mardi 19 juin 2007

Ruptures

Cela s’est passé dimanche, lors de la soirée électorale. Le débat ronronnait un peu, rien que du très classique (« Il faut entendre le message que nous ont envoyé les français ») lorsqu’est tombée l’effarante nouvelle. Après des années d’une relation somme toute fructueuse et très médiatisée, elle le plaque brutalement. La nouvelle laisse les débatteurs abasourdis : « Pourquoi maintenant ? ». Tandis qu’elle prospérait, offrant un visage résolument moderne, il avait su se garder des multiples poignards que ses amis destinaient à son dos, qu’il se trouve avoir large. Leurs chemins s’étaient parfois séparés, mais leur attachement l'un à l'autre semblait indestructible. Pourtant, dimanche soir, il a bien fallu se rendre à l’évidence: la ville de Bordeaux a largué Alain Juppé.
Soirée de rupture, donc, que celle de ce dimanche 17 juin, qui a vu « le meilleur d’entre eux » mordre la poussière en son fief, tandis que la déferlante annoncée de députés Sarkozystes s’est avérée n’être qu’une reconduction de la majorité actuelle, ni plus ni moins. Enfin plutôt moins que plus sur un plan arithmétique, faut admettre.

Cette grande houle océanique qui se transforme en clapotis méditerranéen m'inspire a priori deux séries de remarques:
  • Sur les sondages et leur usage, tout d'abord. Les habitués de ce blog s’en souviennent peut-être, j’avais fustigé ici-même les carambouilles méthodologiques dont usent et abusent les instituts de sondage quand ils prétendent mesurer « l’opinion ». Pour ce qui est de la présidentielle, même si leurs estimations se sont avérées plutôt proches de la réalité en ce qui concerne les « petits » candidats, les variations enregistrées lors des différentes vagues d’enquête et surtout l’interprétation qu’en ont fait les uns et les autres ont relevé de la pure spéculation, voire de la manipulation. Toujours est-il que si une élection présidentielle (un seul scrutin, des options identifiables) autorise en soi l’exercice consistant à simuler un choix auprès d’un échantillon national d’un millier de personnes, appliquer une méthode similaire pour anticiper les résultats d’une élection législative (577 scrutins), c’est tout simplement une imposture intellectuelle. Et lorsque, par-dessus le marché, on déduit de ces mesures des « projections en sièges », on se fout ouvertement de la gueule du monde. Mais cela n’a pas empêché les médiateurs de tout poil de nous marteler, et ce dès le 7 mai, que les sondages « annonçaient » une inéluctable Sakozysation de l’hémicycle. Pour le premier tour, cette prophétie s’est dans une certaine mesure avérée auto-réalisatrice, décourageant sans doute une bonne partie de l’électorat de gauche. Pour le second, il semble bien qu’on ait assisté au phénomène inverse: les abstentionnistes, toujours aussi nombreux, ne furent pas les mêmes. Ainsi des électeurs de droite, gavés durant toute une semaine, comme tout un chacun, d’éditoriaux et de reportages sur la « vague » à venir, ont cette fois jugé inutile de se déplacer. D’où la « surprise » de dimanche soir, notamment pour la petite clique médiatico-sondagière, dont on se demande si elle prend ses désirs pour la réalité, ou si l'intelligence de la réalité est devenue étrangère à ses désirs. Quoiqu'il en soit elle s'accorde le droit exclusif de s’en faire l’interprète, a défaut du prophète : "Fondé sur des informations lapidaires et erronées, il semble que mon discours ait quelque peu biaisé votre jugement. Mais qu'à cela ne tienne, laissez-moi maintenant vous expliquer ce qu'au fond vous avez voulu dire". Tels des commerçants fauchés, les médias audiovisuels pourvoyeurs de "réel" et leurs grossistes en statistiques "représentatives" sont brutalement tombés, ce soir-là, en rupture de stock
  • Sur la profondeur et la durabilité de la rupture Sarkozyste, ensuite. L'événement qu'a constitué le scrutin du 6 Mai a pu être interprété comme signalant un triple renouvellement: renouvellement politique (53% pour que "tout devienne possible"), renouvellement démocratique (une participation record), renouvellement de la Droite elle-même, enfin, celle-ci ayant su construire un corpus d'idées cohérent, déclinant dans tous les domaines le primat de la responsabilité et du succès individuels. Par contraste, le PS est tout au long de ces semaines apparu comme complètement encalminé dans un débat interne inachevé, doublé d'une crise flagrante de leadership. A quoi, cerise sur le gâteau, est venue s'ajouter l'"affaire" du couple Royal-Hollande, que des journalistes "politiques" ont jugé utile d'intégrer dans l'équation. Dès lors l'affaire semblait pliée: ce n'était plus de l'élection d'un Parlement qu'il s'agissait, mais du réglage technique d'un studio d'enregistrement. Oui mais voilà: intoxication sondagière ou pas, il aura suffi qu'un éclairage un peu cru (merci Fabius, bravo Fillon, chapeau Borloo) soit porté sur une des idées traînant sur la table du gouvernement - la désormais fameuse TVA "sociale"- pour que le véhicule rutilant de la rupture, lancé depuis des mois voire des années à pleine vitesse, commence à cahoter. Oh ce n'est pas encore la sortie de route, loin s'en faut. Et puis l'exploitation de la faille par des dirigeants du PS enfin audibles a pris des allures un peu Tartufiennes, ladite TVA ayant naguère pu être remarquée ici et là dans les cartons des socialistes. Mais la preuve est faite qu'il y a des limites aux résultats politiques de l'agitation et de l'ubiquité Sarkozyenne, fût-elle relayée en boucle par la quasi-totalité des télévisions, l'Express, Le Point et Paris-Match. Des limites comme les craintes sur le pouvoir d'achat, par exemple. Des limites comme une indifférence polie à l'égard du bouclier fiscal à 50%, mesure dont l'urgence et le caractère vital pour la création d'emplois sont difficiles à saisir, quand on n'est ni rocker belge ni fabricant d'avions de chasse. Cet endiguement ne constitue pas une alternative politique en soi. C'est en tout cas un début.

