lundi 5 octobre 2015

Défroqué Pride

Horreur et putréfaction! Abomination de la désolation! Un haut dignitaire religieux polonais vient de faire son « coming out » - il est homosexuel et vit avec un homme depuis des années. Ni une, ni deux, le Vatican entreprend d’éjecter la brebis galeuse vite fait bien fait de son troupeau. Satan l’habite, sors de ce corps, Elton John!

Certes, les histoires de curés à la soutane entre les dents sont aussi vieilles que l’instauration du célibat des prêtres, et les cas de défroqués sont légion, si on considère l’histoire de l’Eglise romaine depuis ses origines. Mais on ne peut s’empêcher de déceler de l’inédit dans cet événement.
Le personnage, tout d’abord. Mgr Krzysztof Olaf Charamsa fait partie depuis un moment de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, autrefois dénommée le Saint-Office, une entité qui descend en droite ligne de la « Sainte Inquisition ». L’homme nous avoue aujourd’hui que bon, il y était mal dans ses pompes, tant y fleurit l’homophobie… Sans blague? Un peu comme si un Juif allemand, en Mai 1945, avait publiquement déclaré:« Pfou, toutes ces années passées au parti national-socialiste, j’vous jure, c’était pas facile tous les jours, pas mécontent que ça s’arrête… ».

Le contexte, ensuite: l’histoire se passe en Pologne, contrée qui est au catholicisme ce que la Silicon Valley est à la technologie numérique. En Suisse, en France, aux Pays-Bas ou en Allemagne, pays depuis longtemps travaillés par le mécréance ou, pire, par le protestantisme, passe encore, mais en Pologne, tout de même…

Le moment, enfin: ce « coming out » survient juste avant l’ouverture d’un synode convoqué par le pape François sur les questions de la famille. On sait ledit pape partisan d’une évolution des positions de l’Eglise sur les questions « sociétales » - possibilité de  mariage religieux pour les divorcés, par exemple - hypothèse d’évolution que les fractions les plus conservatrices de l’Eglise romaine réfutent avec acharnement. Alors cette histoire survient comme une mouche chez un crémier, elle risque d’entamer la sérénité des débats, comme on dit. La question c’est: à qui profite le « crime »? Aux conservateurs, qui pourront dire: « Voyez, même l’Eglise polonaise part en sucette, tout fout le camp, il est temps de remettre de l’ordre »? Ou aux autres, qui pourraient arguer que cette affaire remet à tout le moins la question du célibat des prêtres sur le tapis - sinon celle de « l’amour contre nature »? C'est apparemment la seconde option qui a la préférence de l'intéressé: «Je souhaite que le synode affronte la question des fidèles gays et de leurs familles. Si j’ai décidé de parler maintenant, c’est parce que je craignais que ce ne soit pas le cas. La question avait disparu de toutes les déclarations officielles.» Dont acte.



De l’inédit, donc. Cela étant, cet événement nous renvoie également à deux considérations qui n’ont rien de nouveau:
  • La première, c’est une confirmation de l’historique et universelle imbrication du fait religieux et du mensonge. Krzysztof Olaf Charamsa  dans son « coming out », se pose en victime: il a souffert, toutes ces longues années, de ne pouvoir affirmer à la face du monde la vérité de sa vie. Soit. Mais bon, pourquoi n’a t-il pas démissionné de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, lieu entre tous de l’intolérance obtuse au sein de l’Eglise catholique? Pour la gamelle? Parce que le « job » était prestigieux? Il y a entendu nombre de propos homophobes, déclare-t’il. Mais qui nous dit qu’il n’en a pas lui-même tenu, histoire de donner le change? Au mieux, Krzysztof Olaf Charamsa est une version catholique-romaine du dédoublement de personnalité - Docteur « J’encule » et Mister « Aïe » - au pire, ce monsieur est un hypocrite de dimension pyramidale
  • La seconde, c’est ce que cette histoire nous dit de la façon dont les autorités catholiques distinguent ce qui est moralement intolérable de ce qui l’est moins. Durant très longtemps, des évêques de par le monde ont systématiquement couvert les prêtres pédophiles - avec l’assentiment implicite du Vatican, jusqu’à très récemment. Combien de temps s’est-il passé avant que les salopards qui ont bousillé des gosses pour le restant de leur vie ne soient officiellement et publiquement réprouvés par l’Eglise? Des décennies! Ici, en moins de vingt-quatre heures, le compte de Krzysztof Olaf Charamsa est réglé. D’un côté une violence exercée sur des enfants, de l’autre une relation consentie entre adultes. Au final, pour les autorités de l’Eglise catholique, il aura été à l’évidence plus urgent de traiter la seconde que la première


Ce « coming out » serait somme toute un événement assez baroque s’il ne nous rappelait, au passage, l’absolue nécessité de tenir à bonne distance les tenants de la religion, de toutes les religions, lorsqu’ils entendent réguler moralement des sociétés entières. Quant à l’Eglise catholique elle devrait, en toute honnêteté, à son mantra « Jésus est Amour » ajouter « Encore que, faut voir ».

See you, guys

jeudi 17 septembre 2015

Dommage collatéral

Il y a un peu plus de quarante ans (1973), le romancier Jean Raspail publiait un best-seller, Le Camp des Saints, vision apocalyptique d'un Occident submergé par le déferlement non-violent d'une masse humaine à la peau plus ou moins sombre. Ce roman a connu un "revival" il y a quatre ans -  phénomène dûment signalé sur ce blog (repris sur Rue89). Résumé : l'auteur imaginait l'embarquement, sur des rafiots pourris, de centaines de milliers puis de millions d'Africains, d'Indiens, d'Arabes avec pour destination les côtes européennes - singulièrement celles de la Côte d'Azur française. Dans la foulée, aux Etats-Unis, les Noirs sortaient de leurs ghettos et s'installaient en masse dans les quartiers de Blancs. S'ensuivait une désagrégation rapide des nations occidentales, tétanisées par leur compassion et leur mauvaise conscience (post-coloniale, anti-raciste) - compassion et mauvaise conscience alimentées par une noria d'intellectuels de gauche contrôlant les médias - et incapables de prendre la moindre mesure pour endiguer ce flot humain. Seuls quelques vieux briscards (les "saints"), retranchés dans un mas provençal (le "camp"), se lançaient dans un "baroud d'honneur" en dégommant à coup de fusil de chasse les intrus - avant d'être neutralisés par la masse des "non-blancs".
Personne ne serait étonné d'apprendre que, compte tenu de l'actualité, ce roman ne connaisse une nouvelle vague d'engouement. Et, à vrai dire, le propos de ce livre, dont on ne doute pas qu'il soit considéré par certains comme prémonitoire (Marine Le Pen invite aujourd'hui les Français à le "lire ou relire") est un concentré du fantasme du "grand remplacement", une version chimiquement pure de la vision d'une Europe blanche et chrétienne menacée démographiquement et culturellement par les masses du tiers-monde. Depuis 1973 s'est, de surcroît, greffée la peur d'un Islam vécu comme "conquérant". 

