lundi 31 août 2009

Les primaires vues par un primaire

Crise du leadership au PS” est aux chroniqueurs politiques dans les grands médias ce que "Racontez vos dernières vacances" est aux instituteurs dans les écoles: un sujet-bateau, une position de repli commode lorsque l’imagination fait défaut. De surcroît le "traitement" de ce sujet prend l’allure d’une prophétie auto-réalisatrice: la sollicitation et la diffusion effrénée de "petites phrases" alimente, avec un peu de chance, l'affrontement des egos et donc ladite "crise". On en était là, à la veille de l'université d'été du PS, à La Rochelle. Au l'issue de cet événement, alleluia: les mêmes médias, dans un bel ensemble, laissent entendre que "le PS va mieux". Pourquoi? Car le PS, en tant qu'organisation, a fait une avancée considérable: un consensus s'est enfin dégagé au sein des dirigeants sur une question majeure. Les formes que doit prendre la régulation du capitalisme? L'avenir du droit du travail et des salariés? Le rôle de l'Europe? La politique étrangère?... Vous n'y êtes pas du tout. Non, la question cruciale qui a été tranchée c'est que LE PS EST DESORMAIS FAVORABLE A L'ORGANISATION D'UNE ÉLECTION PRIMAIRE OUVERTE A TOUTE LA GAUCHE. Wow, rien que de l'écrire j'en ai la chair de poule.

Blague à part, de quoi parle-t'on? D'une idée lancée par un des nombreux "think tanks" (traduction française: véhicule blindé rempli d'intellectuels chargés de chier de la pensée) du PS, Terra Nova, relayée par un certain nombre de "ténors" du PS en mal de positionnement politique et par les médias de gauche: il conviendrait que le candidat "principal" de la gauche à la présidentielle soit désigné par un large corps électoral de citoyens "de gauche" ou "progressistes", c'est selon, quoiqu'il en soit anti-Sarkozy, cela va sans dire mais ça irait mieux en le disant. Bon. Tout l'été on aura suivi, dans Libération , Rue89 ou ailleurs le palpitant feuilleton à propos du succès croissant de cette idée au sein des instances dirigeantes du PS. Montée en puissance mercredi dernier lorsque "Libé" publie une pétition signée par 100 personnalités appelant à la mise en place d'un tel exercice, publication soulignée par un édito enthousiaste de Laurent Joffrin. Et apothéose à l'issue de l'université d'été de La Rochelle ce week-end, donc.

Moi je suis un primaire, justement, et j'aimerais qu'on m'explique en quoi cette idée présente un intérêt quelconque. Des élections primaires, le PS en a organisé à l'occasion de la dernière présidentielle. Certes, seuls les-militants-à-jour-de-leur-cotisation pouvaient voter, mais on ne fera croire à personne que l'afflux d'adhésions au parti (20 Euros, une affaire) à l'époque et la perspective de ce vote de désignation étaient des phénomènes totalement indépendants. Mais admettons: ce système "ouvert" permettrait la participation de tous les anti-Sarkozy-non-Villepinistes, pour faire simple. Oui mais alors, il faudrait envisager, en bonne justice, que des hommes et femmes politiques à l'extérieur du PS puissent se présenter, non? On inclurait dès lors un Cohn-Bendit, un Mélenchon, un(e) stalinien(ne) repenti(e) genre Buffet, et, pourquoi pas, un Besancenot ou un Bayrou, tant qu'on y est. Oui mais bon, ni les uns ni les autres n'entendent participer à une telle compétition car, pour des raisons diverses, ils tiennent par-dessus tout à être présents lors du premier tour de la présidentielle (sauf Cohn-Bendit à titre personnel, à ce qu'il paraît). Par ailleurs il ferait beau voir le PS soutenir sans faille un vainqueur des primaires qui d'aventure ne serait pas issu de ses rangs. Déjà, avec Ségolène Royal, pourtant PS-pur-sucre, c'était plutôt limite, le soutien, voire du genre de celui que pratique la corde vis-à-vis du pendu. Bref les primaires c'est un truc pour désigner un candidat du PS qui fasse l'unanimité au delà du PS, sachant que rien ne garantit, c'est le moins qu'on puisse dire, que ledit candidat ne se retrouve pas, de toute façon, face à d'autres anti-Sarko plus ou moins de gauche au premier tour de la présidentielle. Et si par miracle ce n'était pas le cas, que disparaissaient comme par enchantement le désir des lagôchedelagôche de se compter, le désir des écolos de jouer les aiguillons et celui de Bayrou de s'écouter causer dans le poste, alors ce(tte) candidat(e) aurait d'emblée à porter sur ses épaules des aspirations tellement contradictoires que son avenir aurait toutes les chances d'être celui d'un Prodi ou d'un Veltroni cisalpin: la gamelle spectaculaire à plus ou moins brève échéance, pour le plus grand bonheur du Berlusconi français, suivez mon regard.

