vendredi 27 janvier 2012

Notre quinquennat

D'une élection présidentielle, l'autre: cela fait aujourd'hui très exactement cinq ans que l'aventure de ce blog a commencé.

Un quinquennat, donc, votre quinquennat tout autant que le mien car ce blog, par définition, n'existe que parce que vous consentez à y poser vos yeux. Vous êtes plusieurs centaines à le faire chaque mois, si j'en crois mes statistiques. Pas loin de 130 billets au compteur depuis Janvier 2007, avec bien sûr des hauts et des bas, et, entretemps, le formidable coup de pouce qu'a constitué mon arrivée en Avril 2008 sur les pages de Rue89 avec un "post" sur un de mes sujets d'énervement favoris: la connerie footballistique.

Une affiche ne décidant jamais d'elle-même sur quel mur elle va bien pouvoir se retrouver collée, cette présence chez Rue89 m'a valu, en Juillet 2010, d'être publié sur le site de revue de presse du Front National (Nations Presse Info - notez le pluriel bien singulier): les commentaires qui s'en sont ensuivis valent leur pesant de bérets basques, commentaires auxquels j'ai répondu jusqu'à ce qu'on me coupe le sifflet, j'en ris encore.

Un quinquennat bien sûr passé à scruter les gesticulations de Nicolas Sarkozy, mais pas seulement. Puisqu'à toute règle il faut des exceptions, je me suis un jour risqué à vous raconter sérieusement une histoire exemplaire, qui se passe au Burkina Faso. A part ça, il faut bien le reconnaître, sur ces pages on ricane plus souvent qu'on n'encense, d'ailleurs vous l'aurez remarqué, je n'aime pas trop l'odeur de l'encens. Pas trop de sympathie, non plus, pour les fumigations trotskistes, pas plus que pour les fumisteries néo-libérales.
Accessoirement, on aura abordé le sujet des sondages d'opinion et, puisqu'on parle d'usines à gaz, de la construction européenne. Nous nous sommes même quelquefois aventurés sur le terrain potentiellement casse-gueule du soutien Américain à Israël, une politique étrangère qui dépasse autant l'entendement que la formidable impuissance européenne.

Un quinquennat s'achève, le nôtre, mais contrairement à celui de l'agité du bocal qui occupe encore le palais de l'Elysée, je vous garantis que celui-là sera renouvelé et peut-être pas qu'une fois, allez savoir...

En tous cas, à tous je voulais dire un grand merci... Et puis bien sûr à très bientôt

See you, guys

vendredi 20 janvier 2012

L’aiguille du déconnomètre

Tous marxistes, ou presque. Evanouie, l’illusion selon laquelle la France serait exclusivement constituée d’une gigantesque classe moyenne : trois candidats à la présidentielle, et non des moindres, organisent ouvertement leurs discours autour la conquête de ce qu’il est convenu d’appeler « le vote populaire ». Les classes sociales sont de retour, donc, et en particulier celles les moins bien loties – ouvriers, employés, précaires, chômeurs.

Il y a bien sûr Nicolas Sarkozy, candidat flagrant sinon avoué des dirigeants du MEDEF et de ce que tout le pays peut compter d’évadés fiscaux en puissance, qui a bien compris cependant que sa réélection ne peut être acquise que s’il regagne la confiance d’une partie significative de la fameuse « France d’en bas ». Celle-ci représente, mine de rien, une bonne moitié du corps électoral, pour peu qu’il lui prenne l’envie d’aller voter. En attendant de trouver une nouvelle ficelle socio-économique genre « travailler plus pour gagner plus », tâche ardue au demeurant, le Président fait donner Claude Guéant et ses statistiques d’expulsions d’étrangers ou va chercher Jeanne d’Arc (voir billet précédent) – avec les dents, comme naguère la croissance. Car l’analyse de son conseiller Patrick Buisson (ancien du journal « Minute ») est claire : à défaut de satisfaire le populo question pouvoir d’achat, il faut flatter son côté « la France aux Français » et images-d’Epinal-du-bon-vieux-temps. Il est comme ça, le populo, vu par Buisson : beaucoup de bleu-blanc-rouge, un poil voire plusieurs de xénophobie et le voilà content, prêt à oublier la mélasse dans laquelle il patine. Mais attention, il ne faut pas lésiner sur la quantité, sinon il va de nouveau voter Le Pen.

