jeudi 29 novembre 2007

Sarkoz' dans le poste

J'ai honte. Un peu comme un gamin qui pour la première fois aurait essayé le cannabis, se trouverait très con d'avoir laissé se désactiver ses neurones et regretterait amèrement de s'être laissé étourdir. Mais tout comme ce gamin, je me dis qu'il faut faire des expériences, dans la vie. Alors la satisfaction d'avoir, quelque part, franchi une étape, efface le sentiment de honte. Ce soir, j'ai regardé Nicolas Sarkozy à la télé.

La dernière fois que cela m'était arrivé, c'était lors du débat entre les deux tours de la présidentielle. Bien obligé. Depuis, d'après ce que j'ai pu comprendre, les occasions ne m'auraient pas manqué, mais que voulez-vous, aussi surprenant que cela puisse paraître, je me suis trouvé des tonnes d'autres trucs à regarder ou à faire. Si, si.
Sarkozy à la télé, donc, en lieu et place des journaux télévisés de TF1 et France 2, ou presque. Bon, çà tombe bien, il ne se passe à peu près rien dans le monde, ces jours-ci. En France non plus, d'ailleurs. Et de toute façon, la France a la chance d'avoir un Président qui, à lui tout seul, constitue quasiment l'essence de l'actualité française, sinon internationale. Tout fait, ou presque, relaté par les médias ne peut appartenir qu'à trois catégories: ce que Sarkozy fait, ce que Sarkozy dit qu'il va faire, ou ce qui n'a rien à voir avec Sarkozy mais auquel il se retrouve mêlé (la crise du Darfour, les gesticulations de Chavez, les Droits de l'Homme en Russie et en Chine, la fin de mandat de George W. Bush...).
Du coup, lorsqu'on remplace le journal télévisé (de TF1 ou France 2) par une longue interview de Sarkozy, on ne perd pas vraiment au change. Et par-dessus le marché, on vit une expérience fascinante, unique.

En toute immodestie, je me considère pourvu d'une capacité d'analyse correcte et d'un esprit relativement vif. Et bien là, j'ai eu beau me concentrer, pas moyen d'exercer, ne serait-ce que durant une seconde, le moindre commencement de début d'analyse de ce que le Président avait à me dire, à moi et à mes concitoyens. Rien à faire, le blocage total. La raison: la quantité d'information à digérer.
Prenons un exemple: en quelques secondes, le Président explique qu'il envisage de privatiser 3% du capital d'EDF pour financer des moyens à allouer à l'université, qu'il veut que les universités françaises soient les meilleures du monde et que le blocage desdites universités par des minorités est inacceptable.
Avec le recul, c'est facile, on se dit: "Bon, ben s'il suffisait de fourguer une partie des bijoux de famille pour soulager la misère matérielle des facs, que ne l'a-t-il fait plus tôt, histoire d'accompagner leur nouvelle "autonomie"? Et quand bien même, connaissant l'opacité légendaire de Bercy sur l'allocation des ressources, qu'est-ce qui garantit que ces nouvelles recettes seront intégralement allouées au budget de l'Enseignement Supérieur? Par ailleurs, en admettant que rien ne se perde en route, 3% du capital d'EDF, ça fait entre 3 et 4 milliards d'Euros, à la louche. En regard des besoins des universités, c'est beaucoup, ou c'est de la rigolade? Est-ce que ça vient en plus de ce qui était déjà annoncé en termes d'effort particulier sur la recherche, ou c'est juste une précision sur le financement du dit effort? Par ailleurs, qu'est-ce qu'on en a à foutre d'être les meilleurs du monde? Ça veut dire quoi, d'abord? Nonobstant, c'est vrai qu'il est inacceptable que quelques zigotos empêchent les autres d'étudier mais bon, quel rapport avec la choucroute?". Là, c'est juste un exemple, une dizaine de secondes sur une heure environ. Tout çà pour dire qu'avec le recul on réfléchit, on se pose des questions.

