette excitation jusqu'à l'extrême, rien d'étonnant. Et le hooliganisme n'est pas une incongruité du football en tant que spectacle totalitaire, il en est au contraire un effet consubstantiel et inévitable, sinon l'aboutissement.
Alors:
  • Le jour où les médias cesseront de nous bassiner quotidiennement avec tous ces matches "importants",
  • Le jour où les maires de tout bord hésiteront davantage à subventionner leur équipe locale qu'à investir dans des crèches,
  • Le jour où on traitera les supporters ivres de haine comme on traite les étrangers sans papiers,
  • Le jour où on trouvera officiellement indécent qu'un footballeur gagne 100 ou 1000 fois le salaire d'un professeur agrégé,

Ce jour-là, oui, ce jour-là, je m'indignerai avec les autres du comportement des supporters du PSG.

D'ici-là, cette putain de banderole, je m'en fous.

Allez, tchao.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Hello,moi je suis un breton(29) né à Bordeaux,élevé en Alsace et habitant la Suisse aussi (car marié avec une autochtone,donc je te salue en tant que compatriote.pour ce qui est de ton article sur la banderole,je dirais juste que ça n'a rien d'étonnant qu'une grosse concentration d'abrutis décérébrés se comportent en tant que tel,après tout,les jeux du cirque,c'est fait pour ça.maintenant y'a plus qu'a attendre l'Euro 2008 pour voir que ce n'est pas spécifiquement français.Ici aussi ça existe.Quand au Patakès que la presse en a fait,ça veut bien dire que la presse aime bien faire ses choux gras des trucs les plus glauques qu'ils peuvent capter.Moi je suis pour l'interdiction du foot,des supporters débiles et de la presse de caniveau.Kenavo

Rochelais a dit…

Simplement très juste.
Kenavo.

Anonyme a dit…

cf dans le même ton sur http://tequiladream.over-blog.com/article-18325205.html
avec la VRAIE banderole de la honte.
dommage que ton blog ne soit pas plus nourri.

Riwal a dit…

Hello Emiliano Pancho... Je nourris ce blog quand je peux, c'est-à-dire pas aussi souvent que je le voudrais... c'est la vie

sKaLpA a dit…

En tout cas bravo pour ce post ici et sur rue89 où ça commente à tout va!

bien vu!

Anonyme a dit…

Entièrement d'accord. Moi je plaidais pour l'ignorance sur mon commentairedujour.overblog.com

Nikita a dit…

En effet c’est un drame de la bien-pensance qui se joue ici, avec pertes et fracas.
Le plus grotesque dans cette affaire étant encore la visite du maire de Lens à l’Elysée – entendant la nouvelle à la radio, j’avais tout d’abord cru à un poisson d’avril. Il n’a rien d’autre à faire de ses journées, Nico 1er ?

Et au risque de ne pas participer de l’affliction générale, je voulais aussi ajouter qu’un mien camarade, Ch’ti de son état et plein de mauvais esprit, l’a trouvée assez drôle, il m’a même dit ‘attends mais c’est vrai !’. Ça doit être cette histoire de transgression, justement…

Enfin, Riwal, je trouve que ton blog est très bien. La fréquence de tes posts est peut-être dictée aussi par tes impératifs perso-pro etc…mais moi, personnellement, j’aime bien le fait que tu prennes du recul sur les événements pour nous livrer un post riche de tes réflexions.
A+, Nat

Catherine a dit…

Heureusement, de braves chtis (à Arras, me semble-t-il) ont eu la bonne idée de profaner la partie musulmane d'un cimetière d'anciens combattants. Faisons une banderole "Aussi cons que les autres !" que nous déploierons à notre tour sur le chemin de la flamme olympique ou ailleurs, bref sur un truc super médiatique.