mardi 20 avril 2010

Val ne me fait plus rire

Comme tout un chacun, j'ai mes préférences en matière d'artistes, notamment comiques. Par exemple, Philippe Val m'a beaucoup fait rire alors que Stéphane Guillon, pas du tout ou très peu. En tant qu'artiste j'ai toujours trouvé le premier brillant, inventif, tandis que le second ne m'apparaît que rarement inspiré et souvent très lourdingue. Seulement voilà, Philippe Val est devenu il y a près d'un an directeur de France Inter, antenne sur laquelle Stéphane Guillon s'est violemment payé la tête d'Eric Besson, déclenchant une polémique qui a occupé les médias pendant plusieurs jours. Philippe Val s'est exprimé dans "Le Monde" daté de ce jour, entre autres sur ce qui est devenu "l'affaire Guillon". Et nous en a lâché trois, qui mériteraient d'être imprimées sur un joli parchemin et encadrées comme il se doit:
  • "Ce que dit Stéphane Guillon ne me pose pas de problème, il est dans le champ démocratique : on peut dire tout ce qu'on veut sur ce que font les gens, pas sur ce qu'ils sont"
  • "Le problème ce n'est pas Stéphane Guillon en soi, c'est sa place. Il n'est écrit nulle part que l'humour doive intervenir à 7 h 55. Jusqu'où peut-on aller dans ce mélange sans nuire à l'information?"
  • "En démocratie, celui qui n'est pas respecté n'a pas la même liberté que celui qui est respecté. Or on doit tous avoir la même liberté"
En 1978, avec son compère d'alors Patrick Font, Philippe Val chantait sur scène un truc superbe intitulé "Lourdes": "ce cancer au flanc des Pyrénées" où les curés marchent "gonflés comme des pédégés" et où "des bonnes soeurs putrides et barbues/ lèvres pincées, poussent les p'tits chariots / en serrant bien fort le trou d'leur cul /des fois qu'le vent leur carress'rait l'dos". Moi sincèrement j'aimais bien (et j'aime toujours) car c'était rafraîchissant, décapant et pas franchement consensuel: "A Lourdes c'est très embouteillé / car même les piétons sont en voiture".

Bien évidemment, ce rappel d'un objet quasi-archéologique n'est pas plus pertinent à l'égard de Philippe Val que ne l'est, à l'égard de Daniel Cohn-Bendit, l'exhumation polémique de ses discours ou écrits de sa période soixante-huitarde (Bayrou s'en tape encore le front contre les murs, de s'être risqué à ce petit jeu) - le contexte, les gens changent. N'empêche. J'ai la conviction profonde que si la chanson "Lourdes", vieille d'il y a plus de trente ans, n'a pas pris une ride, Philippe Val, lui, a pris un méchant coup de vieux, mais alors très méchant.

Stéphane Guillon n'est pas un "problème", non non. Il y a juste que s'en prendre au physique de quelqu'un, c'est de la triche: d'accord, c'est la récré, mais on a dit qu'on jouait pas avec les affaires. Stéphane Guillon n'est pas un "problème", non non. Mais il passe à 7h55, juste avant le journal, un truc sérieux. 7h55, c'est pas la bonne heure pour rigoler, ça peut "nuire à l'information". Stéphane Guillon n'est pas un "problème", non non. Mais il a manqué de "respect" à quelqu'un qui, du coup, a perdu de sa "liberté". Récapitulons: on peut rire de tout un chacun, à condition de ne pas évoquer son aspect physique - ce serait anti-démocratique - et quoi qu'il en soit dans une tranche horaire aussi éloignée que possible de l'"information". Comme par exemple des incontournables "micro-trottoirs" de la rédaction de France Inter, même s'ils sont au journalisme ce que les éditions Harlequin sont à celles de La Pléiade, mais c'est une autre affaire. On croit rêver.

Lorsque Nicolas Sarkozy a fait nommer Philippe Val à la direction de France Inter, on s'est dit tiens, là c'est vraiment de l'"ouverture", plus à gauche que Val tu cherches longtemps - n'en déplaise à la gôgôche radicale que le Directeur de "Charlie Hebdo" brocardait intelligemment ("Les traîtres et les crétins", éd. Le Cherche Midi, 2007). Un an après, on peut encore se poser la question: comment Philippe Val a-t'il pu accepter? Etait-il soudainement devenu Sarkozyste? Sûrement pas. Le fric, alors? Ca a dû entrer dans l'équation, mais sur un mode mineur. Un an après, à la lueur de cette interview du "Monde" pleine de contorsions pseudo-philosophiques et capillo-tractées, on voit se dessiner la réponse: le goût du pouvoir.


Philippe Val n'est pas plus à droite qu'avant, seulement il y a qu'aujourd'hui on l'écoute, lui l'ancien saltimbanque. Il a des responsabilités éminentes et reconnues, il peut croire que le cas échéant il saura faire peur. Belle évolution de carrière. A l'époque de la chanson "Lourdes", Patrick Font, de son côté, jouait un sketch qui s'appelait "le candidat des cons". A un moment, Font faisait dire à son personnage: "Je ne veux pas le pouvoir pour le pouvoir, mais le pouvoir... pour pouvoir pouvoir". Nous y sommes. Philippe Val aime "pouvoir pouvoir". De là à dire que c'est le candidat d'un con, je n'irai pas jusque là, car ce serait un grave manque de respect mais plus sérieusement: cette griserie, ce doux frisson ont un prix. On doit, de temps à autre, renvoyer l'ascenceur et convenir, faisant écho à un triste personnage commme Eric Besson, que des blagues à la Stéphane Guillon, non, décidément, c'est pas des manières.

On doit ce faisant, Monsieur Philippe Val, accepter l'idée qu'on vous préférât, par principe, un histrion qui n'a pas la moitié du talent que vous aviez il y a trente ans - et même depuis, lorsque vous étiez vous-même chroniqueur humoristique sur France Inter, à 7h55, juste avant les trucs "sérieux". Beurre, argent du beurre, etc, on ne peut pas tout avoir.

Ciao, belli.