samedi 5 janvier 2008

Panne d'indécence

Comme chaque année depuis trente ans, la France s'apprêtait à vibrer au rythme de LA pulsation médiatique du mois de janvier: le rallye "Dakar". Et puis vlan, on apprend aujourd'hui que par suite de la menace "Al Qaida - Maghreb", l'épreuve est tout simplement annulée. Le gouvernement Mauritanien avait pourtant assuré que tout était sous contrôle, Nouakchott avait même prévu de déployer 4 000 soldats et autres agents de sécurité pour protéger les 2 500 participants à la "caravane", las: la mort dans l'âme, les organisateurs ont déclaré forfait.

Cet événement suscite chez les "parties prenantes" de cette entreprise - en faillite, donc - des commentaires tout-à-fait remarquables: "Quels que soient les enjeux d’audience, les enjeux économiques, on n’a pas à engager la sécurité ou la vie de compétiteurs dans une épreuve sportive», déclarait hier Daniel Bilalian, Directeur des Sports chez France Télévision. Là-dessus Ari Vatanen, quadruple vainqueur de la course, déclare: «C'est très dur pour le sport, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. On se rend compte (des effets) de la politique des pays occidentaux en Afrique depuis 50 ans". Précisant sa pensée (ahem), il ajoute: "Les gens sont tellement désespérés qu'ils s'abandonnent au terrorisme et aujourd'hui le rallye est pris en otage par les voyous, les terroristes et les fanatiques. Les pays africains sont rongés par la corruption mais nous avons une responsabilité" (propos cités par "Libération", 05/01/08).

Il y a des jours où on se dit qu'on est bien content d'avoir des yeux pour lire et des oreilles pour entendre. Entre les violences au Kenya, les troubles au Pakistan, les otages des FARC, les vacances de Sarko, l'actualité de ce début d'année était, comme souvent, désespérante. Et puis soudain une lueur dans le tunnel, une bouffée de joie dans cette vallée de larmes: d'une part l'annulation du "Dakar", d'autre part les commentaires que cette annulation suscite. Non, arrêtez, c'est presque trop.

Trente ans, il aura fallu trente ans pour que prenne fin cette "aventure" consistant à faire déferler pour quelques semaines un déluge de pognon, de technologie, de bruit, de déchets dans une des régions les plus pauvres du monde. Passons sur l'impact environnemental - même s'il n'est pas négligeable - du "Dakar", et arrêtons-nous sur l'essence même (si j'ose dire) de cet événement sportif: une course de bolides dans une nature difficile. Ah, les bonds fabuleux des motos dans les dunes, ah la terrible solitude de l'équipage d'un 4X4 en panne en plein désert, ah le joli nuage de poussière soulevé par les camions en maraude... Tout cela était d'une plastique incomparable et constituait un fabuleux réservoir d'images spectaculaires. C'était vraiment formidable, cette confrontation de couples homme-machine avec un environnement hostile. Et ce d'autant que nulle part et jamais, ou presque, n'apparaissaient sur le tableau de cet affrontement d'éléments "tiers" susceptible de distraire l'attention du spectateur, comme des humains locaux. Car on a beau être en plein désert, il faut se rendre à l'évidence: à un moment ou à un autre devrait se pointer dans le paysage un bipède, généralement très bronzé. Mais la nature même du "Dakar", en tant que spectacle, c'était justement de faire abstraction de l'humain. Le "Dakar" c'était une Afrique virtuelle, une Afrique sans Africains. Une Afrique-nature, sans culture ni histoire. A la limite, les épreuves auraient tout aussi bien pu se dérouler sur la Lune. Bien sûr de temps en temps on nous donnait à voir des foules locales en délire devant le passage des véhicules, bien sûr on déplorait parfois, une larme à l'oeil vite séchée, l'écrabouillement d'un gamin ayant eu la mauvaise idée de regarder la course de trop près, bien sûr il y avait ces images de touaregs regardant la course comme les vaches, les trains. Mais tout cela n'était qu'arrière-plan, effet collatéral de la course. L'Afrique du "Dakar" c'était un grand terrain de jeux pour adultes Blancs, un continent débarrassé, comme Disneyland, des incongruités du réel et de l'Histoire.

Mais le réel est têtu et l'Histoire vient de péter à la gueule de nos paysagistes pour gros cubes bardés de logos. "Al Qaida au Maghreb Arabe" attention, c'est du sérieux. Il paraît que ces joyeux drilles étaient équipés de lance-missiles (journal de France Inter, 05/01/08), et animés de l'intention de s'en servir contre la "caravane". Pas cool. Les morts du "Dakar" pouvaient être des victimes de la Noble Cause du Sport (Thierry Sabine et Daniel Balavoine en 1986, une cinquantaine de concurrents sur trente ans au total) voire de ces oeufs qu'il faut bien casser pour faire une omelette (une petite dizaine de gamins fauchés par les bolides durant toutes ces années), mais les missiles là, non, pas possible. Pourtant, en termes d'images-choc pour "Paris-Match", ç'aurait pu être bien, aussi... Plus sérieusement: Al Qaida, au Maghreb ou ailleurs, fait ici encore la preuve de son efficacité. Sans gaspiller une seule munition ni risquer la vie d'un seul de ses militants, par sa simple existence, l'organisation parvient à liquider un barnum comme le "Dakar". Bref, faire chier "l'Occident" sans se faire suer le burnous. L'Islamisme radical en armes, une réalité un peu plus difficile à évacuer, médiatiquement parlant, que la progression du désert, par exemple.

Celà étant, Ari Vatanen est sans aucun doute un grand champion de rallye, et possiblement un Député Européen acceptable, mais force est de constater que son analyse de la situation politique Africaine relève de la flatulence.

S'il est vrai que beaucoup d'Africains sont en mal d'espoir, s'il est vrai que la corruption est très répandue sur ce continent, s'il est vrai que la "politique des pays occidentaux" a pu et peut y être désastreuse, considérer "Al Qaida-Maghreb" comme un symptôme des ces problèmes, c'est une vaste blague. On sait que ce nom est la nouvelle dénomination du GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), lui-même dernier avatar en date du GIA (Groupe Islamique Armé). En clair, "Al Qaida-Maghreb" est essentiellement un phénomène Algérien, Nord-Africain tout au plus. Les Africains "désespérés" sont plus nombreux à tenter la traversée de la Méditerranée sur des barcasses pourries qu'à rejoindre ce genre de groupe armé. Ari Vatanen, si çà se trouve, est parfaitement conscient de tout cela. Mais voilà: on lui a cassé son beau bac à sable, alors il s'énerve. Quoiqu'il en soit, comme aurait dit Audiard, si on met un jour les cons sur orbite, Ari Vatanen n'a pas fini de tourner.

Laissons de côté ce pauvre Daniel Bilalian... Cet événement que constitue la mort du "Dakar" ne manquera pas de susciter d'autres réactions débiles, j'attends avec impatience de savoir ce qu'en pense Johnny Halliday, par exemple.

Même si une "victoire" des barbus n'est jamais une bonne nouvelle, aujourd'hui prennent fin trente années de provocation. Les médias se retrouvent brutalement en panne d'indécence, bien fait pour leur gueule.

Allez, salut.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Riwal ! Les blancs ont la facheuse habitude de mettre leur vie en danger pour se prouver qu'ils existent et vivent , les noirs hélas , qui galèrent au quotidien pour essayer de manger chaque jour , n'ont pas besoin de ce test publicitaire ( hormi la fille de wade )...

JJA