Le recul, l'"arrêt sur image", c'est ce qu'on attend d'interventions judicieuses et argumentées des deux individus qui font face au Président et qui, jusqu'à plus ample informé, ont une carte de Presse. Ce sont donc ce qu'il est convenu d'appeler des journalistes.

Oui mais voilà, manque de bol, il s'agit de Patrick Poivre d'Arvor et d'Arlette Chabot et là, pour le coup, c'est maccache bono et bono bézef côté "arrêt sur image". On pourrait gloser sur le fait que l'un est salarié d'une entreprise qui appartient à un très bon copain du Président, tandis que l'autre occupe des responsabilités importantes dans une grande chaîne publique, donc jugée à tout le moins acceptable par le pouvoir en place. Mais au-delà de ces soupçons de complaisance, ce soir, il fallait se rendre à l'évidence: l'un et l'autre étaient tout simplement pétrifiés, tétanisés, voire saoûlés par la déferlante du verbe Sarkozyen. Sur la photo ci-contre, on se demande bien ce qui peut passer par la tête de PPDA. Un truc du genre: "Ouah, il est fort, le bestiau"? Ou bien "Bon, et qu'est-ce que je pourrais dire qui fasse pensé?" ou alors "Merde, où est-ce que j'ai garé ma bagnole, moi, ce soir?". Ou plus vraisemblablement: "C'est quoi la prochaine question que je dois poser, déjà, après?". Quoiqu'il en soit, encéphalogramme quasiment plat. Arlette Chabot, kif-kif. Evidemment, pour la forme, de temps en temps on lance une pique. Enfin, un cure-dents. Exemple: lorsque Sarko monte dans les tours sur les violences en banlieue, Arlette lui suggère que peut-être, la police de proximité que le Président a supprimée en 2002, hein, finalement, si ça se trouve, c'était peut-être pas si mal, enfin bon moi ce que j'en dis. Là-dessus Sarko la foudroie du regard et lui explique qu'un policier de quartier n'aurait rien pu faire contre des voyous armés et que par ailleurs les délinquants il ne s'agit pas de les connaître, mais de les arrêter. Là-dessus Arlette aurait pu rebondir en lui demandant en quoi il trouvait que le dispositif actuel était plus "sécurisant", vu le bordel de ces derniers jours, et avec quels moyens on pouvait espérer que les délinquants arrêtés soient jugés et éventuellement incarcérés de façon efficace, considérant la suppression en cours de tribunaux et un taux (moyen) d'occupation des prisons de 120%. Mais non. Arlette Chabot ne rebondit pas. Elle ne peut pas, elle est coincée au fond de son fauteuil, clouée par un mélange de trouille et de fascination. Dans les cordes, Arlette. Et puis son cerveau est embrumé par la logorrhée Sarkozyenne, trop c'est trop. Pendant ce temps là, hors-champ, PPDA se dit: "Oula, elle s'est mise dans la merde, là, enfin bon c'est pas mes oignons".
Mais au fond, la vérité, c'est que l'un et l'autre ne sont pas là pour interroger le Président, ils sont là pour jouer ce qu'on appelle en langage radiophonique les "virgules". Leurs questions ne présentent à leurs propres yeux aucun intérêt puisqu'ils semblent se contrefoutre des réponses. Leurs questions servent simplement à ponctuer le flot ininterrompu du discours Sarkozyen. Un peu comme un caissier ou une caissière de supermarché qui, appuyant sur un bouton, fait avancer la bande transporteuse sur laquelle s'accumulent les achats des clients. Les Français, en Mai 2007, ont acheté majoritairement du Sarko: Arlette Chabot et PPDA assurent un déroulement optimal du passage à la caisse.
Ce faisant, il jouent néanmoins dans une certaine mesure leur rôle de médiateurs. En effet, physiquement, ils présentent tous les symptômes de l'état probable de millions de téléspectateurs-citoyens - moi le premier - durant ces soixante minutes: l'abrutissement.

Le cannabis, au moins, quand on essaye, c'est pas forcément pour en prendre quasiment tous les jours pendant cinq ans.

