samedi 21 août 2010

De l'utilité d'un Brice Hortefeux

On pouvait croire, jusqu'alors, que les propos divers et variés lâchés par Brice Hortefeux, dont certains lui ont valu les foudres de la justice, relevaient de l'incontinence verbale. On se disait: bon, ce type est très droitier, son style d'"humour" flirte avec le bon vieux racisme franchouillard, mais finalement son problème c'est qu'avant de parler il oublie trop souvent de tourner sept fois sa langue dans sa bouche et, surtout, de vérifier qu'il n'y a pas de micro ou de caméra dans les parages. Ses dérapages semblaient relever de l'incongruité, de la flatulence incontrôlée qu'on tentait bien vite, avec plus ou moins de succès, de nuancer. Une sorte de pétomane involontaire sur le plan médiatique, rien d'autre qu'un "ami de trente ans" parfois un peu embarrassant. A tout le moins le porteur d'un discours souvent parasitaire, donc inutile en termes de communication politique.
Avec l'interview qu'il vient de donner au "Monde", on sait désormais que sa parole est un atout majeur dans la démarche relancée cet été, visant à couper l'herbe sous le pied de l'entreprise Le Pen père & fille. Contre le Front National, tout contre.
Il y déclare qu'il ne faut "pas confondre le petit milieu politico-médiatique parisien et la réalité de la société française (...) Vous êtes aveuglés par le sentiment dominant des soi-disant bien-pensants qui, en se gargarisant de leur pensée, renoncent à agir (...) Que certaines voix de la gauche milliardaire aient du mal à le comprendre ne me trouble pas du tout, bien au contraire ". Ce schéma de pensée - le "vrai peuple" d'un côté, une coterie minoritaire mais dont la parole domine les médias, de l'autre - est au coeur de la rhétorique du Front National. Le slogan "Le Pen, le peuple" n'est pas qu'une allitération anecdotique: ces gens sont intimement persuadés d'être les porte-parole du "vrai peuple", voire d'être le "vrai peuple" à eux tous seuls (tout comme, naguère, le parti de Lénine prétendait être "l'avant-garde de la classe ouvrière" et, de fil en aiguille, la classe ouvrière elle-même).
En reprenant à son compte, en la durcissant, l'idée d'une "majorité silencieuse" brandie par la droite après 1981, Brice Hortefeux fait sa part du travail dans l'O.P.A. hostile (dans la mesure où la cible n'a pas donné son accord, quoi qu'elle s'en réjouisse officiellement - normal, ça fait monter sa cotation) opérée par l'appareil Sarkozyste sur la "boîte à idées" des Le Pen: l'exaltation d'une "identité", l'association délibérée de l'immigration et de la délinquance, la pénalisation de l'irrévérence envers les symboles nationaux - "Marseillaise", drapeau - étaient déjà choses acquises. Manquait une pièce au puzzle national-populiste: l'anathème contre une classe "politico-médiatique" jugée déconnectée du "peuple" (on dira, pour se démarquer un chouia, "réalité de la société française"). Lacune comblée, donc. Non que ce type de discours n'ait  jamais été proféré auparavant par quiconque au sein de la droite parlementaire. Mais il y a que le "timing" de l'interview au "Monde" n'est pas indifférent, et que ce discours clôt (?) une récente séquence médiatique estivale, de Sarkozy à Ciotti, en passant par Estrosi. Et cette pièce du puzzle qu'apporte le Ministre de l'Intérieur n'est pas triviale, du point de vue idéologique. En effet, l'auto-désignation comme porte-parole du "vrai" peuple contre une "élite déconnectée" a pour corollaire le dénigrement a priori du discours de l'adversaire, toute critique ne pouvant émaner que d'une partie délégitimée de la population. En définitive, un pas majeur vers une rhétorique totalitaire. Symboliquement, il n'y a jamais loin de la "vérité de l'Église" au bûcher de Montségur.
On pourra, bien sûr, souligner le culot pyramidal d'un membre du gouvernement fustigeant le "politico-médiatique" quand on pense au trio Bouygues-Dassault-Lagardère. Ou brocardant une "gauche milliardaire" alors que les effluves nauséabonds de l'affaire Woerth sont loin d'être dissipés. Bref rappeler au ministre le fameux proverbe évoquant la paille, la poutre et l'oeil du voisin. On pourra tout autant, et là encore très justement, pronostiquer un effet-boomerang dévastateur sur le plan électoral, vis-à-vis du FN.
Mais on ne pourra plus considérer Brice Hortefeux comme une erreur de casting du point de vue médiatique. Il est au contraire, en cette fin d'été, une pièce essentielle d'un "plan de com' " décidé en haut lieu. L'ami Brice n'est pas un gros lourdingue inutile, nous voilà rassurés.

