mercredi 20 novembre 2013

Le clin d'oeil de Copé

Monsieur Jean-François Copé ne fait pas dans la nuance, c'est le prix à payer si l'on entend représenter une "droite décomplexée" - à défaut de la droite tout court, pour laquelle les candidats à la "représentation" sont pléthore. Ses déclarations à l'emporte-pièce ne vaudraient donc pas qu'on s'y arrête exagérément, n'était parfois ce qu'elles révèlent d'une "pensée" ou, plus exactement, d'un ensemble d'"arrière-pensées".
Ainsi dans Le Parisien/Aujourd'hui en France de ce jour, répondant à la question "la France devient-elle raciste?" il répond : "L'amalgame qui consiste à faire croire qu'il y a un péril raciste en France est insupportable. C'est un écran de fumée de la part du PS" car "le véritable sujet de préoccupation des Français, c'est l'insécurité, le chômage, les impôts". Et de suggérer qu'il "faudra un débat empreint de respect et de lucidité sur la question de l'identité et de ces tensions qui opposent les communautés (...)".

Edifiant, en vérité. Bien sûr, au premier abord on notera qu'à "écran de fumée", "écran de fumée-et-demi". A l'instrumentalisation réelle ou supposée par le PS des questions liées au racisme, il ne convient pas de répondre par un programme d'action gouvernementale alternatif qui résoudrait les "vrais problèmes" mais... par l'organisation d'un débat sur les questions "identitaires". Il est vrai que celui déployé en 2010 par Eric Besson fut un véritable succès, durant lequel de nombreuses manifestations de "respect" et de "lucidité" bien françaises forcèrent l'admiration du monde entier. Et puis suggérer la réactivation d'un tel exercice permet d'éviter d'avoir à s'étendre sur un éventuel programme économique et social dont on sent bien, jusqu'à preuve du contraire, qu'il ne diffère pas énormément de l'agenda du MEDEF. Bref, plutôt que d'aborder sérieusement les sujets qui fâchent, tâchons de botter en touche sur l'"identité nationale".

Mais au-delà de cette pirouette somme toute convenue, on relèvera surtout que ces déclarations nous renvoient à un "air du temps" hexagonal qui, il faut bien le dire, sent un peu la merde. Un "air du temps" où aux querelles, aux débats politiques classiques - autorité/libertarisme, égalité/équité, jacobinisme/fédéralisme, dépense publique/initiative privée, collectif/individuel, solidarité/concurrence, etc... - certains entendent substituer non un affrontement d'idées, mais de personnes. Pour faire (très) court: le "peuple" face aux "élites". Une "fracture culturelle" où à la demande "identitaire" des uns, les autres répondraient "morale". Une "fracture culturelle" résultant de l'escamotage du social par le sociétal, une "fracture culturelle" opposant les "vrais gens" à une coterie économico-médiatico-politique endogamique et auto-centrée. Les exemples ne manquent pas des coups de projecteurs braqués sur cette "fracture", des éditos hargneux d'un Eric Zemmour dans le Figaro Magazine au "Sortez les tous" de Jean-Luc Mélenchon, en passant par les attaques répétées des uns et des autres contre les "bien-pensants".
Réalité ou fantasme? Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer le "décrochage" croissant de façon exponentielle entre une large fraction de la population et le monde politico-médiatique, il faudrait débarquer de la Lune pour ne pas percevoir ce dialogue de sourds entre la "parole des dominés" et le "discours dominant" qui s'est maintenant établi depuis longtemps.  Et reconnaissons que le cheminement du PS ces trente dernières années a largement contribué à cette situation. Soit.

Mais à partir de là, deux attitudes possibles: soit on s'efforce de traiter les questions de fond, de recréer des liens défaits, de ré-inventer une agora fructueuse et constructive où s'affrontent les solutions et non les Hommes, soit on cherche à tirer avantage de la situation. C'est bien évidemment la seconde option qu'a choisie le Front National, dont la raison d'être est, précisément, d'assumer le rôle de porte-parole d'un "peuple" qui rêverait de faire basculer les "élites bien-pensantes". Si la "fracture culturelle" n'existait pas ou très peu, Marine Le Pen l'inventerait. Et justement: dans l'univers hyper-médiatique qui est le nôtre, où les mots se substituent volontiers aux choses, bien malin qui saurait distinguer la cause de l'effet, entre l'inflation du discours sur ladite "fracture", et l'accroissement même de cette "fracture". La poule et l'oeuf, n'en doutons pas.

Dans ce contexte, la série de "petites phrases" de Monsieur Copé n'est pas anodine. Quand il balaie d'un revers de manche l'émotion suscitée par les injures racistes proférées à l'égard de Christiane Taubira, il renvoie cette émotion, cette indignation à un discours somme toute parasitaire, un discours de gouvernants cherchant à distraire les gouvernés. On se souvient du clin d'oeil complice de Nicolas Sarkozy aux agriculteurs - "l'environnement, ça commence à bien faire!". Jean-François Copé ne fait rien d'autre que nous dire entre les lignes: "Bon, ça ira, maintenant, l'antiracisme". Ce faisant, il espère sans doute souligner son positionnement de "décomplexé", lui aussi sait faire des clins d'oeil. Et pas qu'aux agriculteurs, attention, là on joue dans une autre catégorie. Joli progrès.



Cela dit,  à force de parler d'un monde où quand les petits cons brûlent des voitures, c'est de l'insécurité et où quand les gros cons brûlent des portiques à écotaxe, c'est de la colère, à force de parler d'un monde où l'adversaire politique ne peut être qu'illégitime, à force de parler d'un monde où les propos de bistrot tiennent lieu de ligne idéologique, à force de parler d'un monde où l'antiracisme ne serait que de la poudre-aux-yeux, à force de parler d'un monde où la "fracture culturelle" est irrémédiable, ce monde finit par advenir. La prophétie auto-réalisatrice, ça s'appelle.

Mais en tout état de cause, Copé ne fait que scier la branche sur laquelle il trône. Car dans ce monde, qu'il le veuille ou non, lui non plus n'a pas sa place.

Ciao, belli.

mercredi 6 novembre 2013

Bonedoù Ruz ha Koc'h Ki Du

Bien peu de mes lecteurs prennent la peine de poster des commentaires sur mon blog. Il en est un, cependant, dont les contributions sont régulières. Anonyme, il s'appelle. Ou bien "elle", allez savoir. Dernier commentaire en date, que je vous laisse le soin de savourer en détail, au cul de mon dernier "post": en gros, me demandant, en Breton, si je dors, il me suggère fortement de réagir à la "révolte" bretonne, "revival" auto-proclamé de la "révolte des bonnets rouges" qui secoua la Bretagne dans la seconde moitié du XVIIème siècle, plutôt que de m'épuiser à parler du FN, sachant que par ailleurs les masses africaines nous envahissent, ce qui a priori n'a rien à voir, sauf que si, apparemment, pour ce(tte) brave Anonyme. Clamant ma bretonnitude par le titre même de mon blog, me voilà sommé de prendre position. En faveur de ladite révolte, cela va de soi, qui pour Anonyme prend des allures de "dispac'h" (révolution, en Breton), rien que ça. Une sorte de surmoi surgi des brumes cybernétiques m'enjoint donc de rallier la cause des nouveaux "bonnets rouges", à tout le moins d'en parler.
Il se trouve qu'aux dernières nouvelles le gouvernement avait, une fois de plus, reculé devant une fronde anti-fiscale, suspendant la cause apparente - ou, plus exactement, "la goutte d'eau qui avait mis le feu aux poudres" - du courroux breton, à savoir l' "écotaxe" sur la circulation des poids lourds. Fin de l'histoire, "echu an abadenn", plus la peine de s'énerver, fût-on Breton. Las, les "bonnets rouges", ce jour, par la voix du maire de Carhaix, en remettent une louche: il convient que gouvernement supprime définitivement ladite taxe sinon, attention, ça va de nouveau barder dans le Landernau. Bon, là, ça commence à sérieusement me gonfler, cette histoire, il est temps d'en parler.

