vendredi 11 janvier 2008

Le Chanoine et les Tartuffes

Mardi dernier, le désormais Chanoine honoraire de Latran (nomination qui donna à Sarkozy l'occasion de se torcher avec la laïcité telle qu'on la conçoit en France, nous y reviendrons peut-être si ce baiser à l'anneau papal se traduit un jour en termes tangibles) a gratifié 600 journalistes d'un long discours et d'un jeu de questions-réponses. L'animal nous annoncé qu'il entendait mener une "politique de civilisation", nouvel affichage dont l' intérêt est que les effets d'une telle politique sont très difficiles à quantifier. Après le Président du pouvoir d'achat, le Chanoine civilisateur, donc.

A propos de quantification: notons que le Président entend inviter deux Prix Nobel d'Economie iconoclastes (Joseph Stiglitz et Amartya Sen) à réfléchir à "de nouveaux instruments de mesure" de la croissance. Ben voyons. Quand il ne fait pas beau, le mieux c'est de changer de baromètre. Une remarque: les approches de ces économistes (mesurer l'ensemble du "bien-être" d'une société plutôt que le simple accroissement de son PIB sur 12 mois) sont des plus légitimes et pertinentes... dans un contexte d'analyses comparatives entre pays! Quand bien même la France se mettrait demain à évaluer sa performance selon des critères nouveaux, qu'est-ce que çà peut bien foutre à tous les "évaluateurs de pays" (FMI, Banque Mondiale, BCE, Standard & Poors...) qui n'en doutons pas raisonnent et raisonneront encore longtemps en termes de PIB?
Staline, renonçant à étendre la révolution bolchévique, décréta naguère "le Socialisme dans un seul pays". Après "l'Europe sociale dans un seul pays" des nonistes au référendum de 2005, voici "l'altermondialisme dans un seul pays" du Chanoine. Passons.

