samedi 27 mars 2010

Les prêtres pédophiles, ou l'argument de mauvaise foi

"Oui, mais les Noirs aux Etats-Unis...": c'est la réponse définitive, pleine de sous-entendus, que faisaient les communistes fervents à toute critique de l'Union Soviétique. Souvenir de la terreur stalinienne et de ses millions de victimes, sous-production et pénuries, gaspillage, corruption, répression de la dissidence, impérialisme, retard technologique, pouvait-on leur dire. "Oui, mais regardez la situation des Noirs aux Etats-Unis..." s'entendait-on répondre. Les scandales historiques de l'esclavage et de la ségrégation et leurs conséquences ont, entre autres joyeusetés, toujours terni le prestige du "Land of the Free". N'empêche que cette réponse, rhétorique de la paille et de la poutre, prêtait à sourire, à force. Il se pourrait cependant que ce genre d'argument reprenne du poil de la bête.
Prêtres pédophiles: lors de leur assemblée plénière à Lourdes, cette semaine, les évêques de France ont exprimé ressentir «tous honte et regrets devant ces actes abominables», dans un «message cordial de soutien» à Benoît XVI. "Honte et regrets", oui, c'est bien le moins. D'autant que cet acte de contrition public s'inscrit dans une réaffirmation de leur fidélité au chef suprême de l'église catholique: or un récent article du "New York Times" vient de l'accuser d'avoir naguère caché sous le boisseau les agissements d'un prêtre ayant abusé d'enfants aux Etats-Unis. On ne peut évidemment pas exiger d'une assemblée d'évêques qu'elle se mette à critiquer le pape, pas plus qu'on ne demanderait au Comité Central du Parti Communiste Chinois de voter une résolution contre Hu Jintao. Mais on ne peut s'empêcher de décoder ce "message de soutien" comme s'inscrivant dans une stratégie de communication (de crise) récemment déployée par le Vatican: Benoît XVI serait en ce moment victime d'un "acharnement médiatique". On avance le fait que Joseph Ratzinger a publiquement reconnu, le 20 mars, la responsabilité de l'Eglise dans les abus commis en Irlande et vertement condamné l'omerta écclésiale. S'en prendre à lui - notamment également à travers les révélations sur son propre frère - serait donc foncièrement injuste, Joseph Ratzinger ayant été le premier pape à vraiment prendre le sujet à bras-le-corps, si l'on ose écrire. Benoît XVI victime, donc. Et avec lui le clergé catholique tout entier, pourquoi pas. Victimes des méchants médias qui font rien qu'à divulguer, semaine après semaine, les "misérables petits tas de secrets" qu'on s'était évertué avec application à enfouir au fond des placards. Qui font rien qu'à ouvrir grand leurs colonnes, leurs micros, leurs écrans à des enfants désormais grands, marqués à jamais par des salopards à la soutane entre les dents. L'"acharnement médiatique": pathétique système de défense, systématiquement mis en avant par ceux dont les projecteurs soulignent l'indécence. Le Pen, avec son "détail", se disait lui aussi victime de "l'acharnement médiatique".
En parallèle, autre contre-feu, est relancé le débat sur le célibat des prêtres: autorisons les curés à convoler en justes noces, à consommer leur mariage et à engendrer leurs propres bambins, nous dit-on en substance, et vous verrez, ces horreurs pédophiles disparaîtront. Outre le fait qu'on oublie au passage qu'une majorité des cas d'abus sexuels sur enfants sont de nature incestueuse, il y a dans la réanimation de cette polémique entre cathos progressistes et conservateurs quelque chose de proprement stupéfiant: si problème il y a, dans ces affaires récurrentes de prêtres pédophiles ce serait, in fine, celui de la misère sexuelle consubstantielle à l'appartenance au clergé catholique. Pauvres prêtres, mettez-vous à leur place: ils sont privés de cabrioles pour le restant de leurs jours, alors forcément, ils ne peuvent pas s'empêcher. Le plus terrible, c'est l'insoutenable sentiment de culpabilité qu'ils doivent ressentir après avoir tripoté des gamins, vous imaginez? Ça doit être affreux. Victimisation des bourreaux, là encore.
Ces pitoyables lignes de défense n'endigueront pas la vague de dégoût qui déferle jusqu'au sein des fidèles catholiques eux-mêmes. Car de surcroît, il apparaît comme évident que ni les crimes pédophiles ni la politique visant à les étouffer ne sont des phénomènes isolés, que ce soit dans le temps ou dans l'espace. La personnalité et le passé de Benoît XVI ne sont, en l'espèce, que des épiphénomènes, c'est bien l'institution elle-même qui a perdu tout crédit. Comment appelle-t'on une organisation fortement hiérarchisée qui commet des crimes à grande échelle tout en passant son temps à les dissimuler? Du côté de Naples, on appelle ça la Camorra, tandis qu'à Reggio on parlera de N'Drangheta et à Syracuse de Cosa Nostra. Dans le reste du monde, il faut dire: Eglise Catholique, Apostolique et Romaine. De fait, pas besoin de remonter aux crimes de l'Inquisition ou à l'appel d'Urbain II à la croisade pour remettre en cause l'autorité de cette institution dans le débat public. Il suffira d'évoquer les turpitudes contemporaines de cette machine à fabriquer des maniaques sexuels et à en assurer l'impunité. Et, ce faisant, instaurer un cordon sanitaire délégitimant par avance, de Brest à Varsovie et de Dublin à Rome, toute vélléité de cette institution d'imposer ses vues sur des sujets comme l'avortement, la contraception, le port du préservatif, la procréation médicalement assistée. Et ses avis péremptoires sur la morale individuelle et collective en général.
On goûtera dès lors sans vergogne le plaisir d'argumenter comme naguère les communistes à propos de l'Union Soviétique: "L'Église s'oppose à l'avortement car elle défend la vie - Oui, mais le scandale des prêtres pédophiles..." / "L'Église réprouve la recherche sur les embryons - Oui, mais le scandale des prêtres pédophiles..." / etc... On se délectera ouvertement d'une rhétorique à base de mauvaise foi, afin de contrer les attaques des représentants d'une foi peut-être pas plus mauvaise qu'une autre, mais qui n'ont aujourd'hui que le droit de se taire. Voltaire, reviens, on est tous avec toi!
See you, guys