Sauf que: prémonitoire, mon cul.

En effet, en admettant que l'afflux actuel vers l'Europe de migrants venus d'Afrique, d'une part, du Moyen-Orient en feu, d'autre part, ressemble à un commencement du scénario imaginé par Jean Raspail, ce n'est pas à un amollissement généralisé que l'on assiste mais, au contraire, à un durcissement tous azimuths, une crispation "identitaire" que signale la montée de partis ou mouvements nationalistes en Europe, du Front National en France à Jobbik en Hongrie en passant par PEGIDA en Allemagne, le Vlaamse Belang en Belgique, Aube Dorée en Grèce, etc. Sans oublier, de l'autre côté de l'Atlantique, le succès d'un Donald Trump qui prétend renvoyer au sud du Rio Grande quelques 11 millions d'immigrants mexicains. Bref, les "saints" sont maintenant suffisamment nombreux pour que leurs "camps" respectifs s'agrègent en un archipel du goulag tentaculaire, à l'échelle de l'occident tout entier.
Et pour le coup, si amollissement il y a du côté des dirigeants et des élites, c'est face à cette crispation généralisée, non face à "l'invasion" des immigrants. A tel point qu'on voit un Michel Onfray, historiquement de gauche, reprendre à son compte l'argument des "peuples" trahis par les "élites", et singulièrement sur la question de l'immigration. Cet "air du temps" est vivement combattu par un certain nombre d'intellectuels "restés de gauche" - voir l'intéressante réponse à Michel Onfray par Laurent Joffrin dans "Libération".

Les dirigeants et, au delà, les "sachants" européens sont bien, quoi qu'il en soit, sous l'effet d'une  sidération, incapables d'inventer et, surtout, de mettre en valeur, un moyen-terme entre l'irréaliste fermeture absolue des frontières et le naïf et irresponsable laisser-faire. Un moyen-terme -  "a nice average", comme disent les Américains - qui ne saurait s'inventer que collectivement, à l'échelle européenne (ne serait-ce que pour des raisons pratiques): or l'Europe est précisément en panne de pensée collective, ou plus exactement de pensée politique.

Lorsque les uns ou les autres (dont votre serviteur) s'émeuvent des déferlements de haine et de bêtise - incendies de mosquées, cimetières profanés, propos de bistrot tenus par des élus ou des stars médiatiques, etc... - qui accompagnent la montée des "fronts nationaux" en tout genre et de toute origine, il convient, une fois l'émotion passée, de se demander ce qui, fondamentalement, sous-tend cette montée incontestable de l'intolérance et du racisme ou, plus exactement, de l'effondrement des digues qui naguère continrent cette intolérance et ce racisme.

Sans chercher trop loin ni trop longtemps: depuis le début des années 90 s'est amorcée une construction européenne exclusivement consacrée à la mise en place d'un marché, d'une Europe où le libre-échange constitue l'alpha et l'oméga du bonheur des peuples et organisant, de facto, la concurrence sociale et fiscale de tous contre tous. Dans ce "meilleur des mondes", bien évidemment les nations et leurs oripeaux s'effacent (personnellement je ne saurais m'en plaindre) mais, surtout, le politique est une incongruité face aux "nécessités" économiques et financières (équilibre budgétaire, minimalisation de la fiscalité directe, "liberté" des entreprises) - qu'on se souvienne par exemple de l'effroi suscité par les velléités d'Alexis Tsipras de s'en remettre à un référendum sur la question du règlement de la dette grecque.

Or c'est bien cette négation du politique, dans sa dimension économique et sociale, qui pose problème: lorsqu'il est signifié aux citoyens Slovaques, Français, Hongrois, Grecs, etc. que désormais il n'y a plus de débat qui tienne quant à, par exemple, la nature re-distriburice de l'impôt (elle doit tendre vers zéro, voilà ce qui est "nécessaire"), et que lesdits citoyens sentent confusément que, quand même, il y aurait lieu de débattre de ce genre de questions, ça coince. Surtout lorsqu'on se trouve à subir personnellement les effets du dumping social. Du coup, le bel idéal européen (la paix et la coopération entre des peuples qui se sont étripés pendant des siècles) en prend un sérieux coup dans la gueule. Et le politique qui, comme la nature, a horreur du vide, revient en force. Mais sous une forme expurgée, simplifiée, caricaturale, qui voit le débat s'organiser autour de questions purement sociétales (le mariage homosexuel, par exemple) ou, surtout, pour revenir à nos moutons, autour de questions "identitaires". Puisqu'on n'a plus le droit de parler d'économie, parlons de nos croyances, voire de nos couleurs de peau. Et, du coup, de la question de l'afflux de migrants. Mais parlons-en entre nous, dans nos petites nations, avec notre "héritage", notre "identité". Et si on parle d'économie, n'envisageons que de renverser la table (sortie de l'Euro).
Le contrôle des flux migratoires par les citoyens eux-mêmes

Tant que les dirigeants européens bloqueront, avec l'assentiment et sous la pression des milieux économiques et financiers, les débats autour de la répartition des richesses, des avantages et des inconvénients du libre-échange, de la dépense publique, ils se condamneront à subir les pulsions national-identitaires de leurs pays respectifs. Et à rester dans l'impuissance face à, par exemple, la question des migrants. Ou, en d'autres termes, dans l'incapacité de faire de la politique européenne

Mais si ça se trouve, le pire, c'est qu'il est bien possible que ça les arrange: la pensée façon Raspail ne serait, au fond, qu'un dommage collatéral qu'il est plus confortable de vilipender moralement que de traiter sur le fond. Tant pis pour nous.

See you, guys.

lundi 29 juin 2015

Frouze-bashing in Romandie

P.L.G.P.P.P.U.R.: plein la gueule, pour pas un rond.


On sait la difficulté qu'a la France à se vendre, nonobstant ses cosmétiques, la tour Eiffel, le Mont-Saint-Michel et le Gevrey-Chambertin. La compétitivité, on appelle ça. N'eût été l'adoption par le Ministère français des Affaires Etrangères d'une ligne "dure" ou à tout le moins pinailleuse à l'égard de l'Iran, n'eût été le voile pudique jeté par la "patrie des Droits de l'Homme" sur ce blogueur condamné au fouet et ces dizaines de décapités en quelques mois, n'eût été l'aveuglement volontaire d'un pays en guerre contre les terroristes jihadistes vis-à-vis de leurs principales sources d'inspiration sinon de moyens financiers, n'eût été tout cela, donc, Serge Dassault aurait toujours pu se l'arrondir pour vendre ses "Rafale" aux Saoudiens et faire en sorte que les Qataris en financent l'achat par l'Egypte.

