samedi 28 avril 2007

Diabolisé, et content de l'être

Alors comme ça, il paraît qu'on le "diabolise", le Sarko. Qu'on mène à son encontre une "campagne" des plus injustes, visant à effrayer les hésitants. Ah bon?
Au risque d'être moi-même accusé de participer à cette campagne (à vrai dire: tant mieux si c'est le cas), je remarque que c'est exactement le genre d'argument qu'ont toujours utilisé Le Pen et ses partisans: les médias le "diabolisent" alors que Jean-Marie ne fait que "dire tout haut ce que beaucoup de Français pensent tout bas", autre formule utilisée par Nicolas, mais ça doit encore être une coïncidence.
Nicolas Sarkozy est tout sauf un imbécile, pas de "dérapage" chez lui, tout est calculé au millimètre. Constatant la solidité de l'ancrage des positions lepénistes dans le corps électoral, notamment dans les milieux populaires (ceux qu'un microcosme parisiano-médiatique qualifie avec mépris de "petits Blancs"), comprenant par ailleurs que ce phénomène a toutes les chances d'être durable, nonobstant le virage sécuritaire et répressif qu'il a lui même inspiré (voir articles précédents ici-même), Sarko a décidé de "faire avec": il applique à l'égard du Front National la stratégie naguère développée par Mitterrand à l'égard du Parti Communiste, à savoir la chaude embrassade, jusqu'à l'étouffement. Avec certainement le même objectif à moyen ou long-terme: la disparition pure et simple du courant d'idées concerné, au moins sur le plan électoral.
Notons qu'alors que Mitterrand avait procédé "par le haut", pratiquant des accords d'appareil avec la direction du PCF (par exemple le fameux "Programme Commun"), Sarkozy attaque "par le bas", c'est-à-dire au niveau des électeurs. A cette différence d'approche, deux raisons objectives:
  • Le Parti Communiste est avant tout une organisation au service d'un projet, indépendamment du poids des idées qu'il représente dans l'opinion, et à ce ce titre non seulement anti-démocratique, mais a-démocratique. Les électeurs peuvent aller et venir, l'appareil reste (aujourd'hui le PCF n'est plus que ça, d'ailleurs: un appareil), quels qu'en soient les dirigeants. Le Front National au contraire, en tant que structure, n'est qu'une construction de circonstance, liée aux succès électoraux, qui n'existe que par et pour son chef
  • On a beau vouloir s'affranchir du "politiquement correct", tendre publiquement la main à Jean-Marie Le Pen, à Bruno Gollnisch, ça la fout un peu mal. Et puis soyons honnête, Nicolas Sarkozy est très certainement profondément allergique à l'idéologie de l'un et de l'autre

Le patron de l'UMP a donc entamé - et partiellement réussi - un accaparement du vote Frontiste par le bas, en multipliant les références dans son discours à un certain nombre de "fondamentaux", en substance: les étrangers qui "n'aiment pas" la France n'ont qu'à s'en aller, il faut préserver l'"identité nationale" d'une immigration qu'on ne contrôlerait pas, les criminels "ont çà dans le sang".

Comme suggéré plus haut, les coups de gueule récents de Sarko et son entourage sur la "campagne de diabolisation" relèvent exactement de la même stratégie: créer une connivence avec l'électorat Frontiste. En effet si on le "diabolise" comme on a diabolisé Le Pen, c'est bien que le premier est une alternative crédible au second.

Alors "Sarko, facho"? Si la Gauche se contente de ce genre d'argument, elle va droit dans le mur, comme la Droite lorsqu'elle annonçait, en 1981, l'arrivée des chars soviétiques sur les Champs-Elysées en cas de victoire de Mitterrand.

Le fait est, cependant, que l'intégration d'éléments frontistes dans le "logiciel" UMP ne se fera pas impunément. Pour rompre idéologiquement de façon durable avec le PCF, il a suffi au PS d'afficher son accord avec les principes de l'économie de marché et d'en assumer un certain nombre de conséquences. C'est pas facile pour tout le monde (cf les nostalgies marxisantes d'un Mélenchon ou d'un Emmanuelli), mais le clivage est clair. Il sera plus difficile en revanche à Sarkozy, s'il est élu, de débarrasser son discours et celui des ses partisans de considérations plus ou moins vaseuses sur l'"identité": ou s'arrête la "fierté nationale", ou commence la xénophobie? Pas toujours évident à déterminer. Dès lors, tel le sparadrap du capitaine Haddock, le substrat "identitaire" risque de coller aux doigts de Sarko et des ses lieutenants pour un moment.

