lundi 20 avril 2009

La fayote et le gougnafier

J'ai fini par me faire une raison: s'insurger contre l'inanité de l'"actualité politique" en soulignant l'appétence démesurée des journalistes pour les petites phrases et l'incorrigible propension des hommes et femmes politiques à en produire, c'est se fatiguer pour rien. Tout cela relève de la problématique de la poule et de l'oeuf et la dénonciation de cet état de fait de la tarte à la crème, en définitive. Ma capacité d'indignation s'émousse: les politiques ont les journalistes qu'ils méritent, et inversement. Dans ce flot ininterrompu, où le trivial côtoie le dramatique, à vous, à nous de faire le tri.
Nonobstant il n'est pas interdit de se délecter, ne serait-ce qu'un temps, des insondables futilités du "débat". Ses soubresauts les plus récents portent sur la révélation, par "Libé", de propos tenus mercredi dernier par le Président de la République au sujet de ses homologues: Barack Obama manquerait d'expérience, Angela Merkel se serait, in fine, "ralliée" à la clairvoyance de l'hôte de l'Elysée, Barroso n'en aurait pas foutu une au G20 et surtout, le pompon: partant en vrille sur l'air de "l'important c'est d'être élu", Sarkozy juge que "Zapatero, il n'est peut-être pas très intelligent, mais...". Ces amabilités ont bien évidemment été relevées par la presse étrangère, notamment américaine, qui a fini par se rendre compte de ce que pas mal de Français ont remarqué depuis un moment: Nicolas Sarkozy ne manque pas une occasion de se comporter comme un gougnafier. Au passage, l'incident ravive un cliché qui colle aux basques des Hexagons: les Français ont de grandes gueules, sont arrogants et se croient plus intelligents que tout le monde. C'était il y a quelques mois, mais il est déjà loin le temps où "Time" faisait l'éloge du président français - lire ici-même - sous la plume du gentil Tony Blair. A deux reprises, les Américains avaient élu une caricature d'Américain: inculte, ignorant du reste du monde, bigot comme pas deux, va-t-en-guerre et sûr de lui. Le 6 Mai 2007, les Français se sont à leur tour choisi une caricature de Français. Les Italiens ne sont pas en reste, mais c'est (presque) une autre histoire, chacun sa merde.

Oui mais voilà: nous sommes en démocratie, et il y a ce qu'on appelle une opposition. Oh, on ne peut pas dire que sa composante théoriquement la plus crédible le soit, justement, crédible. Le PS n'en finit pas d'éteindre ses petits incendies, sur les braises desquelles soufflent avec jubilation les journalistes politiques, mais on ne va pas revenir là-dessus, voir plus haut. N'empêche que s'exprime régulièrement, de ce côté, une vive réprobation des dérapages verbaux plus ou moins contrôlés de Nicolas Sarkozy. A ce petit jeu excelle Ségolène Royal, désormais satellisée mais qui veut à tout prix exister. Depuis son échec (d'un poil, mais quand même) au congrès de Reims elle va, se promène de par le monde et s'est dégotté une posture: elle sera "la voix" des 47%-de-Français-qui-ont-voté-pour-elle-et-qui-n'en-peuvent-plus. Certains commentateurs parlent d'une "présidence-bis", à l'image des shadow cabinets d'outre-Manche. Ah mais attention, et c'est là qu'intervient sans doute la patte de sa "communicante" attitrée, Sophie Bouchet-Petersen: cette "voix" sera le contre-champ exact de la présidence Sarkozyenne. Nicolas est volontiers grossier ("casse-toi, pauvre con"), Ségolène ne s'exprimera qu'en termes polis. Nicolas semble se contrefoutre de la misère des gens, Ségolène sera ostensiblement compatissante.
Avant-dernier épisode en date: à Dakar, Ségolène demande "pardon" au nom de la France: pour l'esclavagisme, pour le colonialisme et, last but not least, pour le discours de Nicolas sur l'"homme Africain qui n'est pas assez entré dans l'Histoire", discours écrit par Claude Guéant (comme quoi il n'est pas toujours judicieux de faire confiance à un "nègre"). Dernier épisode, qui nous ramène à ce qui précède: Ségolène présente ses "excuses" à Jose-Luis Zapatero suite aux propos de Nicolas rapportés par "Libé".
Laurent Joffrin écrivait ce matin dans ce même journal que "Nicolas Sarkozy [s'était] débarrassé depuis longtemps de son surmoi". Je crois personnellement que c'est faux: il ne s'en est pas débarrassé, il a opéré un "transfert" de ce surmoi sur la personne de son ex-adversaire Ségolène Royal, grâce à un petit coup de pouce de Sophie Bouchet-Petersen. C'est qu'elle a du métier, Sophie: Ségolène avait pu souffrir auparavant d'une image d'incompétence, d'activisme un peu brouillon. De même qu'on a remplacé la Générale des Eaux par Vivendi et Elf par Total, Sophie nous a transformé la "nunuche" en fayote. Car somme toute, c'est bien de celà qu'il s'agit: Ségolène, désormais, c'est un avatar du Schtroumpf à lunettes: "Nicolas il a dit çà, moi je trouve que c'est pas bien, c'est malpoli pis d'abord c'est pas vrai. Je vais le dire aux Français, ils vont le punir et ça sera bien fait pour lui". Oui, en l'occurrence, pas de maître d'école ni de Grand Schtroumpf, c'est à l'opinion, à vous, à moi, que la fayote entend dénoncer les agissements du gougnafier. Espérant, ce faisant, qu'on s'en souvienne en Mai 2012. Au Jugement Dernier, en quelque sorte. Par la grâce d'une "experte" en communication et, sans doute également, du fait d'un tropisme Ségolénien, les Français seraient sommés de choisir entre la princesse Leia et Darth Vador.
Tout cela serait pathétique si ce n'était pas stupide, ma pauvre Sophie. Car au fond, c'est peut-être regrettable, mais une connaissance même vague de la nature humaine oblige à le constater: de même que le Schtroumpf à lunettes déclenche régulièrement des envies de meurtre chez ses congénères, la classe préférera toujours ricaner des blagues de mauvais goût du sale gamin du fond que de faire écho aux récriminations d'une première de la classe auto-proclamée. Nicolas Sarkozy peut bien dire des gros mots en public, véhiculer les pires lieux communs d'une mentalité coloniale, insulter ses homologues chefs d'état ou de gouvernement, bref en rajouter dans un côté va-de-la-gueule bien franchouillard: il y a de fortes chances, délicieux frisson de la transgression, qu'un grand nombre de ses concitoyens ne lui en tienne pas rigueur, bien au contraire, sans forcément se l'avouer. Son "surmoi" réprobateur peut bien s'agiter, en fin de compte de nombreux Français s'en foutent. Voire s'énervent: "Pff, qu'est-ce qu'elle est chiante, celle-là, pour une fois qu'on rigole".
D'une actualité politique qui verrait s'opposer les projets plutôt que les gesticulations, ils se foutraient sans doute moins, on peut toujours rêver. Mais en ce paradigme Sarkozyen, qui fait de Besancenot la seule alternative "visible" et de Berlusconi un modèle à suivre, un tel affrontement relève de l'utopie. A défaut, on devra se contenter du combat de la fayote et du gougnafier.
Ciao, belli

