vendredi 23 décembre 2011

Cibler à bon escient

"Que vas-tu faire, mon fils, de tout cet argent?
- Papa, sache que je le dépenserai avec parcimonie et à bon escient
- L'Arménien, ça va, mais méfie-toi du Corse..."

Voilà, c'est fait, c'est plus à faire: l'assemblée nationale de la République Française vient de voter (enfin, 40 députés présents, mais bon c'est bientôt Noël, faut pas déconner) la pénalisation de la négation des génocides. Comme pour ce qui concerne l'extermination des Juifs durant la seconde guerre mondiale c'était déjà chose acquise (loi Gayssot), tout le monde comprend qu'on a en tête le massacre systématique des Arméniens commis par le régime Jeune Turc en 1915. Tout le monde, à commencer par le gouvernment turc qui considère cette initiative comme un affront et a fait savoir que des mesures de rétorsion, notamment économiques, s'ensuivront. Mais la République s'en fout, de ce qu'en pensent les Turcs. La République s'en fout car, comme chacun sait, la France est la représentante unique de la conscience universelle de  l'Humanité. La Patrie des Droits de l'Homme, ça s'appelle. Et donc sa mission, sur Terre, outre d'essayer de concurrencer les chasseurs F-18 et Eurofighter avec son Rafale, est de rappeler à tout un chacun qu'il y a des vérités historiques qu'une fois franchis le Rhin, les Alpes, les Pyrénéees, l'Atlantique ou la Manche, on ne saurait remettre en cause.
Evidemment on notera que d'autres crises diplomatiques seraient logiquement à prévoir à plus ou moins brève échéance: que vont dire les Belges, maintenant qu'il est interdit de contester le génocide, à coups de travail forcé, des Congolais lors de la colonisation lancée par Léopold 1er? Comment vont réagir les Américains et les Canadiens au fait qu'ils ne pourront plus contester publiquement, en France,  la quasi-élimination des Amérindiens? Que pensent les Australiens d'une loi qui leur interdit de nier l'éradication des Aborigènes? Mais tout porte à croire que ces gouvernements amis ne lèveront pas le sourcil - il ne leur viendrait d'ailleurs pas à l'idée de remettre en cause ces faits historiques qui les concernent en particulier, contrairement au gouvernement turc arc-bouté sur sa "vérité-table-rase-du-passé" héritée du Kémalisme.

Et puis la France n'héberge, sur son territoire, aucune communauté d'origine amérindienne ou aborigène et quant aux Congolais, si quelqu'un en avait quelque chose à foutre, ça se saurait. Car soyons sérieux, c'est bien de ça qu'il s'agit: on entend envoyer un "signal fort", à cinq mois de la présidentielle, à une partie de l'électorat, quiconque prétendrait le contraire serait soit un crétin, soit un menteur. Ce "ciblage" opportuniste des électeurs d'origine arménienne en dit long sur une certaine conception de la politique: l'électeur serait avant tout le représentant d'un sous-ensemble de la population, défini sur la base de critères socio-démographico-culturels: jeune ou vieux, homme ou femme, agricuteur ou commerçant, descendant de réfugié arménien ou de rapatrié d'Afrique du Nord. En l'occurrence, donc, on suppose l'existence d'un "vote arménien" qu'il conviendrait de gagner. On imagine donc que les citoyens français au patronyme se terminant par "an" vont désormais se dire: "Hmm, c'est vrai que Sarkozy est un désastre sur pattes, mais bon, il a énervé le gouvernement turc qui refuse d'admettre le génocide arménien, allez hop, je vais voter pour lui". Non seulement le calcul est pathétique - on prend, globalement, l'électeur pour plus con qu'il n'est - mais de surcroît il est opéré par des gens qui, par ailleurs, brandissent leur refus de la "communautarisation".
On relèvera que Marine Le Pen ne raisonne pas autrement lorsqu'elle envoie son compagon, Louis Aliot, faire des mamours en Israël aux colons "ultra" ou à leurs soutiens, mettant en avant le "refus de l'islamisme" de fifille. Dans la petite tête des nouveaux "communiquants" du FN, on se dit: le vote juif, c'est important pour la présidentielle et le "détail" du papa nous en interdit l'accès. Qu'à celà ne tienne, pour lever le soupçon d'antisémitisme nous allons prouver que nous avons des amis juifs. Rapprochons-nous donc des Juifs les plus violemment anti-Arabes, montrons-leur que nous avons le "refus de l'islamisme" en commun. On se rapproche des racistes juifs en Israël pour supposément se gagner, en France, les faveurs de certains "Juifs d'en bas", sépharades pas encore remis de l'indépendance de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie. Ironie suprême, on trouvera des commentateurs pour qualifier, sans rire, cette approche de "stratégie de dé-diabolisation". Quoiqu'il en soit la démarche ne diffère pas, sur le fond, de celle adoptée par Sarkozy et ses affidés: il s'agit de caresser ce qu'on croit être une "communauté" dans le sens du poil.

"Vote arménien" ou "vote juif", l'illusion est identique: elle traduit la présence, dans certains états-majors politiques, de gugusses qui confondent marketing politique et marketing tout court. Pour ces "stratèges", l'alpha et l'oméga du succès c'est la "segmentation" du marché. Identifier des "cibles" et les travailler avec des discours spécifiques, fussent-ils totalement déconnectés les uns des autres, voila le principe, il est largement connu. Mais lorsqu'il est appliqué non à  des catégories sociales ou professionnelles mais à des entités d'ordre culturel il traduit une double impuissance: l'incapacité à penser l'individu indépendamment de ses origines, l'impossibilité d'imaginer une société que lieraient des principes plutôt qu'une langue ou une religion. Bref, imaginer un "vote arménien" ou un "vote juif", c'est non seulement se fourrer le doigt dans l'oeil, mais aussi, tout simplement, nier les fondements de la plupart des constructions étatiques modernes. Notons qu'il n'est pas  fortuit que les opposants les plus déterminés au vote des étrangers extra-européens aux élections locales soient ceux-là mêmes qui sont obsédés par les votes "identitaires" arménien ou juif  - le FN ou l'UMP: ces gens-là n'imaginent pas une seconde qu'un Malien, un Burkinabè ou un Marocain puisse voter autrement qu'en fonction, par exemple, de son identité musulmane. Or ce déterminant-là est étranger, dans tous les sens du terme, à ces omnibulés du tricolore. Ce qui les gène dans cette histoire, ce n'est pas tant que le droit de vote en soit déconnecté de la citoyenneté. Ce qui les gène c'est qu'ils n'auraient rien à dire à ces électeurs - proposition de loi "mémorielle" ou discours anti-quelque chose. Et d'agiter le spectre du "communautarisme", ce qui n'est au fond pas un paradoxe: le "communautarisme", c'est lorsque ces gens n'ont rien dans leur besace historico-culturelle pour "cibler" les électeurs.
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Tandis qu'avec les Arméniens, pas de problème. Il suffit de légiférer à bon escient.