Pour dire d'abord que, même si l'époque - et son addiction au bruit médiatique plutôt qu'aux questions de fond - s'y prête, goutte d'eau ou pas, il convient de ne pas tout mélanger. Il y a, d'une part, une crise de l'industrie agro-alimentaire en Bretagne. Et, d'autre part, la mise en place en France d'une taxe à vocation écologique d'ores et déjà en place en Allemagne et en Suisse, qui ne s'en portent pas plus mal. D'emblée, on sent bien que le refus de ladite taxe jette un commode écran de fumée sur les causes profondes de la débandade d'un modèle économique qui, malheureusement, concerne 30% de la population active en Bretagne. A cette confusion dans le discours protestataire breton, l'opposition de droite trouve une explication: le gouvernement socialiste, par son "matraquage fiscal", aurait discrédité par avance cette fiscalité a priori judicieuse, puisque décidée par le précédent gouvernement. En substance: les Bretons sont un peu cons et vous leur avez embrouillé l'esprit avec tous vos impôts, maintenant voilà, ils ont le bourrichon tout remonté contre cette taxe qui était vachement bien. Donc si les Bretons n'ont rien compris au film, c'est la faute aux socialistes. Bien géré par un aréopage de génies de l'UMP, ce truc serait passé comme une lettre à la poste, c'est évident. Passons. Toujours est-il que confusion il y a, et qu'elle n'est pas fortuite.
Car quelle est cette crise qui jette des milliers de Bretons dans la rue, avant d'aller grossir les fichiers de Pôle Emploi? C'est l'effondrement d'un "business model" fondé peu ou prou sur une série de "mono-cultures" généreusement subventionnées par l'Union Européenne, volailles en batterie d'une part, élevage de porcs hors-sol d'autre part, pour prendre deux exemples saillants. Du côté des poulets on subventionne car, au nom d'accords de libre-échange signés plutôt deux fois qu'une par les dirigeants européens - dont, singulièrement, les gouvernants français, de gauche comme de droite - on a mis en concurrence des Bretons, des Brésiliens, que sais-je encore, sur un marché désormais mondial. Or l'Union Européenne entend supprimer la "restitution", subvention destinée à compenser le manque de "compétitivité" des entreprises européennes - comprenez: les salaires à peu près décents - en matière de production de volaille. Cette suppression n'est pas intervenue par surprise, mais toujours est-il que les dirigeants de Tilly-Sabco, acteur majeur du secteur en Bretagne, en ont déduit qu'il ne leur restait qu'à jeter l'éponge, à savoir supprimer 1000 emplois, excusez du peu. Du côté des cochons, depuis quelques temps les entreprises bretonnes souffrent de la concurrence... de l'Allemagne, où leurs compétiteurs emploient sans vergogne des ouvriers bulgares payés des queues de cerises. Subventions ou pas, pas moyen de s'aligner. Et boum, quelques centaines d'autres salariés à la poubelle. Adieu cochons et poulets, veaux et vaches n'ont qu'à bien se tenir, la Bretagne s'effondre.
La faute à quoi, la faute à qui? On ne s'attardera pas sur les ravages de la doxa néo-libérale qui sévit "à Bruxelles", doxa compensée, dans une dialectique perverse, par l'intense lobbying de nations défendant leurs "intérêts": pour ce qui nous occupe, la France s'accroche bec et ongles à la sacro-sainte "politique agricole commune", pluie de subventions dont elle est la principale bénéficiaire. Au final, l'absurdité d'un système qui s'emploie à détruire, au nom de la concurrence "libre et non-faussée", les entités économiques dont il a encouragé l'émergence ("être présent sur le marché mondial") - des mastodontes de la production alimentaire dont la viabilité ne repose, in fine, que sur l'argent public.
On relèvera, en revanche, la constance avec laquelle ce "modèle" est défendu par la plupart des élus bretons. Qu'on songe, malgré l'activisme d'une association comme "Eau et Rivières de Bretagne", à l'impunité dont bénéficie l'élevage porcin hors-sol quant à la pollution aux nitrates des nappes phréatiques. Les plages aux algues vertes en sont le symptôme le plus visible, mais n'oublions pas, surtout, que boire de l'eau du robinet qui ne soit pas dûment filtrée relève de l'inconscience, du côté de Saint-Brieuc.
On relèvera, en revanche, la gestion à courte-vue de chasseurs de subventions grimés en "entrepreneurs" et leur fuite en avant dans le gigantisme de la mal-bouffe.
On relèvera, en revanche, que les centaines de millions d'Euros versés aux éleveurs bretons afin qu'ils puissent faire mu-muse sur le marché mondial ne sont pas disponibles pour aider à développer des PME viables, non-polluantes et potentiellement génératrices d'emploi.

Alors je comprends le désarroi des centaines de salariés éjectés du système comme des malpropres, et pas seulement parce qu'ils sont bretons. Mais, comme les racistes dans le mot de Léopold Sedar  Senghor, je pense qu'ils se trompent de colère. Celle-ci devrait viser leurs élus, leurs patrons, complices d'un système qui les aura broyés. Et non une "écotaxe" qui, pour autant qu'elle voie le jour, serait justement un premier pas, même timide, vers une sortie dudit système.

Et puis qu'on nous lâche la grappe avec la symbolique des "bonnets rouges". Pour mater cette révolte anti-fiscale, Louis XIV rapatria des frontières de l'Est sa soldatesque qui, après avoir ravagé le Palatinat, pendit, brula et viola à tour de bras en Bretagne. A l'époque, même si on n'avait pas encore vu le plus beau, l'"Etat français" ne rigolait pas avec le respect de son autorité. A l'époque, surtout, l'"Etat français" ne faisait pas l'aumône auprès de ses voisins européens pour entretenir l'économie bretonne à coups de subventions. Il leur faisait la guerre, quitte à se ruiner, d'où son besoin en rentrées fiscales.
Alors que certains Bretons, bretonnants ou non, arrêtent de se la raconter avec cette "révolte". Loin d'être un "sursaut breton", elle n'est que l'avatar du moment d'un phénomène bien franchouillard, hexagonal en diable: la détestation des impôts que l'on subit et l'adoration de la dépense publique, pourvu qu'on en soit bénéficiaire. Pas étonnant que le Front National apporte son soutien à cette colère si tricolore.

Et si "bonnets rouges" (bonedoù ruz) il doit y avoir, qu'ils s'en prennent à ces industriels qui nous font bouffer de la merde, et polluent les sols avec leur merde. En Breton, le mot "merde" ne vient pas seul, on se doit de préciser qu'il s'agit de "merde de chien noir" (koc'h ki du). Rouge, noir: joli contraste, effet visuel garanti.

A wech all

mercredi 11 septembre 2013

FN: faites péter les digues!

Bon, ben ça, c'est fait.
On sentait bien que dans la guéguerre Fillon-Copé, le second avait choisi un positionnement qui pouvait éventuellement lui donner un avantage sur le premier, à savoir sa fameuse "droite décomplexée", entendez: "Houlà, mais on s'en fout des diatribes de la gauche, moi je caresse l'identité nationale dans le sens du poil si ça me plait, tiens, vous la connaissez celle du pain au chocolat?". Certes, le discours un peu va-de-la-gueule du leader en titre de l'UMP n'est pas pour rien dans la récente émancipation (enfin, tout est relatif) d'un "centre" pour qui cette "droitisation" joue le rôle d'un répulsif. En revanche côté militants-de-base/forces-vives-du-parti ça n'est pas forcément un mauvais calcul - Sarkozy, le prestigieux maître Jedi, le Yoda à onze millions d'Euros, ayant largement habitué ses admirateurs à ce genre de posture. Et les militants, donc le parti et la puissance de feu qui va avec, c'est important.
En face, Fillon, avec son côté démo-chrétien-pull-à-col-en-V et son petit air "moi, vous comprenez, j'ai des valeurs" avait fini par sembler un peu mou du genou. Potentiel rassembleur de "centristes" à la dérive, certes, mais pas très crédible dans l'hypothèse d'un exercice de saine émulation avec Marine Le Pen. Donc tintin pour l'unanime ferveur militante, surtout dans le Var ou les Bouches-du-Rhône.
Mais le week-end dernier, François Fillon semble avoir un peu comblé son écart sur ce thème. Interrogé sur les consignes de vote qu'il donnerait en cas de duels Parti Socialiste-Front National au second tour d'élections municipales, il a répondu qu'il appellerait à voter pour "le moins sectaire". Aux yeux de François Fillon, il est potentiellement des situations où un candidat PS peut être considéré comme plus "sectaire" qu'un candidat FN. "Plus sectaire", ça c'est une trouvaille.   Ca laisse la porte ouverte aux interprétations de toute sorte: par exemple on pourra considérer comme "sectaire" un candidat PS qui fustige son adversaire UMP faisant des appels du pied aux électeurs du Front National au premier tour. Cracher à la gueule de, mettons, 20% des électeurs, c'est "sectaire" d'un certain point de vue, non? CQFD. Message envoyé à tous ces élus et militants "de base" qui enragent de ne pouvoir ouvertement faire ami-ami, avec le FN: "Moi aussi, je vous ai compris".
Donc ça, c'est fait: François n'a plus à rougir, lui aussi a la niaque, pas plus "complexé" qu'un autre.

