mardi 27 janvier 2009

Intégration d'intégristes

Evêque, c'est un métier.
Enfin je veux dire, ce n'est pas rien, et ça exige des qualités qu'on ne trouve pas chez n'importe quel quidam, y compris chez les prêtres - tous ne finissent pas évêque, loin s'en faut. Le mot lui-même vient du grec episkopos, c'est-à-dire un gardien, un surveillant. Et ça surveille quoi, un évêque? Principalement des prêtres, justement, tout au moins lorsqu'ils sont dits diocésains. Car certains d'entre eux, comme Mgr Gaillot, ne surveillent rien ni personne: le ci-devant évêque d'Evreux qui a fini, par son gauchisme et ses prises de positions à tout-va, par user la patience de Jean-Paul II, est désormais évêque in partibus de Partenia: un diocèse rayé de la carte depuis quinze siècles, situé quelque part en Algérie. En effet l'une des qualités qu'on exige d'un évêque c'est justement le strict respect de la discipline de l'Eglise, sachant qu'il a notamment pour mission de la faire respecter à son tour par les curés de son diocèse. Une autre compétence est d'être un référent, un confident pour les prêtres dont il a la charge. Car les prêtres, hein, c'est comme tout le monde, ça a ses petits soucis. Souvenez-vous: on sait combien les curés du Massachusetts ont su trouver une oreille attentive auprès de leur évêque, à Boston, lorsqu'ils devinaient, au fond de leur âme, que tripoter des gosses n'était pas forcément une bonne idée. Une oreille attentive et surtout une bouche cousue. Surveiller mais ne pas punir, enfin pas toujours, et tant pis pour Michel Foucault.
Evêque c'est un métier, donc, qui exige un sens aigü de la hiérarchie mais aussi du tact, un sens de l'à-propos - ne pas parler à tort et à travers. Et bien sûr, est-il besoin de le préciser, une foi inébranlable dans les dogmes de l'Eglise catholique, comme par exemple la Sainte Trinité: le Père, le Fils, le Saint-Esprit ne font qu'un, mais en même temps ils sont trois, par ailleurs chacun d'eux pris séparément contient les deux autres tout en restant lui-même, vous me suivez? Par exemple lorsque, à la Pentecôte, l'Esprit Saint - généralement symbolisé par une colombe mais ça n'a pas d'importance, ça pourrait aussi bien être un perroquet ou un toucan, c'est juste une représentation - est descendu sur les apôtres, ce n'est ni Jésus-Christ ni Dieu-le-Père qui est descendu, mais en même temps, si. Il y a aussi l'Immaculée Conception: toute l'humanité, depuis le début et jusqu'à la fin des temps, vous, moi, Christine Boutin, Gary Cooper, l'empereur du Japon ou le boulanger du coin a été, est et sera marquée du sceau du pêché originel. Toute l'humanité sauf une personne: Marie, fiancée de Joseph, ayant vécu en Galilée il y deux mille ans d'après les évangiles. Toutes ces choses et beaucoup d'autres sont, pour les gens d'Eglise et a fortiori pour les évêques, des notions indiscutables. Le doute est permis, bien sûr, ça fait même partie du jeu cérébral qu'on appelle la foi, le doute, mais bon douter ça ne veut pas dire qu'on ne croit pas: ça veut juste dire que c'est un peu dur à avaler, mais qu'on est prêt à admettre.
On vient d'apprendre que le pape Benoît XVI venait d'annuler l'excommunication des quatre évêques qui avaient été nommés par feu Mgr Lefebvre. Cet acte met a priori un point final à un schisme vieux de vingt ans qui avait vu la "Fraternité sacerdotale Saint-Pie X" mise au ban de l'Eglise. Des schismes, l'Eglise en a connu d'autres mais bon, ça la fout toujours un peu mal. D'autant qu'en ces temps cruels de déchristianisation de l'Europe occidentale, qui voient les églises se vider et les vocations se tarir, le mouvement schismatique de Mgr Lefebvre affiche une santé de fer: 480 prêtres au compteur, des milliers de fidèles dont 180 séminaristes, de quoi faire réfléchir lorsqu'on est pape.
