samedi 8 novembre 2014

Le Front National, l'étroit Moscoutaire

Marine Le Pen veut, paraît-il, adresser une "lettre aux Français" suite au congrès de son parti qui se tiendra à la fin de ce mois. Bon, c'est sympa, une lettre. Ca les changera, les Français, des "cartes postales" de Sarkozy-le-récidiviste.
Ca vous a un côté littéraire, instruit - presque vieille France, pour tout dire, surtout à l'heure des "tweets" à gogo. Et puis ça laisse entendre une volonté de de s'ouvrir, de clarifier et d'aller loin dans l'explication des choses: tout ça n'avait pas échappé à François Mitterrand en 1988, lorsque sa "Lettre à tous les Français" prit résolument le contre-pied du style bruyant et lapidaire, voire lessivier, de la communication politique du moment - affichage tapageur, clips télévisuels. Tout cela n'était bien sûr qu'une nouvelle astuce de "communiquant" mais bon, sur le coup, nous fûmes nombreux à tomber dans le panneau (pour ce qui me concerne: parce qu'au moins, ça avait de la gueule).

Tout ça pour dire que, fondamentalement, l'idée d'envoyer une missive, plutôt que de produire un énième clip, laisse entendre qu'on va s'adresser à l'intelligence de l'électeur plutôt qu'à ses émotions de consommateur d'images. La lettre, c'est l'argumentation plutôt que la répétition, le développement plutôt que le résumé. Mais c'est aussi, et surtout, un souci de transparence et d'exhaustivité.
Dès lors, je me prends à rêver que Marine Le Pen n'oublie pas, dans sa correspondance qui préfigurera sans doute son programme politique pour 2017, d'évoquer sans ambages l'un des piliers de ses orientations en matière de politique étrangère: son tropisme pro-Russe. Je rêve qu'en ce domaine comme dans d'autres - l'Europe, la mondialisation, l'immigration... - elle se mette à annoncer la couleur en toute franchise. Ne serait-ce que parce qu'on aura célébré depuis peu le vingt-cinquième anniversaire de la fin du mur de Berlin.
Berlin, 1984, vue par votre serviteur
En 1989 s'effondrait le symbole le plus visible de l'existence d'une "autre Europe" dominée par l'Union Soviétique. Cette dernière, in fine, ne s'en remit pas, et cette désintégration de la "maison-mère" à Moscou précipita la chute de ses filiales étrangères, et singulièrement du Parti Communiste Français - désormais réduit, suprême humiliation, à la taille d'une formation trotskyste.
Ah, le P.C.F.... S'il n'avait pas existé, y aurait-il seulement une extrême-droite en France? Car l'anti-communisme ("primaire, secondaire, et même supérieur", pour reprendre les mots de Jean-Marie Le Pen) comme raison d'être fut longtemps l'apanage de cette droite "nationale" qui fit son beurre de son hostilité à l'égard de l'Union Soviétique. Et, de facto, fustigea avec constance la servilité à peine dissimulée des communistes français à l'égard du "grand frère" de l'Est. Cette droite "nationale" créa même à cet effet, et ce dès les années trente, un adjectif: "moscoutaire". Tout était dit dans ce qualificatif, notamment la nature singulièrement étrangère et "anti-nationale" des communistes et de leurs partisans. Notons que le plus drôle est qu'il se trouva des crétins, au sein de la gauche non-communiste, pour contester cette accusation, avant (au nom de l'anti-fascisme) et après (au nom de la Résistance) la seconde guerre mondiale, alors que s'il est un point sur lequel la droite "nationale" a eu raison avant tout le monde ou presque, c'est bien sur la question de la subordination inconditionnelle des communistes, en tant qu'organisation, aux intérêts de l'Union Soviétique.
Cet anti-communisme structurel, et pour tout dire ontologique, de l'extrême-droite française, lui permit à maintes occasions de se poser en défenseur de la Liberté - notamment lorsque fut, une bonne fois pour toutes, mise à jour en nos contrées la nature totalitaire du régime soviétique (le "choc" Soljenitsyne à la fin des années 70). De même, les folliculaires d'extrême-droite firent naguère leurs choux-gras de la publication de l'ouvrage de Jean Montaldo sur Les finances du P.C.F. (Albin Michel, 1977), mettant en lumière le rôle d'une certaine "Banque Commerciale de l'Europe du Nord", faux-nez soviétique, dans le maintien à flot des caisses du "parti". Bref, n'eurent été les turpitudes des "moscoutaires", l'extrême-droite et le Front National auraient été bien peine de se trouver des figures crédibles de l' "anti-France". Et donc, quelque part, d'exister.