La France a souvent du mal à se vendre par contre les Français, eux, apparemment font vendre, en tout cas par ici. Qu'on en juge par la dernière "une" du magazine "L'Hebdo", un des principaux titres d'actualité en Suisse Romande:

P.L.G.P.P.U.R., de fait, pour votre serviteur et nombre de ses amis. Pour ce qui me concerne, j'en ai déjà parlé ici, je me sens Français a minima: dès lors, limite "même pas mal" en découvrant cette couverture. N'empêche que jusqu'à ma naturalisation, je détiens exclusivement un passeport français, et il n'y est pas spécifié que mon niveau de patriotisme hexagonal est absolument nul. On est, parfois, ce que les autres voient en vous, du coup mis dans le même panier que des gens comme Michel Sardou, Patrick Sébastien ou Jean-François Copé. Donc, quelque part, cette "une" tapageuse m'interpelle, comme on dit. Elle me rappelle, au cas où je l'aurais oublié, que je ne suis pas d'ici, nonobstant les treize années passées sur ce territoire, les impôts versés à plein tarif et... mon abonnement à "L'Hebdo". "Au secours! Mon abonné / Mon contribuable est français (jamais de majuscule quand c'est un adjectif, les gars)".

Passé la "une", que découvre-t'on dans ce "guide de survie à l'usage des Suisses"?
  • Pour l'essentiel des anecdotes glanées auprès de citoyens helvétiques se plaignant des "frouzes", comme on dit par ici, principalement dans l'environnement professionnel: les managers Français sont obsédés par la hiérarchie, se co-optent entre diplômés de la même école, parlent trop pour dire trop peu, sont trop théoriques et pas assez pragmatiques, fonctionnent exclusivement à l'autorité avec leurs subordonnés suisses. Jusque là, il y a du vrai. Encore que ça coince à deux niveaux: d'une part ces témoignages (sous couvert de l'anonymat, cela va de soi) présentés comme une "enquête" ont la même valeur informative que les fameux "micro-trottoirs" dont usent et abusent les médias audio-visuels, c'est-à-dire nulle. D'autre part on n'y évoque pas les cas inverses, plus que fréquents, où lesdits Français ont pour supérieur hiérarchique un Suisse. Pas d'"enquête" de ce côté, par manque de place, peut-être? Là où ça devient complètement con, c'est lorsque les "témoins" nous assènent que les Français perdent leur temps en réunions et qu'ils attachent davantage de valeur au comportement (la gueule, la forme) qu'aux compétences professionnelles (les tripes, le fond). Alors là je ris: moi qui fréquente une multinationale depuis de nombreuses années, peuplée de Grecs, de Russes, de Turcs, d'Allemands, de Suisses, d'Américains et j'en passe, et même de Français, je peux affirmer sans autre (c'est du Suisse Romand) que ces deux travers sont tout simplement universels, tant il est vrai que la bêtise managériale à la "Dilbert" n'a pas de frontières
  • En sus, quelques réflexions moins lapidaires, soulignant la relation ambigüe qu'entretiennent les Suisses Romands avec leurs voisins. Pour les Romands, minoritaires dans leur pays (20% de la population environ), la France fonctionne parfois inconsciemment comme un Hinterland linguistique les renforçant face aux Alémaniques qui, eux, se tamponnent généralement de l'Allemagne comme de leur premier Rösti. Et puis, surprise surprise, un élément scientifique, le seul dans ce dossier: une docteure en sciences sociales de l'Université de Lausanne a démontré, dans sa thèse (fondée sur une enquête auprès de plus de 1 600 employés), que "les employés français et allemands, perçus comme ultra-compétitifs, subissent plus d'incivilité de la part de leurs collègues suisses que les personnes d'Europe du Sud ou de l'Est". Tiens, tiens. Le tout se conclut par des bouts d'entretiens avec quelques Français exerçant des responsabilités dans la région comme Jean-Yves Marin, Directeur du musée d'art et d'histoire de Genève, tempérant plus ou moins les remarques de l'"enquête" centrale du dossier
Au final, donc, sur le fond, un contenu dans l'ensemble plus modéré que la "une" du magazine ne le laisserait supposer. Deux remarques, cela étant:
  1. "L'Hebdo", titre plutôt progressiste, ne se serait pas permis de titrer "Au secours! Mon voisin (...) est un migrant (portugais ou espagnol, français ou allemand, équatorien ou albanais, maghrébin ou africain)". L'aurait-il fait qu'il se serait pris une volée de bois vert et sans doute une vague de procès, direct. Taper sur les Français, en revanche, ça joue (encore du Romand). Pourquoi? Sans doute parce que, sans trop le dire, on pense que les Français sont représentants d'une "grande puissance" (tout est relatif) qui peuvent encaisser, au même titre que les Etats-Uniens se fichent (a priori) d'être traînés en "une" dans la boue par un média Costaricain. C'est bien pour cela qu'on n'y cite que des exemples de Français supérieurs hiérarchiques, tout bien réfléchi
  2. "L'Hebdo" le dit lui-même dans son dossier: "la francophobie (...) glisserait parfois vers le racisme pur et simple". C'est peut-être vrai, moi j'en doute, en tout cas c'est bien sur une telle "francophobie" qu'ont parié le concepteur de la couverture et les directeurs du journal, non? Alors c'est bien joli de jouer les vierges effarouchées en pages intérieures tout en pondant une "une" digne d'un supporter de football. Ah, pardon... C'est du second degré, de l'humour, c'est ça? Seulement personne n'est officiellement informé que les "unes" de l"L'Hebdo" sont systématiquement à prendre au second degré (pas plus que celles du "Point", de "L'Express" ou de "L'Obs" chez les "frouzes"), n'est pas "Charlie-Hebdo" qui veut. Moi je dis: bande de faux-culs
La France se vend souvent mal mais les Français, en Suisse, font vendre. Et puis quoi?

Au besoin, ce genre d'événement peut rappeler aux Français qui l'oublieraient qu'ils ne sont pas nécessairement les "gentils" universellement appréciés qu'ils pensent parfois être. Blague belge: "Vous connaissez la différence entre les Français et les Allemands? Et bien les Allemands, on ne les aime pas non plus, mais ils le savent". P.L.G.P.P.U.R., mais des fois ça fait pas de mal. Ca remet l'église au milieu du village, pour finir sur une touche définitivement romande.

A bientôt, et tout de bon!

mercredi 24 juin 2015

Le Vieux Kroumir et le Poisson Rouge

Se compter. Façon baroud d'honneur, Le Pen père appelait hier les adhérents du FN à boycotter la consultation prévue par sa fille, dont l'objectif central est de faire valider par les frontistes de base l'escamotage en cours d'un paternel devenu encombrant, en l'espèce la suppression du titre de "Président d'Honneur" dévolu audit paternel. Avec un peu de chance, se dit-il, la participation des adhérents à cette consultation n'atteindra pas des scores soviétiques, il pourra donc clamer que les non-participants ont répondu à son appel et donc, le soutiennent.
C'est malin, somme toute, on se demande pourquoi, par exemple, plutôt que de se fatiguer à présenter des candidats à des élections - auxquelles ils ne croient pas - pour obtenir des résultats ridicules, les trotskistes de Lutte Ouvrière n'appellent pas bruyamment au boycott des élections "bourgeoises": ils pourraient revendiquer les scores obtenus par l'abstention, qui par ailleurs ne cessent de croître. Passons.
A l'origine de cette "chronique d'un parricide annoncé" il y a, on le sait, les propos tenus il y a quelques temps par Jean-Marie Le Pen lors d'une interview à l'hebdomadaire "Rivarol": il y persistait et signait sur son fameux "détail", réitérait sa sympathie à l'égard de la France de Vichy, rêvait à voix haute d'une Europe "boréale" (comprenez: blanche) grâce à l'alliance avec la Russie de Poutine, entre autres. Propos considérés comme inacceptables par sa fille, tout à son entreprise de nettoyage de la façade du parti.
Mais dans cette affaire, le plus saillant n'est pas ce conflit familial et les analyses freudiennes de bistrot qu'on élabore volontiers ici et là à propos de cet affrontement: le plus marquant, c'est ce qu'il nous dit de la mémoire en politique et de la façon de l'aborder.

