mercredi 18 mai 2011

DSK, douleur du "doute raisonnable"

La semaine dernière encore, les aficionados de Dominique Strauss-Kahn laissaient entendre qu’il convenait d’organiser avec soin « l’atterrissage » de leur candidat favori sur la scène politique française : on entendait ménager une sorte de sas de décompression à DSK afin qu’il puisse prendre le temps de se réhabituer aux petites réalités hexagonales. « Atterrissage » prévu fin Juin-début Juillet, donc, pile à temps pour se lancer dans les primaires du PS.

Mayday, mayday : en fait d’ « atterrissage », c’est plutôt à une descente en piqué de l’intéressé qu’on a assisté ce week-end, se concluant par un crash qu’on peut d’ores et déjà qualifier de final, quels que soient les développements à venir de l’affaire. Accusé de tentative de viol sur une femme de chambre du SOFITEL de Manhattan, DSK risque plus de soixante-dix ans de prison et, à l’heure où j’écris, croupit dans une cellule aux confins du Bronx. Game over.

Ce 14 Mai 2011 est au monde politico-économique, bien au-delà des frontières françaises, ce que le 11 Septembre 2001 fut au monde tout court. « Sidération », « stupéfaction », « consternation », voila quelques-uns des mots glanés au fil des commentaires qui ont déferlé ces dernières quarante-huit heures. Certes, la nouvelle est, comme on dit, « énorme ».

Mais ce qui n’est pas moins sidérant que la chute de DSK de cette roche Tarpéienne, c’est le Capitole au sein duquel l’homme avait bien vite été installé. A un point tel que l’organisation de primaires à gauche, voire l’existence d’un premier tour à l’élection présidentielle semblaient quasi-insultantes à l’égard du personnage. Comment donc: un homme béni par le « Financial Times », avalisé par le CAC 40, chouchou des électeurs centristes et au delà, devait encore s’abaisser à faire des risettes au populo? On vantait son expérience, sa compétence. Il planait au-dessus des basses contingences. Il était l’homme providentiel et rien ne devait arrêter sa marche vers le pouvoir, pas même les ambitions légitimes de ses petits camarades. Pensez-donc : il dominait les sondages et ça, c’est sacré. Seuls de mauvais esprits, dont votre serviteur, pouvaient faire remarquer que cette performance dans les sondages était peut-être bien liée à l’absence et au silence que lui imposait son statut de président du F.M.I. Mais non : DSK pour 2012, c’était comme Delors pour 1995, mais en mieux, car on sentait bien qu’il allait y aller pour de vrai.

Oui mais voilà : sans préjuger de ce que donnera l’enquête menée aux Etats-Unis, on note que les langues commencent à se délier ici et là (le lion est à terre, les chacals reprennent courage) et du coup, cette histoire d’agression d’une femme de chambre, aussi incroyable qu’elle soit, paraît éventuellement plausible. « Son problème, c’est les femmes », entend-on dire pudiquement. Plus crûment, on comprend que l’homme le plus intelligent de la scène politique française, deus ex machina d’une régulation mondiale à venir (inch’ Allah), a peut-être bien une bite à la place du cerveau. Ca la fout mal, forcément.

D’où, sans aucun doute, la « sidération » des vrais et faux amis de DSK, dans et hors le Parti Socialiste. Car ce « penchant » relevait apparemment, dans le monde médiatico-politique, du secret de polichinelle. Alors si on comprend la limite que se sont jusqu’alors fixée les journalistes politiques quant à la vie privée des personnages qu’ils observent – c’est tout à leur honneur – on comprend moins l’espèce de fascination béate que suscitait Dominique Strauss-Kahn auprès de toute une population « dans la connivence ». La sordide affaire du SOFITEL « consterne » beaucoup de ce petit monde bien informé, non uniquement parce qu’ils ressentent une profonde douleur à l’idée du terrible sort qui attend DSK (au mieux l’oubli, ou plutôt le refoulement), mais aussi – et je dirais surtout – parce qu’aucun d’entre eux n’est capable de mettre sa main au feu que cette histoire d’agression sexuelle soit rigoureusement impossible. Se dire qu’on a peut-être adulé, pendant des années et en partie en conscience, un pauvre détraqué, supérieurement intelligent mais détraqué tout de même, se dire que derrière l’homme politique parfait aux costards impeccables se cachait peut-être la figure d’un « gros dégueulasse », voilà qui est véritablement « sidérant ».

Larmes, cris, lamentations des anciens laudateurs. Non sur le sort d’un grand de ce monde tombé au fond du trou, encore moins sur celui d’une femme de chambre qui se serait fait agresser, mais sur eux-mêmes, finalement, dès lors qu’ils réalisent que dans cette affaire ils ont un « doute raisonnable ». Et qu’il ne profite pas à l’accusé, et encore moins à eux-mêmes.
A suivre, sans doute…



Ciao, belli

samedi 14 mai 2011

FFF, UMP: Superdupont rongé par le doute

L’exaltation de l’identité nationale française et sa sublimation dans un grand élan collectif passent bien souvent (si ce n’est le plus souvent , en temps de paix) par le spectacle sportif et tout particulièrement par le football. Or cette production spectaculaire, tout comme celle de la musique, s’appuie sur une certaine forme de mondialisation, mais suivant un processus inverse : la musique trouve toujours sa source dans un environnement culturel singulier et aspire à l’universel, tandis que le spectacle footballistique s’appuie potentiellement sur un rassemblement d’hommes de toutes origines et délivre, au final, un émoi local ou national. Pour ce qui est de la musique, tout le monde se contrefiche du fait que le groupe « Arcade Fire » soit canadien ou qu’Anton Dvorak soit tchèque, à tout le moins ça n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de dire si l’on aime ou pas. De même avec le football : peu importe l’origine d’un joueur, voire qu’il ait un second passeport, pourvu qu’il contribue à stimuler la joie, les cris, les coups de trompe et les troisièmes mi-temps triomphantes de tout un « peuple » peinturluré.