Pas de quoi en déféquer un Panzer, me direz-vous, tout ça c'est la routine des "petites phrases", des comme ça on en entend tous les jours, et puis qui peut bien s'intéresser aux hypothétiques consignes de vote d'un François Fillon au deuxième tour des municipales de 2014, hein, franchement? Certes.

Quoique. Il y a tout de même quelque chose dans cette histoire qui mérite qu'on s'y arrête: non l'astuce rhétorique de Fillon, mais le tollé Pavlovien qu'elle a suscité du côté du Parti Socialiste. Dès dimanche soir, Harlem Désir se fendait d'un communiqué déclarant qu'il était "inédit" et "inacceptable" d'encourager un "désistement anti-républicain en faveur de l'extrême-droite par pur cynisme électoral", dénonçant "des propos qui établissent une équivalence entre le PS et le FN" et "ouvre(nt) un peu plus les portes de la République au FN". Fermez le ban.
Soyons clairs: j'ai moi-même, avec ce blog, fait partie de la meute qui a régulièrement souligné les glissements récurrents du discours de la droite parlementaire vers les thématiques du Front National depuis 2007 et déploré la "banalisation" du Lepénisme qui en est la conséquence logique. On a beaucoup ri, mais arrive un moment où il faut un peu réfléchir et se dire qu'il n'y a que les cons (et le pape) qui ne changent pas d'avis: j'ai aujourd'hui l'intime conviction que ce petit jeu ne mène strictement à rien.

Le "ni-ni" officiel de l'UMP ("Ni alliance avec le Front National, ni Front Républicain-avec-un-PS-allié-à-l'extrême-gauche") n'est rien d'autre qu'une pirouette. Outre le fait que le slogan rappelle furieusement le "Ni fascisme, ni anti-fascisme" d'un Charles Maurras dans les années vingt (une coïncidence, n'en doutons pas), on ne peut s'empêcher de penser que la fidélité des leaders et des troupes UMP à ce principe durera le temps qu'elle durera, c'est-à-dire très peu. Les élus ayant déjà ouvertement flirté avec le FN n'ont été ni exclus, ni même morigénés.

Et alors? L'UMP penche du côté du FN? Poussons-la un bon coup, et qu'on en finisse avec ces conneries de "digues républicaines"! Marre de ces gloussements de chaisières offusquées - "Comment, mon cher, vous, un représentant de la République, vous acoquiner avec ces marauds?". D'abord, il faut se demander ce qu'il y a de "républicain" à vouloir à tout prix éviter qu'un électeur sur cinq, grosso-modo, soit représenté dans les instances de la République, justement. Ensuite constater que l'alignement d'une partie de l'UMP sur les thématiques du Front National n'est pas une menace qu'il conviendrait de conjurer, mais une réalité.
Par ailleurs, il convient de penser calmement, et se dire que grand bien leur fasse, à ces braves gens de l'UMP. Car si une alliance - fût-elle "à la base" - avec le FN leur permettra de reconquérir de l'espace politique à court-terme, ils en prennent pour au minimum dix ans d'emmerdements - comme le Parti Socialiste avec le PCF. Car bien sûr, il ne se passera guère de temps avant que leurs nouveaux et désormais indispensables amis ne leur cassent les burettes avec l'immigration, l'insécurité , le manque d'autorité, etc. Car pour le FN, le mieux disposé des élus UMP n'en fera jamais assez de ce point de vue. Sans oublier, bien sûr, les questions économiques et sociales, de l'Europe, du libre-échange,  thèmes sur lesquels, contrairement à ceux tournant autour de l'immigration et de l'"identité", on imagine mal des élus de droite - et surtout pas leurs dirigeants - changer de braquet: c'est bien gentil, de flatter le populo, mais faut pas pousser, vous croyez qu'on les a trouvés où, les onze millions d'Euros, à La Courneuve?
Enfin, et c'est sans doute le plus important, il est grand temps que les beaux-parleurs du FN mettent un peu les mains dans le cambouis. Il est grand temps que les "y a qu'à, faut qu'on" se frottent à la réalité de l'exercice du pouvoir. Il est grand temps que leurs électeurs les voient à la manoeuvre ("ceux-là, on ne les a pas encore essayés"). Il est grand temps que le parti de la classe ouvrière - le vrai - s'embourgeoise. Il est grand temps que le FN se banalise pour de bon, c'est le moyen le plus sûr de démonétiser son discours.

Alors ya basta les "Fronts Républicains" hypocrites et obligatoires sous peine d'excommunication. Que les "portes de la République" s'ouvrent autant que le permet et l'exige une démocratie digne de ce nom. Détends toi, Harlem, ceux qui leur auront ouvert lesdites portes vont s'y coincer les doigts, et ça va leur faire mal.



A bientôt



vendredi 6 septembre 2013

Tous Malgré-Nous

La posture victimaire est un lieu-commun des récits historico-politiques, de l'expression des groupes, partis, communautés de tous ordres, singulièrement dans l'espace médiatique mondialisé d'aujourd'hui:  affirmer  sans ambages sa "volonté de puissance", revendiquer et assumer une agressivité vis-à-vis d'un autrui quelconque la foutent un peu mal, alors on se désigne volontiers comme victime, au choix, du colonialisme, d'un complot "sioniste", de l'antisémitisme, de la "violence sociale", de l'impérialisme américain, du communisme, de l'intolérance, etc. L'envie de compassion se porte mieux, quel que soit le sujet, que celle de se faire craindre. C'est ainsi que, par exemple, les nostalgiques des groupes indépendantistes ukrainiens du dénommé Petlioura, par ailleurs auteurs de pogroms antisémites sanglants et consciencieusement fusillés par l'Armée Rouge à la fin de la guerre, voient volontiers leurs héros comme des victimes du totalitarisme soviétique. Le salaud, c'est toujours l'autre.

A ce propos: au lendemain de la visite de François Hollande et du président allemand Joachim Gauck à Oradour-sur-Glane, les représentants des Malgré-Nous, Alsaciens et Mosellans incorporés dans l'armée allemande suite à l'annexion de leurs territoires par le Troisième Reich en 1940, ont regretté que le Président allemand ne profite de sa présence en ce village-martyr pour exprimer clairement ses regrets quant à cette incorporation: «C’est une honte ! Il n’a eu pratiquement aucun mot pour les Alsaciens, pas un mot de repentir. C’est comme si on était des Allemands !", a déclaré René Gall, 87 ans et président délégué de l'Association des Evadés et Incorporés de Force. "Il aurait dû reconnaître que l'incorporation de force était un crime de guerre", ajoute Paul Ritzenthaler, 85 ans, autre ancien Malgré-Nous (Libération, 05/09/13). Avec tout le respect que l'on doit aux Alsaciens-Mosellans en général, et à ces vieux messieurs au passé douloureux en particulier, la vérité oblige à dire qu'il faudrait, tout de même, voir à ne pas trop pousser mémé dans les orties.

Parmi les soldats de la division SS "Das Reich" qui massacrèrent de sang-froid 642 civils, hommes, femmes, enfants, en cette funeste fin de printemps 1944, se trouvaient des Alsaciens. Treize d'entre eux furent condamnés pour ce crime de guerre en 1953 - dont l'un, que la justice considéra comme ayant été particulièrement zélé, à la peine capitale -  avant d'être amnistiés quelques années plus tard. Que nombre de ces Alsaciens aient, ce jour-là, préféré se trouver ailleurs (comme d'ailleurs, sans doute, certains de leurs compagnons d'armes "allemands d'origine") est plus que probable, voire certain. Il n'empêche qu'en ce 10 juin 1944, Malgré-Nous ou pas, à leur corps défendant ou non, ils se trouvaient du bon côté du fusil, du pistolet-mitrailleur ou du lance-flammes. Il faut donc admettre que se poser en victime, dans ces circonstances, est un exercice un peu capillo-tracté.
D'autant que sans nier l'aspect dramatique, pour beaucoup, de l'annexion au Reich et de l'incorporation dans l'armée allemande, nul ne peut affirmer sérieusement que l'intégralité des Alsaciens-Mosellans, sans exception, vécut ces événements comme un déchirement terrible. L'attrait du fascisme voire du nazisme, en France, dans les années trente, n'était pas un phénomène marginal (cf. "Ni droite ni gauche, l'idéologie fasciste en France" de Zeev Sternhell, Gallimard): il se trouva des milliers de Français pour s'engager sous l'uniforme de la Wehrmacht puis de la SS, comme l'ancien communiste Jacques Doriot. On ne voit pas pourquoi l'Alsace, puisqu'elle était si française, aurait été épargnée par ce phénomène idéologique. Dès lors on peut raisonnablement supposer que tous les Alsaciens-Mosellans qui se retrouvèrent en uniforme feldgrau ne vécurent pas la situation comme catastrophique.