Jean-Marie Le Pen est une synthèse historique à lui tout seul. Il a accompli l'exploit, depuis 1972, d'agréger autour de sa personne la quasi-totalité des chapelles et groupuscules de l'extrême-droite française: nostalgiques de Vichy, voire de l'"Europe nouvelle" façon swastika, rescapés revanchards des batailles perdues de la décolonisation, catholiques intégristes à poil ras, croisés de l'Occident genre John Wayne dans "Les bérets verts", ex-poujadistes... Bref, un rassemblement de cocus de l'Histoire, si on considère le niveau de frustration et de colère que les uns et les autres ont, à des titres divers, dû ressentir entre 1945 et aujourd'hui devant l'évolution du monde en général et de la France en particulier. En tant que tel, il représente et revendique toutes ces strates historiques - y compris un tropisme antisémite.
Sa fille Marine, au contraire, se situe résolument dans un éternel présent et se contrefout - sincèrement, n'en doutons pas - du fait que De Gaulle ait laissé fusiller Brasillach en 1945 et parlé de l'auto-détermination des Algériens en 1961, pour ne prendre l'exemple que de ces deux marqueurs symboliques. Qu'est-ce donc que la fameuse entreprise de "dé-diabolisation" du FN sinon l'effacement de toute historicité, de toute mémoire du parti qu'elle dirige? De fait, en contraste flagrant avec le Front National de papa - vieux kroumir pétri d'Histoire - celui de sa fille a une mémoire de poisson rouge et il voudrait nous faire croire qu'il ne vient historiquement de nulle part.

Par ailleurs, tout porte à croire - notamment son pseudo "voyage officiel" en Israël lors de la campagne présidentielle de 2012- qu'elle cherche à se rapprocher de la fraction la plus extrémiste des Juifs de France, sur le thème: nous non plus, on n'aime pas les Arabes (pardon: l'"islamisme"). A ce sujet il n'est pas anodin que dans son appel au boycott, Le Pen père ait hier relevé le fait que Roger Cukierman, président du CRIF, ait dit de sa fille qu'elle était "irréprochable" et que Florian Philippot (qualifié de "socialo-gaulliste") ait choisi Maître Goldnadel comme avocat. Entre les lignes on peut s'autoriser à lire: "ma fille est enjuivée, c'est pour ça que les grands principes de notre parti partent à vau-l'eau".

La gué-guerre en cours au sein du Front National peut bien être qualifiée de conflit de générations, mais c'est de générations politiques qu'il faut parler. Dans son effort de ripolinage, Marine Le Pen est résolument de son époque: on y "tweete" ses réflexions de l'instant et/ou on raconte son caca du matin sur Facebook, en faisant semblant de croire que ces moments partagés annulent et remplacent tous les précédents, en attendant d'être supplantés par les suivants. Le "présentisme", on appelle ça. Ce syndrôme, toutes proportions gardées, on le retrouve également chez le couple Hollande-Valls (fi du passé "socialiste", fût-il récent comme les promesses de campagne de 2012, vive l'éternel présent de la gestion de la "trajectoire budgétaire") ou chez un Sarkozy ("J'ai changé, vous allez voir"). Présentisme bien évidemment en phase avec le rythme virevoltant des médias, à l'heure d'Internet et de l'information en continu.

Alors au sommet du FN, on aimerait bien se débarrasser du vieux: non pour des questions de préséance ou de pouvoir, mais tout simplement parce que dans la stratégie de conquête de Marine Le Pen, l'amnésie est perçue comme un atout. Or Jean-Marie Le Pen persiste, au contraire, à dire d'où il vient. Notamment, entre autres, d'un univers politique où la judéité est, en soi, suspecte.

Cela étant, il n'est pas dit que le vieux kroumir ait forcément tout faux face au poisson rouge, il n'est pas dit qu'en politique l'Histoire ait à laisser la place à une éternelle contemporanéité. Marine Le Pen peut bien se raconter que sa formation est rénovée du sol au plafond et se réjouir du fait que le  porte-parole du lobby pro-israélien (plutôt que de la communauté juive, soyons précis) la juge "irréprochable", il n'en demeure pas moins que les cadres et les militants de son parti et, dans une large part, ses électeurs, eux, ne viennent pas de nulle part et, surtout, que leurs attitudes et leurs discours font écho, volens nolens, à des mouvements d'idées du passé, même s'il n'en sont pas la copie conforme. Faire semblant de l'oublier c'est non seulement prendre les gens pour des cons, mais aussi se condamner à terme en tant que porteur d'un discours politique: Hollande se les bouffera un jour d'avoir cajolé les lobbies grand-patronaux alors qu'il vient de la gauche, Sarkozy ne se remettra sans doute pas d'avoir (entre autres) couvert les combines Bygmalionesques alors qu'il est issu d'une droite qui a, historiquement, prôné l'ordre et le mérite. "Du passé, faisons table rase", c'est une chimère.

Jean-Marie Le Pen peut bien, avec l'âge, ressembler de plus en plus à sa propre caricature. Il n'empêche qu'il est porteur d'une "vérité historique" que sa fille, un jour ou l'autre, finira bien par se prendre dans la gueule. Car fort heureusement, la maladie d'Alzheimer n'est pas une pandémie. Enfin, j'espère.

Ciao, belli.

jeudi 26 mars 2015

"Eh Manu, rentre chez toi...

... Elle nous barbe, ta fausse peur. Le FN va grimper, pis tu gonfles l'électeur".

Merci à Renaud de nous avoir pondu, un jour de 1981, une jolie chanson qui s'appelait "Manu". Un prénom d'actualité, et du, coup, en cet entre-deux tours d'élections départementales, une occasion de détournement que je ne saurais manquer.

C'est qu'il s'est beaucoup démené, le premier ministre de la France, pour cette campagne électorale. Il est allé, par monts et par vaux, expliquer à qui voulait l'entendre que le péril suprême en ce début de printemps, c'est la montée du Front National. Et que la seule façon de contrer ce qui constitue une menace contre la République/les valeurs républicaines/la démocratie (au choix, ou tout cela ensemble) c'est de voter pour les candidats du PS, ceux de la droite dite "parlementaire" (signe distinctif qui durera ce qu'il durera) étant compromis par les ambiguïtés idéologiques de ses leaders, tandis que les autres candidats de gauche n'amenaient que de la division. Le coup du vote utile, certes, rien de nouveau mais là, attention: la République est en danger, ça rigole plus. C'est que les sondages annonçaient un FN à 30%, devant les candidats de la droite classique, fouyouyou.