Cette conférence de presse aura par ailleurs donné lieu à une vraie-fausse volte-face: le mardi 8, Sarkozy déclare qu'il souhaite la fin des 35h. Le mercredi 9, il explique à des parlementaires UMP convoqués à l'Elysée que non, pas du tout. Entretemps, tout le monde avait réalisé que sans durée légale du travail il est vachement difficile de définir des heures supplémentaires - alpha et oméga du "gagner plus". Rétro-pédalage? Pas forcément: Nicolas Sarkozy entend vraisemblablement maintenir une durée du travail "légale", et donc la possibilité d'heures supplémentaires... mais modulable par entreprise, selon les souhaits du MEDEF (qu'il n'est pas question de décevoir): mettons une fourchette entre 35 et 45h, "négociée" par entreprise ("Vous en voulez pas? Alors je délocalise en Roumanie, et bisque bisque rage"). Reste à espérer que partout soit respectée la directive Européenne en vigueur, à savoir 48h maximum par semaine, heures sup' comprises. T'as qu'à croire. Ceux qui pensent que le Chanoine a reculé devant la bronca qu'il a déclenchée se fourrent à mon avis le doigt dans l'oeil. Jusqu'au coude.
Mais venons-en à ce qui m'intéresse particulièrement ce soir: l'annonce d'une "réflexion" à lancer sur une réforme de l'audiovisuel, qui verrait la publicité bannie des chaînes publiques, et le manque-à-gagner (800 Mio d'Euros) financé par une taxe sur les investissements publicitaires, désormais concentrés sur TF1 et M6. Détail qui n'en est pas un: cette mesure figurait au programme de Ségolène Royal.
On peut gloser sur le fait que c'est bien la peine de dauber sur sa concurrente et le Parti dont elle est issue durant toute une campagne pour après piquer leurs idées, n'empêche qu'il faut savoir ce qu'on veut: si avoir des opinions politiques c'est se prononcer sur ce que l'on juge nécessaire ou dommageable en termes collectifs, il convient de le faire de façon durable. Ou alors porter un blouson, si on ne veut pas être accusé de retourner sa veste.
Or face à cette annonce qu'a t-on entendu, singulièrement au PS? Qu'une telle mesure traduisait une volonté d'affaiblir le Service Public de l'Audiovisuel. Que celà entraînerait nécessairement une augmentation substantielle de la redevance, donc un nouveau coup porté au pouvoir d'achat des ménages. D'aucuns, voyant l'envolée consécutive du cours en bourse de Tf1 et M6, laissèrent même entendre que c'était encore un effet du copinage Sarko-Bouygues, sur le thème "cherchons à qui le crime profite". Et puis quoi encore? Si être dans l'opposition à Sarkozy c'est faire du sous-Besancenot en se déjugeant alors non, sans moi, camarades.
Je fais partie de ceux qui pensent que cette mesure serait salutaire: depuis le jour où un certain François Mitterrand a laissé entrer le loup Berlusconi dans la bergerie (la défunte "5"), l'audiovisuel en France a changé de paradigme: il s'est très vite confirmé que vendre de l'écran de pub à coup de programmations débiles était fortement rémunérateur. La privatisation de TF1 en 1986, une fois la Droite revenue aux manettes, a par la suite définitivement signé l'arrêt de mort du concept de "télévision grand-public de qualité" cher à Hervé Bourges et ses prédécesseurs. Depuis lors l'Audimat fait figure de mesure ultime de la pertinence des programmes télévisés, avec le résultat que l'on sait. France 2, en l'état, ne sert à rien et fait doublon: l'abrutissement est déjà assuré par TF1.
Alors cassons une bonne fois pour toutes la logique de la course à l'audience dans l'audiovisuel public, redéfinissons son cahier des charges, ses plages horaires (ya basta le "prime time", l'"access prime time" etc...), ses fournisseurs (plein le cul des dizaines de milions d'Euros d'argent public réglés aux "animateurs-producteurs") et le rôle de chacune de ses composantes (France 2, 3, 4, 5, Arte, ...).
Un des arguments contre cette réforme serait qu'elle rendrait l'audiovisuel plus dépendant du pouvoir en place. Bof. Premièrement: comment peut-il être plus dépendant qu'aujourd'hui? Deuxièmement: il y gagnerait une indépendance nouvelle du fait de l'absence d'annonceurs. On a vu récemment un documentaire réalisé pour France 3 mettant en cause l'entreprise Lactalis ("Ces fromages qu'on assassine") déprogrammé puis diffusé à un horaire discret genre 23h30 et par-dessus le marché, caviardé. Menaces de procès, peut-être. Mais chantage discret à l'achat d'écrans publicitaires, très probablement.
Bref, l'idée d'une telle réforme est bonne, elle mérite d'être creusée. S'y opposer parce qu'elle a été récupérée par Sarkozy, c'est faire preuve d'une hypocrisie pyramidale lorsqu'on appartient au PS.
Malgré les leurres médiatiques que constituent ses histoires de cul, on sent confusément que le sol de l'opinion commence à se dérober sous les pieds de l'artiste: c'est le moment d'enfoncer le clou du pouvoir d'achat qui se dégrade et de proposer un "contrat social" alternatif où le MEDEF aussi remettrait ses acquis sur la table (20 milliards d'Euros d'exonérations de charges sociales), c'est le moment de parler des problèmes d'insécurité et d'une police de proximité à réinventer... Bref c'est le moment d'enfoncer un coin dans la brèche, pas de s'"opposer" comme des ânes, en se reniant de surcroît.
Il a beau finir par inquiéter avec sa lutte des classes version patron du XIXème siècle, il a beau finir par lasser avec son bas de soutane si ouvertement entre les dents: face à de tels Tartuffes, le Chanoine a encore de beaux jours devant lui.
A bientôt.

samedi 5 janvier 2008

Panne d'indécence

Comme chaque année depuis trente ans, la France s'apprêtait à vibrer au rythme de LA pulsation médiatique du mois de janvier: le rallye "Dakar". Et puis vlan, on apprend aujourd'hui que par suite de la menace "Al Qaida - Maghreb", l'épreuve est tout simplement annulée. Le gouvernement Mauritanien avait pourtant assuré que tout était sous contrôle, Nouakchott avait même prévu de déployer 4 000 soldats et autres agents de sécurité pour protéger les 2 500 participants à la "caravane", las: la mort dans l'âme, les organisateurs ont déclaré forfait.