dimanche 5 avril 2009

Lâchez-nous la grappe, avec l'"éthique"!

Juillet 2005: "La liberté de penser s'arrête là où commence le droit du travail" / "le droit du travail empêche de penser intelligemment" déclare Laurence Parisot, peu après sa prise de fonctions à la tête du MEDEF. Le ton était donné: le droit du travail, corpus mélant initiatives législatives et décisions jurisprudentielles, héritage d'une longue histoire de luttes sociales était tout simplement une inanité, un concentré de bêtise. On ne niera pas ici le caractère parfois ubuesque de réglementations complexes - justifiant l'existence de milliers de juristes professionnels sans l'expertise desquels l'appréhension de ces règles serait souvent impossible - mais la question n'est pas là: ce que contestait, sur le fond, Laurence Parisot, c'est le fait même que des entités extérieures aux entreprises (parlementaires, avocats, juges) puissent en réguler le fonctionnement. Pensez-donc: la gestion d'une entreprise est chose complexe, chaque cas est différent, vouloir imposer des règles communes à des entités aussi clairement disparates, c'est "bête", c'est s'attaquer à la "liberté de penser". Mieux que le droit, production théorique nécessairement déconnectée des réalités: le contrat. Le droit est rigide, impersonnel tandis que le contrat est flexible, adapté aux individus. Alleluia.
Mars 2009: au terme d'un feuilleton médiatique de plusieurs semaines, durant lequel on apprend qu'en France, comme ailleurs, des dirigeants d'entreprises quasi-faillies ont empoché de gras émoluements, François Fillon publie un décret limitant les rémunérations des dirigeants d'entreprises aidées par l'Etat. Décret lui-même tellement limité, dans le temps - non rétro-actif, et valable jusqu'à fin 2010 - et dans son objet - quatre banques et les deux constructeurs automobiles, Renault et PSA - qu'il a aussitôt suscité ricanements et grincements de dents. Et ce malgé la sagesse d'un pouvoir qui prit soin de publier ce document le 31 Mars: à 24 heures près, ça passait pour un poisson d'Avril. Ricanements et grincements de dents, donc: ça ne va pas assez loin, c'est un décret bidon. A tel point que quelques jours plus tard, des sénateurs (néo-) centristes y vont de leur amendement: ledit amendement, soutenu par les socialistes, a été adopté en commisssion mixte paritaire, et devrait bientôt être discuté à l'assemblée. Question discrétion, c'est raté.


