lundi 28 juillet 2008

Touche pas au despote

J'habite un pays aux moeurs déroutantes. D'un point de vue Français, s'entend. Figurez-vous qu'on y est très attaché à des notions comme l'indépendance de la Justice, l'Etat de droit, et toute cette sorte de choses. Si, si.
Dans un pays normal comme la France, si d'aventure un homme d'affaires ruiné mais ayant fait allégeance au Président de la République devait, je ne sais pas, moi, par exemple affronter un organisme public devant un tribunal au risque de perdre son procès, et bien on s'arrangerait pour remplacer la justice ordinaire par un tribunal arbitral. Et si, par le plus grand des hasards, le tribunal arbitral en question devait trancher en faveur du dit homme d'affaires - quand bien même il en coûterait cher au contribuable - l'Etat, bon prince, s'en tiendrait à cette décision. Quitte à verser - je cite une somme au hasard - 285 millions d'euros à l'homme d'affaires, tandis que par ailleurs on continuerait d'expliquer aux contribuables que les temps sont durs et qu'il convient de faire des économies sur les dépenses publiques.
Dans un pays normal comme la France, si, mettons, le rejeton d'un chef d'état étranger se faisait pincer roulant à 140 km/h sur l'avenue des Champs-Elysées, point de retrait de permis ni de séjour au gnouf: quelques coups de fil par-ci par-là et hop, au revoir monsieur, voici vos clefs, et bonjour à papa, hein, mais non, pensez-vous, on va pas faire une histoire pour si peu.

C'est qu'en France on a le sens des priorités: l'Etat de droit ça sonne bien, c'est beau comme un temple de marbre, c'est grandiose. Mais un peu sec. Bien sûr que ça compte mais bon, la vraie vie c'est la fantaisie, l'improvisation ou, pour reprendre un terme à la mode: le pragmatisme. Et la vraie vie, ça c'est important.


En Suisse, on voit les choses différemment: fils de chef d'état ou pas, la loi c'est la loi. En témoigne ce fait divers survenu à Genève le 15 de ce mois: Hannibal Kadhafi, fils de Mouammar, s'est retrouvé inculpé de "lésions corporelles simples, menaces et contraintes" suite à une plainte déposée par deux de ses domestiques. Ledit Hannibal a passé 48h en garde à vue, et n'en est sorti que moyennant une caution de 500 000 CHF.
Stupeur à Tripoli: comment, mais si on ne peut plus tabasser ses larbins, où va-t'on? Non mais, ils sont fous, ces roumis! Le sang de Mouammar n'a fait qu'un tour:
- Et d'une, que je t'arrête deux citoyens helvétiques séjournant en Libye sous des prétextes créés ex-post, et zou, en taule
- Et de deux, que je te menace de couper le robinet du pétrole à la Suisse (20% de la consommation du pays est importée de Libye, notamment via la chaîne de stations Tamoil)
- Et de trois, que je brandis un possible boycott des banques Suisses
... A moins, bien sûr, que la Confédération Helvétique ne présente officiellement des excuses au fiston, enfin, à la Libye, c'est pareil.
A l'instant où j'écris, la situation est bloquée. D'excuses, a priori, par ici il n'est pas question: les flics et les juges ont fait leur boulot, point. Pascal Couchepin, président de la Confédération, s'est dit prêt à rencontrer le chef d'état Libyen pour "apaiser les tensions" mais, et c'est un point de vue rigoureusement incompréhensible pour Mouammar, en Suisse la Justice ne se plie pas comme ça au bon vouloir des dirigeants.
Pourtant, se dit-il perplexe, lorsqu'Hannibal a joué à Fast & furious au pied de l'Arc de Triomphe, un coup de passeport diplomatique et les flics français ont écrasé le coup gentiment: la France, la Suisse, tout ça c'est pareil, non? Bon, tant pis, je garde les deux otages, déjà. Pour le pétrole et les banques, on verra.
D'autant que la Suisse peut se passer du pétrole Libyen. Quant au "boycott des banques", hein, chiche, même pas cap', d'abord qu'est-ce qu'il foutait à Genève, Hannibal, du tourisme?
En France, on a fini dernièrement par refuser un visa à Hannibal-le-facétieux: il y a eu le coup des Champs-Elysées en 2004, puis des poursuites pour coups et blessures (sa concubine enceinte) en 2005, enfin une condamnation, pour détention d'arme de guerre, à quatre mois de prison avec sursis. Mais d'arrestation, de garde à vue, d'amende, point. Pragmatiques, on est, en France.
Toujours est-il que le Quai d'Orsay a fait part de sa "préoccupation" au sujet de cette crise et a officiellement proposé son aide. Nul ne sait encore trop en quoi cette aide peut consister, mais pour ce qui me concerne j'ai une petite idée du scénario:
  1. Nicolas Sarkozy appelle Mouammar Kadhafi et propose de lui envoyer deux émissaires personnels: son épouse Carla Bruni et son conseiller Henri Guaino
  2. Les deux envoyés du Président rencontrent Mouammar sous sa tente. Henri Guaino explique à Kadhafi que si l'homme Africain en général n'est pas assez entré dans l'Histoire, l'homme Libyen en particulier n'y est entré que trop et que justement, est-ce que ça vaut bien la peine d'en faire autant, d'histoires? Mouammar écoute à peine, les yeux rivés sur Carla Bruni.
  3. On propose un deal à Kadhafi: la libération des deux otages Suisses contre 1000 CD gratos de Carla Bruni, une visite officielle de dix jours à Paris et une centrale nucléaire à -50%. Mouammar répond les CD et la centrale je m'en fous, je garde Carla Bruni et tu repars avec les Suisses, quinze chameaux et 30 000 barils de pétrole. Henri Guaino réfléchit puis dit: tu gardes les chameaux et le pétrole, -70% sur la centrale, je rembarque Carla et les Suisses et tu viens quinze jours à Paris, dans un hotel où tu pourras piétiner et brûler le drapeau Suisse. Kadhafi dit d'accord pour douze jours si je peux planter trois jours ma tente dans le jardin du Luxembourg, si t'insistes je la prends ta centrale. Guaino dit tope-là, Carla sourit.
  4. Deux jours plus tard, Carla Bruni aterrit à Zurich avec les deux otages sous les vivats de la foule helvète en liesse.