mardi 16 mars 2010

Régionales: "crise de leadership toi-même!"

Que n'a-t'on lu ou entendu, depuis deux ans, sur la "crise du leadership au PS"? Toutes ces doctes analyses sur "la conjuration des ego", le "combat des chefs" ou "l'affrontement des éléphants" sont bien souvent pertinentes et entretiennent, à juste titre, une sinistrose dévastatrice au sein du Parti Socialiste ou de ses sympathisants. Ce faisant, implicitement ou explicitement, elles soulignent, par contraste, l'éclatante absence d'un tel problème à droite.
De ce côté-là de l'échiquier politique les choses sont claires: Nicolas Sarkozy donne le la, et à lui seul constitue l'alpha et oméga de la stratégie, de la tactique et de l'action politiques. Dans la Chine des années 60 le militant communiste suivait la ligne "Marxisme-Léninisme-Pensée du Président Mao", dans la France de 2007-2009 le militant UMP se doit de mettre en oeuvre le "Libéralisme-Populisme-Pensée du Président Sarko". Pas la peine de s'enquiquiner avec des débats, des affrontements, ne parlons même pas d'élections primaires: la "synthèse", asymptote fantasmée lorsqu'on est au PS, se forge à l'UMP au sommet de la pyramide hiérarchique, jour après jour. Reste à en saisir les nuances puis à diffuser celle du moment - en attendant la suivante. Fastoche et confortable, somme toute, la vie de militant ou de responsable politique, quand on a un vrai leader.
Au vu des résultats du premier tour des élections régionales cependant, il y a tout lieu de croire qu'à l'UMP on va devoir sortir de cette zone de confort: le leader, naguère infaillible, s'est fourré le doigt dans l'oeil. Le leader, naguère brandi comme un étendard, est devenu un épouvantail. C'est bel et bien à une crise de leadership qu'on assiste à droite. Et une sévère.
L'alchimie Sarkozyenne, furieusement gagnante en 2007 et au delà, s'articulait autour de quatre axes principaux:
  • L'invention d'une convergence d'intérêts entre patronat et salariés autour de la "valeur travail"
  • L'affichage d'une volonté de "modernisation" des services publics
  • L'exaltation de préoccupations sécuritaires et "identitaires"
  • L'absorption ponctuelle et ciblée de personnalités et de thèmes de gauche ou supposés tels

