“Crise du leadership au PS” est aux chroniqueurs politiques dans les grands médias ce que "Racontez vos dernières vacances" est aux instituteurs dans les écoles: un sujet-bateau, une position de repli commode lorsque l’imagination fait défaut. De surcroît le "traitement" de ce sujet prend l’allure d’une prophétie auto-réalisatrice: la sollicitation et la diffusion effrénée de "petites phrases" alimente, avec un peu de chance, l'affrontement des egos et donc ladite "crise". On en était là, à la veille de l'université d'été du PS, à La Rochelle. Au l'issue de cet événement, alleluia: les mêmes médias, dans un bel ensemble, laissent entendre que "le PS va mieux". Pourquoi? Car le PS, en tant qu'organisation, a fait une avancée considérable: un consensus s'est enfin dégagé au sein des dirigeants sur une question majeure. Les formes que doit prendre la régulation du capitalisme? L'avenir du droit du travail et des salariés? Le rôle de l'Europe? La politique étrangère?... Vous n'y êtes pas du tout. Non, la question cruciale qui a été tranchée c'est que LE PS EST DESORMAIS FAVORABLE A L'ORGANISATION D'UNE ÉLECTION PRIMAIRE OUVERTE A TOUTE LA GAUCHE. Wow, rien que de l'écrire j'en ai la chair de poule.
Blague à part, de quoi parle-t'on? D'une idée lancée par un des nombreux "think tanks" (traduction française: véhicule blindé rempli d'intellectuels chargés de chier de la pensée) du PS, Terra Nova, relayée par un certain nombre de "ténors" du PS en mal de positionnement politique et par les médias de gauche: il conviendrait que le candidat "principal" de la gauche à la présidentielle soit désigné par un large corps électoral de citoyens "de gauche" ou "progressistes", c'est selon, quoiqu'il en soit anti-Sarkozy, cela va sans dire mais ça irait mieux en le disant. Bon. Tout l'été on aura suivi, dans Libération , Rue89 ou ailleurs le palpitant feuilleton à propos du succès croissant de cette idée au sein des instances dirigeantes du PS. Montée en puissance mercredi dernier lorsque "Libé" publie une pétition signée par 100 personnalités appelant à la mise en place d'un tel exercice, publication soulignée par un édito enthousiaste de Laurent Joffrin. Et apothéose à l'issue de l'université d'été de La Rochelle ce week-end, donc.
Moi je suis un primaire, justement, et j'aimerais qu'on m'explique en quoi cette idée présente un intérêt quelconque. Des élections primaires, le PS en a organisé à l'occasion de la dernière présidentielle. Certes, seuls les-militants-à-jour-de-leur-cotisation pouvaient voter, mais on ne fera croire à personne que l'afflux d'adhésions au parti (20 Euros, une affaire) à l'époque et la perspective de ce vote de désignation étaient des phénomènes totalement indépendants. Mais admettons: ce système "ouvert" permettrait la participation de tous les anti-Sarkozy-non-Villepinistes, pour faire simple. Oui mais alors, il faudrait envisager, en bonne justice, que des hommes et femmes politiques à l'extérieur du PS puissent se présenter, non? On inclurait dès lors un Cohn-Bendit, un Mélenchon, un(e) stalinien(ne) repenti(e) genre Buffet, et, pourquoi pas, un Besancenot ou un Bayrou, tant qu'on y est. Oui mais bon, ni les uns ni les autres n'entendent participer à une telle compétition car, pour des raisons diverses, ils tiennent par-dessus tout à être présents lors du premier tour de la présidentielle (sauf Cohn-Bendit à titre personnel, à ce qu'il paraît). Par ailleurs il ferait beau voir le PS soutenir sans faille un vainqueur des primaires qui d'aventure ne serait pas issu de ses rangs. Déjà, avec Ségolène Royal, pourtant PS-pur-sucre, c'était plutôt limite, le soutien, voire du genre de celui que pratique la corde vis-à-vis du pendu. Bref les primaires c'est un truc pour désigner un candidat du PS qui fasse l'unanimité au delà du PS, sachant que rien ne garantit, c'est le moins qu'on puisse dire, que ledit candidat ne se retrouve pas, de toute façon, face à d'autres anti-Sarko plus ou moins de gauche au premier tour de la présidentielle. Et si par miracle ce n'était pas le cas, que disparaissaient comme par enchantement le désir des lagôchedelagôche de se compter, le désir des écolos de jouer les aiguillons et celui de Bayrou de s'écouter causer dans le poste, alors ce(tte) candidat(e) aurait d'emblée à porter sur ses épaules des aspirations tellement contradictoires que son avenir aurait toutes les chances d'être celui d'un Prodi ou d'un Veltroni cisalpin: la gamelle spectaculaire à plus ou moins brève échéance, pour le plus grand bonheur du Berlusconi français, suivez mon regard.
Alors pourquoi ce "buzz" médiatique autour d'une telle usine à gaz? J'ose émette une hypothèse: les chroniqueurs politiques (notamment dans "Libération") font preuve de la même schizophrénie, face aux querelles de personnes au PS, que les chroniqueurs sportifs (notamment ceux de "L'Equipe") face aux phénomènes de dopage dans le Tour de France: en temps normal on alimente le spectacle - au sens Debordien du terme - ("machin n'est pas d'accord avec truc"/"le mec en bleu est vraiment plus rapide que celui en jaune") mais par moment on prend du recul, on se prend la tête dans les mains et on éditorialise: "Mon Dieu, mais que ne se mettent-ils donc d'accord une bonne fois pour toutes?"/"A quand un cyclisme vraiment propre?". Dans l'un et l'autre cas, l'existence même du spectacle est une nécessité, de même qu'il est nécessaire d'en déplorer, de temps à autre, le caractère totalement artificiel. Les "primaires ouvertes de la gauche", c'est la garantie, des mois durant, d'une baston générale, que viendront attiser la diffusion d'interviews assassines et d'"affaires" people-esques bien croustillantes, sans oublier la couverture d'empoignades passionnantes sur la façon d'organiser lesdites primaires, donc l'assurance de pisser et de vendre de la copie sans trop se fouler. C'est aussi la garantie de produire, à intervalles réguliers, de graves réflexions sur la pauvreté du débat programmatique. Bref, le bonheur.
Tambouille pré-régionales mise à part, on se demande pourquoi Sarkozy est allé chercher les zigouilleurs de tourterelles et le vicomte bloqué pour renforcer les rangs de l'UMP: les flonflons de la gauche médiatique autour des "primaires ouvertes" le prouvent: avec de tels ennemis, il n'a pas besoin d'amis.
See you, guys.
Post-scriptum qui n'a rien à voir, comme dirait Delfeil de Ton: amis marketeux en recherche d'idées neuves, en ce BlogDay je vous invite à aller faire un tour chez François Laurent