L'une des clés du succès du Front National, c'est d'avoir émis un discours en filigrane, tout de clins d'oeil et de sous-entendus. Bien sûr il y a eu le "détail", le "constat" que "les Noirs sont les meilleurs à la course à pied", et autres choses de ce genre. Mais ces sorties sont davantage à mettre au compte de la personnalité de Le Pen (on ne se refait pas) qu'à un "programme" diffusé "en clair". Et ces déclarations ont pu s'avérer contre-productives, car on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment, comme disait je ne sais plus qui (c'est du Mitterrand, à tous les coups). C'est également vrai pour le processus de "digestion" du lepénisme par la Droite républicaine: l'ambiguïté sur les convergences réelles ou potentielles avec les idées du Front National sera maintenue aussi longtemps que possible.

Là est sans doute la vraie "rupture" Sarkozienne avec le Chiraquisme: couvrir tout le "champ" de la pensée de droite, sans exclusive. Michel Noir s'était rendu célèbre en disant qu'il préférait "perdre une élection que perdre son âme". Sarkozy ne s'encombre pas de telles considérations d'ordre métaphysique. C'est un pragmatique: il préfère perdre quelques électeurs de Centre-Droit que les élections.

On pensait qu'on avait atteint des summums du cynisme en politique avec les deux derniers Présidents de la République. Et bien non. En fait, on n'avait pas encore vu le plus beau.

Allez, tchao.

jeudi 26 avril 2007

Petit tour du premier tour

Ouf.
Deux phénomènes ont contribué à faire que ce premier tour me donne envie d'aller voter sans pince à linge au second: une participation massive d'une part, le sursaut de pas mal d'électeurs de gauche d'autre part, préférant ce coup-là voter selon le principe d'un moindre mal (de leur point de vue) que selon leurs vraies préférences.
Bel effort pour ce qui les concerne (j'en connais parmi mes lecteurs), même si par ailleurs la dispersion des Zagôchedelagôche en six candidatures aussi baroques que vaines a dû également en décourager plus d'un. Le PCF, par exemple, a jugé bon de se présenter en tant que tel. Pas question de se diluer dans un quelconque rassemblement, même le temps d'une présidentielle. Tenter de le contrôler, au contraire, selon les bons vieux principes staliniens en vigueur depuis toujours. Du coup le PCF peut se compter, en ce printemps 2007: moitié moins qu'une fraction trotskyste, Thorez doit s'en retourner dans sa tombe. Bien fait pour leur gueule.
Je ne m'étendrai pas sur le désastre des écolos, qui, au delà du "vote utile", payent des années d'inaudibilité. Quant à Besancenot, le gagnant parmi les perdants, lui reste à traduire son score relativement bon en résultats concrets pour ses électeurs. Dans un premier temps, la LCR pourrait organiser un meeting unitaire. Ah oui, tiens, ça serait bien, ça, un meeting unitaire. Et puis dans la foulée une déclaration "anti-libérale". Après on en discute dans des "collectifs de résistance citoyenne". Ouais ouais ça va le faire, Olivier, tiens bon.
Autre phénomène intéressant de ce premier tour: le siphonnage des voix FN par Sarkozy. Belle réussite pour le Neuilléen populaire. En 2002, il se faisait fort d'assécher le vote Frontiste: dont acte, bravo l'artiste. Oui mais voilà: tout le monde avait compris, à l'époque, qu'il allait s'efforcer de traiter certaines des causes concrètes de ce vote, en particulier la sécurité. Cinq ans dont quelques semaines d'émeutes à l'américaine plus tard, les statistiques d'"atteintes aux personnes" sont à la hausse, l'âge moyen des délinquants est à la baisse et les flics font du chiffre façon tonneau des Danaïdes - les prisons, surpeuplées, produisant des délinquants à tour de bras. Un échec total en matière de sécurité? "Qu'à cela ne tienne se dit le petit Nicolas, à défaut des résultats, me reste le verbe". D'où le "Ministère de l'immigration et de l'identité nationale", la réactivation du fantasme des "gènes du crime", les "la France, on l'aime ou on la quitte", etc... Et hop, ni vu ni connu je t'embrouille, par ici la bonne soupe. C'est marrant: toutes proportions gardées, ça rappelle le "je vous ai compris" de De Gaulle aux partisans de l'Algérie Francaise, en 58. Être des Cocus de l'Histoire, c'est une tradition, chez les gens d'extrême Droite. Reste que ces gages donnés aux électeurs Lepénistes risquent un peu de gêner la chasse aux "centristes".
Ah, le "centrisme". Finalement, c'est poser le cul entre deux chaises, mais c'est aussi gagner une élection entre deux tours. Bayrou est au centre. Sûrement pas à mi-chemin de la Gauche et de la Droite du point de vue des convictions, mais au centre... des appétits électoraux des deux finalistes.
Sur le fond, cependant, la "question centriste" est une question à tiroirs. Il y a d'abord la destinée personnelle de Francois Bayrou: il vient de prouver qu'il fallait compter avec lui, grand bien lui fasse. Il y a ensuite ses députés: tous élus avec des voix de droite, soutenant des gouvernements de droite depuis toujours, les voila bien emmerdés si d'aventure Francois Bayrou rompt bruyamment avec l'UMP. Les proches de Sarkozy ne se sont d'ailleurs pas privés de les menacer de mort électorale aux législatives en cas de "mauvais choix". Il y a enfin ses électeurs, pesant bien davantage que ce que représente "naturellement" la Démocratie Chrétienne en France. Derrière ce vote, à n'en pas douter, pour beaucoup, la détestation de Ségolène Royal et/ou de Nicolas Sarkozy. Toute la question est de savoir auquel des deux ces électeurs voudront le plus faire barrage.
En tout cas, à l'heure ou j'écris, il va falloir qu'ils se fassent une opinion tous seuls, leur candidat ayant choisi de ne pas choisir. Le contraire eût été surprenant: il y a d'une part ces fichus élus dont il faut ménager le destin, d'autre part son rêve de faire d'abord éclater le PS, puis l'UMP, et de rallier les morceaux autour de sa personne.
Ségolène Royal va donc devoir jouer serré, en faisant afficher par Bayrou des convergences sur des questions comme l'Europe politique contre l'Atlantisme, l'indépendance vis-à-vis du triptyque Lagardère-Bouygues-Dassault, l'anti-communautarisme, tout en ne faisant de concession sur rien, notamment le rôle de la puissance publique et le "donnant-donnant" vis-à-vis du MEDEF. Et si la victoire contre Sarkozy devait se payer au final de quelques ministres UDF (pardon: de ministres PD - "Parti Démocrate", c'est la nouvelle marque déposée de Bayrou), le jeu en aurait valu la chandelle. Quoiqu'il en soit, c'est pas gagné.
Mais bon: le PS francais est dans sa grande majorité arrivé à Bad Godesberg (ville ou le SPD allemand, en 1959, a renoncé au marxisme), ce n'est pas une raison pour pousser jusqu'à Canossa.
A bientôt