Bonnes fêtes à tous, cela dit

vendredi 11 novembre 2011

Europe: Won't Get Fooled Again

« E pluribus, unum », c’est la devise des Etats-Unis d’Amérique. Simple, clair, et reflet d’une certaine réalité, sinon d’un projet. On chercherait en vain une quelconque expression latine qui résumerait avec autant d’efficacité l’Union Européenne, dans les faits ou dans les têtes. Spontanément toutefois m’en vient une à l’esprit : « e pluribus, bordelum ».

Euro, dettes souveraines, tout un continent au bord de la crise de nerfs sous les regards inquiets du reste du monde. De sommet en sommet, de compromis en « solutions » vite obsolètes l’Union Européenne court après une chimère insaisissable, se lance dans une chasse au dahu - obtenir la « confiance des marchés financiers » - sous la houlette du plus improbable tandem de dirigeants politiques depuis Roosevelt et Staline : Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ou le « Merkozy », pour reprendre l’expression de Daniel Cohn-Bendit. S’ensuit une avalanche de plans de rigueur qui sont à la croissance économique ce que serait une photo de Claude Guéant placée au-dessus d’un lit conjugal : un tue-l’amour. Des plans de rigueur qui ressemblent à s’y méprendre, toutes proportions gardées, aux « politiques d’ajustement structurel » imposées aux pays sub-sahariens par le FMI, la Banque Mondiale ou… l’Union Européenne, avec l’effet que l’on sait sur le bien-être général des populations. Notons que, comme dans le cas des pays d’Afrique, les potions administrées par les experts économiques comprennent une dose très homéopathique de réforme des impôts et d’une optimisation de leur collecte, en regard des fortes prescriptions de taxes sur la consommation et, surtout, de réduction de la dépense publique. Normal, ce sont les mêmes médecins qui sont à la manœuvre. Mais à la limite, la question n’est pas là.

Ce qui fait question, comme on dit, c’est la belle histoire qu’ici et là on tente de nous vendre : cette crise serait un formidable catalyseur, l’occasion inespérée de réaliser, sous la contrainte, un vieux rêve fédéraliste ou ce qui serait censé le préfigurer : un « gouvernement économique de la zone Euro » et, partant, la mise en place, serait-ce à quelques-uns, de coopérations tellement « renforcées » que se matérialiserait, de facto, une Europe politique. Une construction, bien sûr, qui aurait, comme l’UE, vocation à s’élargir avec le temps, et youpi tralala, en avant vers un avenir radieux.

Soyons clairs : on m’a eu une fois, on ne m’aura pas une deuxième. La première fois c’était à la fin du siècle dernier, lorsque je votai « oui » au traité de Maastricht et, de fait, à la monnaie unique. A l’époque j’étais convaincu – et je n’étais pas le seul – que cette étape était, justement, une étape. Comme autrefois l’union douanière - le Zollverein - précéda l’unité de l’Allemagne, cette monnaie unique et l’alignement économique qu’elle était supposée entraîner n’aurait su être que le signe avant-coureur d’une véritable entité politique supranationale, à même de s'adresser d’égal à égal aux géants américain et asiatiques. Là où je me suis fait empapaouter, comme beaucoup, c’est que je voyais l’Euro comme un moyen et qu’en l’occurrence il s’est agi d’une fin. Le monétarisme, ça s’appelle, mais pas seulement : la monnaie unique aura été l’instrument des docteur Folamour du néo-libéralisme. En effet, et ce quasiment à l’échelle d’un continent, allait pouvoir se réaliser, dans la concurrence effrénée du tous contre tous et sans le casse-tête des taux de change, l’établissement d’un vaste marché « libre ». De cette liberté émergerait un équilibre qui, promis-juré, ferait le bonheur de tous. D’où la fameuse clause du projet de « constitution » de 2005, sur la « concurrence libre et non-faussée ». A cette « constitution » j’ai dit oui, également. Non qu’entretemps l’Europe politique ait fait quelque progrès vis-à-vis de celle des marchands, mais justement parce que ce projet rendait malgré tout ce progrès possible. La fin, pas les moyens, toujours.

Mais les taupes abruties – technocrates, experts, lobbyistes, et surtout dirigeants politiques européens majoritairement médiocres – qui président aux destinées de l’Europe n’ont su en faire qu’une usine à gaz institutionnelle surplombant un souk généralisé. Cette crise est d'abord leur crise, tout autant que celle du laisser-faire. Car tout en annihilant barrières douanières et taux de change, la construction européenne s’est bien gardée de toucher à ce qui, depuis un siècle voire davantage, est la malédiction du continent : les états-nations et leurs sacro-saintes « identités ». Au nom, paradoxalement, de la démocratie (on n’élit bien que ceux dont on partage l’ « identité »), la construction européenne est a-démocratique. L’élection des députés européens, avec ses scrutins aux modes divers et désynchronisés, dont les campagnes sont purement nationales, nous en fournit, autre paradoxe, la preuve tous les cinq ans.

Cependant, de la supranationalité, on en a fabriqué, mais une supranationalité de banquiers et de « big business » qui dans sa sécheresse, son anonymat et son impact social souvent désastreux a construit, en retour, un surcroît de « fierté nationale ». Une fierté qui, prenons un exemple au hasard, conduit un pays comme la Grèce à consacrer quelques 4% de son PIB à ses dépenses militaires (Allemagne : 1,4% ; Italie : 1,7% ; France : 2,4% - chiffres 2099, source : Banque Mondiale) pour, on l’imagine, se protéger de son méchant voisin Turc (qui, comme chacun sait, n’a qu’une idée en tête : envahir la Grèce). Cette supranationalité du fric n’a, nonobstant, pas dupé les spéculateurs qui, faute de jouer contre la Drachme, la Lire ou le Franc, se rabattent sur les taux d’intérêt des dettes souveraines : au-delà de leurs oripeaux politiques respectifs, il ne reste de souverain aux états-nations que leur dette.

Aussi lorsque sur l’air de «à quelque chose malheur est bon » on tente de nous convaincre qu’émergera des pantomimes « Merkozyens » de ces dernières semaines une véritable Europe politique, on nous raconte des carabistouilles. Car on fait l’impasse, de nouveau, sur un petit détail. Oh, trois fois rien, direz vous : les peuples. Des peuples à qui on concèdera volontiers le hochet des élections nationales (dont celle au Parlement Européen), mais qu’on ne saurait laisser, collectivement, peser sur des enjeux qui depuis longtemps dépassent leurs frontières respectives : l’Economique, le Social, l’Environnement, la Recherche, la Défense.

