jeudi 12 avril 2012

Mélenchon, piège à cons?

En cette campagne électorale, dont le tempo paraît définitivement marquer l’alignement du politique sur le médiatique, une campagne durant laquelle l’intensité des polémiques n’a d’égales que leur obsolescence et leur futilité – citons en vrac l’étiquetage de la viande halal, les modalités d’accès au permis de conduire, la « dignité » face aux drames de Toulouse et Montauban – bref une campagne toute sarkozyenne faite de « coups », de « buzz » et d’échange de noms d’oiseaux émerge, à la surprise de tous, un phénomène qui semble issu des profondeurs du corps électoral : la montée spectaculaire de Jean-Luc Mélenchon dans les faveurs de l’opinion. Faisant craquer la lisse surface d’un combat politique voué au zapping et aux guéguerres d’image, surgirait le geyser d’une colère trop longtemps étouffée – « la rivière est sortie de son lit » comme le disait l’intéressé lors d’un de ses meetings. Du coup, on ressort de la sacristie les vieux numéros du « Cri du Peuple », les drapeaux rouges, les portraits de Guevara. On fredonne de nouveau « La Jeune Garde ». Et on se dit que le vieux Marx n’est pas mort, car il bande encore.


Le phénomène Mélenchon dans l’opinion a pris de telles proportions qu’au PS on se dit ici et là qu’un appel au « vote utile » ne ferait vraiment pas de mal. Seulement voilà, on se le dit en silence car l’appel au « vote utile », camarade, c’est ringard, vois-tu. « Pas d’ennemis à gauche » au premier tour, de toute façon on se rassemble au second, n’est-ce pas ? Mélenchon, somme toute, aurait son utilité : face aux tentations Sarko-Lepénistes qui hantent la « France d’en bas », sa grande gueule jouerait les voitures-balais, captant le vote populaire en vue de la victoire finale du 6 Mai. Car les sondeurs sont formels : 85% au moins du vote Mélenchon se reporte sur Hollande. Et puis on ne saurait insulter la démocratie en se prétendant « utile », donc supérieur, sous prétexte qu’on évite de promettre la lune. Que certains, surtout les plus démunis, préfèrent les utopies aux programmes, c’est bien leur droit, ils souffrent tant : laissons-les rêver un peu, ça fait de mal à personne, tant que le populo reste hors d’atteinte des griffes de l’hydre xénophobe.

M’ouais. Et si cette complaisance vis-à-vis du leader du Front de Gauche était tout simplement une forme de paresse, de résignation et, in fine, de connerie?

Pour commencer, vous je ne sais pas, mais moi Mélenchon malgré son talent, son humour dévastateur, son énergie, sa culture, il me les brise menu. Même s’il me rappelle un peu mon grand-père que j’aimais beaucoup - parce qu’il versait tout autant sa larme à l’écoute du « Temps des Cerises » que de celle de la « Marseillaise » - j’ai beaucoup de mal avec ce bonhomme qui personnifie la franchouillardise jacobine et centralisatrice, l’arrogance du « gallus » perché sur ses ergots qui pense avoir raison contre le monde entier sous prétexte qu’il fait davantage de bruit que ses voisins de basse-cour.

Et puis c’est quoi, le Front de Gauche ? A la base, un groupuscule issu de la gauche du PS, le Parti de Gauche, dont les effectifs auraient pu tenir congrès dans une cabine téléphonique. Mais parce que son leader a du charisme est venu s’agréger à ce groupuscule un Parti Communiste Français en phase terminale depuis Novembre 89 et la faillite de sa maison-mère. Et avec lui, malgré tout, un appareil en état de marche et surtout un réseau d’élus et une expérience multi-décennale de la pratique des campagnes électorales. Sans oublier une galaxie d’intellectuels, de militants déçus des impasses de la « gauche de la gauche ». Car contrairement au NPA et surtout à Lutte Ouvrière, le Front de Gauche n’entend pas injurier l’avenir en excluant a priori toute forme d’alliance avec le PS. Bref le Front de Gauche, c’est une alliance de bolcheviks qui réfléchissent : ils ont su dépasser Ramon Mercader et son marteau meurtrier, et ont compris qu’on ne construit pas une force politique conséquente en se comportant comme des Raëliens.