Alors pourquoi ce "buzz" médiatique autour d'une telle usine à gaz? J'ose émette une hypothèse: les chroniqueurs politiques (notamment dans "Libération") font preuve de la même schizophrénie, face aux querelles de personnes au PS, que les chroniqueurs sportifs (notamment ceux de "L'Equipe") face aux phénomènes de dopage dans le Tour de France: en temps normal on alimente le spectacle - au sens Debordien du terme - ("machin n'est pas d'accord avec truc"/"le mec en bleu est vraiment plus rapide que celui en jaune") mais par moment on prend du recul, on se prend la tête dans les mains et on éditorialise: "Mon Dieu, mais que ne se mettent-ils donc d'accord une bonne fois pour toutes?"/"A quand un cyclisme vraiment propre?". Dans l'un et l'autre cas, l'existence même du spectacle est une nécessité, de même qu'il est nécessaire d'en déplorer, de temps à autre, le caractère totalement artificiel. Les "primaires ouvertes de la gauche", c'est la garantie, des mois durant, d'une baston générale, que viendront attiser la diffusion d'interviews assassines et d'"affaires" people-esques bien croustillantes, sans oublier la couverture d'empoignades passionnantes sur la façon d'organiser lesdites primaires, donc l'assurance de pisser et de vendre de la copie sans trop se fouler. C'est aussi la garantie de produire, à intervalles réguliers, de graves réflexions sur la pauvreté du débat programmatique. Bref, le bonheur.

Tambouille pré-régionales mise à part, on se demande pourquoi Sarkozy est allé chercher les zigouilleurs de tourterelles et le vicomte bloqué pour renforcer les rangs de l'UMP: les flonflons de la gauche médiatique autour des "primaires ouvertes" le prouvent: avec de tels ennemis, il n'a pas besoin d'amis.

See you, guys.

Post-scriptum qui n'a rien à voir, comme dirait Delfeil de Ton: amis marketeux en recherche d'idées neuves, en ce BlogDay je vous invite à aller faire un tour chez François Laurent