Il en est un, en tout cas, pas plus "victime" que ça, qui eut le courage de narrer ses mémoires dans un livre - Le Soldat Oublié, publié chez Robert Laffont en 1967, ré-édité en 1998 aux éditions Gergovie. Guy Sajer, c'est son nom, avait 17 ans en 1942 et fut d'abord incorporé dans des unités non-combattantes sur le front de l'Est. Il raconte qu'en 1943 il se porta volontaire pour la division d'élite de la Wehrmacht Grossdeutschland. Ce récit, même s'il tient davantage du "témoignage-du-combattant-au-ras-du-sol" que du plaidoyer idéologique, fait ouvertement l'impasse sur les joyeusetés de la guerre contre les partisans (combien d'Oradour, au-delà de la ligne Oder-Neisse?) ainsi que sur les massacres de Juifs. Au bout du compte, un "je ne regrette rien" avant l'heure. Guy Sajer entama par la suite une carrière éclatante dans la bande dessinée, d'abord sous le nom de "Mouminoux" puis sous celui de "Dimitri": l'auteur de la série "Le Goulag", initialement publiée dans les années 70-80 par le Charlie-Hebdo 1ère version, c'est lui. Dont notamment un album ironiquement intitulé "Le Malgré Moi". Un "Goulag" suivi d'autres BD au ton franchement réac ("Les mange-merde") ou pour le moins "germanophile" comme "Kaleunt".

Bien sûr ne généralisons pas... Pour un Guy Sajer qui partit la fleur au fusil et s'en vanta, combien de jeunes Alsaciens-Mosellans contraints et forcés qui enragèrent de se trouver embarqués sur le vaisseau nazi, doublement cocus de l'Histoire?
Quoiqu'il en soit, si l'exigence de repentir adressée ce jour au président allemand par les anciens Malgré-Nous à est pour le moins déplacée, on l'a vu, on peut rester dubitatif quant à l'exigence de "repentance" adressée au Président allemand, même indépendamment du contexte d'Oradour-sur-Glane. Car qu'on le veuille ou non, en 1940, Strasbourg était redevenue Strassburg, Hansi était voué aux gémonies ("Hinaus mit dem welschen Plunder") et les Alsaciens étaient temporairement redevenus allemands. Donc au même titre que les Bavarois ou les Prussiens, se retrouvaient catapultés dans les aventures militaires nazies. Alors "repentance", pourquoi pas, mais à quel titre? Pour avoir envoyé des ci-devant Français se geler les miches à Minsk ou Rostov, tandis que nombre de leurs anciens compatriotes de leur âge se la coulaient douce à jouer les zazous en écoutant Charles Trenet ou Tino Rossi? Ou pour avoir embringué de braves types, contre leur gré, dans des saloperies militaires genre Oradour-sur-Glane? "C'est comme si on était des Allemands!", a dit l'ancien Malgré-Nous René Gall. Ben oui.
A ce compte, si l'on considère que les Alsaciens-Mosellans embrigadés dans l'armée du Reich n'étaient rien d'autre que des conscrits d'une guerre terrible, alors on n'en a pas fini avec les exercices de "repentance". Les anciens appelés de la guerre d'Algérie, par exemple, pourraient à juste titre exiger un acte de contrition de la République, car nombre de conscrits n'avaient strictement rien à carrer de l'Algérie française et de la cause des pieds-noirs, et peu d'entre eux bombent le torse au souvenir des exactions et tortures menées à l'époque par l'armée française. Ne parlons pas des anciens Tirailleurs "sénégalais", marocains ou autres, membres d'une certaine Armée d'Afrique qui, entre autres, participa en 1944 à la libération... de l'Alsace: la notion de "volontaire" était pour le moins flexible dans l'esprit des recruteurs chargés de constituer les bataillons "indigènes". Bref, ici ou ailleurs, et de toutes les époques, les Malgré-Nous sont légion. Et si l'on est conséquent, le président allemand ne devrait pas se sentir trop seul s'il entend battre sa coulpe sur ce sujet précis. Cependant si on prend ce chemin, en définitive tous victimes, mais donc aussi tous salauds, à un moment donné. Car dans le brouillard des "mémoires" en concurrence, passé un certain seuil, tout se vaut. Et tant pis pour l'Histoire.

Ce jour, les représentants des anciens Malgré-Nous ont perdu une bonne occasion de la fermer. Car si leur Histoire est digne d'être transmise, avec toutes ses nuances, leur "mémoire" est comme celle des autres. Elle est relative. Voire défaillante.

Ciao, belli.

Et toutes mes excuses pour ce long silence.. .




vendredi 24 mai 2013

Retour sur un "acte politique"


C’est l’histoire d’un mec, il se sait condamné par la maladie à brève échéance. Alors il prend un flingue, entre dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris, se place près de l’autel et se tire une balle dans la tête. Dominique Venner, il s’appelle. Pas n’importe qui. Un vieux baroudeur des terres algériennes perdues, condamné pour activités en lien avec l’OAS, passionné d’armes à feu et essayiste virulent obsédé par la perspective du « grand remplacement » (entendez la substitution, à terme, des français/européens  « de souche » par une population d’origine immigrée) et, plus récemment, par la perspective du droit au mariage et à l’adoption pour les homosexuels - signe supplémentaire d’un « déclin de l’occident » entamé, pour cette frange de l’opinion, dans les tranchées de Diên Biên Phù si ce n’est dans les ruines de Berlin.

L’intéressé aura ouvertement voulu s’inscrire dans la lignée d’autres suicidés célèbres – Montherlant, Drieu La Rochelle, Mishima – et donner un sens à son geste. « Interpeller les consciences », « réveiller la France », les interprétations voulues par l’auteur du suicide se déclinent à l’infini autour du thème d’un « choc » qu’il semble vouloir salvateur, à tout le moins rédempteur (racheter, par un acte extrême, les « fautes » d’un pays ayant sombré dans la décadence), notion de rédemption fortement suggérée par le choix même du lieu où Dominique Venner aura choisi de répandre sa cervelle – le blanc immaculé de l’autel d’une cathédrale. Ce faisant ce n’est pas sa vie, irrémédiablement compromise, qu’il « met au bout de ses idées », mais sa mort.
Il serait vain de souligner l’éventuelle vanité d’un tel geste, et particulièrement indécent d’ergoter sur la réalité du « choc » désiré par l’auteur du suicide. D’abord parce qu’il n’est plus là pour répondre a ces éventuelles remarques, ensuite parce que les exemples sont innombrables d'appropriation symbolique de la mort, qui ne sont pas moins farfelues ou exagérées que ne le serait la lecture de cette mort-là, telle que souhaitée par l’intéressé. « Moi qui suis mort à la guerre, de n’avoir pu faire autrement », se lamentait la statue de la chanson de Jacques Brel, exaspérée qu’un « enfant de salaud » ait fait graver « il est mort comme un héros, il est mort comme on ne meurt plus » sur son socle.

En revanche, on s’attardera sur les termes employés par Marine Le Pen pour commenter l’événement : « un acte politique », a-t-elle affirmé.
Là, ça devient intéressant. Depuis des années s’est installée l’évidence d’une  banalisation du Front National, banalisation incarnée par l’accession à la tête du parti, dans le sillage de Marine, de petits jeunes BCBG au parler policé, débarrassés des outrances verbales du fondateur du F.N. ou de ses figures historiques comme Roger Holeindre, dit « Popeye ». Normalisation nourrie par (ou nourrissant – la poule ou l’œuf) des rapprochements tactiques, en attendant d’être stratégiques, avec une partie de la droite parlementaire. Dans ce contexte, le commentaire de Marine Le Pen prend l’allure du « surgissement d’un refoulé » comme diraient les psychanalystes. La mouche dans le lait, en quelque sorte.