Celà étant, à ce jour, le PS a élargi et renouvelé son groupe parlementaire à l'assemblée, pas ses propositions. Et la seule clarification tangible en termes d'"image" qu'il nous soit aujourd'hui donnée à voir est celle de la situation entre François Hollande et Ségolène Royal. Mais cette rupture est à mes yeux moins signifiante que celle en train de s'opérer, lentement mais sûrement, entre les délires de l'hôte de l'Elysée et ce truc très chiant, là, comment çà s'appelle déjà, ah oui, çà me revient: le réel.

A bientôt

lundi 11 juin 2007

Paint it Black

Au vu des commentaires que j'ai pu glaner ici et là en ce lendemain de premier tour des législatives, je m'engage solennellement à bannir de ces lignes les expressions "vague/déferlante/tsunami bleu(e)". Par souci d'originalité, bien sûr: si mes lecteurs et lectrices ne retrouvent ici que du copier-coller de leurs médias habituels, ils vont vite se lasser. Mais aussi et surtout parce que je perçois, derrière derrière cette "colorisation" de la chose politique un mélange de paresse intellectuelle et d'expression euphémique du réel, en clair et pour parler crûment, une astuce pour cacher la merde au chat.
Souvenez-vous, c'était il y a cinq ans: Juppé cherchait un nom pour son "machin", à savoir la fusion du RPR et des différentes familles qui composaient l'UDF à l'époque. Voilà qu'un beau matin on entend à la radio qu'un des résultats des intenses cogitations en cours, c'était d'appeler çà "La Maison Bleue". Normalement, cette proposition n'aurait jamais dû "sortir" dans les médias, tant le grotesque de l'idée frisait le canular. Mais non: "les cons, ça ose tout, c'est même à çà qu'on les reconnaît", disait Michel Audiard. Alain Juppé s'empressa d'expliquer doctement qu'il trouvait l'expression sympathique... Jusqu'à ce que quelqu'un lui rappelle que l'image evoquait une chanson aux accents hippies, truffée d'allusions à des valeurs un tantinet éloignées de l'exaltation béate de la performance économique. Bref, un truc de soixante-huitard. Oups, rétro-pédalage immédiat du Juppé, qui se rabat sur l'UMP que nous connaissons tous. Union pour une Majorité Présidentielle ou pour un Mouvement Populaire, on s'en fout un peu, ça ne veut pas dire grand-chose, à tout le moins on évite de désespérer Neuilly-Auteuil-Passy.
Cependant le pli était pris: désormais on userait volontiers du bleu pour symboliser la Droite, par contraste avec le drapeau rouge des néo- et paléo-bolchéviques, la rose des Socialistes, etc... Outre le côté pratique pour les infographistes de la télévision en cas de soirée électorale, cette "colorisation" présente, nous y revoilà, l'indéniable avantage d'éviter le substantif "Droite", susceptible de susciter des freins parmi un nombre certain d'électeurs - même si l'air du temps a depuis longtemps dédramatisé la chose. Jusqu'en 1981 la Droite se désignait elle-même par le terme de "majorité", ensuite forcément elle devint l'"opposition" puis de nouveau "la majorité", il semblerait qu'aujourd'hui il convienne de parler de "mouvement bleu". C'est sympa le bleu, ça connote le ciel, la mer, la fraîcheur, la sérénité, la liberté...