A bientôt.

dimanche 25 novembre 2007

Et si l'ennemi était con?

Il est bon de valoriser ceux que l'on considère comme ses ennemis, de leur attribuer une puissance redoutable: le combat qu'on engage n'en prend que plus de valeur. Ainsi George W. Bush parlera-t-il d'"Axe du Mal", Oussama Ben Laden de "croisés".
Il en va de même pour le "Monde Diplomatique".
Ah, le "Monde Diplo". Personnellement j'en fus un lecteur assidu, jusqu'à ces dernières années. Jusqu'à 2005, très exactement, lorsque le mensuel d'Ignacio Ramonet fit une campagne rageuse, sectaire, pour le "non" au référendum sur la Constitution Européenne. Il m'arrive pourtant de le racheter de temps en temps: le "Diplo" présente l'intérêt de jouer, souvent avec talent, une mélodie qu'on n'entend dans aucun autre média. Et puis ses analyses des conflits, des enjeux internationaux, sont fouillées, extrêmement bien documentées et illustrées de cartographies pleines d'enseignements.
J'ai donc acheté récemment le numéro du mois de Novembre, dont le sommaire affiche un article au titre racoleur: "Scanner les cerveaux pour mieux vendre". (http://blog.mondediplo.net/2007-10-29-Quand-la-publicite-fait-appel-aux-neurosciences). Le papier est signé d'une certaine Marie Bénilde, journaliste, auteur d'"On achète bien les cerveaux "(Raisons d'Agir, Paris, 2007).
Quel est le propos de cette dame? Elle constate que certains praticiens du marketing, agences de publicité et médias, s'intéressent de plus en plus aux progrès des neurosciences - notamment l'IRM, qui aurait permis à des chercheurs américains de localiser dans le cortex pré-frontal la zone cérébrale réactive aux images publicitaires - et cherchent à en tirer avantage. Ainsi la filiale allemande de l'agence de pub BBDO à Düsseldorf "travaille sur le concept de brainbranding, qui entreprend de de déterminer comment certaines marques entrent dans la mémoire épisodique du cerveau", tandis que TF1 s'applique à proposer des "contenus" favorisant la réceptivité: Marie Bénilde cite bien évidemment la phrase de Patrick Le Lay, qui avait, on s'en souvient, assuré vendre "du temps de cerveau humain disponible" à Coca-Cola. Au-delà, elle mentionne le développement de l'advertainment, des pseudo-reportages conçus par et pour des annonceurs ainsi que du product placement, activité consistant pour un fabricant à assurer la présence visible des ses marques dans des oeuvres de fiction: ces deux techniques ont en commun de dé-contextualiser les messages publicitaires afin d'en favoriser la réception.
Agrégeant tous ces phénomènes elle évoque l'émergence, donc, d'un "neuromarketing", qui fleure bon le cauchemar Orwellien.
A noter, l'article démarre par une anecdote, dont Marie Bénilde renonce à déterminer si elle est vraie ou fausse: Lénine, en 1919, aurait sollicité le célèbre physiologiste Pavlov afin de savoir si les travaux du chercheur sur les réflexes conditionnés pouvaient aider les bolcheviks à construire l'"Homme nouveau". Le savant, dit-elle, "aurait pu servir la propagande du régime en associant, par voie de stimuli extérieurs, des pulsions instinctives à des automatismes de transformation collective". Pavlov n'en put mais, constate-t-elle (avec dépit?). Et l'article se conclut ainsi: "(...) c’est encore et toujours le consommateur qui est visé. Pour stimuler des automatismes pavloviens de transformation collective? Non, il ne s’agirait que d’une banale stimulation des ventes...". Message subliminal adressé à l'inconscient du lecteur: ces salopards de capitalistes sont parvenus à manipuler les individus comme Lénine avait rêvé de le faire, mais leurs basses motivations matérielles n'ont rien à voir avec les rêves grandioses de Vladimir Illitch.