Je fantasme peut-être un peu, mais les faits sont là: en France on a un gouvernement et un Président qui ont la culture du résultat. On déroule le tapis rouge à Bachar El Assad et à Kadhafi, on va montrer sa bobine déférente aux J.O. de Pékin, on fait des gouzi-gouzi à George W. Bush, on lèche les bottes d'Hugo Chavez, on félicite Vladimir Poutine pour son sens de la démocratie, on vire un ministre pour crime de lèse-Omar Bongo, le tout avec un Ministre des Affaires Étrangères que plus estampillé Humanitaire / Droits de l'Homme, faut chercher longtemps: le résultat, c'est que la France est un grand pays très respecté à l'étranger, seuls des socialistes aigris vous diront le contraire. La Suisse devrait se réjouir de l'avoir à ses côtés, pour la tirer du pétrin où l'ont mis ses principes surannés.

L'Etat de droit, l'indépendance de la Justice, c'est bien beau... Mais on voit ce que ça rapporte de chahuter Hannibal lorsqu'il passe par les Alpes, même sans éléphants: net net, deux otages.

Allez, salut.

lundi 21 juillet 2008

Petite voix

Nicolas Sarkozy aimerait bien qu'on le perçoive comme quelqu'un qui fait de grandes choses. Qu'on se souvienne de lui comme d'un Président qui aura marqué la France d'empreintes dignes des livres d'Histoire. Mais c'est plus fort que lui: tout ce qu'il touche tourne au riquiqui, au mesquin, voire au ridicule. Bon, sur l'Europe, il avait annoncé la couleur (voir article précédent): ça serait un "mini-traité" mais qui, comme le célèbre détergent, ferait le maximum. De fait, il est tellement mini, mini, mini, que l'histoire est déjà finie.
Mais prenez l'audiovisuel: moi-même je m'étais dit "en-voilà-une-idée-qu'elle-n'est-peut-être-pas-si-mauvaise", (cf. http://helvetia-atao.blogspot.com/2008/01/le-chanoine-et-les-tartuffes.html). Au temps pour moi, comme disent les adjudants-chefs de l'Armée de Terre: il s'avère qu'en tout état de cause l'enjeu de cette "grande" réforme consiste à gentiment priver l'audiovisuel public de ressources pérennes au nom d'économies de bouts de chandelle, de s'en assurer le contrôle politique et, en parallèle, de sécuriser les revenus de TF1, c'est-à-dire de l'ami Martin Bouygues. Tout cela contribue à faire ressembler la République Française à sa caricature, à savoir: une république bananière sans bananes.
Ne parlons pas d'Ingrid Bétancourt ou de la croissance, l'une qu'il ferait tout pour libérer, l'autre qu'il irait chercher "avec les dents", et inversement. Même si l'agitation brownienne de Sarkozy sur l'affaire Bétancourt n'est certainement pas pour rien, in fine, dans la mise en place et la réussite de l'opération militaire qui l'a libérée, même si l'on ne peut imputer au gouvernement français la flambée des prix du pétrole et des matières premières, il y a comme du racornissement des ambitions dans l'air. Président du pouvoir d'achat, certes, mais d'un petit pouvoir d'achat, qui ne va pas en s'agrandissant d'après ce qu'on en sait.
Face à ce grave syndrome de rétrécissement des ambitions politiques, le PS, opposant en titre, a enfin donné de la voix. Enfin une voix, pour être plus précis, offerte comme sur un plateau à la majorité: celle de Jack Lang, seul parlementaire du Parti a avoir voté aujourd'hui la réforme de la Constitution de la Vème République, voulue par le Président. Permettant à ce vote des deux Assemblées d'atteindre des dimensions Sarkozyennes en diable: ric-rac. La majorité des 3/5èmes du Congrès est de 538 voix, grâce à Jack Lang la réforme est votée à 539 voix. Autant dire un plébiscite.