jeudi 13 août 2009

Aung San Suu Kyi, surmoi des démocraties

C'est historiquement prouvé, les sanctions économiques ont sur les dictateurs un effet comparable à celui des bombardements aériens, fussent-elles, comme ces derniers, "ciblées": nul, voire contre-productif dans certains cas. D'abord parce qu'elles ne sont jamais appliquées par tout le monde, ensuite parce que quel que soit leur degré de précision, les bénéfices pécuniers qu'elles entament éventuellement sont peu de chose en regard de l'absolue jouissance que peut conférer le pouvoir absolu. Enfin parce que leurs potentiels dommages collatéraux, à l'instar encore une fois des bombardements aériens, sont plus souvent pour la gueule des victimes des dictateurs que pour celle de leurs complices.
L'ex-Birmanie n'infirme pas cette hypothèse, où on vient de "neutraliser" une fois encore Aung San Suu Kyi au moyen d'une triste farce judiciaire. Ca provoque, comme on dit, "un tollé au sein de la communauté internationale" et on parle de "durcir", de "cibler davantage" des sanctions économiques: le Conseil des Ministres de l'Union Européenne, dans un communiqué, entend ce jour s'en prendre aux "magistrats responsables du verdict [qui seront] ajoutés à la liste actuelle des personnes et entités faisant l'objet d'une interdiction de voyage et d'un gel de leurs avoirs". Amusant, au demeurant: jusqu'à quel point un magistrat peut-il bien être "responsable" d'un verdict, au Myanmar, lorsqu'il s'agit d'Aung San Suu Kyi? Par ailleurs ça gagne combien, un juge, dans ce pays? Assez pour posséder des "avoirs" dans une banque européenne ou voyager à l'étranger plusieurs fois par an? Fichtre, ça vaut le coup de faire des études de Droit, là-bas... Quoiqu'il en soit ces mesures vont très probablement glisser sur la volonté des dirigeants birmans comme des savonnettes sur un poisson: Aung San Suu Kyi restera assignée à résidence aussi longtemps que cela leur sera nécessaire, point-barre. Inefficacité des sanctions, donc, par ailleurs confirmée par les opposants au régime d'après "Libération" du 11/08/09. Cela étant, les dirigeants occidentaux rivalisent d'éloquence dans l'expression publique de leur indignation, y compris les Français bien évidemment, statut auto-attribué de "patrie-des-droits-de-l'homme" oblige.
Mais quand bien même les sanctions économiques pourraient avoir un quelconque impact, il n'aura échappé à personne que le cas birman, c'est le bal des faux-culs. En effet, nonobstant le "tollé international", il y a deux mots que les uns et les autres refusent avec obstination de prononcer: pétrole et gaz. Nicolas Sarkozy, par exemple, a demandé que l'UE applique des sanctions «tout particulièrement dans le domaine de l’exploitation du bois et des rubis». Ah oui, tiens, bonne idée, ça va drôlement les faire bisquer, ça, les généraux de la junte. On pourrait ajouter: les boutons de culotte, les pignons de pin, les décapsuleurs, les framboises, les porte-serviette... Pourquoi s'arrêter au bois et aux rubis: n'importe quoi, du moment que ça ne sert pas à se chauffer, cuisiner, s'éclairer ou partir en week-end. Parce que bon, dans le cas particulier de la France il y a l'entreprise Total, très présente dans le pays d'Aung San Suu Kyi (la Fédération Internationale des Droits de l'Homme estime à 141 millions d'Euros par an les royalties versés par Total à la junte birmane). De même pour les Britanniques il y a BP, pour les Américains Exxon ou Chevron-Texaco mais au final, Total a en ex-Birmanie la plus grosse part du gâteau. Des sanctions, donc, d'accord, mais soyons sérieux, on a dit qu'on déconnait pas avec les cartables.
Bien sûr, on sent bien que ce déni a quelque chose de choquant, alors on se console comme on peut: on explique que si la France renonçait à ses investissements, la Chine prendrait le relais. Par ailleurs on déclare que Total, au moins, n'utilise pas de la main-d'oeuvre contrainte. Ces deux affirmations viennent d'un expert, à la fois de la diplomatie et des droits de l'homme: Bernard Kouchner qui, en 2003, rémunéré par Total, et au terme d'une étude approfondie sur place d'au moins une semaine, avait conclu que le champion du CAC 40 faisait les choses tout bien comme il faut.
Le cas particulier de Bernard Kouchner, tellement pathétique, est somme toute emblématique de la névrose qui tenaille les démocraties occidentales: une tension entre une libido faite d'appétits financiers et un surmoi droit-de-l'hommiste. Cette tension est singulièrement douloureuse dans le cas de l'ex-Birmanie, et tout particulièrement en France, à la fois leader des pourvoyeurs financiers de la dictature et notoirement grande gueule dès qu'il s'agit de parler des droits de l'homme.
Pour réduire cette tension, les démocraties occidentales ont a priori deux options: en faire un peu moins dans le discours droit-de l'hommiste ou à tout le moins ne pas en faire un marqueur identitatire (Etats-Unis, Grande-Bretagne...) ou ne pas prétendre au statut de "puissance" (Belgique, Suède...). La France en a choisi une troisième: supprimer le Secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme. Dès lors on peut, sans risque de cacophonie gouvernementale dans les médias, jouer sur tous les tableaux: sécuriser les profits de Total, souligner l'inanité des sanctions économiques en en proposant de particulièrement risibles, tout en hurlant sa colère de "patrie-des-droits-de-l'homme".
Le surmoi Aung San Suu Kyi - toutes ces photos à la une des journaux - peut bien se manifester, les démocraties occidentales devraient continuer à suivre leur libido. En France, en tout cas, on s'est trouvé une parole thérapeutique en béton: on se répète que les Chinois n'ont ni ces problèmes de surmoi, ni le contrôle du pétrole birman.
A bientôt