Marine Le Pen, justement : maintenant que le gouvernement de la République a pompé, digéré, banalisé et diffusé l’idée selon laquelle l’ « identité» de la France est en péril du fait de l’immigration, et sachant que son patronyme lui garantit implicitement un surcroît de crédibilité sur ce discours, la présidente du Front National a clairement déplacé son message vers le terrain social : haro sur les banquiers et dirigeants d’entreprise dé-localisateurs, promesse d’une augmentation de 200 € nets pour tous les salaires jusqu’à 1,4 fois le SMIC, etc… Elle se veut la candidate des « petits » - pour autant qu’ils soient plutôt blancs de peau et, de préférence, catholiques.

Cette prétention à incarner le « peuple », Jean-Luc Mélenchon la discute sans ambages à Marine Le Pen et à coup de noms d’oiseaux, la bataille est frontale, si l’on ose dire. Son « peuple » à lui est sensé ignorer les nuances de couleur de peau et la date de validité des cartes de séjour. Nonobstant, il convient de lui faire voir rouge, dans tous les sens du terme - autrefois on aurait dit « le conscientiser » - sans pour autant qu’il aille égarer ses bulletins de vote auprès de quelque chapelle trotskiste. Cependant on entend bien « plumer la volaille social-démocrate » comme les concurrents (au demeurant marginalisés) du NPA et de LO et incarner/défendre « les intérêts de la classe ouvrière ».

Les « travailleurs », le « peuple », les « petits », la « France-qui-se-lève-tôt » (ou celle qui aimerait bien), quel que soit le nom qu’on lui donne, cet ensemble sociologique bien réel fait de gens payant de leur bien-être et de leur avenir la financiarisation de l’économie est, c’est évident, au cœur des enjeux électoraux en France – ne serait-ce que numériquement. Et non plus comme addition d’intérêts catégoriels mais « en tant que classe », pour reprendre un jargon qu’on croyait obsolète. Cette « classe » que se disputent Le Pen et Mélenchon, Nicolas Sarkozy ne désespère pas d’en séduire une bonne part, à coup de Guéanteries, de postures « identitaires » et de quelque astuce sémantique pour faire glisser la pilule de la « compétitivité» . Tout porte à croire qu’il se fourre allègrement le doigt dans l’œil, mais là n’est pas la question.

La question, c’est que dans le contexte du moment, si les prolos n’ont pas davantage de chance qu’autrefois de devenir dictateurs, le prolétariat exerce une vraie dictature sur les enjeux électoraux : or que font ou disent le Parti Socialiste et son candidat dans ce contexte ? C’est simple : rien. Rien de bien audible, en tout cas.

En revanche, on a entendu ces jours-ci Benoît Hamon, Marie-Noëlle Lienemann et Henri Emmanuelli bruyamment s’émouvoir du fait que les 60 000 postes supplémentaires dans l’Education Nationale promis par François Hollande ne seraient pas nécessairement des créations nettes mais plus certainement des redéploiements d’effectifs. Enfin c’est pas bien sûr, ou peut-être que oui, quoique, faut voir : le programme du candidat est, depuis bientôt plusieurs mois, toujours en phase d’ « ajustement ». Toujours est-il que la simple hypothèse qu’on n’assiste pas à une incrémentation du nombre de fonctionnaires si le candidat du PS est élu a fait ruer dans les brancards la fameuse « aile gauche du parti ».

Passons sur l’effet désastreux d’une telle cacophonie, qui vient s’ajouter aux cafouillages sur le nucléaire ou le quotient familial – cacophonie dont se délectent les grandes gueules de l’UMP, par ailleurs à l’abri de ce genre d’incident tant la pratique de la répétition en boucle des « éléments de langage » est devenue chez eux une seconde nature.