vendredi 20 avril 2007

Petite piquouze de rappel

A tous les gens de gauche (ou qui en ont marre-marre-marre de la Droite) qui, dimanche prochain:
  • Voteront Buffet parce que le Parti Communiste, quand même, quelle histoire glorieuse, toute d'humanisme et de sincérité
  • Voteront Besancenot parce qu'il cause jeune et que c'est vachement cool, la collectivisation des moyens de production
  • Voteront Laguiller par habitude ou par dérision
  • Voteront Voynet en espérant "peser" sur le PS au deuxième tour, aux législatives, ou plus tard, on verra
  • Voteront Schivardi parce qu'ils ne savent pas qui c'est
  • Voteront Bové parce qu'il pense que, justement, les élections çà ne sert à rien
  • S'abstiendront parce que c'est un beau week-end, et que merde, à la fin
  • ou, last but not least voteront Bayrou parce qu'il a l'air pas-fier-avec-l'ouvrier/pas-comme-cette-bécheuse-de-Ségolène (Parenthèse: consultez la mise à jour la plus récente du programme centriste sur: http://www.programme-bayrou.org/)

... à tous ceux-là, donc, je dénie formellement le droit de participer à une quelconque manifestation d'entre les deux tours en cas de finale Sarko-Le Pen ou Bayrou-Le Pen. Ainsi que de se plaindre de l'absence de choix en cas de finale Sarko-Bayrou. Faut être cohérent, dans la vie.

Vous allez me dire: "Lâche-nous, avec ton vote utile, nous on veut exprimer notre opinion, on veut lui dire, à Ségolène, qu'elle a beau insister, on n'arrive pas à la trouver de gauche". Et je vous répondrai: "Et alors, pomme à l'huile?".