Bon, finalement, au vu des résultats du premier tour, le Front National n'est pas "le premier parti de France" (pour peu qu'on ne sépare pas les résultats de l'UMP de ceux des "centristes" qui leur sont alliés). Et le premier ministre de s'en réjouir plus ou moins ouvertement, en dépit de la formidable raclée que subissent, au final, les candidats du PS. Tout juste s'il ne nous gratifie pas d'un "tant que je serai là, no pasaran".

Mais bon, 25%, le FN, quand même. Le tout sur fond d'un niveau de participation plus qu'honorable pour un tel scrutin. Une chiée de "cantonniers" bleu-blanc-rouge en perspective, voire la prise de contrôle d'un ou deux départements (l'Aisne et/ou les Bouches-du-Rhône), si l'on en croit les analyses des experts électoraux. "Pasaremos", répond une Marine Le Pen plus triomphante que jamais. Et tous les médias, en choeur, de nous expliquer que la France s'installe désormais dans le "tripartisme". 

"Eh, ferme-la, Manu, il est là, le FN. Une élection d'perdue, c'est la poisse que t'amènes".

Alors en cette énième manifestation de la montée du parti des Le Pen, il me semble bon de rappeler un certain nombre de vérités:
  • La plus triviale, pour commencer: un sondage n'est pas une prédiction. Et quand bien même... Si l'interrogation d'échantillons nationaux pouvait en quoi que ce soit anticiper le résultat combiné d'une centaine de scrutins locaux, ça se saurait. Dès lors se réjouir que le FN ne fasse "que" 25% au lieu des 30% "prévus" c'est sans doute se raconter des histoires, en tous les cas c'est surtout faire preuve d'une imbécillité consternante
  • Le "tripartisme" s'est installé dès lors que le "bipartisme" s'est avéré, à tort ou à raison, figurer l'affrontement artificiel du "pareil au même" - revival du "bonnet blanc, blanc bonnet" de feu Jacques Duclos - pour un grand nombre d'électeurs. Le "Tiers-Etat" de masses plus ou moins abstentionnistes, plus ou moins volatiles, s'est cristallisé en "Tiers-Parti" dès lors qu'une offre politique aux allures d'alternative a émergé d'un ripolinage (même ténu) des vieilles lunes national-populo-xénophobes. Le "tripartisme" n'est pas un phénomène en soi - c'est la forme que prend en France, comme en Hongrie ou en Grèce, une crise politique profonde des démocraties occidentales - ni une nouveauté - ce qui est nouveau, c'est que ça se voit
  • Si le FN progresse, ce n'est pas parce qu'il se pose en alternative des "grands" partis de droite et de gauche. Cette dimension est secondaire, d'une part parce qu'il aspire explicitement à grandir, d'autre part parce que pour ce qui est des alternatives, le choix ne manque pas - extrême-gauche, écologistes, souverainistes, voire abstention. S'il progresse, c'est qu'un nombre croissant d'électeurs se retrouvent dans les idées qu'il défend. Et au coeur de ces idées, il y a la légitimation du rejet de la coexistence, déjà vécue dans les faits ou anticipée, avec les populations d'origine immigrée, immigration récente ou ancienne. Si le Front National n'avait pas, au coeur de son ADN politique, la fameuse "préférence nationale", il n'intéresserait personne. Le vote FN est un vote d'adhésion, pas une "protestation" ou "l'expression d'une colère". Ce vote progresse car la méfiance, la peur et le mépris vis-à-vis des Noirs et des Arabes (pour faire court), qui ne datent pas d'hier, ont trouvé, aujourd'hui plus qu'hier, à s'exprimer sur le plan électoral, et non plus seulement aux comptoirs des bistrots
  • Si ces (vieilles) idées se mesurent désormais en termes électoraux, c'est que l'offre électorale "normale" en est précisément dépourvue, d'idées (vieilles ou neuves), et pour cause: cinq ans de vaine agitation Sarkozyenne et trois ans de non moins vains compromis Hollandiens laissent les "grands" partis , littéralement, sans voix. C'est singulièrement vrai des représentants du Parti Socialiste: le président et le gouvernement issus de ses rangs ont troqué la volonté politique contre une gestion plus ou moins habile des desiderata de tout ce que cette république crépusculaire compte de lobbies influents: hauts fonctionnaires de Bercy, banquiers (interchangeables, au demeurant), agriculteurs productivistes, syndicats patronaux, transporteurs routiers, marchands de canons ou de médicaments, EDF... tout en adhérant sans réserve à la doxa néo-libérale qui règne actuellement au sein des institutions de l'"Union" Européenne. Et tout ça pour quoi, face aux désastres humains du chômage et du sous-emploi de masse? Pour rien
Aussi, lorsque Manuel Valls s'agite aux tribunes des meetings du PS, brandit l'étendard des "valeurs républicaines" et fustige Marine Le Pen, non seulement il ne dit pas autre chose que Nicolas Sarkozy - "c'est moi ou le Front National" - mais en plus il fait montre d'un culot pyramidal, le genre de culot qu'on ne retrouve guère que chez les pompiers pyromanes.

Le second tour de ces élections départementales confirmera la vacuité de cette agitation - le PS peut s'attendre à une belle défaite, en attendant une rouste tout aussi spectaculaire aux régionales et le FN continuera de marquer des points. Mais on reviendra bien vite exalter la "compétitivité des entreprises" et les "réformes nécessaires", sujets bien plus importants que ce qui peut bien se passer dans l'agora politique.

"Eh déconne pas, Manu, lâche un peu le FN, une élection d'perdue, c'est dix patrons qui r'viennent".

Hasta la vista, compadres

mardi 3 février 2015

"Riwal", y a maldonne

Connaissez-vous Frédéric Chatillon? Jusqu'il y a peu, moi non plus.

Agé de 46 ans, ancien dirigeant  du Groupe Union Défense (G.U.D., syndicat étudiant fascistoïde, notoirement plus porté sur le maniement des nunchakus que sur l'organisation de débats en amphi), ce monsieur a été mis en examen le 23 Janvier pour "escroquerie", "faux et usage de faux", "blanchiment", "abus de biens sociaux" et "blanchiment d'abus de biens sociaux". Bref, si je ne m'abuse, la totale ou presque en matière de délinquance financière.
Que lui reproche t'on au juste? D'avoir, au travers de l'agence de communication qu'il dirige, sur-facturé des prestations en vue de campagnes électorales, prestations que ses clients auraient payé grâce à des prêts à taux usuriers octroyés par un micro-parti soutenant une personnalité politique majeure. Bref, d'être au centre d'une carambouille, d'une "Pompe à Phynances" Ubuesque. Même si ce n'est qu'un détail de l'Histoire post-seconde guerre mondiale: la personnalité politique en question, c'est Marine Le Pen, amie dudit Frédéric Chatillon qu'elle a connu sur les bancs de la Faculté de Droit Paris 2 Assas, bastion du G.U.D., justement.

