dimanche 11 mars 2012

La Droite façon puzzle

Comme dans ces « sequels » vite-faits mal-faits que produit parfois Hollywood, le président sortant réitère à l’identique les appels du pied et clins d’œil appuyés aux Lepénistes qui firent le succès de sa campagne de 2007. « Sarkozy en campagne, le retour », même scénario que le film d’origine. Comme il y a cinq ans, on nous rebat donc de nouveau les oreilles avec une « chasse aux électeurs du Front National », le plus souvent pour la déplorer – en tant que légitimation a posteriori des thèmes centraux du parti d’extrême-droite, mais aussi, ici et là, pour s’en réjouir – ne pas laisser au F.N. le monopole du souci de l’ « identité nationale ». Mais dans l’un ou l’autre cas, on se placera dans une lecture tactique du phénomène : le premier tour des élections présidentielles approche, le vote Front National est vu comme un réservoir de voix et sa captation peut numériquement faire la différence pour un Sarkozy un tout petit peu mal barré, quoiqu’on en dise.

Cette lecture à court-terme n’est pas fausse. Mais cette interprétation tactique ne saurait, comme l’arbre, cacher la forêt : c’est bien à un revirement stratégique de la droite parlementaire qu’on assiste. Car il y a des coïncidences qui vous font douter de la notion de hasard.
Dans quelques jours on commémorera les cinquante ans des accords d’Evian, dans quelques mois ceux de l’indépendance de l’Algérie : d’une mémoire vivante, la « guerre sans nom » qu’évoquaient Patrick Rotman et Bertrand Tavernier en 1992 bascule, symboliquement et définitivement, dans les livres d’histoire. Deux générations ont passé, et il est une fracture qu’on peut envisager de considérer comme résorbée : celle qui, depuis 1959 et le fameux discours sur le droit à l’autodétermination de l’Algérie, sépare l’extrême-droite française du général de Gaulle. Cette rupture avec le gaullisme fut un drame pour beaucoup, tant l’extrême-droite, loin s’en faut, n’était pas, à l’époque pas plus qu’aujourd’hui, exclusivement constituée de nostalgiques de Vichy ou du nazisme. Le quasi-coup d’état de 1958 fut d’ailleurs tout autant sinon davantage le fait de la « droite musclée » - notamment des ultras de l’ « Algérie Française » et de l’armée de métier - que de l’agitation de Michel Debré et des gaullistes. De Gaulle lui devait son retour aux affaires en 1958, l’extrême-droite ne lui pardonna pas son revirement anticolonialiste de 1959. En même temps, ces nationalistes, partisans de l’autorité qui exécraient le parlementarisme de la IVème République, eurent du mal à se remettre de ce divorce. Depuis ils étaient, sans vraiment se l’avouer, orphelins du gaullisme – dans sa permanente exaltation de la « grandeur de la France » et son tropisme de l’ « homme providentiel ». C’est en ce sens qu’il faut interpréter la tendance de Jean-Marie Le Pen à se poser en « héritier du général De Gaulle », qui n’est pas qu’une provocation : Le Pen, pour certains, c’est De Gaulle moins « l’abandon » de l’Algérie.
Cinquante ans plus tard, Sarkozy recolle les morceaux : pour reprendre la célèbre lecture de René Rémond sur « Les Droites en France » (1982), il fusionne « bonapartistes » et « légitimistes », tournant le dos aux « orléanistes ». Cinq décennies se sont écoulées et Nicolas Sarkozy, sans aucun doute inspiré par son conseiller Patrick Buisson, fait les constats suivants :
  • En cinquante ans, le gaullisme historique - où affleuraient préoccupations sociales et planification de l’économie nationale - a disparu du paysage idéologique, enterré par ceux-là même qui s’en prétendaient les continuateurs, sous les coups de boutoir du néo-libéralisme anglo-saxon
  • En cinquante ans, précarisation et paupérisation des classes moyennes et ouvrières aidant, le rejet de l’immigré et, singulièrement, de l’ « Arabe » - originellement ancré dans le drame algérien – n’a pas perdu de sa vigueur, bien au contraire : ce sentiment, pour peu qu’on l’habille d’une « défense de la laïcité » réinterprétée, est un puissant levier politique
Sachant que par ailleurs Jean-Marie-l'ancien-para a laissé la place à sa descendance, il est temps de solder une bonne fois pour toutes le contentieux de la guerre d’Algérie et de tendre la main aux « enfants perdus ». Et pas simplement dans un but électoraliste : à moyen et long-terme, il s’agit de se redonner une ossature idéologique car la crise du capitalisme financiarisé a rendu inopérante, auprès d’une vaste partie des électeurs français, l’utopie du « tout-marché ». Une pensée « identitaire », débarrassée de la culpabilité coloniale (la deuxième fin de la guerre d’Algérie en ce mois de Mars 2012) mais aussi environnementale (défense du nucléaire, de l’agriculture productiviste), mâtinée de conservatisme sociétal (hostilité au mariage gay, à l’homoparentalité, à l’euthanasie, voire au remboursement de l’IVG) et de mépris des corps intermédiaire (recours au référendum) fera parfaitement l’affaire.
Ce faisant, ce parti « bonaparto-légitimiste », qu’on le baptise UMP ou autre chose, n’a plus vocation à rassembler la droite parlementaire : nul doute que ce « nouveau » socle de pensée servira de répulsif idéologique à la majorité des politiques du centre-droit, qu’ils soient proches de Bayrou ou de Borloo. Mais Nicolas Sarkozy et ses inspirateurs font le pari (pas très risqué) que si ce corpus d’idées s’avère payant sur le plan électoral, il ne se passera guère de temps avant que les formations centristes, quasi-exclusivement composées d’élus, ne se trouvent de bonnes raisons de faire alliance avec cette UMP « re-loaded ». Quant au Front National, il continuera sa surenchère tout en servant éventuellement de force d’appoint (car ce basculement idéologique ne saurait que le faire progresser) – au détriment ou en complément des centristes, selon les régions ou les circonscriptions.

En attendant, la droite explose et Nicolas Sarkozy joue les Bernard Blier dans « Les Tontons Flingueurs » :
« Aux quatre coins d'Paris qu'on va [la retrouver, la droite] éparpillé[e] par petits bouts façon puzzle... Moi quand on m'en fait trop j'correctionne plus, j'dynamite, j'disperse... et j'ventile »
On lui en a trop fait, dans son camp, c’est bien vrai. Alors qu’il perde ou qu’il gagne les élections, Nicolas Sarkozy ne laissera pas se perpétuer une alliance de carpes libérales, de lapins démocrates-chrétiens et de roquets national-autoritaires : soit il divisera pour régner, soit il se délectera que personne à sa suite ne puisse bénéficier d’une machine électorale en ordre de marche : « avec moi, le tremblement de terre ou après moi, le déluge ».
Il est des alternatives plus riantes. Pauvres électeurs de droite…
Ciao, belli