Pas de quoi en faire un plat, me direz-vous: dans le même registre, le MoDem (à bas débit: ni droite, ni gauche, ni électeurs, finalement) de François Bayrou a opté pour l'orange, histoire de se différencier visuellement des copains, et tout le monde trouve ça normal. Après tout l'époque est à la "communication", avec tout ce que cela suppose de raccourcis sémantiques: il faut faire rapide et simple, surtout ne pas trop mobiliser le cerveau, des fois qu'il n'en reste pas d'espace disponible pour Coca-Cola...
Mais l'usage jusqu'à l'écoeurement de l'expression "vague bleue"dans les médias, ces dernières vingt-quatre heures, est également à mes yeux un autre symptôme de la spectaculaire carabistouille que Sarkozy et ses affidés nous servent depuis le 6 Mai: plutôt que d'admettre qu'une vision de la société l'a emporté contre une autre, on nous sort implicitement la fable du consensus. Plutôt que de laisser accroire que des alternatives et donc une alternance sont envisageables, on cherche à nous embobiner dans l'illusion d'un rassemblement des bonnes volontés - l'"ouverture" - rassemblement auquel il serait inconvenant de s'opposer.
Il est vrai que le PS, par les temps qui courent, ressemble autant à une alternative politique crédible que les camps de réfugiés du Darfour à des colonies de vacances. Il n'empêche que tôt ou tard se dessinera de façon explicite un projet social-démocrate décomplexé - et, souhaitons-le, cohérent et attractif - qui à ce jour n'apparaît qu'en filigrane.
Alors qu'on nous lâche un peu la grappe avec cette "vague" dont la couleur serait inoffensive, parlons plutôt d'un bruyant défilé de godillots qui s'apprête à voter, au garde-à-vous et en quelques semaines, une rafale de lois qui sont tout sauf consensuelles, on ne devrait pas tarder à s'en apercevoir.
Il paraît qu'il y a un deuxième tour dimanche prochain, vous êtes au courant? Je vous dis çà parce qu'apparemment 39,5% des électeurs ont oublié qu'il y en avait un premier prévu pour hier. Parmi eux, selon toute vraisemblance, un bon paquet d'électeurs de Gauche, qui, du coup, auront bien vite le sentiment de s'être fait avoir en silence. Comme des bleus.
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La France-Sarko s'embrume, la France-Sarko s'embrume
La France-Sarko
Ou étiez vous?
A jouer du luth?
Cécilia
N'attendait qu'cà
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A bientôt!

dimanche 10 juin 2007

Cliquez ici --> Nazdarovie / Pas vu à la télé

Un petit bijou dégotté sur YouTube, via "Le Monde.fr": Sarko attaquant une conférence de presse suite à un "entretien" avec Poutine lors du sommet du G8. Evidemment, le journaliste qui aurait diffusé çà à la télé française serait déjà en train de pointer à l'ANPE... Vive la libre Belgique, donc.

Enjoy.