mercredi 20 novembre 2013

Le clin d'oeil de Copé

Monsieur Jean-François Copé ne fait pas dans la nuance, c'est le prix à payer si l'on entend représenter une "droite décomplexée" - à défaut de la droite tout court, pour laquelle les candidats à la "représentation" sont pléthore. Ses déclarations à l'emporte-pièce ne vaudraient donc pas qu'on s'y arrête exagérément, n'était parfois ce qu'elles révèlent d'une "pensée" ou, plus exactement, d'un ensemble d'"arrière-pensées".
Ainsi dans Le Parisien/Aujourd'hui en France de ce jour, répondant à la question "la France devient-elle raciste?" il répond : "L'amalgame qui consiste à faire croire qu'il y a un péril raciste en France est insupportable. C'est un écran de fumée de la part du PS" car "le véritable sujet de préoccupation des Français, c'est l'insécurité, le chômage, les impôts". Et de suggérer qu'il "faudra un débat empreint de respect et de lucidité sur la question de l'identité et de ces tensions qui opposent les communautés (...)".

Edifiant, en vérité. Bien sûr, au premier abord on notera qu'à "écran de fumée", "écran de fumée-et-demi". A l'instrumentalisation réelle ou supposée par le PS des questions liées au racisme, il ne convient pas de répondre par un programme d'action gouvernementale alternatif qui résoudrait les "vrais problèmes" mais... par l'organisation d'un débat sur les questions "identitaires". Il est vrai que celui déployé en 2010 par Eric Besson fut un véritable succès, durant lequel de nombreuses manifestations de "respect" et de "lucidité" bien françaises forcèrent l'admiration du monde entier. Et puis suggérer la réactivation d'un tel exercice permet d'éviter d'avoir à s'étendre sur un éventuel programme économique et social dont on sent bien, jusqu'à preuve du contraire, qu'il ne diffère pas énormément de l'agenda du MEDEF. Bref, plutôt que d'aborder sérieusement les sujets qui fâchent, tâchons de botter en touche sur l'"identité nationale".

Mais au-delà de cette pirouette somme toute convenue, on relèvera surtout que ces déclarations nous renvoient à un "air du temps" hexagonal qui, il faut bien le dire, sent un peu la merde. Un "air du temps" où aux querelles, aux débats politiques classiques - autorité/libertarisme, égalité/équité, jacobinisme/fédéralisme, dépense publique/initiative privée, collectif/individuel, solidarité/concurrence, etc... - certains entendent substituer non un affrontement d'idées, mais de personnes. Pour faire (très) court: le "peuple" face aux "élites". Une "fracture culturelle" où à la demande "identitaire" des uns, les autres répondraient "morale". Une "fracture culturelle" résultant de l'escamotage du social par le sociétal, une "fracture culturelle" opposant les "vrais gens" à une coterie économico-médiatico-politique endogamique et auto-centrée. Les exemples ne manquent pas des coups de projecteurs braqués sur cette "fracture", des éditos hargneux d'un Eric Zemmour dans le Figaro Magazine au "Sortez les tous" de Jean-Luc Mélenchon, en passant par les attaques répétées des uns et des autres contre les "bien-pensants".
Réalité ou fantasme? Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer le "décrochage" croissant de façon exponentielle entre une large fraction de la population et le monde politico-médiatique, il faudrait débarquer de la Lune pour ne pas percevoir ce dialogue de sourds entre la "parole des dominés" et le "discours dominant" qui s'est maintenant établi depuis longtemps.  Et reconnaissons que le cheminement du PS ces trente dernières années a largement contribué à cette situation. Soit.

Mais à partir de là, deux attitudes possibles: soit on s'efforce de traiter les questions de fond, de recréer des liens défaits, de ré-inventer une agora fructueuse et constructive où s'affrontent les solutions et non les Hommes, soit on cherche à tirer avantage de la situation. C'est bien évidemment la seconde option qu'a choisie le Front National, dont la raison d'être est, précisément, d'assumer le rôle de porte-parole d'un "peuple" qui rêverait de faire basculer les "élites bien-pensantes". Si la "fracture culturelle" n'existait pas ou très peu, Marine Le Pen l'inventerait. Et justement: dans l'univers hyper-médiatique qui est le nôtre, où les mots se substituent volontiers aux choses, bien malin qui saurait distinguer la cause de l'effet, entre l'inflation du discours sur ladite "fracture", et l'accroissement même de cette "fracture". La poule et l'oeuf, n'en doutons pas.

Dans ce contexte, la série de "petites phrases" de Monsieur Copé n'est pas anodine. Quand il balaie d'un revers de manche l'émotion suscitée par les injures racistes proférées à l'égard de Christiane Taubira, il renvoie cette émotion, cette indignation à un discours somme toute parasitaire, un discours de gouvernants cherchant à distraire les gouvernés. On se souvient du clin d'oeil complice de Nicolas Sarkozy aux agriculteurs - "l'environnement, ça commence à bien faire!". Jean-François Copé ne fait rien d'autre que nous dire entre les lignes: "Bon, ça ira, maintenant, l'antiracisme". Ce faisant, il espère sans doute souligner son positionnement de "décomplexé", lui aussi sait faire des clins d'oeil. Et pas qu'aux agriculteurs, attention, là on joue dans une autre catégorie. Joli progrès.