Question style, c'est clair, plus BCBG / Neuilly-Auteuil-Passy voire Versailles que Ségolène Royal, faut chercher longtemps. Mais on ne peut pas, à la fois, lui reprocher qu'elle n'a pas d'"expérience" et constater avec dépit qu'elle a le style d'une énarque ayant été plusieurs fois au gouvernement et présentement présidente de région. Un homme de pouvoir, ça met de beaux costumes et, assez souvent, une cravate. Par ailleurs ça a plutôt tendance à vivre dans un chouette quartier que dans une HLM pourrie. Bref, un homme de pouvoir, c'est-à-dire en position d'influer sur le destin des autres, c'est un bourgeois, quelquefois un grand bourgeois, voire même un aristo: De Villers, De Robien, De Villepin, De Rohan. Et tout le monde trouve ça normal. Alors sacré nom de Dieu de bordel à cul de pompe à merde, pourquoi voudriez vous qu'une femme de pouvoir s'habille, se coiffe, parle et vive comme la plus exploitée des télé-opératrices?

Sur le fond: il est possible que je me fourre le doigt dans l'oeil, mais si ce qu'on espère a minima c'est qu'un coup d'arrêt soit donné - en France et peut-être en Europe demain - à l'adoration béate des lois du marché et de la dérégulation de l'économie à tour de bras (c'est tellement con et meurtrier que même le FMI a fini par s'en apercevoir, cf. "Le Monde" daté de demain), que parallèlement des systèmes de solidarité et de cohésion sociale soient maintenus et améliorés, qu'enfin on agisse en considérant les salariés comme davantage qu'une variable d'ajustement, alors on doit voter Ségolène Royal. Sans illusion excessive, mais en se disant que si le MEDEF et le "Financial Times" lui préfèrent Sarko, c'est qu'il doit bien y avoir une raison. Quant à Bayrou, une fois encore, demandons lui pourquoi il préfère les socialistes "ouverts" aux socialistes tout court et comment il pense que lui-même, ses députés et ses électeurs traditionnels se prononceront en cas de duel Sarko-Ségo (en fait, ça ne sert à rien de le lui demander, il ne répondra pas)

La toile de fond, c'est un Le Pen en embuscade qu'à mon avis les instituts de sondage sous-estiment sérieusement. (Notons au passage qu'ils sont aujourd'hui infoutus d'estimer quoique ce soit de profond dans l'opinion des électeurs, empêtrés qu'ils sont dans leurs méthodes antédiluviennes, leurs échantillons douteux et les coefficients de redressement qu'ils passent dans tous les sens sur leurs résultats bruts). Une autre "force tranquille" dont le socle électoral est solide et, j'en suis quasi-persuadé, en expansion. On vérifiera dimanche soir, si ça se trouve j'ai tort, mais bon.

Alors, à mes lecteurs de gauche, de deux choses l'une: soit Le Pen est fort, alors à vous de décider si, après vous être résignés à voter Chirac en 2002, vous allez devoir vous résigner à voter pour un de ses anciens ministres en 2007; soit il est aussi faible que les sondages le disent, alors demandez-vous ce que çà vous ferait d'avoir à choisir entre deux candidats de droite le 6 mai.

A mes lecteurs de droite: faites ce que vous voulez, je m'en fous.

Aux autres: relisez l'intégralité des messages de ce blog depuis son ouverture avant d'aller voter.

Voilà voilà.

Je ne sais pas quelle sera mon humeur après les résultats de dimanche. Mais vous ne vous en sortirez pas comme çà: je vous la ferai partager dès que possible.

A bientôt, donc.

