lundi 6 juillet 2009

Hénin-Beaumont, la ch'tite coalition

Il est un rituel fréquent lors des soirées électorales: quels que soient le scrutin et le résultat, les commentaires des parties prenantes peuvent laisser à penser qu'on a rejoué l'"École des fans" du défunt Jacques Martin - tout le monde a gagné, pas de perdant. La soirée qui a suivi la municipale partielle d'Hénin-Beaumont en est un exemple frappant: puisqu'au final 52% des électeurs auront choisi la liste "divers gauche" soutenue par le PS, le PC, l'UMP et j'en passe, on se félicite au sein de toutes ces formations du "sursaut républicain" ayant "fait barrage au FN". Puisque le FN a rassemblé 7 à 8 points d'électeurs en plus entre les deux tours (avec une participation en hausse), Marine Le Pen clame haut et fort que c'est un beau succès. Tout le monde est content, décidément les ch'tis savent s'y prendre pour engendrer la bonne humeur.
Oui mais bon, sans vouloir jouer les rabat-joie, il faut savoir garder la tête froide et se dire que, tout de même, quelqu'un a bien dû perdre, dans l'histoire: j'ai pour ma part tendance à penser qu'on a de bonnes raisons de sabrer le champagne, au FN.
Martine Aubry peut essuyer son front emperlé de sueur et dire que "la gauche a stoppé le Front National": elle évacue bien vite le fait que le candidat officiel du PS, dans le coin (à 1/2 heure de voiture de son fief Lillois), a longtemps été un type qui, à l'heure où j'écris, croupit en préventive. Par ailleurs Xavier Bertrand peut claironner haut et fort que la gauche a gagné grâce à l'appui de l'UMP, ce faisant cependant il jette un voile pudique sur les 4,3% recueillis par le représentant de sa formation au premier tour... C'est ça, le truc: ces trompettes sonnant la victoire "républicaine" sonnent faux, il y a comme une trouille bleue dans le timbre de ces voix soulignant la "sagesse" des Héninois. Cette fois, le boulet n'est pas passé loin.
Mais qu'est-il donc arrivé pour que dans cette ville la formation de Le Pen rassemble près d'un électeur sur deux? Pourtant, si j'ai bien tout compris les politologues et les sondeurs, le FN avait disparu. Eh oui le génial, le brillantissime, le formidable homme politique que la France s'est donné pour Président avait réussi un tour de force: par sa clairvoyance stratégique et son habileté tactique, il avait effacé Le Pen du paysage. Pfuuit, a p'us le vilain Nonoeil, dormez bien, braves gens. C'est au passé que l'on se devait de parler du Front National, soulignant ses déroutes à la présidentielle, aux législatives, aux régionales, aux européennes, comme autant de signes d'un déclin inexorable.
48% pour un parti en déclin, c'est beaucoup, tout de même. Mais alors quoi? On n'ose le penser... Le génial, le brillantissime, le formidable Nicolas Sarkozy se serait-il fourré le doigt dans l'oeil jusqu'au coude? Taratata, répondra l'UMP comme un seul homme, les 48% à Hénin-Beaumont, c'est la faute au PS - d'ailleurs le Nord-Pas-de-Calais est à la gauche ce que le XVIème arrondissement de Paris et les Hauts-de-Seine réunis sont à la droite, tout le monde vous le dira. Certes. Pourtant on s'interroge, on se demande pourquoi les Héninois, dégoûtés par la gauche, ne se sont pas jetés dans les bras de l'UMP...
Il y a que l'histoire de la "captation" du vote Front National par Nicolas Sarkozy est un mythe. Le candidat Sarkozy a laminé le candidat Le Pen car il est allé chercher les électeurs de ce dernier "avec les dents": et un Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale par ci, et des expulsions de sans-papiers par là, et que je te ferme Sangatte, et que je t'ouvre les prisons à tout ce qui bouge, et pan sur la CIMADE, etc, etc... Sécurité-Identité-Immigration, qu'on se le dise, le FN n'avait plus le monopole de ces thèmes qu'une droite "décomplexée" allait agiter sans se gêner, tout en s'esclaffant d'une gauche empêtrée dans son "angélisme".
Oui mais voilà, ça marche un moment, les coups de menton et les moulinets avec les bras (dernier en date: la "mission d'information" sur le port de la burqa et du niqab) mais les fameuses "classes populaires" qu'on entend "reconquérir" ne sont pas aussi stupides qu'on l'espère à Neuilly-sur-Seine: quand le chômage frappe, encore et toujours, quand s'étale l'arrogance tapageuse de nantis qui prônent la "compétitivité", quand pour résoudre les problèmes économiques et sociaux on propose au "peuple" de travailler plus longtemps, même le dimanche s'il le faut et au salaire horaire d'un Roumain si possible, quand par ailleurs, comme c'est étonnant, les questions de "sécurité" s'aggravent visiblement, même si TF1 en parle moins, le "peuple" regarde ailleurs. L'hypothèque "PS-Canal-Historique" ayant été levée par le comportement désastreux de son éminence locale, seuls 4,3% du "peuple" se tournent vers l'UMP du magicien Sarkozy. 4,3% du "peuple", c'est un peu léger pour un truc baptisé "Union pour un Mouvement Populaire". Reste, dans le paysage, ô surprise, le FN, même si ce coup-là il fait patte de velours, même si à Hénin-Beaumont il avance sous les traits d'un p'tit gars du coin avec un prénom bien de chez nous (Steeve, avec deux "e" pour pas qu'on prononce "Stève", ce qui ferait un peu con). Épaulé, nonobstant, par une dame dont le patronyme la dispense d'en faire trop dans le registre "la France aux Français": elle n'a rien à dire, "Le Pen" c'est une image de marque, un "programme" implicite. Et ça marche. Il faudra jusqu'à l'intervention d'un éminent homme de culture local momentanément exilé aux Etats-Unis, Dany Boon, pour fermer, à l'arrache, les portes de la mairie à ce parti qu'on nous avait dit "Karcherisé", lui aussi.
De grâce, qu'on nous épargne les trémolos du "sursaut républicain". Quand la gauche est vermoulue et que la droite prend les gens pour des imbéciles, elles ont beau s'agréger dans une improbable ch'tite coalition, elles ne rassemblent qu'un électeur sur deux ou presque, pas de quoi pavoiser. Quant à la "captation du vote FN", elle est en train de rejoindre la "présidence du pouvoir d'achat" au rayon des entourloupes historiques.
Les faits ont la tête dure, alors un "sortez les sortants" qui sent bon son "Action Française" d'avant-guerre a de beaux jours devant lui. Bravo à tous.
Ciao, belli