Ah, bien sûr, il y a un hic: tous ces gens abhorrent l'aggiornamento du concile Vatican II. En surface, leurs griefs sont d'ordre liturgique: la messe en latin, le prêtre dos tourné aux fidèles, la communion à genoux, les yeux fermés et en tirant la langue, et toute cette sorte de choses, ils y tiennent. Mais sur le fond, ce qu'ils reprochent à Vatican II, c'est ce qu'ils appellent le "gauchisssement" de l'Eglise: le développement d'un discours tiers-mondiste, antiraciste et non-violent; l'oecuménisme, le "dialogue" avec l'Islam et le Judaïsme. Bref, les "intégristes" - qui se désignent eux-mêmes sous le terme de "traditionalistes" - ne sont pas "dans la ligne". Qu'à celà ne tienne, se dit Benoît XVI, on fera avec. De toute façon, ancien Président de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (nouveau nom du Saint-Office - l'Inquisition) lui-même n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler un curé de gauche. Il a d'ailleurs déjà réhabilité la messe en latin, à la grande joie des Lefebvristes. Fin de l'excommunication, donc, et laissez venir à moi les jeunes prêtres propres sur eux, en soutane et sans guitare.
Cette réintégration des brebis - à poil ras - égarées devait se passer en douceur, mais patatras: l'un des quatre évêques, un certain Mgr Williamson, a nié publiquement, et à plusieurs reprises, l'existence des chambres à gaz. C'est bien simple: il n'y croit pas.
Comme disait Michel Audiard: crac, la mouche dans le lait.
Car désormais, impossible de nier l'évidence: on ne fera croire à personne que Mgr Williamson est une exception, ces intégristes réintégrés benoîtement par le pape Benoît ressemblent furieusement à un ramassis de fachos. On le savait déjà, à travers leur presse attitrée (l'hebdomadaire "Rivarol" et surtout le quotidien "Présent", que l'écrivain Hervé Le Boterf appelait "Le pharisien libéré") et l'engagement militant de figures comme Romain Marie au Front National. Que certains d'entre eux poussent le "traditionalisme" jusqu'à l'antisémitisme est dans l'ordre des choses.
Mais à partir de là, de deux choses l'une: soit on a le droit de raconter ce qu'on veut dans les médias lorsqu'on est un évêque, soit on ne l'a pas. Si on en juge par le sort réservé naguère à Mgr Gaillot, on a tendance à pencher pour la seconde hypothèse. Dès lors, on peut s'attendre à ce que Mgr Williamson, désormais de nouveau membre de l'Eglise catholique, apostolique et romaine aille le seconder dans la surveillance du Sahara. A moins que, sachant que ces déclarations ont été faites avant l'annulation de l'excommunication, on considère que du point de vue de l'Eglise elles ne comptent pas, ce qui serait d'une hypocrisie stupéfiante - mais avec les curés, il faut s'attendre à tout.
Toujours est-il qu'il y a quelque chose de frappant dans les propos de Mgr Williamson: voilà un monsieur qui, en tant qu'évêque, même schismatique, a priori tient pour historiques et évidents des récits comme celui d'une femme vierge mettant au monde un enfant ou celui de la résurrection d'un crucifié 72h après son décès, et considère comme incontestables la Sainte Trinité ou l'Immaculée Conception. En revanche, il est catégorique: les chambres à gaz n'ont jamais existé. Evêque, c'est un métier. Evêque antisémite, c'est carrément une vie d'artiste.
Ce n'est pas encore aujourd'hui que je vais regretter de ne pas être catholique.
Ciao, belli.

