lundi 29 juin 2015

Frouze-bashing in Romandie

P.L.G.P.P.P.U.R.: plein la gueule, pour pas un rond.


On sait la difficulté qu'a la France à se vendre, nonobstant ses cosmétiques, la tour Eiffel, le Mont-Saint-Michel et le Gevrey-Chambertin. La compétitivité, on appelle ça. N'eût été l'adoption par le Ministère français des Affaires Etrangères d'une ligne "dure" ou à tout le moins pinailleuse à l'égard de l'Iran, n'eût été le voile pudique jeté par la "patrie des Droits de l'Homme" sur ce blogueur condamné au fouet et ces dizaines de décapités en quelques mois, n'eût été l'aveuglement volontaire d'un pays en guerre contre les terroristes jihadistes vis-à-vis de leurs principales sources d'inspiration sinon de moyens financiers, n'eût été tout cela, donc, Serge Dassault aurait toujours pu se l'arrondir pour vendre ses "Rafale" aux Saoudiens et faire en sorte que les Qataris en financent l'achat par l'Egypte.

La France a souvent du mal à se vendre par contre les Français, eux, apparemment font vendre, en tout cas par ici. Qu'on en juge par la dernière "une" du magazine "L'Hebdo", un des principaux titres d'actualité en Suisse Romande:

P.L.G.P.P.U.R., de fait, pour votre serviteur et nombre de ses amis. Pour ce qui me concerne, j'en ai déjà parlé ici, je me sens Français a minima: dès lors, limite "même pas mal" en découvrant cette couverture. N'empêche que jusqu'à ma naturalisation, je détiens exclusivement un passeport français, et il n'y est pas spécifié que mon niveau de patriotisme hexagonal est absolument nul. On est, parfois, ce que les autres voient en vous, du coup mis dans le même panier que des gens comme Michel Sardou, Patrick Sébastien ou Jean-François Copé. Donc, quelque part, cette "une" tapageuse m'interpelle, comme on dit. Elle me rappelle, au cas où je l'aurais oublié, que je ne suis pas d'ici, nonobstant les treize années passées sur ce territoire, les impôts versés à plein tarif et... mon abonnement à "L'Hebdo". "Au secours! Mon abonné / Mon contribuable est français (jamais de majuscule quand c'est un adjectif, les gars)".

Passé la "une", que découvre-t'on dans ce "guide de survie à l'usage des Suisses"?
  • Pour l'essentiel des anecdotes glanées auprès de citoyens helvétiques se plaignant des "frouzes", comme on dit par ici, principalement dans l'environnement professionnel: les managers Français sont obsédés par la hiérarchie, se co-optent entre diplômés de la même école, parlent trop pour dire trop peu, sont trop théoriques et pas assez pragmatiques, fonctionnent exclusivement à l'autorité avec leurs subordonnés suisses. Jusque là, il y a du vrai. Encore que ça coince à deux niveaux: d'une part ces témoignages (sous couvert de l'anonymat, cela va de soi) présentés comme une "enquête" ont la même valeur informative que les fameux "micro-trottoirs" dont usent et abusent les médias audio-visuels, c'est-à-dire nulle. D'autre part on n'y évoque pas les cas inverses, plus que fréquents, où lesdits Français ont pour supérieur hiérarchique un Suisse. Pas d'"enquête" de ce côté, par manque de place, peut-être? Là où ça devient complètement con, c'est lorsque les "témoins" nous assènent que les Français perdent leur temps en réunions et qu'ils attachent davantage de valeur au comportement (la gueule, la forme) qu'aux compétences professionnelles (les tripes, le fond). Alors là je ris: moi qui fréquente une multinationale depuis de nombreuses années, peuplée de Grecs, de Russes, de Turcs, d'Allemands, de Suisses, d'Américains et j'en passe, et même de Français, je peux affirmer sans autre (c'est du Suisse Romand) que ces deux travers sont tout simplement universels, tant il est vrai que la bêtise managériale à la "Dilbert" n'a pas de frontières
  • En sus, quelques réflexions moins lapidaires, soulignant la relation ambigüe qu'entretiennent les Suisses Romands avec leurs voisins. Pour les Romands, minoritaires dans leur pays (20% de la population environ), la France fonctionne parfois inconsciemment comme un Hinterland linguistique les renforçant face aux Alémaniques qui, eux, se tamponnent généralement de l'Allemagne comme de leur premier Rösti. Et puis, surprise surprise, un élément scientifique, le seul dans ce dossier: une docteure en sciences sociales de l'Université de Lausanne a démontré, dans sa thèse (fondée sur une enquête auprès de plus de 1 600 employés), que "les employés français et allemands, perçus comme ultra-compétitifs, subissent plus d'incivilité de la part de leurs collègues suisses que les personnes d'Europe du Sud ou de l'Est". Tiens, tiens. Le tout se conclut par des bouts d'entretiens avec quelques Français exerçant des responsabilités dans la région comme Jean-Yves Marin, Directeur du musée d'art et d'histoire de Genève, tempérant plus ou moins les remarques de l'"enquête" centrale du dossier
Au final, donc, sur le fond, un contenu dans l'ensemble plus modéré que la "une" du magazine ne le laisserait supposer. Deux remarques, cela étant:
  1. "L'Hebdo", titre plutôt progressiste, ne se serait pas permis de titrer "Au secours! Mon voisin (...) est un migrant (portugais ou espagnol, français ou allemand, équatorien ou albanais, maghrébin ou africain)". L'aurait-il fait qu'il se serait pris une volée de bois vert et sans doute une vague de procès, direct. Taper sur les Français, en revanche, ça joue (encore du Romand). Pourquoi? Sans doute parce que, sans trop le dire, on pense que les Français sont représentants d'une "grande puissance" (tout est relatif) qui peuvent encaisser, au même titre que les Etats-Uniens se fichent (a priori) d'être traînés en "une" dans la boue par un média Costaricain. C'est bien pour cela qu'on n'y cite que des exemples de Français supérieurs hiérarchiques, tout bien réfléchi
  2. "L'Hebdo" le dit lui-même dans son dossier: "la francophobie (...) glisserait parfois vers le racisme pur et simple". C'est peut-être vrai, moi j'en doute, en tout cas c'est bien sur une telle "francophobie" qu'ont parié le concepteur de la couverture et les directeurs du journal, non? Alors c'est bien joli de jouer les vierges effarouchées en pages intérieures tout en pondant une "une" digne d'un supporter de football. Ah, pardon... C'est du second degré, de l'humour, c'est ça? Seulement personne n'est officiellement informé que les "unes" de l"L'Hebdo" sont systématiquement à prendre au second degré (pas plus que celles du "Point", de "L'Express" ou de "L'Obs" chez les "frouzes"), n'est pas "Charlie-Hebdo" qui veut. Moi je dis: bande de faux-culs
La France se vend souvent mal mais les Français, en Suisse, font vendre. Et puis quoi?