Cet événement suscite chez les "parties prenantes" de cette entreprise - en faillite, donc - des commentaires tout-à-fait remarquables: "Quels que soient les enjeux d’audience, les enjeux économiques, on n’a pas à engager la sécurité ou la vie de compétiteurs dans une épreuve sportive», déclarait hier Daniel Bilalian, Directeur des Sports chez France Télévision. Là-dessus Ari Vatanen, quadruple vainqueur de la course, déclare: «C'est très dur pour le sport, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. On se rend compte (des effets) de la politique des pays occidentaux en Afrique depuis 50 ans". Précisant sa pensée (ahem), il ajoute: "Les gens sont tellement désespérés qu'ils s'abandonnent au terrorisme et aujourd'hui le rallye est pris en otage par les voyous, les terroristes et les fanatiques. Les pays africains sont rongés par la corruption mais nous avons une responsabilité" (propos cités par "Libération", 05/01/08).

Il y a des jours où on se dit qu'on est bien content d'avoir des yeux pour lire et des oreilles pour entendre. Entre les violences au Kenya, les troubles au Pakistan, les otages des FARC, les vacances de Sarko, l'actualité de ce début d'année était, comme souvent, désespérante. Et puis soudain une lueur dans le tunnel, une bouffée de joie dans cette vallée de larmes: d'une part l'annulation du "Dakar", d'autre part les commentaires que cette annulation suscite. Non, arrêtez, c'est presque trop.

Trente ans, il aura fallu trente ans pour que prenne fin cette "aventure" consistant à faire déferler pour quelques semaines un déluge de pognon, de technologie, de bruit, de déchets dans une des régions les plus pauvres du monde. Passons sur l'impact environnemental - même s'il n'est pas négligeable - du "Dakar", et arrêtons-nous sur l'essence même (si j'ose dire) de cet événement sportif: une course de bolides dans une nature difficile. Ah, les bonds fabuleux des motos dans les dunes, ah la terrible solitude de l'équipage d'un 4X4 en panne en plein désert, ah le joli nuage de poussière soulevé par les camions en maraude... Tout cela était d'une plastique incomparable et constituait un fabuleux réservoir d'images spectaculaires. C'était vraiment formidable, cette confrontation de couples homme-machine avec un environnement hostile. Et ce d'autant que nulle part et jamais, ou presque, n'apparaissaient sur le tableau de cet affrontement d'éléments "tiers" susceptible de distraire l'attention du spectateur, comme des humains locaux. Car on a beau être en plein désert, il faut se rendre à l'évidence: à un moment ou à un autre devrait se pointer dans le paysage un bipède, généralement très bronzé. Mais la nature même du "Dakar", en tant que spectacle, c'était justement de faire abstraction de l'humain. Le "Dakar" c'était une Afrique virtuelle, une Afrique sans Africains. Une Afrique-nature, sans culture ni histoire. A la limite, les épreuves auraient tout aussi bien pu se dérouler sur la Lune. Bien sûr de temps en temps on nous donnait à voir des foules locales en délire devant le passage des véhicules, bien sûr on déplorait parfois, une larme à l'oeil vite séchée, l'écrabouillement d'un gamin ayant eu la mauvaise idée de regarder la course de trop près, bien sûr il y avait ces images de touaregs regardant la course comme les vaches, les trains. Mais tout cela n'était qu'arrière-plan, effet collatéral de la course. L'Afrique du "Dakar" c'était un grand terrain de jeux pour adultes Blancs, un continent débarrassé, comme Disneyland, des incongruités du réel et de l'Histoire.