A la fin du XIXème siècle, l’empire ottoman était surnommé « l’homme malade de l’Europe ». Au début du XXIème siècle, même sans les ottomans, l’Europe est un empire malade de ses hommes.

See you, guys

lundi 17 octobre 2011

De l'équilibre du temps de parole en période électorale

Bon ben voilà, ça, c’est fait, c’est plus à faire : le Parti Socialiste dispose d’un candidat incontestable pour l’élection présidentielle de 2012. Le tout au terme d’une « primaire » qui a suscité un enthousiasme inespéré, exercice qui s’est déroulé dans une ambiance de bon aloi, à tout le moins bien meilleure que celle que pronostiquaient les plus pessimistes (dont votre serviteur, ici-même). Bien sûr le plus dur reste à faire, mais c’est une nouvelle plutôt réjouissante. Car de même que le plus grand plaisir qu’on retire d’une victoire électorale de la gauche c’est qu’elle correspond immanquablement à une défaite de la droite, on apprécie d’autant les premiers chants de victoire entonnés par les ténors socialistes qu’on se réjouit des mines dévastées des dirigeants de la majorité.
Ces derniers et, dans son ensemble, le « système Sarkozy » sont atteints dans ce dont ils pouvaient être le plus fiers : leur capacité à faire tourner le débat public autour de thèmes quasi-prédéterminés et astucieusement séquencés dans le temps et l’espace. Un coup la sécurité avec une petite loi vite-fait-mal-fait consécutive à un faits-divers, un coup la grandeur nationale avec l’intervention en Libye, un coup la séquence émotion avec l’hommage aux paras tombés en Afghanistan, un coup le « moi j’travaille » avec les sommets franco-allemands sur l’Euro, etc., j’en passe et des moins glorieuses, comme le pathétique débat sur l’identité nationale. Bientôt cinq ans que ça durait cette avalanche « d’événements », de « news » dont le trait commun était de souligner le génie du président que les Français se sont choisis en 2007. Certes depuis de nombreux mois, le niveau de popularité de l’ hyper-président se situant plutôt à l’entresol, on a adopté une stratégie de raréfaction de la parole présidentielle à la Jacques Pilhan. Cependant cette accalmie était plus que compensée par les « débats » lancés par la Droite Populaire ou les incessantes « pistes » distillées par les ministres à propos de tout et n’importe quoi. Au final, une forme d’ubiquité médiatique qui ne concédait au Parti Socialiste qu’un rôle de faire-valoir : souligner l’inanité de la politique politicienne (en regard d’une politique de l’ « action ») par l’étalage incessant des divergences des un-e-s et des autres. Mieux, le basculement soudain et irrémédiable de DSK de la rubrique politique à celle des faits-divers mettait la cerise sur le gâteau : non seulement le contenu d’une alternance possible était inaudible, mais le défenseur probable (souhaitable?) de cette alternance s’avérait être, au mieux, un queutard de douze intempérant, au pire un dangereux détraqué.

Or que s’est-il passé ces huit dernières semaines ? Non seulement les médias (même le « Figaro ») ont largement couvert l’élection primaire organisée par le Parti Socialiste, mais en plus ils ont dû, dans l’ensemble, faire leur deuil d’une guerre fratricide, d’un pugilat sanglant, d’une « conjuration des egos » qui aurait occulté les vrais nuances de tempérament et d’interprétation du projet socialiste à l’origine même de cet exercice électoral. Cependant, cette séquence a largement publicisé les propositions du PS en matière économique, sociale, fiscale etc., bref plus de « fond » et moins de « petites phrases » qu’anticipé. Mieux, tandis que les électeurs de gauche étaient amenés à décider qui d’Aubry, de Baylet, de Hollande, de Montebourg, de Royal ou de Valls était le mieux à même de leur faire gagner les élections de 2012, ceux de droite en étaient à se demander qui de Bourgi, de Djouhri ou de Takkiedine avait le plus de chances de les leur faire perdre - décidément, comme disait l’autre, "c’est quand il y en a plusieurs qu’il y a des problèmes ».

D’où la rage à peine dissimulée des Copé, Morano, Fillon, et autres, quelques semaines, soit dit en passant, après s’être fait rafler le Sénat. La riposte s’organise sur deux axes : 1. « Çà fait bien trop longtemps qu’on n’entend parler que du PS, maintenant ça suffit » ; 2. « Le succès des primaires est un malentendu, le programme du PS est truffé de conneries »

Pour ce qui concerne le premier point, en toute honnêteté on ne peut qu’opiner du bonnet, cependant la question du second souligne, par contraste, l’assourdissant silence de la droite quant à sa « vision » pour le quinquennat 2012-2017. En admettant que les pistes proposées par le PS soient impraticables, on se demande bien quelles sont les idées que l’UMP entend soumettre aux électeurs l’an prochain, à part bien évidemment celle du renouvellement du mandat de son génial leader. La vérité est que le logiciel de la droite française est sérieusement défaillant : le « travailler plus pour gagner plus » fait la joie des humoristes et les surenchères « identitaires » celle de Marine Le Pen, tandis que le « moins d’Etat » hérité du Reagano-Thatchérisme ne fait plus rêver que quelques fanatiques isolés. Quant aux solutions apportées aux problèmes de l’insécurité, seul le Ministre de l’Intérieur est en mesure d’en parler sans rire.

Mais gageons que, comme le suggérait le titre d’un joyeux nanar des années 70, ce néant, ces impasses n’empêcheront pas ministres et représentants de la majorité de se bousculer devant caméras et micros, afin de récupérer le temps de parole perdu ces dernières semaines. Je leur suggère, bien modestement, quelques « éléments de langage » :

• Le « changement », slogan du PS, ça ne vous rappelle pas 1981 ?
• Variante du précédent : le programme du PS est archaïque, la modernité c’est nous
• François Hollande est notoirement un indécis, il faut en ces temps de crise un décideur, un vrai, suivez mon regard
• La France a gardé son « rating » AAA auprès des agences de notation, avec Sarkozy c’est moins grave que si c’était pire
• Variante des deux précédents : on ne change pas de capitaine en pleine tempête
• Grâce à Sarkozy les Libyens sont libres, c’est important la liberté, d’ailleurs c’est une valeur bien française
• Augmenter les impôts c’est ballot, vous voulez payer plus d’impôts, vous ?
• Et l’immigration, hein, l’immigration ? Ben nous, on expulse pas loin de 30 000 personnes par an, et on peut faire plus !