Le paradoxe, c'est qu'on entend déjà barrir les éléphants et éléphanteaux sur le thème "sois maudit, Ganelon": Julien Dray annonce dès ce soir sur Libération.fr que Jack Lang est "seul face à lui-même". Fichtre. D'ici à ce qu'on fasse entonner par un choeur de militants lors du prochain congrès de Reims "Hit the road, Jack, don't you come back no more, no more, no more, no more", il n'y a pas des kilomètres.
Et pourtant... Qu'a fait Jack Lang sinon souligner, par son vote solitaire, l'extrême petitesse de l'entreprise Sarkozyenne? S'il avait voté contre, la réforme passait quand même, et on aurait dit: "grâce à sa majorité indiscutable, Nicolas Sarkozy modifie la constitution", même si ladite majorité n'a pas été unanimement convaincue (il manque quelques voix pour que le compte y soit). Là, on dira: "la majorité de la majorité, plus Jack Lang (et le PRG, mais bon, hein, le PRG...), approuve la révision constitutionnelle". Avec tout le respect qu'on doit à l'inventeur de la Fête de la Musique, sa présence parmi ceux qui ont voté "oui" ne suffit pas à elle seule à claironner haut et fort qu'on a fait "bouger les lignes": un Jack Lang tout seul, ça fait un peu court comme élargissement. Moi je dis que le député de Boulogne (-sur-Mer, on ne fait pas toujours ce qu'on veut) a fait de l'excellent boulot, si on y réfléchit bien.
Sur le fond: déjà s'annonce la ritournelle que vont émettre en boucle les responsables UMP, à savoir que le PS a refusé de voter une "avancée démocratique historique" et gna-gna-gna. Le fait est qu'à un moment donné le Bureau National du Parti - le "Politburo" comme le disait ce soir Jean-François Copé sur France 2 (ce type a un humour, un ton, une allure qui me rappellent inévitablement certains foutriquets croisés naguère sur les bancs de ma Sup de Co) - a décidé que ya basta, devant le refus insistant du gouvernement de faire une réforme constitutionnelle vraiment complète, la réponse serait "non". On objectera: pourquoi la Gauche n'a t-elle pas mené les révisions qu'elle exigeait aujourd'hui avec tant d'insistance (mode de scrutin des sénatoriales, introduction de la proportionnelle à l'Assemblée, cumul des mandats, vote des étrangers) lorsqu'elle était aux manettes? Good point, comme disent les Anglo-saxons, mais la question n'est pas là: un travail sérieux sur le fonctionnement de la démocratie en France, une véritable rupture aurait exigé un concensus large, donc la prise en compte des propositions de l'opposition, au-delà de quelques amendements par-ci par-là. Au lieu de cela, on a entendu par exemple un Roger Karoutchi (Ministre des Relations avec le Parlement) expliquer vendredi dernier sur France Inter que la majorité c'est la majorité, que Nicolas Sarkozy applique son programme, et que bisque bisque rage: chassez le naturel, tagada, tagada. Passons sur l'élément le plus médiatique de cette réforme, à savoir que le Président de la République va désormais pouvoir s'exprimer devant le Congrès: c'est vrai que ça nous manquait, le coup du discours sur l'Etat de l'Union... Et le serment sur la Bible, so help me God, c'est pour quand?
Pas de concensus large, donc, mais une réforme votée à l'arraché, qui par exemple maintient le statu quo d'un Sénat délicieusement rural, donc structurellement de Droite. Pas de concensus large, mais la majorité requise plus une voix, une toute petite voix, comme pour souligner le dérisoire d'une réforme à trente centimes d'Euros (deux balles).
Pour la grandeur, l'Histoire, tout ça, désolé on n'a pas le temps, vite vite passons à autre chose.
Ciao, belli.