mardi 13 janvier 2009

Gaza: une petite guerre, pour la route

Neuf-cent-quarante, treize: c'est, respectivement, le nombre de morts Palestiniens et Israéliens depuis le début de l'opération "Plomb durci", à l'heure où j'écris. On parle de "guerre asymétrique". Neuf-cent-quarante, treize, donc. Encore n'en est-on qu'au début de la "troisième phase de l'offensive", celle qui voit les fantassins de Tsahal se lancer dans le combat de rue à Gaza-city, dans les camps de réfugiés de Khan Younès et d'ailleurs: on n'a donc probablement pas encore vu le plus beau.
Autres chiffres: six cents, quatre-vingt-dix pour cent, quatre-vingt pour cent. C'est d'une part le nombre de roquettes tirées par le Hamas sur le sud d'Israël depuis le début de l'opération, d'autre part la proportion d'Israéliens juifs qui, d'après les sondages, approuvent ladite opération, enfin la proportion de civils parmi les victimes palestiniennes (d'après l'Autorité Palestinienne à Ramallah).
Alors on s'interroge, forcément.
Premièrement: abstraction faite, même si c'est difficile, de l'incroyable violence qui s'abat sur une population déjà très éprouvée, on peut se demander ce qui sous-tend cet affrontement. Pour ce qui concerne Israël on entend, dans les médias, s'exprimer des "buts de guerre": faire cesser les tirs de roquettes, réduire significativement la capacité militaire du Hamas, empêcher son approvisionnement en armes. Tout cela pour garantir la sécurité des citoyens Israéliens à portée de tir du Hamas. Soit. Pour ce qui est du Hamas, on n'entend pas grand-chose à vrai dire, mais on peut raisonnablement supposer que ces tirs de roquettes, de mortier déclenchés à l'aveugle et visant délibérément des civils ont pour objectif de "maintenir la pression", de signifier que malgré le mur, les missiles téléguidés, les drones, le blocus, les assassinats ciblés et tutti quanti, le Hamas est en mesure de frapper presque où et quand il veut. Là encore, on note l'asymétrie des enjeux au premier abord: cogner très fort pour se défendre d'une part, donner des pichenettes pour montrer qu'on bouge encore, d'autre part.
Deuxièmement: y aurait-il quatre-vingt dix pour cent de salauds parmi les juifs d'Israël? Difficile à croire, à moins d'être antisémite. On peut cependant tourner les choses dans tous les sens, ce chiffre est une réalité incontournable, il faut faire avec. Avec le fait qu'une très large majorité de cette société diverse, fragmentée, au sein de laquelle s'affrontent - entre autres - laïcs et religieux, émigrants russes et Israéliens de souche, socio-démocrates et libéraux, riches et pauvres, partisans de la paix et colons jusqu'au-boutistes... se retrouve soudain unanime sur un point: avoir pour voisins des gens qui semblent passer leur temps à vous canarder avec tout ce qu'ils ont sous la main est tout simplement inacceptable, même si leurs projectiles n'atteignent que l'extrémité de votre jardin.
Troisièmement: d'où le Hamas peut-il bien tirer cette énergie, même si elle est suicidaire? Comment se fait-il que l'armée israélienne soit "obligée" de tuer quatre civils pour éliminer un combattant? Même en admettant que le Hamas expose, çà et là, délibérément la vie de femmes, d'enfants, de vieillards à des fins machiavéliques de propagande, même en supposant une criminelle désinvolture de la part des militaires israéliens, on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a, derrière cette imbrication civils/combattants, une autre réalité là encore incontournable: le Hamas n'est pas un greffon artificiel, il fait corps à Gaza avec une société elle aussi diverse, traversée de conflits internes parfois profonds mais en parfait accord sur un point: avoir pour voisins des gens qui ont accaparé la plus grande partie de votre ancien jardin, vous empêchent d'y retourner et qui selon toute apparence s'arrangent pour que vous creviez de faim, de soif, de maladie dans le pauvre bout de terrain qui vous reste, ça aussi c'est tout simplement inacceptable.
La guerre, donc. Mais hormis les spectaculaires différences observées sur les pertes en vies humaines, est-elle si "asymétrique" que ça, au fond?
Il y a bien sûr l'évidente disproportion des moyens, de la puissance de feu des uns et des autres. Mais les adjectifs, lorsqu'ils sont accolés au mot "guerre", sont rarement innocents. Derrière l'"asymétrie" on entend l'affrontement d'une armée bien visible, fortement équipée et de groupes de combattants difficiles à discerner, proportionnellement démunis en armes. Mais on entend aussi un affrontement entre des gens qui veulent se battre "à la loyale", en pleine lumière, et d'autres qui préfèrent l'ombre et le "coup de main". Last but not least et notamment dans le cas qui nous occupe, on entend une guerre dont seul le "petit" a l'initiative, une guerre que le "grand" fait malgré lui, à son corps défendant. C'est cette dernière signification de l'"asymétrie" qu'il convient de questionner, comme on dit, lorsqu'on évoque le scénario sanglant de "Plomb durci".
Qu'il y ait une "pulsion de mort" dans les initiatives du Hamas - pousser délibérément Israël à mener des actions inhumaines, et ce quel qu'en soit le coût en vies civiles, dans le but de détériorer l'image de l'état hébreu - c'est indéniable. Mais s'arrêter là serait faire preuve de naïveté, pour ne pas dire de mauvaise foi.
Car ce consensus au sein de la société israélienne - "fait chier, ces roquettes, à la fin" - les dirigeants israéliens de droite, de gauche, du centre, bien évidemment en sont conscients (les élections sont dans quelques semaines), mais de surcroît tout se passe comme s'ils faisaient tout pour l'entretenir: gérer ce qui est, c'est souvent plus facile que d'imaginer ce qui pourrait être. En outre, nonobstant les roquettes, justement, le statu quo à date est infiniment plus confortable pour les Israéliens que pour les Palestiniens. En apparence, tout au moins, car cette "mise sous pression" permanente a des effets anxiogènes dont la persistance d'un vote extrémiste est un symptôme. Cependant il est finalement plus facile de s'attaquer aux effets - les tirs de roquettes - qu'aux causes - une injustice sur la terre, l'eau, le droit d'aller et venir. Allez, une petite guerre, juste pour la route. Va donc pour "Plomb durci", même si dans trois, cinq, dix ans les fils, les frères ou les cousins des nombreux morts Palestiniens de cette aventure n'auront vraisemblablement que l'idée de vengeance en tête.
Balancer des roquettes sur Sderot au petit bonheur la chance ou bombarder Gaza à coups de missiles bourrés de technologie: dans l'un et l'autre cas, se rassurer sur le fait que rien ne changera vraiment. Dans l'un et l'autre cas, se retrouver dans la peau de ce malfrat, dans le film "Les tontons flingueurs", venant de mitrailler d'autres truands qui ne lui ont rien fait: "Je dis pas que c'est pas injuste, je dis que ça soulage".
Si le seul outil que vous avez est un marteau, chaque problème vous apparait comme un clou, dit le proverbe. Le Hamas a un petit marteau, Israël en a un gros, là est l'"asymétrie". Pour le reste, on chercherait en vain, dans cette affaire, la preuve qu'un état démocratique reconnu raisonne nécessairement de façon plus rationnelle et à plus long terme qu'une formation politique aux contours flous et aux pratiques totalitaires.
Sur ce, à bientôt.