Je pense que ces quelques « éléments », ressassés en boucle, permettront à la majorité de tenir jusqu’à Janvier 2012 : c’est le moment que choisira Nicolas Sarkozy pour entrer en campagne et là, l’UMP n’aura plus qu’à espérer qu’il fasse des miracles. « Chez ces gens-là, Monsieur, on ne pense pas : on prie »

La droite n’a pas besoin de « primaire », elle a un président sortant. La droite n’a pas besoin de programme, elle a un président sortant. La droite n'a pas besoin de remettre ses idées en question, elle a un président sortant. Mais il est urgent de lui rétablir son temps de parole, ça serait dommage pour le débat démocratique, sinon.

See you, guys.

lundi 12 septembre 2011

Guerre en Libye, guerre-alibi

Pif-paf, boum badaboum sur le vilain colonel Iznogoud. Réacteurs hurlants, les jets français et britanniques sont allés prêter main forte aux insurgés libyens. Kadhafi et ses sbires ont été stoppés au seuil d’un massacre généralisé de leurs opposants, puis bousculés et finalement acculés dans quelques bastions dont la chute n’est désormais plus qu’une question de jours, au plus tard de semaines. Iznogoud et ses fils aux prénoms martiaux (Hannibal, Saïf-al-Islam…) se terrent quelque part dans quelque recoin désertique, ils finiront par être débusqués, jugés en bonne et due forme inch’Allah, ou bien pendus haut et court par une foule en délire comme le fut naguère Mussolini, ou bien encore exilés dans quelque pays lointain, et voilà pour eux.

Que voilà une affaire rondement menée, on aurait presque envie de dire que des guerres comme ça, on en redemande. Pensez donc: une cause juste (la vie de civils promis à un massacre, la liberté d’un peuple soumis à quarante ans de dictature), une exécution propre (pas un seul mort occidental, des dégâts collatéraux dans la limite du raisonnable), dans le viseur un salaud véritable, un mégalo complètement givré, et en quelques mois l’affaire est dans le sac. Que demander de mieux ? Pas étonnant qu’un penseur de haute volée, un pourfendeur quasi-institutionnel de la barbarie sous toutes ses formes (ou presque) ait été, dit-on, à l’origine de l’activisme du Président français dans cette affaire : Bernard-Henri Lévy choisit bien ses combats. Proposons un slogan : « la guerre à B.H.L., la guerre qu’elle est belle ! ».

Bon.

Même s’il faudrait avoir l’esprit bien chagrin pour ne pas se réjouir de l’effondrement du régime de Kadhafi, on peut tout de même remarquer la chose suivante: la détermination des occidentaux à régler son compte au régime libyen là, tout de suite, n’a d’égale que la sidérante complaisance, c’est le moins qu’on puisse dire, dont ils ont fait preuve ces dernières années à l’égard dudit régime. Les fonctionnaires Kadhafistes ont quitté Tripoli un peu précipitamment, et les barbouzes n’ont pas eu le temps de faire le ménage, comme naguère lors de l’opération « Barracuda » qui délogea Bokassa de son trône impérial. Bref, la tuile: ce sont des journalistes qui ont mis la main sur un certain nombre de documents qui font un peu mauvais genre. On y apprend qu’une société française au doux nom d’Amesys a, parmi d’autres, fourni au régime libyen un matériel de surveillance (Internet, téléphonie) sophistiqué de la population. Mieux, des experts de la D.G.S.E. ont supervisé sa mise en œuvre, entre Juillet 2008 et Janvier 2011, à la demande de l’Elysée. Gageons que cette révélation n’est que la première d’une longue série. Se dévoilera inéluctablement, tôt ou tard, une litanie d’affaires lucratives en tout genre entre la Libye et la France, l’Italie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, etc... Il y a que le colonel, dès la fin 2001, avait eu le nez creux: sentant souffler le vent d’une tempête vengeresse (la « guerre au terrorisme » consécutive au 11 Septembre), il avait prudemment rejoint « l’axe du Bien » et soldé, moyennant finances, ses petites facéties de la fin des années 80 (les attentats de Lockerbie et contre le DC10 d’UTA, 440 morts en tout). Une fois réglée également l’ « affaire des infirmières bulgares », le colonel était devenu définitivement fréquentable (lire ici-même « Des mamours à Mouammar » et « Touche pas au despote »). La Libye étant gorgée de pétrole – donc solvable – et affamée de technologie occidentale, ça tombait bien. Pouvait alors commencer la sarabande des visites officielles et des contrats en tout genre. Pétrole oblige, Kadhafi était non seulement fréquentable, mais aussi intouchable : lorsque qu’il y a trois ans la Suisse eut affaire au colonel, que ce dernier retint deux ressortissants helvétiques en otage, pas le début d’un commencement de manifestation d’une once de solidarité chez ses voisins européens, à commencer par la France et l’Italie.

Kadhafi et son pétrole valaient bien des reniements, bien des humiliations. Mais au-delà, la « banalisation » du colonel et de son régime permettait d’inscrire ce pays, à l’instar des autres pays arabes, dans une grille de lecture intellectuellement reposante pour les chancelleries occidentales. Le monde arabe, c’était simple : d’une part il y avait des autocrates (ou un système, comme en Algérie) plus ou moins débonnaires, d’autre part de méchants islamistes, armés ou non, point-barre. Entre les deux, rien, ou plutôt une masse informe, susceptible du jour au lendemain de rallier les seconds, n’était la vigilance des premiers. Cette masse avait un nom, on l’appelait « la rue arabe ». L’Arabe, à moins d’être flic, soldat, ou terroriste, ne pouvait être acteur de sa propre Histoire. Tout juste lui concédait-on d’être agissant en tant que Druze, Chrétien ou Chiite dans un environnement majoritairement Sunnite : dis-moi comment tu pries, je te dirai quel Arabe tu es, sinon par défaut tu es dans « la rue ».

C’est cette grille de lecture que les « printemps » du monde arabe ont mis à bas, tout autant qu’un certain nombre de dictateurs – enfin, pas tous. En lieu et place de « la rue » surgissent des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux avec des espoirs, des craintes. En lieu et place de « la rue » surgissent des humains qui se veulent citoyens. Ce surgissement a tout autant sidéré les occidentaux que les régimes qu’il entendait balayer.

