De déroutes électorales en Bérézina financière, le Front National s'est enfoncé ces derniers mois dans une crise notoire: le parti de Jean-Marie Le Pen a perdu en 2007 de sa pertinence auprès de son audience-clé, à savoir une partie substantielle de l'électorat ouvriers-employés-artisans-petits commerçants.
Cette population, le Front National en avait acquis les suffrages en exploitant une question que les autres partis avaient résolu de passer sous silence: la perception et le "vécu" du phénomène de l'immigration d'origine africaine et nord-africaine par une "France d'en bas" des "petits Blancs". Pourquoi le FN a-t'il brusquement cessé de "faire sens" auprès de cette fraction des citoyens? Parce qu'un certain Nicolas Sarkozy, rompant un concensus, a intégré dans son discours et dans ses actes une posture de fermeté sur l'immigration. Et l'affirmation de cette posture s'est faite de façon lisible, spectaculaire (voir ici même http://helvetia-atao.blogspot.com/2007_04_01_archive.html).
Sachant que le même Nicolas Sarkozy disposait - légitimement - d'un capital de crédibilité et de respectabilité nettement supérieur à celui de Jean-Marie Le Pen, la captation de l'électorat Frontiste s'est opérée de façon très efficace. Plutôt que d'avoir à se justifier d'un vote FN en disant "je ne suis pas raciste, mais...", un nombre considérable d'électeurs a trouvé plus simple de dire "je vote Sarkozy". Démentant les pronostics, ces électeurs ont préféré la copie à l'original. Résultat: un Le Pen furibard de s'être fait voler "ses" électeurs, le siège du parti vendu au plus offrant, une guerre de succession quasi-ouverte entre fifille et les tenants du "canal historique". Sachant par ailleurs que l'air du temps (médiatique) est ces temps-ci davantage au thème du pouvoir d'achat qu'à celui du fumeux diptyque immigration/insécurité, on pourrait raisonnablement penser que l'affaire soit entendue: l'élection de Nicolas Sarkozy aurait éliminé le Front National du paysage.
J'ai tendance à croire qu'il n'en est rien, ceci pour deux raisons:
La première est que la xénophobie, le racisme explicitement ou implicitement exprimés à l'occasion du vote FN ne se sont pas évanouis comme par enchantement. Le "coup" du ministère Hortefeux (Immigration et Identité Nationale), dûment annoncé durant la campagne était "bien vu", objectif atteint, voir ci-dessus. Cependant le rejet de "l'immigré" (même de sixième génération, du moment qu'il n'a pas la peau tout-à-fait blanche) s'abreuve principalement à deux sources: l'une est émotionnelle, irrationnelle - le repli sur un "nous" plus ou moins historique dont l'Islam, notamment, est clairement exclu - l'autre est factuelle - la violence et les incivilités en milieu urbain, visiblement attribuables à des gangs quasi-exclusivement constitués de jeunes issus de l'immigration, une source renforçant l'autre. Or ce phénomène de rejet s'épanouit d'autant mieux que s'accroissent l'insécurité en matière sociale, les inégalités et le sentiment d'une dégradation économique individuelle (le fameux "pouvoir d'achat") ... notamment si par ailleurs les problèmes de violence urbaine ne sont pas résolus. Un an après la présidentielle, nous y sommes, très exactement.
La seconde est que le Front National est un "objet politique" unique, associant paradoxalement une forme de nouveauté ("on n'a jamais essayé") et une traçabilité historique exemplaire. L'attrait de la "nouveauté" ne peut se traduire concrètement en termes électoraux que si le FN est en mesure d'aligner des troupes, or son maillage du territoire a tendance à se déliter, par les temps qui courent. Cependant il s'agit d'un phénomène qui peut s'avérer temporaire. Plus durable est l'historicité du FN, plus durable également la réprobation qui y est associée. En clair: le FN est l'héritier de l'extrême droite française, du général Boulanger à Tixier-Vignancour en passant, et ce n'est pas un détour, par Pétain et Darquier de Pellepoix. Or cet héritage suscite un rejet qui, par son ampleur médiatique, donne à ce parti un côté "fruit défendu": bien géré, çà peut devenir un atout.
A ce titre, la récente récidive de Le Pen sur les chambres à gaz et Auschwitz ( "J’ai dit qu’elles étaient un détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale: ça me paraît tellement évident", etc..) est intéressante dans le processus qu'elle enclenche: d'une part en toute logique de nouvelles poursuites judiciaires, au nom de la loi Gayssot ("Délit de contestation de crimes contre l'humanité"); d'autre part une prise de distance avec le "chef" au sein même du FN. Ce recours en justice au nom de l'archétype des "lois mémorielles" aura pour principal effet de mettre en relief le côté sulfureux du monsieur, tandis que la contestation interne, qui devrait devenir de plus en plus audible médiatiquement, laissera entendre qu'une page se tourne. Nonobstant, si elle se tourne, ce sera en prenant les mêmes - voire le même patronyme, sous l'hypothèse "Marine" - et en recommençant. Résilience du FN: recommencer avec un petit parfum d'interdit - un héritage actualisé - mais pas trop, l'hypothèque "Jean-Marie" ayant été dûment levée.
Alors Rama Yade, Rachida Dati, Fadela Amara, oui, bien sûr, les choses bougent. Mais si ces changements ne servent en définitive qu'à masquer des coups de canif de plus en plus violents dans le contrat social, alors en France le passé, même indigeste, aura un grand avenir.
Ciao, belli.