lundi 18 mai 2009

Dieudonné, un symptôme

Comme beaucoup de par le monde, et singulièrement en Europe, je me désole d'un certain nombre de saloperies que font subir des peuples à d'autres peuples, entraînés par des dirigeants dont le cynisme le dispute souvent à la cupidité ou à l'aveuglement historique: ainsi les traitements que sont amenés à faire subir les Russes aux Tchétchènes, les Chinois aux Tibétains, les Israéliens aux Palestiniens, les Turcs aux Kurdes et naguère les Serbes aux Bosniaques font partie de ces choses qui vous font un tant soit peu désespérer du genre humain. Bien sûr, dans la plupart des cas, ce que les uns font souffrir aux autres au nom, d'une façon générale, d'un nationalisme dévoyé, se paye en retour de violence tout aussi radicale.
Cela étant il ne viendrait à l'idée de personne, en tout cas à ma connaissance, de présenter aux élections européennes une liste anti-panrusse, anti-nationalisme turc ou anti-gouvernement chinois. Pourtant vient de se proposer aux suffrages une liste "antisioniste", dirigée par Dieudonné M'Bala, ci-devant partenaire d'Elie Seimoun sur la scène des cafés-théàtres.
Mais alors qu'est-ce? Pourquoi pas, donc, une liste anti-panrusse, pro-Kurdes ou pro-Tibétains? C'est que les militaires Turcs, Russes et Chinois, ordonnateurs des répressions ci-dessus évoquées, ont quelque chose en commun: à de très très rares exceptions près, aucun d'entre eux n'est juif. Ou alors ça se saurait. Par ailleurs même en cherchant bien, ni les Russes, ni les Turcs, ni les Chinois, malgré leur indéniable exotisme pour le Français moyen ne sont, en tant que tels, capables de mobiliser les fantasmes: a-t'on jamais entendu parler d'un "Complot Turc", de la figure du "Russe errant" ou d'un livre comme "Le Protocole des Sages de T'chong"? Tandis qu'avec les Juifs...
Ah mais attention, nous disent Dieudonné et ses colistiers: "Nous ne sommes pas antisémites". Ah bon. Ils s'empressent d'ajouter en substance "On nous accuse d'antisémitisme pour nous dénigrer parce que nous dérangeons". Qui ça? "Les sionistes". Ah ouais, d'accord, d'où l'intitulé de "liste antisioniste", ben oui, t'es con, toi. Mais c'est qui, "les sionistes"?
Bon, là, arrêt sur image. Le sionisme, mouvement politique lancé à Bâle, à la fin du XIXème siècle, par Theodor Herzl, visait à créer un Etat Juif en Palestine: dans la foulée de l'éruption nationaliste qui agitait l'Europe à l'époque, un Juif inventait le nationalisme juif. Cinquante ans plus tard, ce projet se réalisait, dans les circonstances que l'on connaît et avec les conséquences que l'on sait. Le sionisme, donc, idéologie nationaliste parmi tant d'autres, que l'on peut résumer, de nos jours, à un attachement particulier à l'Etat d'Israël. Cet attachement, comme tous les nationalismes, connaît un certain nombre de degrés, de l'affection lucide à l'aveuglement le plus total. Fin de l'arrêt sur image.
Comme c'est étonnant: qui donc, en France, a singulièrement tendance à être attaché à l'Etat d'Israël? Ben les Juifs, tiens. Ah mais, nous disent Dieudonné et les siens, on n'y peut rien, si des Juifs se sentent visés par l'"antisionisme", "y a que la vérité qui blesse", comme l'assène le gros bon sens populaire. Parce que c'est une affaire entendue: "sioniste", c'est une insulte. Comme "kémaliste" ou "panrusse", alors? Euh, oui, enfin non, mais bon, c'est pas pareil, putain tu fais chier avec tes analogies, à la fin.
Dieudonné et les siens rigolent bien dans leur petite tête, ils se disent qu'ils les ont bien eus, "les Juifs" avec leur coup de l'"antisionisme". Pour quoi faire, au fait? Pour défendre la cause Palestinienne? Tu parles s'ils s'en foutent, des Palestiniens. Si les Palestiniens se voyaient privés de terre et d'eau par des Hindouistes ou des Scientologues, par des Belges ou des Vénézuéliens, ils ne présenteraient strictement aucun intérêt. Non, le truc c'est d'agiter de nouveau les grelots du "complot", dut-on le baptiser "sioniste" pour rester dans la légalité.
Mais revenons à nos moutons: quel rapport avec le Parlement de Strasbourg (et donc, avec la choucroute)? En supposant que la véritable motivation de la liste Dieudonné soit la défense de la cause Palestinienne, on resterait néanmoins perplexe. Tout comme surprendraient des listes pro-Kurdes ou pro-Tibétaines.
Il y a que, comme pressenti sur ces pages en fin d'année dernière, ces élections européennes s'annoncent malheureusement comme une vaste pantalonnade: un PS qui hésite entre le "vote-sanction", le "vote utile" et le "vote efficace" (pourquoi pas le "à vote bon coeur"?), une UMP qui entonne l'air de "Ah, si Sarkozy était Président-d'Europe-à-vie", à côté desquels gesticulent un vicomte Vendéen, des néo-bolcheviks, des paléo-marxistes, un "centriste" qui cisèle son marketing pour 2012, l'alliance d'une carpe et d'un lapin verts, sans oublier le parrain de l'enfant de Dieudonné (encore lui) qui nous joue l'"Eternel retour" sans Nietzsche ni Cocteau. Dans ce brouhaha, les enjeux véritables (comme: créera t-on un contre-pouvoir durable face aux ayatollahs néo-libéraux de Bruxelles?) disparaissent au profit de pathétiques questions électoralistes nationales.
A partir de là, l'existence d'une "liste antisioniste", pour incongrue qu'elle soit et quelle que soit l'indignation qu'elle puisse susciter, n'est rien de plus qu'un symptôme: le symptôme d'une consultation électorale que ses promoteurs a priori (les partis politiques authentiquement démocrates, de droite comme de gauche) ont, par leur comportement, de facto réduit à une espèce de sondage grandeur nature. Les électeurs, d'ailleurs, ne s'y trompent pas qui, majoritairement d'après les "vrais" sondages, refusent de faire partie de l'échantillon.
Les élections européennes ou le règne du n'importe quoi, une vaste fête du slip. N'importe quoi, donc pourquoi pas Dieudonné et son faux-nez?
Je serais le premier à affirmer qu'on a, après tout, la démocratie qu'on mérite. Mais là, je me demande bien ce que les Européens de France (il y en a) ont bien pu faire pour mériter ça...
A bientôt