Car que nous signifie Marine, en qualifiant le geste de Dominique Venner de « politique » ? Elle nous dit que la mort, à partir du moment où elle est mise en scène, théâtralisée – mourir à Notre-Dame – de façon adéquate peut être porteuse d’un message qu’il convient de prendre en compte dans la vie de la cité (le « politique »). En quoi le message en question peut bien consister, au fond, importe moins que le  fait même d’envisager de traduire un geste violent en élément de discours. Cette propension à opérer une transmutation du sang répandu en message aux vivants  n’est certainement pas l’apanage de l’extrême-droite. En revanche, elle témoigne d’une vision du politique où subsiste un sens aigu du tragique. Elle témoigne aussi d'une incapacité à s’inscrire dans ce qu’on appelle une « démocratie apaisée ».
La version extrême - chimiquement pure - de cette conception du politique est bien connue : c’est ce qu’on appelle communément le terrorisme, quelle que soit son inspiration. Lorsque des gens de l’ETA abattent un policier de sang-froid, lorsque la Fraction Armée Rouge enlève et assassine Hans-Martin Schleyer, le « patron des patrons allemand »,  lorsque Mohammed Atta précipite des avions de ligne sur le World Trade Center, à leurs propres yeux comme à ceux de leurs admirateurs ils mènent des actions «  politiques ». Cette façon de « s’exprimer » vient bien évidemment heurter de plein fouet la relative tranquillité de sociétés occidentales d’où la violence a été exclue en tant que forme légitime d’expression. Ce « choc » est à la fois le media et le message lui-même.

Lorsque Marine Le Pen confère un caractère politique à une autre forme de « choc » - le suicide de Dominique Venner – elle nous dit
implicitement que se tirer publiquement une balle dans le ciboulot pour « réveiller la conscience » d’un peuple anesthésié, de surcroit gouverné par des sociaux-démocrates  - « robinets d’eau tiède » qu’elle honnit avec la même intensité que ne le font les « rouges » - c’est un geste admirable à ses yeux , que « ça a de la gueule ». Mais dès lors elle compromet un processus de banalisation par ailleurs en bonne voie.
Car sur la scène politique qu’elle entend un jour dominer, celle d’un pays dont, quoi qu’en disent certains illuminés des « manifs pour tous », le gouvernement n’est pas de nature autoritaire, la mort et le sang ne sont pas supposés être des arguments. Lorsqu’un bonze tibétain ou un petit marchand de rue tunisien s’immolent publiquement, c’est avec leur mort, à défaut de leur vie, qu’ils portent un discours proprement politique. Mais Dominique Venner tenait un blog, et jusqu'à plus ample informé cela ne lui a pas valu de se retrouver en taule ni d’être torturé. Son acte spectaculaire n’est pas une alternative à une activité qu’empêcherait une répression gouvernementale, elle en est simplement le prolongement, en sus des considérations personnelles d’un homme choisissant les modalités de sa disparition. Il n’en constitue pas pour autant un message politique pertinent,  lorsque la cité se donne une agora intrinsèquement définie comme un lieu d’où est précisément bannie cette forme de langage.

En « politisant » la mort spectaculaire de Dominique Venner, Marine Le Pen non seulement se la raconte (Francois Hollande n’est pas Zine Ben Ali), mais de surcroit elle nous confirme qu’en dépit des apparences son parti politique n’est pas un acteur parmi d’autres, dont le profil se noierait dans le paysage.

Caramba, encore raté.

mardi 26 mars 2013

Ne Mélenchon pas tout

On a l'opposition qu'on mérite, et les débats politiques qu'on peut. A défaut d'une droite trop occupée à identifier quel pingouin elle va bien pouvoir (re?)mettre en haut de sa pyramide hiérarchique - à moins que ses élus ne battent le pavé aux côtés des acharnés du papa-maman - le gouvernement socialiste et le parti du même nom se coltinent ces jours-ci, en guise d'adversaire, l'inoxydable Jean-Luc Mélenchon, fédérateur putatif de la gôchedelagôche, cet éternel chantier. La terne "position du gestionnaire" adoptée par le gouvernement Hollande ouvre il est vrai un boulevard à tous les procès en renoncement, genre dans lequel Mélenchon excelle.
Ainsi donc, l'imprécateur a cru bon, à propos du dernier psychodrame de la zone Euro, de fustiger "les étrangleurs du peuple chypriote", catégorie au sein de laquelle il inclut les gouvernants socialistes français, et en particulier le Ministre des Finances de l'hexagone, Pierre Moscovici. Amalgamez, mélangez tout et n'importe quoi, il en restera bien quelque chose. Car, outre l'usage de la langue grecque, Chypre n'a de commun avec la Grèce, dont le peuple est effectivement étranglé par les mesures de "sauvetage" imposées par les dirigeants européens, qu'une "hellénitude" ramenée à ses expressions les plus caricaturales: une église orthodoxe riche à crever mais intouchable et la haine inextinguible de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un Turc. Pour le reste, avec une économie quai-exclusivement tournée vers l'ingénierie  financière que soutient une fiscalité à faire pâlir un Luxembourgeois, l'île du Moyen-Orient a autant à voir avec la "mère patrie" que Saint-Pierre-et-Miquelon avec les Bouches-du-Rhône.
Or qu'a finalement exigé, faute de laisser l'île déposer le bilan dans son coin, la fameuse "troïka-étrangleuse-de-peuples"? Rien moins que de ponctionner uniformément tous les dépôts bancaires supérieurs à 100 000 Euros. Et, ce faisant, de ruiner définitivement la réputation de place bancaire off-shore de Chypre tout en tapant dans les magots accumulé par des "épargnants" Russes, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne sont pas tous d'honnêtes retraités. C'est sans doute involontaire de la part de ces messieurs-dames élevés au biberon Goldman-Sachs, mais le message envoyé implicitement à la face du monde est clair: les paradis fiscaux n'ont pas nécessairement un avenir dans la zone Euro, et la réputation des banquiers - sans parler du douteux argent russe - a somme toute moins d'importance que le portefeuille des contribuables européens.
Bref, si on y regarde à deux fois, il y a quelque chose de nouveau et d'intéressant dans la gestion de cette énième crise de l'Euro. Sans doute rien de bien "révolutionnaire"- l'établissement inopiné d'un impôt à la source, à défaut d'impôt tout court - mais rien non plus qui justifie d'entonner une complainte à la Theodorakis sur les méchants capitalistes qui se rient de la sueur et des larmes des petites gens. Bref, sur ce coup-là, Mélenchon aurait pu mettre sa trompette en sourdine voire - on peut rêver - se réjouir qu'un terme soit mis, fût-ce ponctuellement, à la farandole des capitaux et donc, quelque part, qu'un coup soit porté au sacro-saint libre-échange. Mais non.
Mieux: dans des propos dont on ne sait s'ils sont vraiment "on" ou franchement "off", le leader du Front de Gauche s'est laissé aller à fustiger Pierre Moscovici, qui ne "pense pas français,  (...) il pense finance internationale". Il est comme ça, Jean-Luc. Rien ne se mettra entre lui et l'occasion de balancer une invective dont il espère qu'elle fera le tour des médias. Fut-ce pour débiter une ânerie, en l'occurrence. Qu'on songe à la satisfaction de François Hollande revenant des négociations sur le futur budget Européen: il avait "sauvé" la PAC, ce machin bénéficiant principalement aux riches céréaliers de la Beauce, bref défendu bec et ongles les "intérêts français" - à tout le moins ceux de la FNSEA et de ses sponsors de l'industrie agro-chimique. Une "victoire française" qui doit sans doute beaucoup à l'énergie d'un Moscovici. Mais peu importe, l'occasion était trop belle d'opposer, dans un schéma qu'on avait un peu oublié depuis Georges Marchais, les défenseurs du "peuple français" face aux bradeurs social-traîtres de la production nationale.
Mais tout aussi surréaliste a été la réaction d'un Harlem Désir, au nom du PS, à cette mise en cause de Pierre Moscovici. Attention, a-t-il proféré en substance, associer le nom du Ministre des Finances, d'origine juive, à la "finance internationale", c'est plonger dans les remugles d'un antisémitisme "qui-nous-rappelle-les-pages-les-plus -sombres-de-notre-Histoire". Ainsi donc Jean-Luc Mélenchon aurait "dérapé", comme on dit. A trop ouvrir sa grande gueule, l'imprécateur aurait laissé son inconscient - héritier lointain d'une certaine extrême-gauche française de la fin du XIXème siècle, dont l'anti-capitalisme s'accommodait fort bien des éructations d'un Drumont contre "la banque juive" - lui suggérer des associations douteuses. Ben voyons.
Il faut croire que le PS - à tout le moins celui censé porter sa voix - a atteint le degré zéro de la pensée politique pour énoncer de telles élucubrations. Il faut croire que la "position du gestionnaire" commence à devenir intenable et que faute de pouvoir (et vouloir) polémiquer avec le Front de Gauche sur le thème "si si, vous n'avez rien compris, le gouvernement fait vraiment une politique de gauche", on botte en touche et on cherche à dé-légitimer son bruyant leader. Et pour ça, rien de mieux qu'une accusation d'antisémitisme, fût-il "latent". Amalgamez, mélangez tout et n'importe quoi, il en restera bien quelque chose. Accuser Mélenchon d'antisémitisme est à peu près aussi pertinent que de soupçonner Christine Boutin de consommer de la marijuana. Il eût été plus judicieux de souligner qu'à vouloir défendre à tout prix le "peuple chypriote", Mélenchon se fait en l'occurrence le porte-flingue d'un certain nombre de mafieux moscovites, qu'à fustiger les initiatives de la "troïka" à Chypre il se fait de facto le héraut d'une économie de casino, qu'il est inepte d'accuser Moscovici de ne pas défendre les "intérêts nationaux" quand on a vu l'empressement de ce dernier à soigner le lobby agricole. Bref, qu'à trop entretenir sa posture "révolutionnaire" et souverainiste, Mélenchon se prend les pieds dans le tapis et raconte des conneries grosses comme lui.
Encore faudrait-il qu'un Harlem Désir ait la faculté de réfléchir plutôt que d'ajouter du bruit médiatique au bruit médiatique, c'est sans doute beaucoup demander.