Or, de nos jours, la complaisance vis-à-vis de Moscou est de mise, chez les Le Pen. On ne compte plus les voyages de Marine dans la capitale russe, reçue notamment cet été par le président de la Douma. Un récent article de "L'Obs" (édition du 23 Octobre) laissait même entendre que le Front National, à l'instar d'autres formations en Europe comme le parti Jobbik en Hongrie, bénéficierait de financements des oligarques proches du pouvoir russe. Reconnaissance du ventre ou vraie conviction? Marine Le Pen ne manque pas une occasion de fustiger "l'atlantisme" du gouvernement français et les sanctions décrétées par les Etats-Unis et l'Union Européenne à l'encontre de la Russie de Vladimir Poutine. On l'a vu ici, cette fascination, à l'extrême-droite, pour un pouvoir fort, héraut d'une "civilisation chrétienne" que menacerait le "cosmopolitisme" d'Outre-Atlantique, ne date pas d'hier. Mais justement: si la Russie, à la fin du XXème siècle, a radicalement changé de système économique et social, il ne s'est guère passé de temps avant que, sur le plan politique, les faits ne viennent contredire les mensonges des ultra-libéraux sur les liens prétendument indéfectibles entre économie de marché, d'une part, droits de l'individu et démocratie, d'autre part: on pourra justifier, expliquer la nature du régime Poutine comme on voudra, il n'empêche que, sur le plan des libertés politiques, le pouvoir de l'ex-KGBiste Poutine ne constitue pas un "saut qualitatif" spectaculaire par rapport au soviétisme finissant. Par ailleurs il reste à démontrer que "l'intérêt de la France" est à un revival de l'alliance franco-russe de 1901, dont on sait combien elle contribua à la catastrophe d'Août 14... A tout le moins elle se ferait au prix d'une rupture définitive avec la Pologne et les pays baltes qui, eux, ont payé pour voir.
Nonobstant, le Front National de Marine Le Pen est aujourd'hui à la Russie de Vladimir Poutine ce que le P.C.F. de Georges Marchais était hier à celle de Leonid Brejnev: une formation satellite, un tremplin vers la constitution de troupeaux "d'idiots utiles". La différence est que les communistes croyaient, ou faisaient semblant de croire, que le pouvoir de Moscou construisait "l'avenir radieux de l'humanité", tandis que le F.N. vit très bien avec le fait qu'il soutient un régime autoritaire et liberticide. Arguant, comme le faisaient naguère nos staliniens nationaux, des compromis récurrents et à peine honteux que font les démocraties occidentales, et en premier lieu les Etats-Unis, avec la défense inconditionnelle de la paix et des libertés dans le monde (les exemples ne manquent pas de ces hypocrisies, il est vrai).
De fait, la formation de Marine Le Pen peut sans hésitation être qualifiée de "moscoutaire": un parti, faisant l'impasse sur l'Europe non seulement en tant que construction politique mais aussi et surtout en tant que système de valeurs, tourné vers l'Est, y décelant un modèle. Un "parti de l'étranger", en quelque sorte, dont la vision est étroite, subjuguée qu'elle par les "lumières" de Moscou tel un lapin dans les phares d'une automobile, comme autrefois le P.C.F... Singulier chamboulement des figures de la politique, étrange tête-à-queue de l'Histoire. Ou pas, finalement.

Toujours est-il qu'il serait bon, qu'il serait juste, qu'il serait honnête que Marine Le Pen, dans sa "lettre aux Français", expliquât à ses concitoyens tout le bien qu'il faut penser de la Russie de Vladimir Poutine. Et donc d'un pouvoir politique qui fait assassiner des journalistes et emprisonner ses opposants, qui protège les mafieux, entretient des guerres chez ses voisins et envoie des jeunes femmes dans des camps, pour cause d'irrespect envers la religion et le gouvernement. Il serait bon qu'elle les informe qu'à compter de 2017, si elle est élue, la France opérera un revirement diplomatique la rapprochant significativement de ce pouvoir.

On verrait alors, pour autant que suffisamment d'électeurs sachent lire, si sa marche vers l'Elysée est aussi irrépressible qu'on le dit. C'est d'ailleurs pour ça que sa "lettre" ne pipera pas un mot sur le sujet, en tout cas pas clairement. On parie?

A bientôt