Ces quatre éléments se complètent: le troisième permet de faire passer la pilule des deux premiers - notamment, suivez mon regard vers le borgne, auprès de "l'électorat populaire", tandis que le quatrième occupe les journalistes et déstabilise publiquement l'adversaire - noyant les inévitables imperfections des trois précédents sous un bruit médiatique opportunément dérivatif.

La mise en avant tonitruante et permanente de la personne même du candidat, puis du président, a permis de diffuser cette tétralogie de telle façon qu'opposants et même partisans se sont trouvés tétanisés. Tandis que les premiers devinrent inaudibles, les seconds furent irrémédiablement transformés en godillots.

Seulement voilà, la machine s'est visiblement grippée. Tandis que la "convergence" espérée s'est transformée, la crise aidant, en quasi-guerre sociale, tandis qu'en fait de "modernisation" on perçoit volontiers une paupérisation des services publics, l'échec patent du "package" sécuritaire, le pathétique achevé du "grand débat sur l'identité nationale" et la banalisation d'une "ouverture" devenue pure gesticulation (qui se soucie de Michel Charasse ou de Didier Migaud, franchement?) ont rompu l'équilibre du bel édifice. Dès lors, l'omniprésence médiatique de Sarkozy est contre-productive: elle n'est qu'agitation, même le plus stupide des anciens électeurs Frontistes et a fortiori le moins civique des abstentionnistes chroniques peut s'en apercevoir.

Quels que soient les résultats du 21 mars, ce premier tour des élections souligne la vacuité d'un "business model" qu'on nous avait naguère décrit comme imparable dans le contexte d'une présidentialisation du régime: tout miser sur la personnification, l'incarnation du projet politique. En tout état de cause, il s'avère qu'un projet politique doit également comporter une part significative d'intelligence collective s'il veut résister aux épreuves du temps. En clair: l'affichage d'une équipe qui, par moments et sur des sujets sérieux, ne parle pas d'une seule voix, n'est pas nécessairement une tare. J'en veux pour preuve l'attelage hétéroclite d'Europe Ecologie, tout-à-fait capable de porter une candidature Cohn-Bendit "au cas où". Car ce n'est pas un scoop, toutes les élections ne sont pas présidentielles, et un succès à cette consultation ne garantit rien pour les suivantes. C'est pour l'avoir oublié qu'un Bayrou a été rayé de la carte. Ségolène Royal, qui se verrait volontiers en femme providentielle omnisciente, serait également inspirée d'en rabattre sur sa "destinée manifeste".

Quant à l'UMP, elle se retrouve à poil. Commentant les résultats du premier tour, Rachida Dati a déclaré: "Il faut revenir à nos fondamentaux". Ah bon. Mais quand "les fondamentaux" sont exclusivement faits des affichages successifs et contradictoires d'un leader déconsidéré, vers quoi revient-on? Godillot, c'est un statut très reposant, intellectuellement parlant. C'est rassurant. Jusqu'au jour où celui qui mène le défilé se met à déconner ferme.

Ciao, belli