On a l'opposition qu'on mérite, et les débats politiques qu'on peut: Harlem Désir a Mélenchon, c'est à dire au fond bien peu, il l'accuse d'être antisémite, car au fond il peut peu.

See you, guys.

mercredi 20 février 2013

Finalement c'est bon, les lasagne


Confusion, désarroi chez les imbéciles péremptoires, il n’y a pas que le subséquent déferlement de montages photo humoristiques sur Internet qui nous réjouisse dans la récente affaire de lasagne au bœuf à crinière : il y a aussi le pédalage dans la semoule des frères ennemis, des deux expressions d’un Janus saboteur de l’Europe telle qu’on voudrait qu’elle soit.

A ma droite, Marine Le Pen en souverainiste. Plus vite que son ombre, la pasionaria tricolore s’est fendue d’une déclaration fustigeant l’abandon des frontières, en substance : « si on n’achetait pas la viande en Roumanie en passant par des traders chypriotes et hollandais, eh bien voilà, ce genre de chose n’arriverait pas ». Patatras, l’arnaque s’avère franco-française, c’est un de ces professionnels de l’agro-alimentaire à l’ancrage bien local, Castelnaudary, excusez du peu, plus A.O.C. tu cherches longtemps, le cul bien tassé dans sa légitimité entrepreneuriale franchouillarde, qui aurait pris de profitables libertés avec l’étiquetage de ses stocks entrants et sortants.

A ma droite, également, les contempteurs de l’Etat empêcheur d’entreprendre en rond, avec sa paperasserie tentaculaire et ses réglementations tatillonnes. Qui cependant sentent confusément qu’en l’occurrence, une application stricte des règlements en vigueur, une acceptation enthousiaste par l’entreprise Spanghero de l’esprit et de la lettre des lois – et de la paperasse qui va avec - aurait évité le scandale. Les mêmes, aujourd’hui, se lamentent en se demandant comment « regagner la confiance des consommateurs ».
Confusion, désarroi chez les imbéciles péremptoires : l’affaire des lasagne Findus met les uns et les autres cul par-dessus tête. La gruge commerciale est aussi vieille que le commerce lui-même – Mercure, dieu des médecins mais aussi des marchands et des voleurs – et elle n’a pas attendu l’Europe de Maastricht pour voir le jour, n’en déplaise aux souverainistes. Et c’est bien l’insuffisance des moyens de régulation, par ailleurs dégât collatéral de l’idéologie ultra-libérale qui sous-tend la « construction » européenne actuelle, qui facilite ce genre de dérive. Les uns ne conçoivent de citoyenneté que réduite aux dimensions étriquées des nations, les autres ne voient dans les citoyens que des consommateurs. Mais les premiers comme les seconds refusent toute entité supranationale qui, désignée par les citoyens européens, dirait et appliquerait, sans limites – qu’elles soient liées aux frontières ou au souci de ne pas « restreindre la liberté de commerce » -  le droit de tous à ne pas se faire fourguer des vessies en lieu et place de lanternes, ou tout simplement de la merde en tablettes parce que ça coûte moins cher à fabriquer que le chocolat : les premiers comme les seconds ne veulent pas entendre parler d’une véritable Europe politique.

Or il est en Europe une nation où l’opinion dominante conjugue les deux versions de ce refus : la Grande-Bretagne. Ce pays, avec une constance qui force l’admiration depuis plus de quarante ans, sabote toute tentative d’intégration politique européenne au nom de son « identité » et, simultanément, défend ardemment son rêve d’une Europe réduite à une zone de libre-échange. Succès indéniable sur les deux fronts, hats off, my dear friends.
Alors il est d’autant plus cocasse que les consommateurs de ce pays aient été les premières victimes connues de la carambouille étiquetée Findus. Et oui : une entité européenne dont le rôle se réduit à celui d’un surveillant de centre commercial n’en peut mais lorsque ses employeurs (les commerçants) se mettent à jouer aux cons. Et non : l’autorégulation de l’économie, la « main invisible » du marché, tout ça, ça n’existe pas davantage que le Père Noël. La « construction » européenne voulue et réussie par les Britanniques leur pète à la gueule et blesse violemment une identité insulaire, « fierté nationale » dont la phobie de l’hippophagie constitue un élément symbolique non négligeable. On pourrait faire remarquer aux sujets de Sa Majesté que la viande de cheval présente moins de danger à la consommation que le bœuf aux hormones ou nourri de farines animales, mais ça serait mesquin et ça ne servirait à rien : l’identité nationale, là-bas aussi, c’est sacré.

A quelque chose malheur est bon (« Heureusement, il y a Findus »), et la mésaventure des Britanniques le prouve, cette histoire de lasagne déstabilise tout à la fois les souverainistes et les ayatollahs du libre-échange : à considérer le cadre national comme l’horizon indépassable du politique et/ou à n’envisager son dépassement que par le « règne de la marchandise » dont parlait Guy Debord, on ne préserve ni la « fierté nationale » du citoyen ni la « satisfaction » du consommateur. Mais n'en doutons pas, les uns et les autres s'en relèveront et ne tarderont pas à reprendre du poil de la bête.

Même si on s’avère incapable de dire de quelle bête il peut bien s’agir.

dimanche 10 février 2013

Guerre au Mali, la Françafrique 2.0

Depuis plus d'un demi-siècle, les relations troubles de la Vème République avec ses anciennes colonies d'Afrique noire font les beaux jours des journalistes d'investigation - Pierre Péan y a gagné ses lettres de noblesse - et le désespoir d'une bonne partie de l'opinion, que ce soit parmi les héritiers des idées tiers-mondistes ou, tout simplement, les démocrates humanistes. Satrapes sanguinaires accueillis avec faste, réseaux Jacques Foccart puis Guy Penne puis de nouveau Jacques Foccart puis Charles Pasqua, valises remplies de cash et rétro-commissions, trafics en tout genre, assassinats politiques, corruption, massacres, forts soupçons de complicité de génocide, barbouzeries et coups d'Etat... la liste est longue des entorses faites aux grands principes dont la République se gargarise, au nom de la défense d'un "pré-carré". Contre les Russes, les Libyens, les "Anglo-Saxons"...
A tel point que la réprobation potentielle des interventions en Afrique a pu fonctionner, même à droite, comme un "surmoi". En 1978, l'intervention du 2ème Régiment Etranger Parachutiste à Kolwezi fut qualifiée par le Président Giscard d'Estaing d'"opération humanitaire". "Giscard est humain: il pète, il rote et il lâche des paras" ironisait Gébé dans "Charlie-Hebdo" à l'époque. "Humanitaire", également, l'opération "Turquoise" lancée par Mitterrand après le génocide au Rwanda, dont l'un des résultats les plus visibles fut l'exfiltration et la mise à l'abri des génocidaires. La Françafrique, donc, fausse histoire d'amitié entre les peuples mais vrai sac de noeuds d'intérêts bien compris, un des deux signes tangibles - l'autre étant l'arme nucléaire - de la "puissance française".
Bien sûr ce machin, hérité des glorieux temps gaullistes, porté au summum du baroque sous Giscard et consciencieusement cultivé lors des années Mitterrand, n'a pas manqué d'être affecté par les grands vents de l'Histoire: dévaluation unilatérale du Franc CFA par Balladur, réduction significative des effectifs militaires "pré-positionnés" par Chirac et Sarkozy... La Françafrique a, lentement mais sûrement, réduit la voilure, fin de la guerre froide et mondialisation néo-libérale rebattant sérieusement les cartes.