Alors évidemment, ça ricane sévère chez les bien-pensants-politiquement-corrects-au-coeur-du-système-politico-médiatique: "Ouais ouais, on fait moins sa maline, maintenant, tête-haute-mains-propres, mon cul, oui".
Moi je dis, c'est pas juste. D'abord parce que mise en examen ne signifie pas culpabilité, il y a la présomption d'innocence, des tas de gens respectables comme Jérôme Cahuzac, Nicolas Sarkozy, Eric Woerth, Patrick Balkany, Jean Tibéri ou Dominique Strauss-Kahn nous l'ont expliqué et nous l'expliquent chaque jour que les dieux font, fût-ce via leurs avocats respectifs. Ensuite parce que quand bien même ces actes répréhensibles seraient avérés, ils ne seraient rien d'autre qu'une preuve, cette fois incontestable, que le Front National est un parti comme les autres. En d'autres termes, c'est çui qui dit qui y est.
Par ailleurs, pas de quoi fouetter un chat. Les victimes de cette manip' sont des gens qui se sont présentés comme candidats au nom du Front National, alors de deux choses l'une: soit ils croyaient dur comme fer à l'exceptionnelle intégrité de leur petite boutique dans un monde de "tous pourris", alors ça leur ouvrira un peu les yeux, à défaut de l'esprit; soit ils n'y croyaient pas, donc ils se foutaient de la gueule du monde, alors c'est bien fait pour leur tronche. Bref, a priori je m'en tamponne allègrement, de cette histoire.

Sauf que. Sauf qu'il se trouve que la société dirigée par monsieur Chatillon, présumée aspirateur à pognon façon Bygmalion, porte un nom qui est en fait un prénom: le mien. Alors depuis quelques temps tombent sous mes yeux atterrés des trucs comme ce qu'on peut lire dans un article du "Monde" daté du 29 Janvier: "C'est Riwal qui conçoit, fait imprimer le matériel électoral frontiste (affiches, tracts) et fabrique les (...) kits obligatoires destinés aux candidats du parti d'extrême-droite". Mais non, c'est pas moi, putain! Ou bien, dans "Libération" le 25 Décembre: "En 2012 déjà, Riwal avait fait l'objet d'une enquête demeurée sans suite après un signalement Tracfin, la cellule anti-blanchiment de Bercy". Non mais oh, ça va, oui? Au premier abord ça énerve, forcément.

Au deuxième aussi, d'ailleurs. Non, mais qu'est-ce qui lui a pris, à cet ancien tabasseur de "bolchos", de choisir mon prénom pour désigner son petit business de "communication" de mes deux?
Si ça se trouve, c'est une idée lumineuse de sa copine de fac: pensez donc, avec son patronyme breton, elle lui aurait bien suggéré de choisir une dénomination à consonance celtique. A moins que ça ne vienne du patriarche, Jean-Marie himself, allez savoir. D'ailleurs le nom du micro-parti sus-mentionné, c'est "Jeanne", comme l'autre, celle dont il nous rebat les oreilles depuis tant d'années chaque 1er Mai. Il y a, je n'en doute pas un seul instant, une foultitude de respectables Jeanne que cette homonymie avec le micro-parti du clan de Montretout doit furieusement agacer. Mais au moins peuvent-elles se consoler en se disant que Jeanne d'Arc est une figure historique connue et que l'adoration dévote que lui témoignent les Le Pen et leurs amis est tout aussi connue.

"Riwal", déjà, au niveau des associations spontanées, c'est moins évident. Figurez-vous que c'est le nom que portait au Vème siècle un prince originaire du comté de Gwent, au Pays de Galles, roi de Domnonée, sur l'île de (grande-) Bretagne. Au début du VIème siècle, un autre Riwal, à la tête d'émigrés chassés de Bretagne par les Saxons, débarque en Armorique et se retrouve souverain d'une nouvelle Domnonée (couvrant en gros l'est de la Bretagne continentale actuelle).
Contrairement à "Jeanne", celle que l'on n'a pas crue et qu'on a fini par avoir cuite, ces personnages historiques ne jouissent pas d'une notoriété qui ferait de "Riwal" une dénomination finalement neutre. Du coup, ça peut susciter la curiosité chez tout un chacun. Et, au final, si "l'affaire Chatillon" prend de l'ampleur, ce qui est loin d'être incertain, voilà mon prénom synonyme de magouilles aux oreilles du plus grand nombre, de magouilles opérées par des fachos, qui plus est.

Il y a préjudice, moi je dis. Comme il est peu probable que cette malencontreuse coïncidence m'autorise à réclamer des dommages et intérêts, j'aimerais au moins contribuer à pourrir un peu l'existence de ces personnages.

Oyez, oyez, qu'on se le dise, si ce prénom m'a été donné par mes parents il y a un peu plus d'un demi-siècle, c'est pour deux raisons principales: d'une part il évoque les temps historiques d'une Bretagne qui avait encore un bon millier d'années d'indépendance devant elle, d'autre part parce que ce prénom n'a pas d'équivalent en Français. Bref, c'était un acte militant, et ce militantisme vomissait le concept de "France éternelle" cher à Jean-Marie et sa descendance.

Monsieur Frédéric Chatillon ou ses commanditaires se sont crus malins en choisissant "Riwal", ils ont dû se dire que ça donnait un côté "de souche" à leur agence de com'. Un ami et collègue me faisait remarquer aujourd'hui que son prénom à lui ne risquait pas d'avoir été choisi - il s'appelle Farid.
Seulement, y a maldonne. Oui, "Riwal" c'est "de souche"... Mais d'une "souche" historiquement plus profonde que ne le sont les "racines" de l'Etat français (mettons l'ordonnance de Villers-Cotterêt, en 1539), sans parler de celles de la nation française, concept encore plus tardif. Et donc une "souche" somme toute étrangère à la France. A tout le moins, ce que le prénom "Riwal" est censé évoquer est aux antipodes du nationalisme français étriqué, du général Boulanger à Le Pen, en passant par Maurras et Pétain.
Bref, "Riwal", c'est un prénom de colonisé mais ils ne le savaient pas, ces cons.

Alors je vous en prie, chers-ères lecteurs-trices, faites circuler ce papier, diffusez-le tout autour de vous, ça sera ma revanche symbolique. Et avec un peu de chance, qui sait, il sera lu par quelques caciques du Front National, et ça leur fera les pieds...