Face à ce complot, heureusement que le "Monde Diplo" et Marie Bénilde sont là pour sonner le tocsin, réveiller les consciences de leurs lecteurs et leur permettre "d'adopter une démarche citoyenne", comme on dit.
Oui, mais bon.
Travaillant moi-même dans la recherche marketing, je peux confirmer qu'en effet les "neurosciences" sont à la mode dans ce petit milieu. Ici et là fleurissent des méthodes consistant à mesurer "l'émotion" générée par les messages publicitaires, usant tantôt d'appareillages hi-tech (capteurs sensoriels, eye-tracking), tantôt de bonnes vieilles techniques projectives (portraits d'individus exprimant ouvertement la joie, la peur, etc.. montrés aux interviewés). Quelle que soit l'approche, il s'agit de s'efforcer de ramener le Saint-Graal de la recherche publicitaire: la réaction "vraie" du consommateur, par delà la post-rationalisation que véhicule inévitablement un questionnaire traditionnel. Tout cela serait à tout le moins porteur de menaces de manipulation des individus si la publicité, en tant que discipline, n'était affectée d'un lourd handicap dans ses ambitions manipulatrices: les publicitaires eux-mêmes.
En quoi consiste le métier d'un publicitaire? A vendre aux fabricants des idées développées par ce qu'on appelle des "créatifs", en les convainquant que ces idées vont leur permettre de résoudre leurs problèmes (notoriété, image) et donc, in fine, de vendre davantage. Moyennant, bien évidemment, la rémunération des efforts de "création" des idées (les honoraires) et l'investissement dans leur diffusion (l'achat d'espace dans les médias, sur lequel les agences de publicité se gavent largement). Dans ce contexte commercial, qui se chiffre en dizaines de millions d'Euros dans certains cas, il y a une chose que les publicitaires détestent par-dessus tout: l'évaluation objective préalable, par une source indépendante, de la pertinence de leurs idées. C'est pourquoi les plus grandes agences de publicité disposent de leur propre département de recherche marketing, généralement pompeusement baptisé "Planning Stratégique": en même temps qu'une campagne, on vend son évaluation. Évidemment, en général, les résultats ont tendance à en être plutôt positifs, c'est humain. Les grands annonceurs disposent bien sûr de ressources externes (les instituts d'études) pour évaluer par eux-mêmes la production publicitaire avant qu'elle ne soit diffusée, et la confrontation des résultats des uns et des autres donne souvent lieu à des meetings croquignolets. Mais quels qu'en soient les auteurs, les pré-tests de campagne sont systématiquement menés en aval du processus créatif. Alors neurosciences ou pas, "scanning" du cortex pré-frontal ou doigt mouillé, les décisions sur les campagnes de pub se font largement dans l'incertitude, quand elles ne sont pas biaisées par des intérêts financiers bien compris.
Tout çà pour dire à Marie Bénilde que, ne lui en déplaise, la manipulation des cerveaux n'est pas à l'ordre du jour chez les capitalistes, et singulièrement chez les publicitaires: il faudrait pour cela que chez ces derniers le porte-monnaie ne tienne pas lieu de cerveau, justement. Bref, Big Brother a des moyens considérables, mais il est un peu con, quand il s'y met.
Difficile d'admettre, au "Monde Diplo", que l'adversaire qu'on s'est choisi, le capitalisme, est parfois un peu neu-neu. Tout autant que d'admettre qu'avec ou sans Pavlov, Lénine et ses disciples ont généré des morts par millions un peu partout dans le monde. Bien plus sûrement que Coca-Cola, jusqu'à preuve du contraire.
Allez, salut.