Passons, donc, et venons-en au fond . Certes l’éducation est une question cruciale pour tous, mais franchement , là, aujourd’hui : les caissières exploitées de chez Leclerc ou Carrefour, les futures chômeuses de chez Lejaby, les précaires de l’industrie du bâtiment, les soutiers du marketing téléphonique, les préretraités de force trop jeunes pour ne plus avoir à bosser mais trop vieux pour avoir le droit de bosser encore, oui, tous ces gens bien trop nombreux et pas encore assez « compétitifs », qu’est-ce qu’ils peuvent bien en avoir à secouer, de savoir si les 60 000 fonctionnaires de l’Education Nationale promis seront « nets » ou « redéployés » ? Tous ces gens-là, et bien d’autres, se contrefoutent royalement de ce genre de problème, et ils ont bien raison.

Mais pour « l’aile gauche du parti », la simple hypothèse que l’Education Nationale française – deuxième organisation humaine au monde après l’Armée Populaire Chinoise – ne puisse augmenter ses effectifs sous un gouvernement PS relève de l’inacceptable. Et mérite qu’on aille perturber une pré-campagne déjà mal emmanchée.
Quitte à laisser croire, au final, que dans cette élection « de classe », si Sarkozy défend ouvertement Neuilly-Auteuil-Passy tout en voulant consoler Nanterre-Aubervilliers-Pantin, si Mélenchon et Marine Le Pen se disputent les faveurs de la classe ouvrière, le PS, lui, a choisi de défendre exclusivement les agents de la fonction publique d’Etat. C’est certainement faux, mais c’est l’impression que ce pathétique déballage d’états d’âme doit certainement laisser dans l’opinion. Bien joué, camarades.

La machine à perdre de la gauche est ornée d’un compteur : le déconnomètre. Ces jours-ci, son aiguille indique 60 000.

Ciao, belli.

samedi 7 janvier 2012

Jeanne d'Arc: qu'ils se la gardent!

Nicolas Sarkozy vient, ce jour, de célébrer à Domrémy le 600ème anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc, il paraît que c’est un scandale. A double titre, faut-il entendre: d’une part parce que la célébration de ce personnage historique est l’apanage, depuis de nombreuses années, du Front National - le déplacement du Président dans les Vosges serait donc un clin d’œil, un de plus, à l’extrême-droite, sur le registre des symboles. D’autre part parce que la « pucelle d’Orléans » fait partie du patrimoine national, au même titre que la bouillabaisse ou les falaises d’Etretat : « Jeanne d'Arc n'appartient à personne en particulier, elle est à tous les Français", a expliqué Harlem Désir sur LCI. "Elle était celle qui galvanisait les énergies en rassemblant les Français et en leur donnant confiance en l'avenir. Eux [le Font National et l’UMP] passent leur temps à diviser les Français et à jouer sur les peurs. Ils ne sont pas de bons représentants du message qu'elle a pu laisser".

Non mais tout de même, sérieusement, Harlem. Je veux bien qu’on est en pleine campagne électorale et qu’il faut cogner tant qu’on peut, mais à un moment il faut penser à se reposer, plutôt que de dire des conneries. « Le message qu’elle a pu laisser », et puis quoi encore ? Un message comme « Boutons les Anglais hors de France », par exemple ? Elle l’a laissé où, ce message, Harlem ? Sur ton iPhone ? Surtout n’oublie-pas de le transmettre aux descendants des « Tommies » qui se sont fait déchiqueter les tripes sur la Somme, en 14-18…

Vous je ne sais pas mais moi, Jeanne d’Arc , au mieux, c’est un sujet quasi-inépuisable de plaisanteries (au goût parfois incertain, je le concède)… « Elle a frit, elle a tout compris » ou bien, s’adressant à l’évêque Cauchon, « vous ne m’avez pas crue, vous m’aurez cuite » voire, une fois canonisée : « Chouette, je suis en sainte ». J’écris « au mieux », car par ailleurs le personnage, au-delà de sa vérité historique charrie, dans ses représentations, la quintessence d’un phénomène détestable car mortifère : la propagande nationaliste, en l’occurrence française.