Mais tout ça mis bout à bout n’atteindrait jamais 15% dans les sondages, n’étaient les formidables dons d’orateur de Jean-Luc Mélenchon. « Bon client » des médias, il vitrifie ses contradicteurs et galvanise les foules par des fulgurances objectivement brillantes. N’était surtout l’exaspération de millions de chômeurs, de précaires, de sous-payés ou de « gens normaux » face à l’insoutenable culot d’une certaine élite politico-économique ânonnant, comme si de rien n’était, son catéchisme néolibéral. Exaspération que ne saurait a priori complètement calmer un programme social-démocrate comme celui de François Hollande.

Chez Mélenchon, en revanche, pas de problème : les riches, les banques, les entreprises, tous paieront jusqu’au dernier cent pour financer une spectaculaire augmentation du SMIC, les retraites comme au bon vieux temps, un accroissement des dépenses publiques dans quasiment tous les domaines. S’ils ne sont pas contents, c’est pareil, vive l’Etat tout-puissant et volontariste. Le tout en faisant un bras d’honneur à l’Europe, sans parler du reste du monde. Si Mélenchon était à droite, on appellerait ça de la démagogie. Mais comme il est à gauche, on parle pudiquement d’ « utopie mobilisatrice », voire « d’espoir de vrai changement ». Et on respecte cette « sensibilité ».

Foutaises, merde, à la fin. Car quelle est la posture qu’on nous vend, dans cette histoire ? Au final, la même que dans le supermarché Sarkozy : à bas les mous, vivent les durs, en politique il faut de la « volonté », une « colonne vertébrale ». Tandis que Sarkozy veut passer outre les corps intermédiaires à coup de référendums, Mélenchon piétine ce qui fait une démocratie moderne – le compromis avec le réel. Au fond, ces deux là se ressemblent, je dirais même qu’ils se complètent. Et s’entendent implicitement comme larrons en foire pour fustiger un François Hollande qui, pensez-donc, entend négocier, avec patronat et syndicats, le financement des retraites et bien d’autres choses encore. Négocier ? Un truc de gonzesses, ça. Votez Nicolas ou Jean-Luc, des hommes, des vrais.

Là-dessus il faudrait trouver normal, voire légitime, qu’ouvriers, employés, chômeurs, précaires et autres « damnés de la Terre » se rallient derrière le drapeau rouge de Jean-Luc-le-tribun. Car bien sûr c’est ça ou Le Pen, le peuple est con, c’est bien connu. Incapable il est, le peuple, de discerner le possible du souhaitable et donc de voter Hollande dès le premier tour. Mais pas de problème, il le fera au second, les sondeurs nous l’affirment. Non mais où on est, là ? Moi je dis qu’il y a du mépris, de la condescendance dans le fait de baisser les armes devant ce Grand Timonier à la sauce bleu-blanc-rouge. De l’inconscience, aussi. Car derrière Mélenchon et ses sourires, il y a une nébuleuse qui ne rêve que d’une chose, « plumer la volaille social-démocrate », quitte à travailler à l’élection de Jean-François Copé en 2017, et ce dès le 7 Mai si Hollande est élu.

Le vote Mélenchon n’est pas un piège à cons : c’est au contraire un piège pour des gens plutôt intelligents qui se disent qu’ils vont eux-mêmes pouvoir influencer les orientations de Hollande pour le second tour, tandis que ceux qu’ils tiennent pour moins intelligents qu’eux pourront se défouler sans risque. Outre le fait que c’est donner beaucoup de crédit à des sondeurs qui ne savent plus où donner du coefficient de redressement, c’est un piège qui les amène à cautionner un marchand d’illusions gorgé de testostérone qui ne vaut guère mieux, au fond, que l’autre.

Alors je le dis sans honte : « vote utile » n’est pas un gros mot. Jaurès plutôt que Guesde, Mendès-France plutôt que Thorez, Mitterrand plutôt que Marchais. Say it loud : I’m social-democrat and I’m proud.


Ciao, belli.