A wech all


mardi 20 janvier 2015

Aux "Charlie" d'un moment

Quatre millions de "Charlie", le 11 Janvier, vraiment? Si on désigne par "Charlie" les défenseurs, envers et contre tout, de l'irrévérence, sûrement pas. Mais il y a que par un étrange ruse de l'Histoire, la mouche-dans-le-lait de la presse française, "Charlie Hebdo", s'est en quelques jours métamorphosé en symbole consensuel. Alors bien sûr la folie meurtrière des jihadistes n'a pas frappé que les rigolos aux crayons entre les dents et leurs collègues, il y a eu d'autres victimes - policiers froidement abattus, quidams massacrés parce que Juifs. Mais le fait est que le sursaut cathartique du 11 janvier qui mobilisa les foules de façon inédite se déploya, volens nolens, sous la bannière de l'hebdo satirique. "Charlie" n'est pas la France, c'est incontestable, mais une bonne partie de la France s'est mise à "être Charlie" l'espace d'un moment. On a glosé - et on glosera encore longtemps - sur les causes profondes et les conséquences probables de ce moment. On dira simplement, ici, qu'il fut réjouissant. "Merci pour ce moment", serait-on tenté d'écrire, si l'expression n'était pas si irrémédiablement galvaudée.

Comme promis - et comme le garantissaient les tombereaux d'Euros déversés de toute part sur l'équipe survivante - un nouveau numéro de "Charlie Hebdo" est sorti le mercredi 14 janvier. A la une, comme chacun sait, le dessin d'un Mahomet empreint de compassion, la larme à l'oeil, portant l'affichette "Je suis Charlie". Sympa, d'un certain point de vue. Mais aussi, on l'aura compris, un monumental bras d'honneur: "vous avez cherché à nous anéantir parce que nous avons persisté à caricaturer Mahomet, allez vous faire foutre".
Et là, du coup, fin de la séquence "émotion". Aux images de la manifestation bon-enfant ont succédé, sur les écrans, celles de foules en colère au Niger, au Sénégal, au Pakistan, au Mali, en Algérie, et que je te brûle des drapeaux français, et que je te proclame la gloire du "martyr" des frères Kouachi et de leur pote Coulibaly, et que je te hurle ma fureur-de-musulman-offensé-dans-sa-foi, et que je te promets la destruction pour tous les mécréants, inch' Allah. Des morts, des blessés, le Quai d'Orsay nous encourage à collectivement serrer les miches. Sous nos contrées, par ailleurs, se font entendre bien sûr les voix de musulmans qui nous expliquent que non, c'est pas bien de représenter le prophète, ce numéro de "Charlie" post-fusillade est une insulte. Mais aussi celle du pape François nous expliquant en substance que la liberté d'expression, oui oui, c'est très important, à condition toutefois qu'elle n'offense pas les religions. (Pourtant, hein, le pape François, si Vatican-II-compatible, espoir de revanche des cathos progressistes... Mais bon, que voulez-vous, il est pape. Et un pape ça n'admet pas qu'on s'en prenne à la religion, c'est le métier qui veut ça, de la même façon que les banquiers ne supportent pas qu'on remette en cause le bien-fondé des produits financiers dérivés).

Et là, certains découvrent un truc incroyable: "Charlie Hebdo" fait de la provocation. Et s'en offusquent, tels Mia Farrow, découvrant qu'elle a enfanté l'antéchrist, dans "Rosemary's baby" de Roman Polanski.

Autour de moi j'ai entendu, ces derniers jours, des trucs comme "là, ils jettent de l'huile sur le feu" ou "tout de même, après le 11 Janvier, ils auraient dû s'efforcer de rassembler plutôt que de diviser" ou bien "franchement, en ce moment, on n'avait pas besoin de ça". Je doute que mon entourage soit statistiquement représentatif de grand-chose mais, qualitativement, mon petit doigt me dit que ce type d'opinion est assez répandu. A tout le moins, la question se pose de savoir si cette "une" est ou non une bonne idée et, en tout cas, il est à peu près certain que nombre de "Charlie" du 11 Janvier se sentent trahis, quelque part.

A ces "Charlie" d'un moment, il conviendrait de rappeler un certain nombre d'évidences:
  • Si "Charlie Hebdo" ne tirait qu'à quelques dizaines de milliers d'exemplaires avant le 7 Janvier, c'est pour une raison bien simple: il ne plaisait pas à tout le monde. De fait, avec plus ou moins de bonheur, de bon goût et de talent, "Charlie Hebdo" entend faire rire en énervant, c'est sa raison d'être
  • Pour un athée comme moi, les religions sont des systèmes de pensée, des visions du monde parmi d'autres et non au-dessus des autres. Un croyant, qu'il soit chrétien, juif, musulman ou bouddhiste a le droit de penser le contraire, mais pas de chercher à m'imposer son point de vue par la coercition. Ni moi, de les forcer à adhérer au mien 
  • Car la République Française, comme d'autres pays en Europe et dans le monde, est laïque: religion et absence de religion y sont également respectables - pas de surmoi des "racines chrétiennes"
  • C'est pourquoi ladite République autorise ses citoyens, s'ils le veulent, à dépenser quelques Euros pour rire de Jésus, Mahomet ou Moïse et, de fait, un éditeur à leur procurer un journal qui racontera des conneries sur Jésus, Mahomet ou Moïse, justement, en échange de cet argent
  • Un(e) croyant(e) a le droit de se sentir offensé(e) par ce genre de transaction, mais à partir du moment ou rien ni personne ne l'oblige à l'effectuer lui(elle)-même, le mieux qu'il(elle) ait à faire c'est de penser à autre chose
A partir de là, regretter que "Charlie" fasse du "Charlie" même s'il est temporairement subventionné par l'Etat et soutenu par des centaines de milliers de dons anonymes, c'est n'avoir rien compris au film. Alors oui, il est vrai que des musulmans de par le monde sont ulcérés par cette énième "provocation" des vilains petits canards de "Charlie", jusques et y compris en nos terres européennes. Et que parmi ces gens, il se trouve potentiellement des individus et des groupes dangereux, nous sommes désormais bien placés pour le savoir.

Cela étant il ne faut rien lâcher aux minorités radicales, qui par ailleurs n'ont pas attendu "Charlie" pour semer la mort et la désolation. Et il ne faut pas imaginer que "Charlie" se devrait de réserver un traitement de faveur aux musulmans en général en s'abstenant de titiller leurs tabous, sous prétexte qu'il seraient déjà victimes de discrimination, de racisme etc...  Au contraire: lorsque l'Islam est tourné en ridicule, les musulmans sont traités à l'égal des chrétiens ou des juifs, en tout cas pour ce qui concerne "Charlie Hebdo". L'intégration, ça s'appelle.

En Septembre 2012, je critiquais ici-même le côté un peu opportuniste et répétitif du remuage de tronçonneuse dans la plaie que faisait "Charlie" à propos de l'Islam. Mais ça, c'était avant. Désormais, qu'on aime ou qu'on déteste "Charlie Hebdo" sans réserve ou juste de temps en temps n'a strictement aucune importance. Ce qui compte, c'est d'avoir envie qu'il existe tel qu'il est, c'est-à-dire "irresponsable"- d'ailleurs c'est marqué dessus.

Aux "Charlie" d'un moment je dirai donc que l'important, ce n'est pas d'"être" (ou avoir été) "Charlie": c'est de laisser "Charlie" être ce qu'il est, même si ça fait parfois mal au cul.