vendredi 2 novembre 2007

Ils s'appelaient "Faits Divers"

Il y a des faits d'actualité qui, brusquement, sautent au visage des quidams que nous sommes et nous laissent perplexes. Des trucs inclassables qui, par défaut, se situeraient dans la rubrique "faits divers" et qui, pour une raison ou pour une autre, débordent du cadre. Par exemple: la mort du type qui a largué la bombe sur Hiroshima, les soupçons qui pèsent sur Bernard Laporte, la dérobade de Cécilia et, plus singulièrement, l'affaire de l'"Arche de Zoé". Impossible d'échapper à cette dernière, elle occupe chaque jour les médias de toute sorte depuis près d'une semaine.
De quoi s'agit-il? Dix-sept Européens et deux Tchadiens ont été arrêtés par les autorités de N'Djamena, au motif qu'ils s'apprêtaient à faire sortir du Tchad 103 enfants. Point de départ de l'affaire, une ONG Française répondant au doux nom d'"Arche de Zoé" qui souhaitait "sauver", en les exfiltrant vers la France, des orphelins Soudanais du Darfour. Et les avait déjà "proposés" à des familles d'accueil, moyennant quelques milliers d'Euros de "soutien à l'association". Manque de bol, les 103 enfants en question ne sont ni orphelins (d'après l'UNICEF, qui en est sûre au moins pour 91 d'entre eux), ni Soudanais. Par-dessus le marché, ladite ONG a agi au Tchad sous un faux nom ("Children Rescue") et, c'est un détail, sans informer les autorités locales de ses intentions réelles. Colère du président Tchadien Idriss Déby (un fieffé salopard par ailleurs, mais là n'est pas la question) qui parle de "pédophilie", de "trafic d'organes" et de "traite négrière", histoire de détendre l'ambiance. Là où çà se corse, c'est qu'on apprend au passage:
  • Que le Quai d'Orsay était au courant et qu'il a cherché à dissuader les responsables de l'ONG de se lancer dans l'opération (avec succès, visiblement)
  • Que l'Armée Française a apporté, à un moment donné, un soutien logistique à ladite ONG (où quand le dispositif "Epervier" vient en aide aux étourneaux)

Enfin, parmi les dix-sept - désormais inculpés au Tchad de chefs d'accusation qui peuvent leur valoir les travaux forcés - ô rage, ô désespoir, trois journalistes. S'il y avait eu parmi les inculpés trois charcutiers, trois employés de La Poste ou trois funambules du cirque Bouglione, il y a fort à parier que le tapage médiatique eût été un peu moins sonore... Mais un journaliste, c'est sacré, "çà ne fait que son métier". Çà peut bien aller s'acoquiner avec la pire bande de branquignols pour décrocher le scoop garanti 100% émotion à la une de "Match", dès que çà chie un peu, hop, pouce, c'est pas moi, m'sieur, je leur avais dit, pourtant, que c'était pas bien... Décidément, n'est pas Florence Aubenas qui veut. Mais rassurons-nous: aux dernières nouvelles ("Libération", ce jour), le Président Déby est "prêt à faire un geste" pour les journalistes, bonne volonté à laquelle un certain nombre de coups de fils de notre Président à nous (enfin, façon de parler, appelons-le plutôt le Président Crédy, hyper-méga-solvable depuis qu'il s'est fait voter une augmentation de 140%) ne sont sans doute pas étrangers. Il est comme çà, Nicolas, c'est tout lui, çà. Un truc bien couvert médiatiquement? Hop, il met son grain de sel. Son gouvernement a visiblement merdé sur ce coup-là: comment se fait-il que les Affaires Etrangères "dissuadent" tandis que la Défense "apporte un soutien logistique?" Plutôt que de décentraliser les Conseils des Ministres en Corse ou sur la Lune, il conviendrait d'inciter ces derniers à vaguement échanger de l'info, de temps à autre. Mais peu importe, les médias s'excitent sur le sort injuste fait aux journalistes, alors Sarko prend son téléphone et s'efforce de les tirer d'affaire. Pour les autres "innocents" (l'équipage Espagnol de l'avion "sauveteur") on verra plus tard. Pour sûr, ç'aurait été un job en or pour Cécilia, çà, les Espagnols... Oui mais voilà, a p'us, Cécilia, c'est con, la vie. Quant aux accusés "légitimes" - les membres de l'ONG - après que Sarko ait vertement "condamné" leur initiative, il demande au Président Tchadien que soit respectée "la présomption d'innocence". Allez comprendre. Quoiqu'il en soit, plusieurs choses me paraissent dignes d'être relevées dans cette histoire:

  • La première, c'est que tout le monde (à part l'UNICEF) se contrefout des 103 gamins. Qui sont-ils, d'où viennent-ils, va-t'on les ramener à leurs proches, quels intermédiaires locaux foireux les ont mis dans cette galère? On sait désormais qu'ils sont tous Tchadiens, mais le seul commentaire qu'on peut glaner çà et là c'est un truc sarcastique du genre "oui, mais bon, l'état-civil, dans ces pays-là..." Comme si, après tout, l'important c'était qu'ils soient noirs d'Afrique, donc malheureux, donc dignes d'intérêt pour les bonnes âmes de nos contrées. Ils n'ont pas vraiment de nom, dans quelques années on dira qu'ils s'appelaient "Faits Divers", comme dans la chanson du groupe "Téléphone"
  • La deuxième, liée à la précédente, c'est que pour un certain nombre de nos contemporains - encouragés entre autres par un certain Bernard Kouchner, Ministre des Affaires Etrangères dont le silence est assourdissant, ces jours-ci - l'Afrique constitue une espèce d'immense terrain libre pour satisfaire des pulsions de générosité. L'Afrique souffre, c'est indéniable, de multiples maux, et ce qu'on appelle "le drame du Darfour" en est un exemple probant. Alors oui, il y a plein de gens sincères qui veulent "faire quelque chose", et toutes les ONG Françaises d'aide à l'Afrique ne sont pas des "Arches de Zoé", loin s'en faut. Mais nous vivons des temps où la compassion des uns (des citoyens de base) vient opportunément masquer le cynisme des autres (les dirigeants d'ici et de là-bas) dans le tourbillon du "spectacle du monde". Nous vivons des temps où le sentiment d'urgence dans cette compassion balaie toute réflexion. C'est comme çà qu'on se retrouve à gérer une bande d'imbéciles au grand coeur (dans le meilleur des cas) qui estiment légitime, envers et contre tout, d'aller "sauver" l'Afrique sans lui demander son avis.
  • La troisième, un poil plus anecdotique, mais tout de même, c'est qu'alors qu'on expulse des petits et des grands Africains à tour de bras, jour après jour, au nom d'une impossibilité à "accueillir toute la misère du monde" comme disait Rocard, on sent entre les lignes des commentaires des médias et des dirigeants comme un regret que le fameux avion ait été intercepté avant son décollage: "merde, un peu plus, c'était bon, quel salaud cet Idriss Déby". Dites-nous donc, cher Brice Hortefeux, les 103 gamins, ils auraient automatiquement eu le statut de réfugié? Aurait-il fallu leur faire passer je ne sais quel test ADN? Le simple fait de venir du Darfour (ou presque) présente-t'il un caractère dérogatoire aux lois qu'impose à vos yeux la vigoureuse défense de notre "Identité Nationale"? Mais vous n'étiez certainement pas au courant de cette histoire, personne ne se parle, dans ce gouvernement... Y en a un qui doit bien rigoler, c'est Charles Pasqua: en 1986, tout le monde lui était tombé dessus parce qu'il avait fait expluser par charter 101 vrais Maliens. Aujourd'hui, le Président en personne, son ancien poulain, fait des pieds et des mains pour qu'on ne maltraite pas trop des gens qui s'apprêtaient à faire entrer par charter 103 faux Soudanais. Autre époque...

Cette affaire, il est encore difficile d'en imaginer le dénouement. Ce qu'on peut en tout cas remarquer, aujourd'hui, c'est qu'elle constitue une belle métaphore des quarante années et plus de "politique Africaine" de la France et, au delà, du regard de beaucoup de Français sur l'Afrique: un subtil mélange d'ignorance, de sordide et de pathétique.

Ciao, belli.