Dès lors il y a de la fuite en avant dans cette « guerre propre », comme une volonté de rattraper un train en marche. Et ce, à moindres frais : Kadhafi n’est pas El Assad, son pouvoir de nuisance est nul. Alors haro sur le baudet, feu à volonté, au nom de la démocratie et des droits de l’Homme, bien sûr, B.H.L. en témoignera. Ce faisant, on croise les doigts et on espère. On espère qu’en lieu et place de la « Jamihyria » et de son chef émergera un pouvoir bien disposé à l’égard de ses voisins européens - Kadhafi est parti, mais son pétrole reste. Mais surtout on espère que les Libyens – et par delà, les Arabes désormais sortis de la masse informe de « la rue » - auront la mémoire courte ; à tout le moins on souhaite que leur mémoire la plus longue aura été effacée par le rugissement salvateur des chasseurs-bombardiers de l’OTAN : une guerre lancée comme on appuie sur le bouton « reset » d’un appareil électronique, une guerre « pouf-pouf, on efface tout et on recommence ».

Le colonel Iznogoud est sorti de la scène de l’Histoire, c’est une bonne chose et c’est indéniablement l’effet de la campagne militaire menée par les occidentaux. Mais cette guerre-alibi ne saurait, en soi, les tenir quitte de deux exigences : la mémoire d’un passé fait de compromissions, d’une part ; l’invention de l’avenir d’une « politique arabe » ou plutôt d’une « politique avec les Arabes », d’autre part. Tout cela, bien sûr, est un peu plus difficile que le déclenchement d’une attaque aérienne.

See you, guys.

mardi 9 août 2011

De l'utilité d'un Claude Guéant heureux

« Le soleil est rare, et le bonheur aussi... » chantait Serge Gainsbourg. Aussi lorsqu’en cet été maussade s’affiche la mine réjouie d’un homme qui, en substance, clame haut et fort qu’il est heureux, on ne peut que marquer son intérêt. Cet homme, c’est Claude Guéant, Ministre de l’Intérieur de la République Française. Le printemps arabe vire à l’été sanglant, les marchés financiers vacillent (ça devient une habitude), l’Europe s’enfonce dans son néant politique de « machin » ingérable et ingéré, la guerre en Afghanistan vient de faucher deux soldats français supplémentaires mais bon, heureux, il est, Claude Guéant. Sinon, comment expliquer qu’il se soit fendu, ce 8 Août, d’une déclaration, comme ça, tout à trac, sans qu’on ne lui ait rien demandé?

Alors quoi? Aurait-on enregistré une notable amélioration sur le front des « atteintes aux personnes »? La confiance reviendrait-elle entre les forces de police et les habitants dans les « quartiers »? Non, rien de tout cela. L’objet de ce communiqué de Claude Guéant, c’est un état statistique des expulsions d’immigrants illégaux. Du temps de son prédécesseur, Brice Hortefeux, l’objectif «avait été fixé à 28.000 reconduites, (il a) décidé de (le) remonter à 30.000». «Pour l’instant, il semble que nous puissions atteindre cet objectif», et «si nous l’atteignons, ce sera le meilleur résultat que nous aurons historiquement enregistré», a souligné Claude Guéant. Alors, elle est pas belle, la vie ? 28 000, c’était déjà pas mal : c’est l’équivalent d’une ville comme Soissons, en Picardie. Hop, a p’us Soissons. Mais 30 000, là, respect : on vise quelque chose comme Saint-Laurent-du-Var, ou Mont-de-Marsan. Bon. Notons qu’à date, il ne s’agit encore que d’un objectif à atteindre à la fin de l’année : d’ci là il peut s’en passer, des choses, comme une grève d’Air France (c’est rare, mais ça arrive). Cela dit le ton est donné : à cœur vaillant, rien d’impossible, allez, tope-là, 30 000, et cochon qui s’en dédit. Ça sera un résultat « historique », hosanna au plus haut des cieux.

Mais, peut-on se demander, pour quoi faire? Pourquoi accroître de 7% la charge de travail de policiers passablement débordés ? De la part d’un ministre a priori sérieux, on pourrait s’attendre à des explications socio-économiques, portant sur la pénurie de logements sociaux, ou sur les emplois clandestins que des patrons peu scrupuleux seront bien obligés de pourvoir avec des salariés déclarés. A minima, le Ministre de l’Intérieur pourrait mentionner le fait que «dura lex, sed lex » et que son boulot c’est de la faire respecter, justement. 2 000 contrevenants supplémentaires sanctionnés, en soi c’est un résultat respectable quand on est ministre de la loi et de l’ordre. Bien sûr, à chacune de ces motivations on pourrait faire des objections, à commencer par le fait que l’immigration clandestine est, par définition, difficile à quantifier, et que donc, 28 000 ou 30 000, quelle différence ça peut bien faire ? Mais la question n’est pas là.

Car ce qui est remarquable, dans ce communiqué triomphaliste, c’est qu’aucune de ces finalités n’est évoquée. Non, la « maîtrise des flux migratoires » est une « priorité » car «il s’agit d’une vision de la France de demain», rien que ça. Le ministre explique que la France «a une histoire, des racines, une culture, un corps de doctrine sociale, juridique, très profondément ancré dans l’opinion et les Français tiennent à tout cela». Il s’agit de s’occuper encore plus sérieusement des clandestins « pour que ceux qui viennent puissent adopter cette civilisation française, être intégrés, sinon nous allons à une France de communautarisme, de juxtaposition de communautés, de cultures, de groupes, chacun avec leur histoire et leur religion, ce n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisons du pays uni ». Ah bon, donc le problème c’est la clandestinité, un immigré clandestin serait bien moins susceptible qu’un « légal » d’adopter la « civilisation française »? Vous n’y êtes pas : le ministre annonce dans la foulée qu’il entend réduire l’immigration légale de 200 000 à 180 000 entrées. Le problème c'est l'étranger, point-barre.
La Police des Frontière a des objectifs, son ministre a une « vision de la France de demain» : accroître les premiers (de 28 000 à 30 000) ne peut qu’embellir la seconde. De 7%. Et la réduction de 10% de l’immigration légale l’améliorera encore d’autant.

En terre helvétique un parti., l'UDC, véhicule, à coup d'initiatives récurrentes, une "vision" très similaire de la "Suisse de demain". Mais par ici, personne ne lui dispute cette "vision".