Cela dit,  à force de parler d'un monde où quand les petits cons brûlent des voitures, c'est de l'insécurité et où quand les gros cons brûlent des portiques à écotaxe, c'est de la colère, à force de parler d'un monde où l'adversaire politique ne peut être qu'illégitime, à force de parler d'un monde où les propos de bistrot tiennent lieu de ligne idéologique, à force de parler d'un monde où l'antiracisme ne serait que de la poudre-aux-yeux, à force de parler d'un monde où la "fracture culturelle" est irrémédiable, ce monde finit par advenir. La prophétie auto-réalisatrice, ça s'appelle.

Mais en tout état de cause, Copé ne fait que scier la branche sur laquelle il trône. Car dans ce monde, qu'il le veuille ou non, lui non plus n'a pas sa place.

Ciao, belli.

mercredi 6 novembre 2013

Bonedoù Ruz ha Koc'h Ki Du

Bien peu de mes lecteurs prennent la peine de poster des commentaires sur mon blog. Il en est un, cependant, dont les contributions sont régulières. Anonyme, il s'appelle. Ou bien "elle", allez savoir. Dernier commentaire en date, que je vous laisse le soin de savourer en détail, au cul de mon dernier "post": en gros, me demandant, en Breton, si je dors, il me suggère fortement de réagir à la "révolte" bretonne, "revival" auto-proclamé de la "révolte des bonnets rouges" qui secoua la Bretagne dans la seconde moitié du XVIIème siècle, plutôt que de m'épuiser à parler du FN, sachant que par ailleurs les masses africaines nous envahissent, ce qui a priori n'a rien à voir, sauf que si, apparemment, pour ce(tte) brave Anonyme. Clamant ma bretonnitude par le titre même de mon blog, me voilà sommé de prendre position. En faveur de ladite révolte, cela va de soi, qui pour Anonyme prend des allures de "dispac'h" (révolution, en Breton), rien que ça. Une sorte de surmoi surgi des brumes cybernétiques m'enjoint donc de rallier la cause des nouveaux "bonnets rouges", à tout le moins d'en parler.
Il se trouve qu'aux dernières nouvelles le gouvernement avait, une fois de plus, reculé devant une fronde anti-fiscale, suspendant la cause apparente - ou, plus exactement, "la goutte d'eau qui avait mis le feu aux poudres" - du courroux breton, à savoir l' "écotaxe" sur la circulation des poids lourds. Fin de l'histoire, "echu an abadenn", plus la peine de s'énerver, fût-on Breton. Las, les "bonnets rouges", ce jour, par la voix du maire de Carhaix, en remettent une louche: il convient que gouvernement supprime définitivement ladite taxe sinon, attention, ça va de nouveau barder dans le Landernau. Bon, là, ça commence à sérieusement me gonfler, cette histoire, il est temps d'en parler.

