vendredi 7 février 2014

Vous avez dit "hystérique"?

Pathétique? Minable? Indéfendable? Suicidaire? Lâche? Méprisable? On cherche l'adjectif idéal pour qualifier la toute récente reculade du gouvernement français, encore une, renonçant à sa "grande loi sur la famille". Pas toujours facile de trouver les bons mots.
Une reculade façon Juin 40, tout ça parce que des dizaines de milliers de réacs ont cru bon de ressortir du placard les petites banderoles roses et bleues de leur "Manif' pour tous", agitant leur fantasme d'un gouvernement "familiphobe". Le tout, une semaine après qu'un conglomérat d'antisémites, de crypto-fascistes mêlés de "bonnets rouges" recyclés ou de quidams tout simplement malheureux de leur sort a cru bon, via Facebook, de défiler pour un improbable "jour de colère": deux événements marqués, bien qu'à des degrés différents, du sceau d'un grand n'importe quoi, deux événements qu'on peut raisonnablement qualifier de "fêtes du slip" tant leur vacuité et leur inanité dépassent l'entendement.
La "Manif' pour tous", donc, tombeuse d'un projet de loi tout ce qu'il y a de plus consensuel, à tout le moins peu susceptible de déclencher une guerre civile. Il y a que, programme du président Hollande oblige, il convient à tout prix de bâtir une "France apaisée".
On tente d'apaiser, donc, madame Ludovine de La Rochère, présidente de ladite manif'. En pure perte, car Ludovine est comme la Thérèse de la célèbre chanson: elle rit, quand on l'apaise. Remontée comme une pendule, la voilà qui, maintenant, exige que le Ministère de l'Education Nationale interrompe son expérimentation de l'"ABCD de l'égalité" dans les classes primaires. Tu parles d'un apaisement. Oignez vilain, il vous poindra... Mais bon, l'essentiel, visiblement, c'est que s'éloigne l'hydre d'un remake des manifs monstres de 1984 pour la "liberté de l'école". Il est vrai qu'une certaine France à loden vert et pompes à glands, proprement exaspérée par la loi Taubira sur le mariage et l'adoption par les homosexuels (si ce n'est par le simple fait que la gauche a gagné les élections), a pris goût aux manifestations. Quitte à s'inventer des raisons de manifester, l'important c'est de se serrer les coudes face à une société désespérément différente de celle du XVIIIème siècle, de promener les gosses dans un entre-soi de bon aloi, tout en goûtant aux frissons que procurent la foule, la banderole et le mégaphone.
Cela étant 1984 c'est loin, la croissance exponentielle de ce genre de manifs n'est qu'une hypothèse de travail. Alors comment, au gouvernement, justifier cette soudaine trouille, comment donner de la substance à cette stratégie "d'apaisement"? Pas toujours facile de trouver les bons mots. Mais à n'en pas douter, on s'est creusé la tête, en haut lieu. Et on a trouvé: le gouvernement fait le choix "raisonnable" de repousser son projet sine die ou presque, car il est à ce jour confronté à des mouvements d'opinion de nature hystérique. "Hystérique", le mot a été balancé par la porte-parole du gouvernement Najat Valaud-Belkacem puis repris en boucle par les uns et les autres, y compris par le Premier Ministre en personne. Un "élément de langage", comme on disait du temps de Sarkozy.
Pour le coup, nous voilà confrontés à un sacré paradoxe: le mot, malgré sa violence rhétorique ("nos opposants sont cinglés"), pourrait, en fait, participer (inconsciemment?) de ladite stratégie d' "apaisement". L'hystérie, comme son nom l'indique, désignait chez les Anciens une affection mentale dont on pensait qu'elle était due à un dérèglement de l'utérus. Le mot évoque aussi l'archaïque formule "tota mulier in utero" dont usèrent et abusèrent les médecins façon comédies de Molière. "Tota mulier in utero, en Latin ça signifie "les bonnes femmes, ça n'a rien dans le crâne"", suggérait Claire Brétécher.

"Hystérie", le mot est donc "chargé", comme on dit. Et chargé des pires préjugés sexistes, ce qui ne devrait pas manquer d'"interpeller" Ludovine et ses amis. Car tant qu'à se faire insulter, autant que ce soit sur un registre de langage dont on est familier. Qualifier d'"hystérique" Ludovine de La Rochère (dont les riches ovaires rôdent sur la dune?), c'est, mine de rien, faire allégeance à son univers mental. Un univers où il est "naturel" et donc souhaitable que les petites filles jouent à la poupée, les petits garçons à la guerre, tout comme il est "naturel" qu'une fois devenus grands ils s'abstiennent de faire des cabrioles avant le mariage. Un univers où il est bien normal que les femmes "hystériques" aient naguère été envoyées au bûcher par notre Sainte Mère l'Eglise, ou plus tard trépanées, comme Frances Farmer, par quelque médecin inévitablement de sexe masculin.

On aurait voulu se dédouaner, par le langage, des accusations "d'imposer la théorie du genre", qu'on ne s'y serait pas pris autrement. Pas toujours facile de trouver les bons mots mais, des fois, on y arrive, même sans le faire exprès.

Mais si on n'est pas membre du gouvernement et donc dispensé du "devoir d'apaiser" des gens qui de toute façon vous verraient volontiers pendus haut et court, on peut choisir des épithètes dénués de toute connotation sexiste pour qualifier le mouvement d'opinion "en faveur de la famille": manipulation ou bêtise, l'un n'excluant pas l'autre. Et clamer haut et fort que non, devenir ingénieur n'a rien à voir avec le fait de disposer de testicules, et que oui, ça s'appelle "réfléchir à la notion de genre", et qu'on vous emmerde, bande d'arriérés.

Car il ne faut rien leur lâcher, à ces crétins. Pas même les insultes qu'on leur adresse.

See you, guys.