Il n'empêche que cette "relation privilégiée" demeure une constante de l'univers politique hexagonal, et dès lors un thème récurrent du discours des élus ou des candidats à l'élection, au même titre qu'Israël ou la foi en Dieu sur la scène politique américaine. Droite et gauche sont d'accord sur le fait qu'il convient de "préserver les intérêts stratégiques du pays" - entendez: les intérêts des actionnaires  d' Areva ou de Total dans la grande course mondiale aux matières premières - et que les liens avec les pays d'Afrique francophone doivent être entretenus vaille que vaille. Mais tandis que la droite balaie généralement d'un revers de manche les accusations de néo-colonialisme et assume sans complexe le maintien de "liens d'amitié" avec des dictateurs invétérés, la gauche est plutôt mal à l'aise avec cette figure obligée de la diplomatie française - le passé Mitterrandien, à cet égard, est un "passé qui ne passe pas".
Burkina Faso, Février 2010

C'est pourquoi le déclenchement par François Hollande de l'opération "Serval" au Mali, peu de temps après avoir affirmé que c'en était fini des interventions françaises en Afrique a pu susciter au mieux ricanements, au pire cris d'indignation: décidément le néo-colonialisme n'était pas mort, il bandait encore même s'il portait à gauche. La Françafrique, une malédiction, aussi consubstantielle de l'exercice du pouvoir sous la Vème République que ne l'est le dopage de la participation au Tour de France cycliste... Le "surmoi" démocrate et humaniste jette un regard courroucé sur les errements de ses enfants égarés... L'oeil survolait Bamako et regardait Jean-Yves Le Drian...

Oui mais voilà: au-delà du fait que cette intervention se fait sous l'égide du Conseil de Sécurité des Nations-Unies et dans le cadre de la mise en place d'une mission militaire pan-africaine - ces cache-sexe ne trompant d'ailleurs pas grand-monde, il convient peut-être d'y regarder à deux fois avant de ne voir dans cette opération militaire qu'un avatar supplémentaire de la Françafrique de grand-papa, un "éternel retour" lancinant.

Car dans cette histoire il manque singulièrement un élément essentiel de l'habituel dispositif françafricain: la manifestation d'une forme de pouvoir politique local.
Que ce soit au Tchad, au Rwanda, en République Centrafricaine ou au Congo-Brazzavile, les opérations plus ou moins musclées de la France se sont toujours inscrites dans un paradigme de régulation du politique: dézinguage d'un Bokassa devenu gênant, campagnes au Tchad alternativement contre ou avec Hissène Habré, soutien à un Ali Bongo "démocratiquement élu"... Au-delà de la pérennisation des bases militaires et de la sécurisation de l'accès aux matières premières, barbouzeries ou opérations militaires françafricaines ont toujours été centrées, jusque là, sur les acteurs politiques locaux - chefs d'état en place ou putatifs.
Or au Mali, il n'en est rien: l'état malien n'est plus (l'indigence de son armée en est le signe le plus évident), ou si peu, et même si on convient volontiers qu'il s'agit d'un vrai problème, dans l'immédiat tout le monde s'en fout: l'enjeu, c'est de traquer, et si possible d'éliminer, des groupes armés mi-brigands mi-jihadistes dont bon nombre ne sont même pas maliens. L'enjeu, c'est d'empêcher l'Afrique sub-saharienne de se transformer en un "Sahelistan". C'est un objectif qui dépasse largement le cadre du Mali en tant qu'état-nation, et à cet égard il n'est pas indifférent que la force sensée prendre le relais des troupes françaises soit pluri-nationale (indépendamment du fait qu'aucune force armée africaine, prise séparément, ne soit capable de "faire le job"). L'opération "Serval", sur la forme et sur le fond, c'est le constat de décès de l'archétype du pouvoir politique dans cette partie du monde, en tout cas tel qu'il a été pratiqué depuis les indépendances: un état-nation, symbolisé par son chef et s'appuyant essentiellement sur les militaires.
Or cette forme de pouvoir - un "homme providentiel", une soldatesque à sa botte, les uns et les autres tenus au besoin à bout de bras par les "Messieurs Afrique" des gouvernements français successifs, de droite comme de gauche, était au coeur même du phénomène de la Françafrique.
Avec l'intervention au Mali, à ce "modèle" se substitue une architecture différente: en arrière-plan, encore et toujours l'accès aux matières premières, bien sûr. Mais la fiction d'états-nations souverains et indépendants est définitivement remisée aux oubliettes: en ses lieu et place, des coalitions de circonstance, sous l'égide officielle d'une CEDEAO promue au rang de gendarme régional. Mais, dans l'ombre, par la force des choses, l'ancienne puissance coloniale. Avec l'assentiment explicite de chefs d'état dont les forces armées ne semblent, à quelques exceptions près comme le Tchad, être bonnes qu'à s'en prendre à des civils désarmés. L'état malien est à reconstruire, et ne doutons pas que déferleront bientôt à Bamako des experts en "nation building", clones de ceux qui exercent leurs talents à Haïti, en Irak ou en Afghanistan, avec le succès que l'on sait. En attendant - et pour un bon moment - s'installe une dynamique diplomatique aux contours flous mais dont la colonne vertébrale est bien identifiée: la République française, ses "intérêts nationaux" et la force militaire qui les fait valoir. Seule ou presque à mener le jeu, mais ça l'arrange, finalement. Dans cette dynamique, les chefs d'état africains jouent désormais un rôle secondaire voire nul, et c'est bien ça qui est nouveau.

La Françafrique 2.0 n'est ni plus morale, ni plus juste que la précédente. Mais il sera plus difficile d'y associer des visages bien précis, et peut-être plus compliqué d'y installer de façon pérenne des réseaux para-étatiques. Et, du coup, plus difficile de mettre en lumière connivences coupables et compromissions embarrassantes. Ce qui devrait permettre à beaucoup de dormir tranquilles, leur "surmoi" leur foutant une paix durable.

Au sud du Sahara aussi, le changement, c'est maintenant.

A bientôt


vendredi 11 janvier 2013

"Débattre", disent-ils

Il est certaines idées préconçues dont il est apparemment urgent de se débarrasser. Ainsi, l'idée selon laquelle un grand nombre de catholiques, et a fortiori l'institution qui organise leur foi - l'Eglise du même nom - ont des convictions bien arrêtées, sinon des certitudes immuables, sur un très grand nombre de sujets. Idée préconçue bien infondée, si l'on en croit l'un des principaux thèmes de la communication des opposants au "mariage pour tous": l'inscription au vote de l'assemblée de ce projet de loi est prématurée, il convient tout d'abord d'EN DEBATTRE au plan national. Ce thème - "rien ne presse, il faut en discuter largement" est bien sûr relayé par la quasi-totalité de la droite, Alain Juppé proposant rien moins qu'un référendum sur le sujet.
C'est nouveau, c'est intéressant: la hiérarchie catholique considère que c'est un sujet dont on peut débattre. C'est-à-dire, a priori, envisage calmement que des gens soient favorables au mariage des homosexuels et à l'homo-parentalité et qu'il convient d'échanger avec ces gens - courtoisement, cela va sans dire - des arguments publiquement afin que tous les citoyens en soient éclairés.

Encore que.

De quoi est-on censé débattre, au juste? Du fait que les couples homos bénéficient des mêmes droits conjugaux que les hétéros et de la légitimité implicite que confère un "mariage comme les autres"? Non non, vous n'y êtes pas. Là-dessus, les experts en communication consultés par les opposants au projet de loi sont formels: faire campagne en se focalisant sur l'homosexualité en soi c'est pas bon, ça, coco. Une telle campagne pourrait laisser entendre, aussi improbable que cela puisse paraître, que ses promoteurs auraient une vague tendance à l'intolérance... Quelle idée! Non, le débat, coco, tu vois, c'est le destin des enfants élevés par des couples homosexuels. On ne parle pas du droit des homosexuels à se marier et adopter, on parle du droit des enfants "à avoir une maman et un papa". Alors, pour ou contre ce fameux droit? Une fois le débat posé en ces termes, expliquent les experts en communication, on va voir ce qu'on va voir, parce que les enfants, hein, c'est sacré. Du coup, éventuellement, la réponse semble tellement évidente ("Ben pourquoi ils auraient pas droit à une maman et et à un papa, les pauvres gosses?")... qu'on se frotte les mains en se disant que la discussion est pliée d'avance, voire qu'elle n'a pas lieu d'être. Bref, on réclame à cor et à cri un débat dont on se dit, au fond, qu'il est incongru de l'initier. Les enfants, tout de même. Retour sur notre remarque initiale: finalement, toutes les idées préconçues ne sont pas forcément infondées.