Au besoin, ce genre d'événement peut rappeler aux Français qui l'oublieraient qu'ils ne sont pas nécessairement les "gentils" universellement appréciés qu'ils pensent parfois être. Blague belge: "Vous connaissez la différence entre les Français et les Allemands? Et bien les Allemands, on ne les aime pas non plus, mais ils le savent". P.L.G.P.P.U.R., mais des fois ça fait pas de mal. Ca remet l'église au milieu du village, pour finir sur une touche définitivement romande.

A bientôt, et tout de bon!

mercredi 24 juin 2015

Le Vieux Kroumir et le Poisson Rouge

Se compter. Façon baroud d'honneur, Le Pen père appelait hier les adhérents du FN à boycotter la consultation prévue par sa fille, dont l'objectif central est de faire valider par les frontistes de base l'escamotage en cours d'un paternel devenu encombrant, en l'espèce la suppression du titre de "Président d'Honneur" dévolu audit paternel. Avec un peu de chance, se dit-il, la participation des adhérents à cette consultation n'atteindra pas des scores soviétiques, il pourra donc clamer que les non-participants ont répondu à son appel et donc, le soutiennent.
C'est malin, somme toute, on se demande pourquoi, par exemple, plutôt que de se fatiguer à présenter des candidats à des élections - auxquelles ils ne croient pas - pour obtenir des résultats ridicules, les trotskistes de Lutte Ouvrière n'appellent pas bruyamment au boycott des élections "bourgeoises": ils pourraient revendiquer les scores obtenus par l'abstention, qui par ailleurs ne cessent de croître. Passons.
A l'origine de cette "chronique d'un parricide annoncé" il y a, on le sait, les propos tenus il y a quelques temps par Jean-Marie Le Pen lors d'une interview à l'hebdomadaire "Rivarol": il y persistait et signait sur son fameux "détail", réitérait sa sympathie à l'égard de la France de Vichy, rêvait à voix haute d'une Europe "boréale" (comprenez: blanche) grâce à l'alliance avec la Russie de Poutine, entre autres. Propos considérés comme inacceptables par sa fille, tout à son entreprise de nettoyage de la façade du parti.
Mais dans cette affaire, le plus saillant n'est pas ce conflit familial et les analyses freudiennes de bistrot qu'on élabore volontiers ici et là à propos de cet affrontement: le plus marquant, c'est ce qu'il nous dit de la mémoire en politique et de la façon de l'aborder.