vendredi 13 avril 2007

Michel Rocard: l'échec, sinon rien

Dans une campagne électorale comme celle que vit la France en ce moment, il ne se passe pas de jour sans qu'un "événement", c'est-à-dire une déclaration d'un tel ou d'une telle ne vienne fleurir les "desks" des rédactions. Nous avons à peu près tout eu, de la mutation d'un trotskyste ulta-sectaire en "candidat des maires" aux gènes de la pédophilie identifiés par le professeur Sarkozy, en passant par les considérations pesantes de l'histrion mercantile Séguéla ("la force tranquille, c'est Bayrou" - et ta soeur, elle cherche aussi de nouveaux clients pour son agence de pub?). Mais aujourd'hui, on a du gratiné, du croustillant: Michel Rocard, l'ex-punching-ball de Mitterrand, sort de son placard et se fend d'une tribune dans le "Monde" pour souhaiter une "alliance" entre Ségolène Royal et François Bayrou "avant le premier tour", afin de faire barrage à l'alliance de facto qu'il pressent entre Sarkozy et Le Pen. Ségolène Royal a rapidement fait savoir qu'elle avait autre chose à foutre qu'à se prononcer sur de tels propos (on la comprend), quant à Francois Bayrou il a exprimé sa satisfaction, déclarant que cela prouvait qu'une alliance était possible avec des gens de gauche "ouverts".
Alors là, sans aucun doute possible: "shit in the fan", ça chie dans le ventilo.
Première remarque: une "alliance", dans le système électoral français, ça s'appelle un désistement ou un appel à voter pour quelqu'un d'autre (par exemple: Chevènement-Taubira pour Royal, Borloo-Robien pour Sarkozy et le buraliste du coin pour Jean-Marie Le Pen). Michel Rocard considère donc comme envisageable qu'en l'occurrence Bayrou appelle à voter Royal, ou l'inverse. Alors de deux choses l'une: soit l'ancien Premier Ministre a un peu forcé sur l'afghan, soit il est devenu complètement gâteux. Imaginons une seconde la situation: Royal et Bayrou ont été convaincus par les arguments de Rocard, et décident de passer un accord en terrain neutre, mettons à Conflans-Sainte-Honorine: "Salut François, je voulais te dire que j'apprécie vraiment ton geste - Euh... attends, Ségolène, on a dû mal te renseigner, en fait c'est moi qui voulais te remercier de...". Comment font-ils pour ce sortir de ce malentendu? Ils font "pouf-pouf-ca-sera-toi-le-can-di-dat... " ou bien "une oie-deux oies-trois oies-...sept oies", à moins que ce ne soit à pile ou face (Ségolène: "Pile c'est moi, face c'est pas toi"), hein, dis, Michel, ils font comment?
Seconde remarque, plus sérieuse: ça fait des mois que François Bayrou essaie de faire avaler aux électeurs deux bobards pyramidaux. Le premier, c'est qu'il serait un homme neuf, "hors système". Le second, c'est qu'il représenterait un "juste milieu" entre Droite et Gauche, notions dépassées d'après lui. Passons sur la première carabistouille, qu'une lecture même sommaire du CV du monsieur suffit à dévoiler, et attardons-nous un peu sur la seconde.
Un truc qui me frappe, moi, c'est que François Bayrou, lorsqu'il envisage de rallier des gens de gauche, utilise systématiquement l'adjectif "ouverts". En revanche, aucun commentaire sur ses alliés à droite. Ils peuvent être soit fermés comme des huîtres, soit entrebâillés, visiblement ça n'a aucune importance. Bref, son bus (au colza) du "centre", c'est des gens de droite qui penchent ou ils veulent du moment que c'est à droite, plus des gens de gauche qui penchent à droite, autant dire un attelage mal barré pour envisager de dépasser un quelconque véhicule placé devant lui (ma métaphore ne marcherait pas au Royaume-Uni, c'est bien normal d'ailleurs).
Par ailleurs des gens de droite qui penchent à gauche, ça existe mais, comme disait Michel Audiard, "il y a également des poissons volants, mais ils ne constituent pas la majorité de l'espèce".
Tout çà pour dire que l'intention de vote Bayrou, lorsqu'on se dit de gauche, est une aberration. Que des électeurs votant habituellement PS fassent ce choix parce que Ségolène Royal les rebute, c'est très con, mais bon, passe encore. Mais qu'un membre éminent du PS soutienne implicitement ce choix à dix jours du premier tour - si "alliance" il peut y avoir, cela signifie que les deux candidats sont interchangeables - c'est à se taper la tête contre les murs.
Tout compte fait, je suis convaincu qu'en fait Michel Rocard n'a pas touché au hasch depuis au moins le PSU et que par ailleurs il a encore toute sa tête. La vérité, c'est que ce type brillantissime est complètement aigri.
Il ne se remet pas d'avoir eu raison trop tôt - ils n'étaient pas bien nombreux, les socialistes qui contestaient la promesse de la "rupture avec le capitalisme", dans les années 70 - ni que sa carrière ait été consciencieusement sabotée par Mitterrand et ses séides: il se voyait en héritier qui rénove la demeure, il finit sa carrière en symbole vivant des occasions manquées.
Dès lors lui reste la capacité de nuisance que lui confère encore son prestige. Le PS, à tort ou à raison, a évolué sans lui, et ça lui est insupportable: "Ils n'ont pas voulu de moi, qu'ils crèvent". Au fond, Rocard ne soutient pas davantage François Bayrou que Gérard Schivardi ou Frédéric Nihous (qui ça, t'as dit?) : il veut simplement que Ségolène Royal perde, sinon cela pourrait prouver qu'une Gauche moderne et efficace est possible sans lui.
Michel Rocard aurait mérité une fin de carrière plus glorieuse que de jouer l'auxiliaire d'un sous-Giscard. L'amertume est décidément mauvaise conseillère.
Allez, ciao.