A bientôt

lundi 2 août 2010

Sarkozy, un Ferdinand Lop en moins drôle

Dans l'immédiat avant-guerre et jusqu'aux années soixante, Ferdinand Lop (1891-1974) bénéficia d'une popularité constante auprès d'un certain nombre d'étudiants du Quartier Latin. Candidat perpétuel aux élections présidentielles et législatives, il révéla peu de son programme politique, sinon quelques idées restées fameuses comme "l'interdiction de la pauvreté après 22h00" ou "la prolongation du boulevard Saint-Michel jusqu'à la mer". Il donnait un visage et une voix à une fraction non-négligeable de l'opinion publique, tout un peuple aux mille visages, que Gourio côtoya avec assiduité pour rédiger ses "Brèves de comptoir". Un courant d'opinion qu'on peut résumer par: "Y'a qu'à, faut qu'on". Le fait est que Ferdinand Lop ne fut jamais élu Président de la République. Nicolas Sarkozy, par contre, si.
Il faut dire que ses "Y'a qu'à, faut qu'on", à lui, vous avaient des accents réalistes. "Ensemble, tout devient possible" ne fut pas un slogan choisi au hasard. S'y mêlaient le retour du volontarisme en politique, le fier coup-de-menton d'une droite "décomplexée" qui manipulait sans vergogne les thèmes de prédilection du Front National, l'attrait que pouvait exercer un homme "neuf" résolu à faire bouger les choses, loin de l'"immobilisme" d'un Chirac ou de la prudence matoise d'un Mitterrand. Et puis il proposait des solutions qui, à défaut de susciter l'unanimité, avaient le mérite d'être simples et faciles à expliquer. Autrement plus claires que celles proposées par Ségolène Royal. Car Nicolas Sarkozy, tel Ferdinand Lop, ne semble détester rien tant que les pesanteurs du réel et donc, la complexité. Cette complexité, il convient de la contourner, de faire comme si elle n'existait pas, c'est l'essence même de la politique telle que l'entend Nicolas Sarkozy.

Aujourd'hui comme hier - et même, tout porte à le croire, plus qu'hier - la question de la délinquance ou de la criminalité issue des "cités" est vivement préoccupante, ce qui compte c'est de convaincre le citoyen et donc l'électeur "qu'on fait quelque chose". A partir de là, deux options:
  • Soit se coltiner le réel et sa complexité, c'est-à-dire expliquer que les problèmes ne se résoudront pas en un jour et donc sans doute pas avant Mai 2012
  • Soit éviter les questions sociales, économiques, d'éducation, d'organisation de l'action policière et réduire la situation à la présence persistante d'individus à problème, qu'il convient de circonvenir

C'est bien évidemment la seconde option que le gouvernement en place a choisi, et avant lui le Président lorsqu'il n'était que Ministre de l'Intérieur, donc en gros depuis 2002. Oui mais voilà: résultats nuls, à tout le moins pour les premiers intéressés, c'est-à-dire les citoyens-lambda qui, faisant fi des statistiques triomphantes, persistent à trouver que les nouvelles du  "front de l'insécurité" ne sont pas bonnes. C'est embêtant, car 2012 c'est bientôt. Et d'ores et déjà on pressent que le Front National est en passe de rafler la mise sur le plan électoral. Alors du coup, joker: on va, comme en 2007, proposer du Le Pen sans Le Pen. D'où la dernière annonce en date: préparer une disposition permettant de déchoir a posteriori certains criminels de leur nationalité française. Bien évidemment, l'idée suscite un tollé et, selon Robert Badinter, est anticonstitutionnelle donc in fine sans doute impraticable mais peu importe, le "débat" est déplacé: il ne s'agit plus de choisir entre la responsabilité individuelle et les circonstances socio-économiques / les défaillances d'un système, le choix est fait, on l'a vu, mais d'identifier a priori les individus suspects, en l'occurrence ceux "d'origine étrangère".

Et là, il y a un paradoxe: une disposition répressive, quelle qu'elle soit, a toujours pour ambition d'avoir des vertus dissuasives, c'était l'argument-clé des partisans de la peine de mort. Or voici un gouvernement qui s'est embourbé, des mois durant et en vain, dans un "débat" sur l'identité nationale. La moindre des conclusions qu'on puisse tirer de cet exercice laborieux, c'est que le sentiment d'appartenance à cette communauté nationale ne va pas de soi. Comment peut-on dès lors espérer que la perspective d'en être éventuellement exclu puisse avoir un rôle dissuasif majeur, davantage que la prison? Mettant de côté, si possible, toute considération morale, peut-on un instant imaginer que ce type de mesure ait une quelconque efficacité pratique?

De même, vous auriez pu objecter à Ferdinand Lop que "prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu'à la mer" n'aurait en rien modifié le climat parisien. Lui-même ou ses partisans - et ils auraient eu raison - vous auraient répondu que vous n'aviez aucun sens de la poésie, car Ferdinand Lop c'était pour rire.

Sarkozy, par contre, c'est pour de vrai. "Y'a qu'à, faut qu'on", le leitmotiv Sarkozyen continue, en dépit de cette foutue réalité, en dépit du bon sens, en dépit, surtout, de tout frein éthique ou moral. "Pas de trêve estivale pour les voyous", a fanfaronné Brice Hortefeux ce week-end. Les cyniques et les crétins ne prendront pas de vacances non plus, visiblement.

See you, guys.