De quoi parle-t'on, au juste? Du fait que des dirigeants d'entreprises mal en point quittent leurs fonctions avec des "extras" divers et variés: parachutes dorés, retraites-chapeaux, stock-options, bonus qui se chiffrent en millions d'euros par tête de pipe. Evidemment, ça choque l'opinion, ces récompenses accordées à des gens ayant mené des entreprises dans la panade. De droite à gauche, il y a concensus sur le thème: "à l'heure de la crise et des licenciements massifs, cette cupidité est inacceptable". Unanimité d'autant plus retentissante que les intéressés, c'est le cas de le dire, rasent les murs et fredonnent du "Noir Désir": "Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien". Alors les uns et les autres, et singulièrement Nicolas Sarkozy - désormais alpha et omega de la parole publique - se construisent une image de révoltés à peu de frais: haro sur les vilains patrons, non mais, on va voir ce qu'on va voir, y perdent rien pour attendre, les salauds. Evidemment, côté gouvernement, la réaction est symbolique, mais l'idée y est: entre le décret Fillon et les propositions du PS (sur-taxer les "good-bye- packs") il n'y a qu'une différence de degré, pas de nature.
Je dois l'avouer, j'ai une sympathie toute limitée pour les bénéficiaires des parachutes dorés et autres gratifications dispendieuses pour dirigeants en fin de carrière. Mais l'excitation médiatico-politique de ces dernières semaines autour de la rémunération des grands patrons me court sérieusement sur le haricot: on veut nous faire croire qu'il s'agit d'une question morale. Ce pataquès s'inscrit d'ailleurs dans la ligne d'une série de discours de Nicolas Sarkozy, selon lesquels il conviendrait de "moraliser le capitalisme", dans la ligne également d'un MEDEF qui affiche un "code d'éthique" du patronat, qu'untel ou untel n'aurait pas respecté. Ben voyons.
Posons-nous d'abord la question suivante: pourquoi un dirigeant évincé de la direction d'une entreprise, fut-elle mal en point et sauvée in extremis par l'argent du contribuable, touche t'il un parachute doré ou quoi que ce soit d'équivalent? La réponse est simple: parce que son employeur (le conseil d'administration) et lui même ont signé un contrat dont une clause prévoit ce genre de gâterie en cas de coup dur. Or nous vivons dans un état de droit, et en bonne justice, si ce contrat n'est pas respecté, le dirigeant en question peut obtenir réparation.
Ensuite, on l'a vu, le contrat, contrairement au droit du travail, c'est la quintessence de la "liberté de penser", voire de la liberté tout court. Pourquoi? Parce qu'il convient, si on veut être "compétitif", de pouvoir fixer librement les rémunérations; librement, c'est-à-dire en fonction de la situation économique de l'entreprise (le SMIC est une contrainte, air connu du MEDEF); librement, c'est-à-dire notamment en fonction de la "performance". Dans les entreprises privées, ces vingt dernières années, se sont développées des méthodes, toutes plus savantes les unes que les autres, pour mesurer ladite performance. Méthodes qui, au passage, sur-valorisent le savoir-être au détriment des savoir-faire.
La morale n'a rien à voir là-dedans! Dénigrement de la règle collective au bénéfice du contrat individuel, sacralisation de la performance dans la détermination des rémunérations: sur le papier, ça tient, tout cela sent bon l'efficacité entrepreneuriale. Oui mais voilà: il y a le réel, il y a l'humain. Et le réel, l'humain, dans le cas des dirigeants du CAC 40 et de leurs équivalents ici et là, c'est le phénomène des participations croisées, c'est une élite économique qui tend à se co-opter. Dès lors les contrats que signent les conseils d'administration des grandes entreprises avec les managers qu'ils choisissent perdent à tout le moins de leur rationalité économique, dès lors la mesure de la performance devient toute relative. A ce niveau, tout au moins. Car pour ce qui concerne les cadres et les employés, là, la rationalité reprend le dessus: pas question de transiger sur l'atteinte des objectifs, sois performant ou dégage.
Alors à partir du moment où on accepte cet état de fait - le primat du contrat sur le droit, le culte de la performance, aussi subjective soit sa mesure - on accepte également que des incompétents bourrés de suffisance s'engraissent comme des porcs. Dans ce cas, en toute rigueur, on devrait foutre une bonne fois la paix aux bénéficiaires des parachutes dorés. A fortiori lorsqu'on a renoncé à exercer ne serait-ce qu'une once de pouvoir au sein des entreprises remises à flot par l'Etat: la "golden share" et le droit de veto au sein du conseil d'administration? Mais vous n'y pensez pas, c'est d'un vulgaire... Seulement il y a la crise, le chômage qui explose, la récession (la "croissance négative" comme on dit à l'UMP) et le salarié-électeur qui la trouve mauvaise: alors on fait les gros yeux et on parle de morale, d'éthique.
Mais l'éthique façon MEDEF est à la justice ce que la charité chrétienne est à la solidarité: un pis-aller que l'on concède pour désamorcer la colère des manants. Pas sûr que ça marche à tous les coups.
See you, guys