Jean-Marie Le Pen est une synthèse historique à lui tout seul. Il a accompli l'exploit, depuis 1972, d'agréger autour de sa personne la quasi-totalité des chapelles et groupuscules de l'extrême-droite française: nostalgiques de Vichy, voire de l'"Europe nouvelle" façon swastika, rescapés revanchards des batailles perdues de la décolonisation, catholiques intégristes à poil ras, croisés de l'Occident genre John Wayne dans "Les bérets verts", ex-poujadistes... Bref, un rassemblement de cocus de l'Histoire, si on considère le niveau de frustration et de colère que les uns et les autres ont, à des titres divers, dû ressentir entre 1945 et aujourd'hui devant l'évolution du monde en général et de la France en particulier. En tant que tel, il représente et revendique toutes ces strates historiques - y compris un tropisme antisémite.
Sa fille Marine, au contraire, se situe résolument dans un éternel présent et se contrefout - sincèrement, n'en doutons pas - du fait que De Gaulle ait laissé fusiller Brasillach en 1945 et parlé de l'auto-détermination des Algériens en 1961, pour ne prendre l'exemple que de ces deux marqueurs symboliques. Qu'est-ce donc que la fameuse entreprise de "dé-diabolisation" du FN sinon l'effacement de toute historicité, de toute mémoire du parti qu'elle dirige? De fait, en contraste flagrant avec le Front National de papa - vieux kroumir pétri d'Histoire - celui de sa fille a une mémoire de poisson rouge et il voudrait nous faire croire qu'il ne vient historiquement de nulle part.

Par ailleurs, tout porte à croire - notamment son pseudo "voyage officiel" en Israël lors de la campagne présidentielle de 2012- qu'elle cherche à se rapprocher de la fraction la plus extrémiste des Juifs de France, sur le thème: nous non plus, on n'aime pas les Arabes (pardon: l'"islamisme"). A ce sujet il n'est pas anodin que dans son appel au boycott, Le Pen père ait hier relevé le fait que Roger Cukierman, président du CRIF, ait dit de sa fille qu'elle était "irréprochable" et que Florian Philippot (qualifié de "socialo-gaulliste") ait choisi Maître Goldnadel comme avocat. Entre les lignes on peut s'autoriser à lire: "ma fille est enjuivée, c'est pour ça que les grands principes de notre parti partent à vau-l'eau".

La gué-guerre en cours au sein du Front National peut bien être qualifiée de conflit de générations, mais c'est de générations politiques qu'il faut parler. Dans son effort de ripolinage, Marine Le Pen est résolument de son époque: on y "tweete" ses réflexions de l'instant et/ou on raconte son caca du matin sur Facebook, en faisant semblant de croire que ces moments partagés annulent et remplacent tous les précédents, en attendant d'être supplantés par les suivants. Le "présentisme", on appelle ça. Ce syndrôme, toutes proportions gardées, on le retrouve également chez le couple Hollande-Valls (fi du passé "socialiste", fût-il récent comme les promesses de campagne de 2012, vive l'éternel présent de la gestion de la "trajectoire budgétaire") ou chez un Sarkozy ("J'ai changé, vous allez voir"). Présentisme bien évidemment en phase avec le rythme virevoltant des médias, à l'heure d'Internet et de l'information en continu.

Alors au sommet du FN, on aimerait bien se débarrasser du vieux: non pour des questions de préséance ou de pouvoir, mais tout simplement parce que dans la stratégie de conquête de Marine Le Pen, l'amnésie est perçue comme un atout. Or Jean-Marie Le Pen persiste, au contraire, à dire d'où il vient. Notamment, entre autres, d'un univers politique où la judéité est, en soi, suspecte.

Cela étant, il n'est pas dit que le vieux kroumir ait forcément tout faux face au poisson rouge, il n'est pas dit qu'en politique l'Histoire ait à laisser la place à une éternelle contemporanéité. Marine Le Pen peut bien se raconter que sa formation est rénovée du sol au plafond et se réjouir du fait que le  porte-parole du lobby pro-israélien (plutôt que de la communauté juive, soyons précis) la juge "irréprochable", il n'en demeure pas moins que les cadres et les militants de son parti et, dans une large part, ses électeurs, eux, ne viennent pas de nulle part et, surtout, que leurs attitudes et leurs discours font écho, volens nolens, à des mouvements d'idées du passé, même s'il n'en sont pas la copie conforme. Faire semblant de l'oublier c'est non seulement prendre les gens pour des cons, mais aussi se condamner à terme en tant que porteur d'un discours politique: Hollande se les bouffera un jour d'avoir cajolé les lobbies grand-patronaux alors qu'il vient de la gauche, Sarkozy ne se remettra sans doute pas d'avoir (entre autres) couvert les combines Bygmalionesques alors qu'il est issu d'une droite qui a, historiquement, prôné l'ordre et le mérite. "Du passé, faisons table rase", c'est une chimère.

Jean-Marie Le Pen peut bien, avec l'âge, ressembler de plus en plus à sa propre caricature. Il n'empêche qu'il est porteur d'une "vérité historique" que sa fille, un jour ou l'autre, finira bien par se prendre dans la gueule. Car fort heureusement, la maladie d'Alzheimer n'est pas une pandémie. Enfin, j'espère.

Ciao, belli.