Pour dire d'abord que, même si l'époque - et son addiction au bruit médiatique plutôt qu'aux questions de fond - s'y prête, goutte d'eau ou pas, il convient de ne pas tout mélanger. Il y a, d'une part, une crise de l'industrie agro-alimentaire en Bretagne. Et, d'autre part, la mise en place en France d'une taxe à vocation écologique d'ores et déjà en place en Allemagne et en Suisse, qui ne s'en portent pas plus mal. D'emblée, on sent bien que le refus de ladite taxe jette un commode écran de fumée sur les causes profondes de la débandade d'un modèle économique qui, malheureusement, concerne 30% de la population active en Bretagne. A cette confusion dans le discours protestataire breton, l'opposition de droite trouve une explication: le gouvernement socialiste, par son "matraquage fiscal", aurait discrédité par avance cette fiscalité a priori judicieuse, puisque décidée par le précédent gouvernement. En substance: les Bretons sont un peu cons et vous leur avez embrouillé l'esprit avec tous vos impôts, maintenant voilà, ils ont le bourrichon tout remonté contre cette taxe qui était vachement bien. Donc si les Bretons n'ont rien compris au film, c'est la faute aux socialistes. Bien géré par un aréopage de génies de l'UMP, ce truc serait passé comme une lettre à la poste, c'est évident. Passons. Toujours est-il que confusion il y a, et qu'elle n'est pas fortuite.
Car quelle est cette crise qui jette des milliers de Bretons dans la rue, avant d'aller grossir les fichiers de Pôle Emploi? C'est l'effondrement d'un "business model" fondé peu ou prou sur une série de "mono-cultures" généreusement subventionnées par l'Union Européenne, volailles en batterie d'une part, élevage de porcs hors-sol d'autre part, pour prendre deux exemples saillants. Du côté des poulets on subventionne car, au nom d'accords de libre-échange signés plutôt deux fois qu'une par les dirigeants européens - dont, singulièrement, les gouvernants français, de gauche comme de droite - on a mis en concurrence des Bretons, des Brésiliens, que sais-je encore, sur un marché désormais mondial. Or l'Union Européenne entend supprimer la "restitution", subvention destinée à compenser le manque de "compétitivité" des entreprises européennes - comprenez: les salaires à peu près décents - en matière de production de volaille. Cette suppression n'est pas intervenue par surprise, mais toujours est-il que les dirigeants de Tilly-Sabco, acteur majeur du secteur en Bretagne, en ont déduit qu'il ne leur restait qu'à jeter l'éponge, à savoir supprimer 1000 emplois, excusez du peu. Du côté des cochons, depuis quelques temps les entreprises bretonnes souffrent de la concurrence... de l'Allemagne, où leurs compétiteurs emploient sans vergogne des ouvriers bulgares payés des queues de cerises. Subventions ou pas, pas moyen de s'aligner. Et boum, quelques centaines d'autres salariés à la poubelle. Adieu cochons et poulets, veaux et vaches n'ont qu'à bien se tenir, la Bretagne s'effondre.
La faute à quoi, la faute à qui? On ne s'attardera pas sur les ravages de la doxa néo-libérale qui sévit "à Bruxelles", doxa compensée, dans une dialectique perverse, par l'intense lobbying de nations défendant leurs "intérêts": pour ce qui nous occupe, la France s'accroche bec et ongles à la sacro-sainte "politique agricole commune", pluie de subventions dont elle est la principale bénéficiaire. Au final, l'absurdité d'un système qui s'emploie à détruire, au nom de la concurrence "libre et non-faussée", les entités économiques dont il a encouragé l'émergence ("être présent sur le marché mondial") - des mastodontes de la production alimentaire dont la viabilité ne repose, in fine, que sur l'argent public.
On relèvera, en revanche, la constance avec laquelle ce "modèle" est défendu par la plupart des élus bretons. Qu'on songe, malgré l'activisme d'une association comme "Eau et Rivières de Bretagne", à l'impunité dont bénéficie l'élevage porcin hors-sol quant à la pollution aux nitrates des nappes phréatiques. Les plages aux algues vertes en sont le symptôme le plus visible, mais n'oublions pas, surtout, que boire de l'eau du robinet qui ne soit pas dûment filtrée relève de l'inconscience, du côté de Saint-Brieuc.
On relèvera, en revanche, la gestion à courte-vue de chasseurs de subventions grimés en "entrepreneurs" et leur fuite en avant dans le gigantisme de la mal-bouffe.
On relèvera, en revanche, que les centaines de millions d'Euros versés aux éleveurs bretons afin qu'ils puissent faire mu-muse sur le marché mondial ne sont pas disponibles pour aider à développer des PME viables, non-polluantes et potentiellement génératrices d'emploi.

Alors je comprends le désarroi des centaines de salariés éjectés du système comme des malpropres, et pas seulement parce qu'ils sont bretons. Mais, comme les racistes dans le mot de Léopold Sedar  Senghor, je pense qu'ils se trompent de colère. Celle-ci devrait viser leurs élus, leurs patrons, complices d'un système qui les aura broyés. Et non une "écotaxe" qui, pour autant qu'elle voie le jour, serait justement un premier pas, même timide, vers une sortie dudit système.

Et puis qu'on nous lâche la grappe avec la symbolique des "bonnets rouges". Pour mater cette révolte anti-fiscale, Louis XIV rapatria des frontières de l'Est sa soldatesque qui, après avoir ravagé le Palatinat, pendit, brula et viola à tour de bras en Bretagne. A l'époque, même si on n'avait pas encore vu le plus beau, l'"Etat français" ne rigolait pas avec le respect de son autorité. A l'époque, surtout, l'"Etat français" ne faisait pas l'aumône auprès de ses voisins européens pour entretenir l'économie bretonne à coups de subventions. Il leur faisait la guerre, quitte à se ruiner, d'où son besoin en rentrées fiscales.
Alors que certains Bretons, bretonnants ou non, arrêtent de se la raconter avec cette "révolte". Loin d'être un "sursaut breton", elle n'est que l'avatar du moment d'un phénomène bien franchouillard, hexagonal en diable: la détestation des impôts que l'on subit et l'adoration de la dépense publique, pourvu qu'on en soit bénéficiaire. Pas étonnant que le Front National apporte son soutien à cette colère si tricolore.

Et si "bonnets rouges" (bonedoù ruz) il doit y avoir, qu'ils s'en prennent à ces industriels qui nous font bouffer de la merde, et polluent les sols avec leur merde. En Breton, le mot "merde" ne vient pas seul, on se doit de préciser qu'il s'agit de "merde de chien noir" (koc'h ki du). Rouge, noir: joli contraste, effet visuel garanti.

A wech all