Un ministre heureux, donc. Non pas parce qu’il fait bien son boulot de ministre de la République, mais parce que des considérations d’ordre statistique lui permettent de remplir sa vraie mission : celle d’une flanc-garde national-sécuritaire en vue de la Présidentielle de 2012. Cette mission vient compléter celle assignée aux tenants de la « Droite Populaire », fraction de l’UMP dont la tâche est de passer un vernis républicain sur ce que la présidente du Front National dit tout haut et que, gnagnagna, les Français pensent tout bas. Mais tandis que les propositions de Thierry Mariani, Lionnel Luca et consorts se font jusqu’à présent régulièrement reconduire à la frontière du Parlement, Claude Guéant, lui, « est dans l’action ». Si la maladie est la désaffection de l’opinion, Guéant et sa « vision de la France» c’est du Lepénisme à dose homéopathique et un traitement dûment suivi. La « Droite Populaire » par contre c’est du bon gros générique, mais la lourde prescription n’a pas encore atterri chez le pharmacien. Ce diptyque, qui fonctionne comme une petite horloge, est la dernière trouvaille de la Sarkozye pour récupérer le fameux « électorat populaire » tout en épargnant au Président d’en faire lui-même des wagons.

« Le soleil est rare, et le bonheur aussi... Mais tout bouge, au bras de Sarkozy?». Non, en fait, depuis le début, rien ne change.



Ciao, belli

vendredi 17 juin 2011

Le "Silence des Agneaux" sociétal

Remarque préliminaire : malgré mon patronyme je n’ai aucun lien, de près ou de loin, avec le citoyen Luc Ferry, philosophe à temps partiel, ci-devant Ministre de l’Education Nationale et présentement touilleur de ragots. Ce préambule afin de me permettre souligner l’aspect remarquable, à mon sens, de la polémique déclenchée par le monsieur, sans être soupçonné d’un quelconque favoritisme d’ordre familial.

Luc Ferry, donc, que je qualifierais volontiers de signe des temps politiques à lui tout seul. Temps incertains, calme apparent masquant des tensions intenses prêtes à éclater – le fameux calme avant la tempête. Luc Ferry qui, à la façon d’un matois pilier de bistrot cherchant à impressionner ses compagnons de beuverie, laisse entendre publiquement qu’il sait des choses très graves à propos de quelqu’un de très important mais dont il doit taire le nom. Ce quelqu’un, un ministre de la République, s’il vous plait, aurait rien moins que partouzé avec des garçons mineurs au Maroc. L’affaire aurait été étouffée, elle serait connue au plus haut niveau de l’Etat, mais chut, il ne saurait en dire plus. Dès la diffusion de ces propos, le monde médiatico-politique s’est emballé et, de façon transversale, on retient des commentaires la chose suivante : Luc Ferry est irresponsable car il « nourrit le populisme ». A priori on ne peut qu’opiner du bonnet et relever que oui, l’activation de soupçons de dégueulasserie sur « ceux d’en haut » par une personnalité issue de – et en constant lien avec – l’appareil d’Etat, qualifiée d’ « intellectuel organique de la droite » par un Alain Duhamel, ne peut que légitimer le fameux « tous pourris ». On remarquera, cela étant, qu’une telle unanimité des grandes « plumes » de la presse est susceptible, elle aussi, de nourrir ledit « populisme » (« Ben tiens, les journaleux et les politiques, copains comme cochons »), mais là n’est pas la question.

La vraie question, c’est que la sortie de Luc Ferry et le tollé qui s’en est ensuivi est symptomatique du vent médiatico-politique singulier qui souffle en cette pré-campagne présidentielle.

Les sondages laissent entendre de façon récurrente que le Front National à la sauce Marine Le Pen est train de s’installer solidement dans les préférences de l’opinion – épée de Damoclès d’un « nouveau 21 Avril » dont on ne saurait trop dire s’il sera « à l’envers » ou « à l’endroit ». Ce phénomène tétanise les partis et le personnel politique dits « normaux », et avec eux de nombreux éditorialistes – sans parler des sondeurs, qui ne savent plus trop comment bidouiller leurs chiffres bruts. Mais quel est le terrain sur lequel le F.N., avec ou sans Marine Le Pen, est le plus à l’aise ? Certainement pas celui de l’économique et du social, mais bien plutôt celui du jugement moral, du « ressenti », de la subjectivité sublimée. Sur ce terrain il peut vilipender, railler, s’indigner, frapper à droite et à gauche. Et sur ce terrain, droite et gauche dites de gouvernement, davantage encore que sur les questions de multi-culturalité, d’immigration ou de sécurité, sont d’emblée perdants.

Or ces dernières semaines, le débat politique en France est quasi-exclusivement occupé par les questions morales, à l’initiative même des partis de gouvernement. A droite, on a compris qu’à l’instigation du conseiller Elyséen Patrick Buisson on entendait sciemment « travailler » l’opinion sur les « valeurs ». Mais le P.S. y met également du sien : en quelques jours émanent de ses rangs un projet d’autorisation du mariage homosexuel et l’idée d’une dépénalisation du cannabis. Ajoutons à ce magma les remugles de l’ « affaire DSK » qui, contre toute évidence, peine à rejoindre la rubrique des faits-divers, n’oublions pas le doigt d’honneur d’Henri Emmanuelli, et le tableau est complet. Cet « air du temps », la flatulence verbale de Luc Ferry et les commentaires qu’elle a suscités en sont la manifestation exemplaire.

Tout se passe comme si, dans cet entre-deux du temps politique, faute d’affrontement explicite inter- ou intra-partis « de gouvernement » sur les questions économiques et sociales, d’énergie, d’environnement, de construction européenne, de politique étrangère, les uns (politiques) et les autres (médias) se rabattaient sur des enjeux qu’on pourrait qualifier de « petit-bourgeois ». DSK est-il un gros dégueulasse ou la victime d’un malentendu? A-t-on couvert les cabrioles pédophiles d’un grand de ce monde? Faut-il permettre à Alix et Enak de convoler en juste noces? Est-il bien raisonnable d’incarcérer le géniteur de la fille du coupeur de joints? Toutes ces questions sont sensibles, certes, mais on sent bien que, de tout cela, l’électeur de 2012 se contrefout plus ou moins allègrement. Et dût-il, incidemment, se soucier de ces enjeux, il se trouve sur les linéaires du supermarché politique un produit qui lui propose des réponses simples, claires : le F.N. de Marine Le Pen.

Or Marine Le Pen, justement, se garde bien de labourer le champ moral. Bien sûr, sommée de se prononcer sur le mariage homosexuel, elle répond en substance « et pourquoi pas la polygamie, tant que vous y êtes ? » mais là n’est pas son propos principal. Elle préférera marteler son programme économique et social – où la fameuse « préférence nationale » n’est plus qu’un message subliminal – fait de « retour au Franc », de « lutte contre le mondialisme et le fiscalisme » etc. : toutes choses sur lesquelles les politiques « de gouvernement » ne semblent pas vouloir lui apporter la contradiction, tâche pourtant aisée a priori. Ce non-débat, ce paradoxe – désertion par l’une et par les autres des terrains sur lesquels ils ont respectivement l’avantage – ne peut, en définitive, que bénéficier à Marine Le Pen s’il est vrai, et tout porte à le croire, que la présidentielle de 2012 se jouera largement sur les questions auxquelles elle apporte aujourd’hui des « réponses » : l’emploi, les salaires.