Jeanne, la pucelle. Pensez-donc, une femme en armure qui manie l’épée, pas question qu’elle soit sexuée d’aucune manière. Elle peut bien se faire accompagner de soudards voire d’un détraqué précurseur de Landru, le fameux Gilles de Rais, dit Barbe-Bleue (lire ou relire le fabuleux Gilles et Jeanne de l’espiègle Michel Tournier), rien n’y fait : elle n’est que pureté. D’ailleurs Dieu en personne se serait adressé à elle, via Sainte Catherine, Sainte Marguerite et l’Archange Saint-Michel. Jeanne, la bergère : pas de doute, elle est issue du peuple. Jeanne, la Lorraine : elle pousse l’élégance jusqu’à voir le jour aux confins des frontières de la « nation ». Jeanne, la martyre : trahie, bafouée, suppliciée mais elle a raison contre ses bourreaux, mélange de vils collabos et d’Anglais perfides. Elle a raison contre tout le monde, au final : les élites, le roi, l’église de son temps, voire l’ensemble de ses contemporains. Car deux passions l’habitent : Dieu et la France.

Bien sûr, je schématise. Mais pas étonnant qu’un personnage, un destin de ce calibre n’ait – notamment depuis le XIXème siècle – nourri les fantasmes de l’idéologie « hexagonaliste ». Tout y est, chacun sur l’échiquier politique français peut y trouver son compte: à ma droite, l’énergie guerrière, le salut de la Patrie, Dieu ; à ma gauche, la transgression des genres, l’intégrité du peuple face aux élites corrompues, la foi d’une femme de peu face aux nantis de l’Eglise.

Chacun peut y trouver son compte, mais toujours est-il que, c’est un fait, les plus intégrales, les plus visibles, les plus tonitruantes récupérations du personnage de Jeanne d’Arc se font remarquer à l’extrême-droite, singulièrement dans sa version national-catholique, de Maurras à Le Pen en passant par Pétain. Et, somme toute, c’est bien normal, Jeanne a tout pour leur plaire. Notamment le fait que la divinité dont elle se réclame n’est pas franchement ce Jésus universaliste pour qui tous les Hommes se vaudraient. Non, ce Dieu-là a ses chouchous, ses préférés, Il prend parti : Il trouve que les Plantagenêt ont tort de revendiquer le trône de France. Il le sait bien, Lui, dans Son infinie sagesse qu’un jour, pour que le monde soit meilleur, il faut qu’il y ait sur Terre Napoléon puis De Gaulle, le Tour de France et le camembert – et que rien de tout cela ne sera possible si les mangeurs de fish & chips l’emportent sur Charles VII. Les voix, Jeanne d’Arc, donc: en cette première moitié de XVème siècle Dieu n’a rien de plus urgent à faire que de sauver la France, pas même un petit tsunami au Japon ou un bon tremblement de terre en Anatolie.
« Dieu et la France », incantation magique pour ceux que l’on verra saluer "la pucelle" ce samedi 7 Janvier, en compagnie de Marine Le Pen.
Nicolas Sarkozy s’attache à récupérer la récupération de Jeanne d’Arc par le Front National, grand bien lui fasse. Il faut le comprendre, Jean Jaurès et Guy Môquet lui ont claqué dans les doigts, à quoi bon s’épuiser à aller pêcher des symboles dans la maison d’en face, franchement, c’est bien la peine. Non, Jeanne d’Arc, c’est du solide, du franchement bleu-blanc-rouge et le mot d’ordre c’est : rien de ce qui est cocardier et volontiers xénophobe ne doit être laissé au Front National. Alors direction Domrémy, et au pas de charge.

Mais franchement, où est le problème ? Je n’ai personnellement que faire de la « mémoire » d’un personnage historique dont le destin a été trituré, malaxé, digéré à des fins de bourrage de crânes, un bourrage de crânes où la bigoterie la plus stupide le dispute au chauvinisme le plus crétin. Alors qu’ils se la gardent, Marine et Nicolas, leur « pucelle d’Orléans ».

« Elle est à tous les Français », nous dit Harlem Désir. Ah bon ? Puisque j’ai encore un passeport français, qu’on se le dise : je laisse mon bout à qui veut bien le prendre. Sers-toi, Nicolas, te gène pas. De toute façon, il est comme toi, mon morceau de Jeanne d’Arc : complètement cramé.

A bientôt