Ciao, belli.


jeudi 8 janvier 2015

"Charlie" assassiné

Tristesse, accablement, bien sûr et avant tout. Aujourd'hui, on a assassiné "Charlie Hebdo". Pour de vrai. Difficile de se résoudre au fait que Cabu, Wolinsky, Bernard Maris, Tignous et Charb aient disparu du paysage. Comme pour Coluche ou Reiser, je vous fiche mon billet que nous serons nombreux, dans quelques années, à nous dire "dommage qu'il(s) ne soi(en)t) plus là pour en parler à sa (leur) manière". Du monde tel qu'il va et ne va pas, et en particulier de la connerie humaine qui pollue nos yeux et nos oreilles jour après jour.
Colère, dégoût et mépris, aussi, à l'égard de ces illuminés sanguinaires et de ceux qui les inspirent.

Toutefois tenter, malgré tout, de chercher à se dégager de la posture "tous-unis-contre-le-terrorisme", parfaitement légitime et nécessaire pour ce qui est de la classe politique et des discours officiels, mais un peu courte pour autant qu'on veuille aborder ce drame en "citoyen", comme on dit.


Car il convient de faire deux constats:

  • Cet attentat est une atteinte à la liberté d'opinion, et donc à la démocratie. C'est un fait: on s'en est pris à des journalistes, des caricaturistes, dont la possibilité d'expression est un des indicateurs les plus fiables qui soit de la nature démocratique d'un régime politique. Pas de libertés politiques voire de liberté tout court sans liberté de la presse, fût-elle perfectible à bien des égards
  • "Charlie Hebdo" n'était pas n'importe quel organe de presse, dans le paysage médiatique français. Depuis une quarantaine d'années, avec des hauts et des bas mais jamais sans entrain, il usait et abusait de deux ingrédients particuliers: l'humour et l'irrespect - singulièrement à l'égard des religions
Alors même s'il n'aura échappé à personne qu'il est plus facile de mener un assaut contre les bureaux d'un journal, même sous "protection policière" (les guillemets s'imposent, à l'évidence) qu'à un bâtiment militaire, au palais de l'Elysée, voire à la plus anodine des agences bancaires - sachant que les terroristes ne sont pas forcément suicidaires - on est en droit de se dire que la rédaction de "Charlie Hebdo" jouait dans le paysage médiatique un rôle exemplaire. Et que les victimes de l'attentat de ce jour, à Paris, ont été tuées pour l'exemple.

Aujourd'hui, on a entendu les uns et les autres - journalistes, artistes, politiques, curés, rabbins, imams - nous répéter en boucle qu'il ne faut pas "faire d'amalgame" (entendez: dire haut et fort que tous les musulmans ne sont pas des terroristes en puissance, et inversement) et qu'affirmer son attachement aux principes républicains de tolérance et de "vivre-ensemble" est un impératif catégorique. 
Soit. Ne faisons pas d'amalgame, je suis le premier à en convenir. Mais tant qu'à trier le bon grain de l'ivraie, allons jusqu'au bout: n'amalgamons pas, non plus, "Charlie Hebdo" et le reste du paysage médiatico-politique, fût-ce sous la couverture consensuelle de la "démocratie".

Car le message des assassins d'aujourd'hui est clair: "Vous pouvez nous bombarder avec vos drônes, nous parachuter des "forces spéciales" sur le coin de la gueule, nous torturer en douce, à la limite on s'en fout. Mais rire de nous et de nos obsessions religieuses, non, ça, c'est insupportable."
Or cette volonté d'éradiquer l'irrespect en matière de religion, les islamistes radicaux n'en ont pas l'exclusivité même si - là encore, pas d'amalgame - ils portent cette forme d'intolérance à un paroxysme incomparable. C'est précisément le message que clamait "Charlie Hebdo", et à cet égard il n'est pas anodin que d'éminents représentants du christianisme et du judaïsme aient fait cause commune avec les associations musulmanes qui naguère attaquèrent (en vain) le journal en justice. Bref, "Charlie" n'était pas un poil à gratter que pour les fous d'Allah, loin s'en faut.

Mais le fait est que tout porte à croire que ce sont bien des fous d'Allah qui ont fait le coup, aujourd'hui, pas des obsédés du Talmud ou des Evangiles. Dès lors ce discours contre l'amalgame se voudrait un rempart contre ceux qui font leur beurre avec la peur de l'Islam, un remède contre la Zemmourerie, les Lepénades et les prophètes du "grand remplacement". Noble intention, tant il est vrai qu'il ne va pas se passer longtemps avant que ne se relance un débat sur la "question musulmane". Marine Le Pen a d'ores et déjà clamé qu'il convenait de "nommer le problème", à savoir l'islamisme radical. Affirmation qu'on pourrait qualifier d'enfoncement de porte ouverte, n'était, dans la logorrhée frontiste, cette propension à user du terme "islamistes" plutôt que celui de Nord-Africains, comme autrefois les antisémites distingués parlaient d' "israélites" plutôt que de Juifs, mais passons.
Cela étant pas d'amalgame, faisons de nouveau le tri et gageons ceci, justement: ni Eric Zemmour, ni Marine Le Pen, ni des journaux comme "Minute", "Le Figaro Magazine" ou "Valeurs Actuelles" ne constitueront jamais des cibles pour les zinzins du Coran. D'une part parce que leur existence-même apporte un surcroît de crédibilité au discours des islamistes - leur islamophobie met les musulmans en position de victimes, et rien de tel que la victimisation pour séduire, de nos jours. D'autre part parce que, fondamentalement, ces gens, ces médias, partagent avec les "jihadistes" un paradigme essentialiste et une obsession identitaire: l'Europe ne saurait être que chrétienne, de même que quelqu'un originaire du "Dar al Islam" n'a d'autre option que de se conformer au Coran et aux Hadiths. Et, de facto, les uns et les autres partagent une même détestation de ceux qui pissent sur la statue du Commandeur, qui se rient des injonctions soi-disant supra-humaines, qui ne respectent ni les dieux ni les maîtres, ni les drapeaux ni les bannières. Bref, les uns et les autres vomissent de toute leur âme les gens comme ceux qui animaient "Charlie Hebdo".

Or s'il n'existe plus la possibilité d'un "Charlie Hebdo" ou de son équivalent, si l'humour irrespectueux disparaît du paysage, alors n'en déplaise aux pisse-vinaigre et aux piliers d'église, de synagogue et de mosquée, la liberté d'opinion en prend un sacré coup dans la gueule. Je fais partie de ceux qui pensent que le droit à l'irrespect est au moins aussi nécessaire à la santé d'une démocratie que celui au conservatisme le plus étriqué.

Tristesse, accablement, colère, dégoût, mépris, oui. Envie de hurler que la bêtise sanglante de trois sinistres connards, voire même de douze ou de quinze, ne saurait nous amener à nous méfier a priori de millions de gens normaux, oui. Mais "m'amalgamer" aux bigots, aux racistes, aux homophobes, aux réacs, aux populistes, non, et "unité nationale", mon cul. 

"Charlie", tel que nous l'avons connu, est mort. C'est déjà triste, mais si on laisse n'importe qui pleurnicher sur sa tombe, alors en plus il sera mort pour rien.

Bonne année à tous, quand même