Quoiqu'il en soit, pas sûr que cette pirouette rhétorique soit si astucieuse qu'elle en a l'air, singulièrement si on considère la fraction (non-négligeable, au demeurant) strictement catholique du mouvement d'opinion contre le "mariage pour tous". Car si l'enjeu c'est le bien-être des enfants, il est d'autres débats qu'on pourrait légitimement aborder, comme par exemple:
  • L'Eglise catholique, en tant qu'institution, peut-elle prêcher la morale après avoir pratiqué durant des années - pour autant qu'il faille déjà en parler au passé avec certitude - l'omerta sur les prédateurs sexuels en son sein?
  • En quoi le phénomène des prêtres pédophiles est-il lié à leur inamovible devoir de célibat - et donc de chasteté?
Ou bien, pour faire plus "vendeur": 
  • Pour ou contre le droit des enfants à ne pas être potentiellement exposés à des curés pédophiles?
                                            

Il est donc un certain nombre - pour ne pas dire un nombre certain - de participants à la manifestation de dimanche prochain qui devraient éviter le registre "protégeons les enfants" et se concentrer sur ce qui, très vraisemblablement, les motive au plus profond d'eux-mêmes: "si les homosexuel(le)s peuvent se marier et élever des enfants tout comme moi, alors je me sens dévalorisé car c'est dégoûtant, ce qu'ils font au lit."

Et tous, qu'ils prennent conscience que le débat a déjà eu lieu et a été tranché par une majorité d'électeurs le 6 Mai dernier. Et peut-être se consoleront-ils en se disant qu'il y aura très bientôt sans doute de l'adultère "pour tous", des divorces "pour tous", des frais d'avocat et de pensions alimentaires "pour tous" et des bastons-pour-la-garde-des-gosses "pour tous". Car c'est ça aussi, la réalité de l'institution du mariage au XXIème siècle.

Ca, et bien d'autres choses, somme toute une réalité un peu plus complexe que la stricte mise en oeuvre de la reproduction de l'espèce, que fantasment des curés par ailleurs tenus de ne pas la pratiquer.

Ciao, belli.

vendredi 4 janvier 2013

Les malheurs de Gégé

On croyait jusqu'alors que l'homme le plus malchanceux de l'histoire de l'humanité était ce pauvre Youri Gagarine, qui fit un tour complet de la planète mais finit malgré tout par atterrir en U.R.S.S.

Eh bien, non. Prenez Gérard Depardieu, grand comédien, artiste incontesté, champion du box-office, jouissant d'une légitime popularité. Pour commencer, un affreux gouvernement de "partageux" fait planer au-dessus de ses comptes en banque bien garnis (A la question: "Comment tu fais pour avoir autant de pognon?", il répondait "J'ai de grandes poches!" dans "Trop belle pour toi" de Bertrand Blier) l'épée de Damoclès d'un prélèvement fiscal un peu musclé. La mort dans l'âme - enfin, on imagine - il annonce à qui veut l'entendre qu'il compte devenir Belge. Comme Bernard Arnault, autre martyr de l'impôt progressif. Là-dessus, le chef du gouvernement qualifie sa démarche de "minable". Comme la star répond publiquement au Premier Ministre, sur une ligne rhétorique assez subtile - en substance: c'est çui qui dit qui y est - notre pauvre acteur se retrouve au centre d'une polémique d'ampleur nationale, la France est désormais coupée en deux, les "pro-" et les "anti-Depardieu", on a les affaires Dreyfus qu'on peut. Le comédien ayant laissé entendre qu'il renoncerait volontiers à la nationalité française, et bisque bisque rage, tralalè-reu... Pas de bol: Vladimir Poutine le prend au mot et lui offre l'asile fiscal et le passeport en bonne et due forme qui va avec. C'est pas de bol car s'il y a bien, parmi toutes les nations du continent eurasiatique, un pays dont passeport sent le pâté, c'est bien la Russie. Terminé, la libre circulation en Europe, en Suisse, aux Etats-Unis. Belge, c'est mieux, de ce point de vue, oui mais voilà, les Belges ergotent. Comble de malchance: jusqu'à hier au soir, Gérard Depardieu passait au pire pour un nanti fort-en-gueule un poil égoïste. Mais comme son ami Poutine lui a offert sans barguigner les honneurs de la nationalité russe, il ne pouvait pas faire moins que le remercier. Et là, crac, la crise d'incontinence verbale: Gérard qualifie le pays de Poutine de "grande démocratie". De nanti fort-en-gueule, sa réputation passe directement à "sale con", sans passer par la case "grand naïf". Comme si ça ne suffisait pas, on apprend aujourd'hui que Brigitte Bardot menace elle aussi de demander la nationalité russe si on ne surseoit pas à l'euthanasie programmée de deux éléphants du zoo de Lyon. "Sale con", donc, et par-dessus le marché bien parti pour devenir l'initiateur historique d'une vaste fête du slip, un grand n'importe quoi du débat public. Notons que si les cons se mettent à émigrer en Russie, il y aura beaucoup de monde à avoir froid aux miches, mais passons.
Soyons généreux, et ayons une pensée compatissante pour le pauvre Gérard Depardieu qui les accumule, ces temps-ci.
Paradis démocratique et fiscal - St Petersbourg, 2010

Il est en revanche une fraction de l'espèce humaine pour laquelle la compassion n'est pas de mise: les politiques et éditorialistes de droite qui ont cru judicieux de faire mousser "l'affaire Depardieu" pour en remettre une louche sur le thème du "matraquage fiscal". Ils ont l'air malin, maintenant: l'icône de leur croisade contre la fiscalité directe s'avère avoir autant de lucidité politique qu'une portion de Brie...  C'est sûr, un Depardieu en colère, ça vous avait un peu plus de retentissement que les jérémiades d'un Bernard Arnault. Tout le monde s'en cogne, des états d'âme du patron de LVMH, d'ailleurs même Vladimir Poutine n'en veut pas (il faut dire que ce n'est pas ce qui manque, les financiers prédateurs, en Russie). Depardieu, "ça le faisait" mais là, en Poutinophile, "ça le fait moins". Les voilà bien emmerdés, au "Figaro" et consorts. Bien fait pour leur gueule, ça leur apprendra à jouer les opportunistes et à s'emparer de la figure du "Gégé". Ils croyaient tenir une histoire exemplaire, celle du "créateur", de la personnalité au rayonnement international que les choix économiques du gouvernement avaient "découragé". Pour un Depardieu, combien de dynamiques entrepreneurs, las d'être des "pigeons", allaient s'égailler comme une volée de moineaux? Hein, hein? Bien sûr, c'était oublier un peu vite les ex-futurs "pigeons" (dont la quasi-totalité de l'équipe de France de tennis) réfugiés depuis belle lurette pas loin d'ici, au bord du Léman, que dix années de gouvernement de droite dont cinq de bouclier façon Sarko n'ont pas fait davantage revenir que les emplois industriels délocalisés en Roumanie. Mais on ne s'arrête pas à ce genre de détail. Faute de pouvoir démontrer que l'exil fiscal de quelques milliers de Français constitue un manque-à-gagner budgétaire plus important que les largesses accordées il y a peu aux marchands de limonade, faute de prouver que les entrepreneurs sont davantage découragés par la fiscalité et les charges sociales que par la pusillanimité des banques et la pingrerie de clients qui se font de la trésorerie sur leur dos, on se rabat sur le sensationnel. Depardieu, donc. Ben c'est raté. Question exemplarité, faudra repasser.

Ou plutôt, si: l'"affaire Depardieu" est exemplaire de la déliquescence mentale de certains et de la perversion du débat public qu'elle entraîne. Et les mots perdent leur sens: si Gérard Depardieu est une "victime" et l'impôt direct progressif une "injustice", alors la Fédération de Russie peut bien être une "grande démocratie".

Ciao, et bonne année à tous, cela étant!