lundi 8 février 2010

NPA, l'aliénation avec ou sans hijab

Il était temps. Un peu plus, et la présence du NPA sur la scène des élections régionales passait quasiment inaperçue. Heureusement, la semaine dernière on a appris qu'une de ses candidates dans le Vaucluse, Ilham Moussaïd, portait un hijab. S'en est ensuivi un bruit médiatique tonitruant, braquant les projecteurs sur la formation d'Olivier Besancenot. On pourrait arrêter là l'interprétation de cette candidature et rejoindre simultanément Jean-Luc Mélenchon, Laurent Fabius et Nadine Morano, qui sont d'accord sur un point: l'investiture d'Ilham Moussaïd serait un "coup de pub". Mais s'en tenir à cette lecture serait, à mon avis, un peu court.
Reprenons. Une personne se présente aux suffrages de ses concitoyens. Elle est Française, majeure et vaccinée. Pour des raisons qui la regardent, elle porte un foulard sur la tête. Ce type de foulard signe sa foi (ou l'idée qu'elle s'en fait) dans une religion, l'Islam, et a donné lieu en 2004 à une loi. Que dit-elle, cette loi? Que le port de "signes religieux ostensibles" est interdit dans les établissements scolaires. Point-barre. Ilham Moussaïd a passé l'âge d'aller à l'école, semble-t-il, elle a donc tout-à-fait le droit de porter un "signe religieux ostensible" si ça lui chante. Or tout se passe, dans cette histoire, comme si cette interdiction s'étendait à l'ensemble de l'espace public - notamment l'espace virtuel de la visibilité médiatique. Premier constat: cette "affaire" pourrait ne pas en être une si tout un chacun agissait et parlait avec en arrière-plan l'idée que la France est un Etat de droit.
Mais en l'occurrence, évidemment, tout le monde se contrefout de la portée de la loi de 2004: ce qui a fait réagir, ici et là, c'est l'apparente contradiction entre ledit foulard et le fait de porter les couleurs d'une formation d'extrême-gauche: en tant que militante du NPA, Ilham Moussaïd devrait abhorrer la religion, l'opium du peuple selon Marx, sournois dérivatif défendant "objectivement" les intérêts des capitalistes. C'est en tout cas l'injonction implicite que lui fait Mélenchon, qui en connaît un rayon côté marxisme. Dans le même ordre d'idées, on note que le NPA se veut féministe et révolutionnaire: porter un "voile islamique", ce serait souligner un attachement à un rôle de la femme bien antérieur à la diffusion des thèses du Women's Lib' et, partant, furieusement réac'. Le foulard d'Ilham, c'est le crime de lèse-drapeau rouge, la mouche dans le lait de la cause prolétarienne. Deuxième constat: à travers cette candidate, le NPA est sommé de se conformer sans plus attendre aux us et coutumes de la gauche marxisante.
Mais s'il lui plait, au NPA, de ne pas faire où on lui dit de faire? Historiquement, la Ligue Communiste Révolutionnaire s'est toujours distinguée de sa soeur ennemie Lutte Ouvrière par sa "pratique militante": tandis que LO ne vit que par et pour la "classe ouvrière", la LCR a volontiers "ciblé" des catégories moins visiblement inscrites dans le "mouvement de l'Histoire" selon Marx: lycéens, étudiants, enseignants... Depuis un an, a fortiori, la LCR s'est auto-dissoute pour donner naissance au NPA, s'efforçant de rassembler au delà du marxisme-léninisme pur et dur: si dilution de la doctrine LCR il y a, elle est volontaire. Dès lors, qu'on retrouve au NPA une miltante d'extrême gauche par ailleurs visiblement attachée à une religion, rien d'étonnant à celà. Face à ce voile, les anciens LCR avaient deux options: soit bloquer cette candidature au nom de la pureté de la doctrine marxiste - au risque de se mettre à dos les nouveaux venus du NPA - soit l'accepter - au risque de se prendre une volée de bois vert par leurs "amis" d'extrême-gauche. Ils ont choisi la seconde option, qui présente, au premier abord, l'avantage de "faire du bruit" dans les médias. Mais pas seulement, loin s'en faut: en investissant Ilham Moussaïd, le NPA veut signifier une indifférence à la question du hijab, donc finalement une posture à la fois "post-laïque" et "post-religieuse", voire "post-culturelle". Et, partant, une opposition frontale à la Sarkozye et son "grand débat". Troisième constat: le NPA n'est ni dans la provocation médiatique ni dans la contradiction, il est dans une logique politique "attrape-tout".
De l'opportunisme politique à l'état pur, donc, bien davantage qu'un "coup de pub". Cela étant, tout "dilué" que puisse être son corps de doctrine originel, le NPA est intransigeant sur un point: pas question d'envisager une seconde de prendre de quelconques responsabilités opérationnelles dans un exécutif régional de gauche. On présente des candidats, mais si d'aventure ils sont élus ils devront se garder de mettre les mains dans le cambouis: le capitalisme ne se réforme pas, il se combat, camarade. Pas question de faire alliance avec les social-traîtres et leurs supplétifs. Ca serait sale. On présente des candidats pour se compter et éventuellement faire bisquer les autres Trotskistes de Lutte Ouvrière: prendre le "leadership" de l'extrême-gauche qui se refuse à "gérer le système", ça c'est important, camarade.
Cette intransigeance, en définitive a-démocratique, me semble au moins aussi incompatible avec les valeurs républicaines qu'un bout de tissu sur la tête. Qu'est-ce qui est plus aliénant, pour une femme? De porter en permanence un foulard sur le crâne parce qu'on vous a inculqué que Dieu vous préfère comme ça, ou de se présenter à une élection et refuser a priori de faire un boulot d'élue parce que c'est la ligne du Parti?
La réponse n'est pas évidente, ce qui est sûr c'est que les deux en même temps, ça fait beaucoup. Grâce au NPA, Ilham Moussaïd est une cumularde avant même d'entamer sa carrière. Souhaitons-lui d'en prendre conscience un jour. Et d'ici là, foutons-lui la paix.
A bientôt