Alors ce tapage à la Luc Ferry, ce « buzz » interminable sur les questions morales, ne nourrit pas le « populisme ». Il l’ignore, tout simplement, et c’est pire. Car ce boucan n’est rien d’autre, en définitive, qu’un silence assourdissant, un « silence des agneaux ». Si ce silence continue, la louve va les bouffer tout cru.

See you, dudes.

mercredi 18 mai 2011

DSK, douleur du "doute raisonnable"

La semaine dernière encore, les aficionados de Dominique Strauss-Kahn laissaient entendre qu’il convenait d’organiser avec soin « l’atterrissage » de leur candidat favori sur la scène politique française : on entendait ménager une sorte de sas de décompression à DSK afin qu’il puisse prendre le temps de se réhabituer aux petites réalités hexagonales. « Atterrissage » prévu fin Juin-début Juillet, donc, pile à temps pour se lancer dans les primaires du PS.

Mayday, mayday : en fait d’ « atterrissage », c’est plutôt à une descente en piqué de l’intéressé qu’on a assisté ce week-end, se concluant par un crash qu’on peut d’ores et déjà qualifier de final, quels que soient les développements à venir de l’affaire. Accusé de tentative de viol sur une femme de chambre du SOFITEL de Manhattan, DSK risque plus de soixante-dix ans de prison et, à l’heure où j’écris, croupit dans une cellule aux confins du Bronx. Game over.

Ce 14 Mai 2011 est au monde politico-économique, bien au-delà des frontières françaises, ce que le 11 Septembre 2001 fut au monde tout court. « Sidération », « stupéfaction », « consternation », voila quelques-uns des mots glanés au fil des commentaires qui ont déferlé ces dernières quarante-huit heures. Certes, la nouvelle est, comme on dit, « énorme ».

Mais ce qui n’est pas moins sidérant que la chute de DSK de cette roche Tarpéienne, c’est le Capitole au sein duquel l’homme avait bien vite été installé. A un point tel que l’organisation de primaires à gauche, voire l’existence d’un premier tour à l’élection présidentielle semblaient quasi-insultantes à l’égard du personnage. Comment donc: un homme béni par le « Financial Times », avalisé par le CAC 40, chouchou des électeurs centristes et au delà, devait encore s’abaisser à faire des risettes au populo? On vantait son expérience, sa compétence. Il planait au-dessus des basses contingences. Il était l’homme providentiel et rien ne devait arrêter sa marche vers le pouvoir, pas même les ambitions légitimes de ses petits camarades. Pensez-donc : il dominait les sondages et ça, c’est sacré. Seuls de mauvais esprits, dont votre serviteur, pouvaient faire remarquer que cette performance dans les sondages était peut-être bien liée à l’absence et au silence que lui imposait son statut de président du F.M.I. Mais non : DSK pour 2012, c’était comme Delors pour 1995, mais en mieux, car on sentait bien qu’il allait y aller pour de vrai.

Oui mais voilà : sans préjuger de ce que donnera l’enquête menée aux Etats-Unis, on note que les langues commencent à se délier ici et là (le lion est à terre, les chacals reprennent courage) et du coup, cette histoire d’agression d’une femme de chambre, aussi incroyable qu’elle soit, paraît éventuellement plausible. « Son problème, c’est les femmes », entend-on dire pudiquement. Plus crûment, on comprend que l’homme le plus intelligent de la scène politique française, deus ex machina d’une régulation mondiale à venir (inch’ Allah), a peut-être bien une bite à la place du cerveau. Ca la fout mal, forcément.

D’où, sans aucun doute, la « sidération » des vrais et faux amis de DSK, dans et hors le Parti Socialiste. Car ce « penchant » relevait apparemment, dans le monde médiatico-politique, du secret de polichinelle. Alors si on comprend la limite que se sont jusqu’alors fixée les journalistes politiques quant à la vie privée des personnages qu’ils observent – c’est tout à leur honneur – on comprend moins l’espèce de fascination béate que suscitait Dominique Strauss-Kahn auprès de toute une population « dans la connivence ». La sordide affaire du SOFITEL « consterne » beaucoup de ce petit monde bien informé, non uniquement parce qu’ils ressentent une profonde douleur à l’idée du terrible sort qui attend DSK (au mieux l’oubli, ou plutôt le refoulement), mais aussi – et je dirais surtout – parce qu’aucun d’entre eux n’est capable de mettre sa main au feu que cette histoire d’agression sexuelle soit rigoureusement impossible. Se dire qu’on a peut-être adulé, pendant des années et en partie en conscience, un pauvre détraqué, supérieurement intelligent mais détraqué tout de même, se dire que derrière l’homme politique parfait aux costards impeccables se cachait peut-être la figure d’un « gros dégueulasse », voilà qui est véritablement « sidérant ».

Larmes, cris, lamentations des anciens laudateurs. Non sur le sort d’un grand de ce monde tombé au fond du trou, encore moins sur celui d’une femme de chambre qui se serait fait agresser, mais sur eux-mêmes, finalement, dès lors qu’ils réalisent que dans cette affaire ils ont un « doute raisonnable ». Et qu’il ne profite pas à l’accusé, et encore moins à eux-mêmes.
A suivre, sans doute…



Ciao, belli

samedi 14 mai 2011

FFF, UMP: Superdupont rongé par le doute

L’exaltation de l’identité nationale française et sa sublimation dans un grand élan collectif passent bien souvent (si ce n’est le plus souvent , en temps de paix) par le spectacle sportif et tout particulièrement par le football. Or cette production spectaculaire, tout comme celle de la musique, s’appuie sur une certaine forme de mondialisation, mais suivant un processus inverse : la musique trouve toujours sa source dans un environnement culturel singulier et aspire à l’universel, tandis que le spectacle footballistique s’appuie potentiellement sur un rassemblement d’hommes de toutes origines et délivre, au final, un émoi local ou national. Pour ce qui est de la musique, tout le monde se contrefiche du fait que le groupe « Arcade Fire » soit canadien ou qu’Anton Dvorak soit tchèque, à tout le moins ça n’entre pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de dire si l’on aime ou pas. De même avec le football : peu importe l’origine d’un joueur, voire qu’il ait un second passeport, pourvu qu’il contribue à stimuler la joie, les cris, les coups de trompe et les troisièmes mi-temps triomphantes de tout un « peuple » peinturluré.