Mais le réel est têtu et l'Histoire vient de péter à la gueule de nos paysagistes pour gros cubes bardés de logos. "Al Qaida au Maghreb Arabe" attention, c'est du sérieux. Il paraît que ces joyeux drilles étaient équipés de lance-missiles (journal de France Inter, 05/01/08), et animés de l'intention de s'en servir contre la "caravane". Pas cool. Les morts du "Dakar" pouvaient être des victimes de la Noble Cause du Sport (Thierry Sabine et Daniel Balavoine en 1986, une cinquantaine de concurrents sur trente ans au total) voire de ces oeufs qu'il faut bien casser pour faire une omelette (une petite dizaine de gamins fauchés par les bolides durant toutes ces années), mais les missiles là, non, pas possible. Pourtant, en termes d'images-choc pour "Paris-Match", ç'aurait pu être bien, aussi... Plus sérieusement: Al Qaida, au Maghreb ou ailleurs, fait ici encore la preuve de son efficacité. Sans gaspiller une seule munition ni risquer la vie d'un seul de ses militants, par sa simple existence, l'organisation parvient à liquider un barnum comme le "Dakar". Bref, faire chier "l'Occident" sans se faire suer le burnous. L'Islamisme radical en armes, une réalité un peu plus difficile à évacuer, médiatiquement parlant, que la progression du désert, par exemple.

Celà étant, Ari Vatanen est sans aucun doute un grand champion de rallye, et possiblement un Député Européen acceptable, mais force est de constater que son analyse de la situation politique Africaine relève de la flatulence.

S'il est vrai que beaucoup d'Africains sont en mal d'espoir, s'il est vrai que la corruption est très répandue sur ce continent, s'il est vrai que la "politique des pays occidentaux" a pu et peut y être désastreuse, considérer "Al Qaida-Maghreb" comme un symptôme des ces problèmes, c'est une vaste blague. On sait que ce nom est la nouvelle dénomination du GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), lui-même dernier avatar en date du GIA (Groupe Islamique Armé). En clair, "Al Qaida-Maghreb" est essentiellement un phénomène Algérien, Nord-Africain tout au plus. Les Africains "désespérés" sont plus nombreux à tenter la traversée de la Méditerranée sur des barcasses pourries qu'à rejoindre ce genre de groupe armé. Ari Vatanen, si çà se trouve, est parfaitement conscient de tout cela. Mais voilà: on lui a cassé son beau bac à sable, alors il s'énerve. Quoiqu'il en soit, comme aurait dit Audiard, si on met un jour les cons sur orbite, Ari Vatanen n'a pas fini de tourner.

Laissons de côté ce pauvre Daniel Bilalian... Cet événement que constitue la mort du "Dakar" ne manquera pas de susciter d'autres réactions débiles, j'attends avec impatience de savoir ce qu'en pense Johnny Halliday, par exemple.

Même si une "victoire" des barbus n'est jamais une bonne nouvelle, aujourd'hui prennent fin trente années de provocation. Les médias se retrouvent brutalement en panne d'indécence, bien fait pour leur gueule.

Allez, salut.

jeudi 3 janvier 2008

Abécédaire de fainéant

Bonne année à toutes et à tous!
Et au passage, un grand merci pour votre présence qui, de mails en commentaires, m'oblige.
Avant de touiller de nouveau ensemble le grand pot de mélasse de l'actualité, laissez-moi vous faire le coup des "majors" de l'industrie du disque, quand elles ne veulent pas se faire transpirer les fesses à identifier, produire et diffuser des choses nouvelles: une COMPIL!
Voici donc 26 moments sélectionnés sur ces pages tout au long de 2007. L'avantage, c'est que vous n'êtes pas obligés de tout vous farcir. Enfin bon, si vous y tenez...

A tout bientôt avec un vrai "papier", c'est promis!