Pour ce qui me concerne, ce genre d’émoi glisse sur mon entendement comme la notion de santé publique sur la conscience de Jacques Servier. Mais cette indifférence soudaine, partagée par des foules immenses, à l’égard de la couleur de peau et des origines m’a toujours semblé constituer l’une des illustrations les plus évidentes de l’idéal méritocratique. Evidemment cet idéal, en soi, n’est pour rien dans le fait qu’un beau jour un gamin d’origine X ou Y et/ou socialement modeste se retrouve propulsé héros national ou local et, accessoirement, riche à millions. C’est d’un processus mercantile qu’il s’agit – les joueurs s’achètent et se revendent – dont la finalité est la performance sportive, et surtout les monceaux de fric qui vont avec. Et dans ce processus, l’origine de la « marchandise » est un facteur négligeable, pourvu qu’elle s’avère lucrative. N’empêche, le monde du football portait au moins cette exemplarité, même involontairement.

Et bien même pas, si on s’en tient à la déconcertante « affaire des quotas »: quelques olibrius parmi les dirigeants de la Fédération Française de Football ont semble-t-il envisagé sérieusement de mettre en place des quotas dans la sélection des joueurs, en particulier au détriment des joueurs noirs.

L’une des raisons évoquées lors de cette discussion est que, « trop costauds », les Noirs ne seraient pas assez efficaces. Voyez l’Espagne, pas un seul black et hop, champions du monde. Pathétique, ce genre de considération est un écho lointain, mais inversé, de la propagande patriotarde de 14-18 sur la « Force Noire », selon laquelle les tirailleurs « sénégalais » allaient ratatiner les boches en moins de deux, et y a bon Banania. Et du coup, allez savoir : il n’est pas exclu que ces préjugés physiques aient, ici et là, contribué par le passé à la surreprésentation des Noirs dans l’équipe de France. Mais là, crac, le doute, les Noirs balèzes ça marche plus, il en faut moins. Notons au passage que ce type de raisonnement fait l’impasse sur l’encadrement et le coaching qui, d’après ce que je crois comprendre au football, sont un tout petit peu complètement essentiels, mais bon. Quoi qu’il en soit, il semble qu’un certain nombre de dirigeants du football français s’avèrent un tantinet ébranlés dans leurs certitudes, au point de remettre en question la logique plus ou moins darwinienne qui prévaut en matière sportive. Obsession identitaire, doute identitaire.

A cet égard, plus intéressante encore est la seconde raison sous-tendant l’idée de quotas : avoir trop de joueurs à double nationalité (entendez principalement : franco-quelque-part-en-Afrique-de-l’Ouest) dans les équipes locales, c’est courir le risque à terme que ces joueurs choisissent le pays de leur second passeport pour jouer en « national » plutôt que la France, autant dire une trahison. Le même risque, notons-le, est également identifié pour ce qui concerne les joueurs d’origine ceci ou cela. Plus intéressante car, en deux temps trois mouvements, deux illustres zozos du monde politique ont jugé bon de « rebondir » sur cette question de la double nationalité et d’en élargir l’enjeu : l’un, Claude Goasguen, pour carrément envisager de l’interdire, l’autre, Thierry Mariani, pour proposer un fichage des bi-nationaux. Rappelons que si le premier est un éminent représentant du courant « anciens du groupe Occident » au sein de l’UMP, le second anime au sein du même parti la mouvance « Marine-land, pourquoi seulement à Antibes ? ». Autant dire des hommes politiques à la conscience nationale chevillée au corps, des hommes politiques dont on imagine qu’ils se tatoueraient volontiers des drapeaux tricolores sur l’épaule, des hommes politiques dont on soupçonne que la qualité de Français leur procure quotidiennement un grand frisson. Pourtant, Goasguen et Mariani observent leurs contemporains comme Gregor Mendel ses drosophiles, et ils en arrivent à la terrible conclusion que l’état de Français est un caractère récessif. Dans leur analyse, que par malheur cette nationalité se trouve en concurrence avec une autre et pffuit, terminé. La quête effrénée, en France, de l’ « identité nationale », ressemble à la chasse au dahu que l’on fait subir aux gosses en classe de montagne. Comme le dahu, elle est introuvable tant elle est fragile, en définitive cette quête peut s’avérer anxiogène. Obsession identitaire, doute identitaire.

Certains dirigeants du football français ne semblent plus assumer le caractère intrinsèquement mondialisé du spectacle qu’ils produisent. Ils en viennent à se demander à quoi ça devrait ressembler, une équipe de France. Un peu comme si Apple Inc., parce qu’une partie des iPad est fabriquée au Japon, se mettait à douter de son efficacité comme entreprise, donc de son américanité. Dans la foulée, des UMP à poil dur révèlent, bien involontairement, leur angoisse existentielle, qui sans aucun doute traverse également leurs cousins frontistes.

Décidément, Superdupont ne se porte pas bien. Mais si je dois avouer que je me tamponne allègrement de l’avenir du football hexagonal, l’incertitude qui ronge les politiques obsédés du tricolore ne peut que me réjouir.

A wech all