Pour ce qui me concerne, ce genre d’émoi glisse sur mon entendement comme la notion de santé publique sur la conscience de Jacques Servier. Mais cette indifférence soudaine, partagée par des foules immenses, à l’égard de la couleur de peau et des origines m’a toujours semblé constituer l’une des illustrations les plus évidentes de l’idéal méritocratique. Evidemment cet idéal, en soi, n’est pour rien dans le fait qu’un beau jour un gamin d’origine X ou Y et/ou socialement modeste se retrouve propulsé héros national ou local et, accessoirement, riche à millions. C’est d’un processus mercantile qu’il s’agit – les joueurs s’achètent et se revendent – dont la finalité est la performance sportive, et surtout les monceaux de fric qui vont avec. Et dans ce processus, l’origine de la « marchandise » est un facteur négligeable, pourvu qu’elle s’avère lucrative. N’empêche, le monde du football portait au moins cette exemplarité, même involontairement.

Et bien même pas, si on s’en tient à la déconcertante « affaire des quotas »: quelques olibrius parmi les dirigeants de la Fédération Française de Football ont semble-t-il envisagé sérieusement de mettre en place des quotas dans la sélection des joueurs, en particulier au détriment des joueurs noirs.

L’une des raisons évoquées lors de cette discussion est que, « trop costauds », les Noirs ne seraient pas assez efficaces. Voyez l’Espagne, pas un seul black et hop, champions du monde. Pathétique, ce genre de considération est un écho lointain, mais inversé, de la propagande patriotarde de 14-18 sur la « Force Noire », selon laquelle les tirailleurs « sénégalais » allaient ratatiner les boches en moins de deux, et y a bon Banania. Et du coup, allez savoir : il n’est pas exclu que ces préjugés physiques aient, ici et là, contribué par le passé à la surreprésentation des Noirs dans l’équipe de France. Mais là, crac, le doute, les Noirs balèzes ça marche plus, il en faut moins. Notons au passage que ce type de raisonnement fait l’impasse sur l’encadrement et le coaching qui, d’après ce que je crois comprendre au football, sont un tout petit peu complètement essentiels, mais bon. Quoi qu’il en soit, il semble qu’un certain nombre de dirigeants du football français s’avèrent un tantinet ébranlés dans leurs certitudes, au point de remettre en question la logique plus ou moins darwinienne qui prévaut en matière sportive. Obsession identitaire, doute identitaire.

A cet égard, plus intéressante encore est la seconde raison sous-tendant l’idée de quotas : avoir trop de joueurs à double nationalité (entendez principalement : franco-quelque-part-en-Afrique-de-l’Ouest) dans les équipes locales, c’est courir le risque à terme que ces joueurs choisissent le pays de leur second passeport pour jouer en « national » plutôt que la France, autant dire une trahison. Le même risque, notons-le, est également identifié pour ce qui concerne les joueurs d’origine ceci ou cela. Plus intéressante car, en deux temps trois mouvements, deux illustres zozos du monde politique ont jugé bon de « rebondir » sur cette question de la double nationalité et d’en élargir l’enjeu : l’un, Claude Goasguen, pour carrément envisager de l’interdire, l’autre, Thierry Mariani, pour proposer un fichage des bi-nationaux. Rappelons que si le premier est un éminent représentant du courant « anciens du groupe Occident » au sein de l’UMP, le second anime au sein du même parti la mouvance « Marine-land, pourquoi seulement à Antibes ? ». Autant dire des hommes politiques à la conscience nationale chevillée au corps, des hommes politiques dont on imagine qu’ils se tatoueraient volontiers des drapeaux tricolores sur l’épaule, des hommes politiques dont on soupçonne que la qualité de Français leur procure quotidiennement un grand frisson. Pourtant, Goasguen et Mariani observent leurs contemporains comme Gregor Mendel ses drosophiles, et ils en arrivent à la terrible conclusion que l’état de Français est un caractère récessif. Dans leur analyse, que par malheur cette nationalité se trouve en concurrence avec une autre et pffuit, terminé. La quête effrénée, en France, de l’ « identité nationale », ressemble à la chasse au dahu que l’on fait subir aux gosses en classe de montagne. Comme le dahu, elle est introuvable tant elle est fragile, en définitive cette quête peut s’avérer anxiogène. Obsession identitaire, doute identitaire.

Certains dirigeants du football français ne semblent plus assumer le caractère intrinsèquement mondialisé du spectacle qu’ils produisent. Ils en viennent à se demander à quoi ça devrait ressembler, une équipe de France. Un peu comme si Apple Inc., parce qu’une partie des iPad est fabriquée au Japon, se mettait à douter de son efficacité comme entreprise, donc de son américanité. Dans la foulée, des UMP à poil dur révèlent, bien involontairement, leur angoisse existentielle, qui sans aucun doute traverse également leurs cousins frontistes.

Décidément, Superdupont ne se porte pas bien. Mais si je dois avouer que je me tamponne allègrement de l’avenir du football hexagonal, l’incertitude qui ronge les politiques obsédés du tricolore ne peut que me réjouir.

A wech all

mercredi 27 avril 2011

Qu'un seul être vous manque, et bof...

Il est l'Innomé, le Très-Haut, l'Invisible. Croire en Sa présence est un pari, mais ne pas y croire serait un défi. On le dit Tout-Puissant, même si la réalité de Sa puissance n'est une évidence qu'aux yeux de ceux qui croient en Lui. Il est dit unique, et lui imaginer des pairs serait offensant, à tout le moins pour Ses fidèles. Il n'est accessible qu'à bien peu, mais Il est doté d'intercesseurs qui, en de rares circonstances, laissent transparaître Ses desseins au commun des mortels.

Comme sa femme, par exemple. Ou Pierre Moscovici.

Cela va faire des années, maintenant, que plane sur la scène politique française "le scénario Dominique Strauss-Kahn". Des années que l'homme incarne une épée de Damoclès placée au dessus de la tête de Nicolas Sarkozy. Ce dernier avait cru bon de l'exiler pour en éloigner la menace mais las, le Parti Socialiste s'est arrangé pour que le planning du "machin" des primaires ouvertes soit compatible avec la durée du mandat de "DSK" à la tête du F.M.I., et bisque bisque rage. Il est vrai que de sondage en sondage - et à défaut d'un leadership clair à gauche - Dominique Strauss-Kahn est apparu comme un recours. Seulement voilà, un président en exercice du F.M.I. ne saurait mêler sa voix aux politicailleries quotidiennes de son pays d'origine - un devoir de réserve, qu'on requalifiera volontiers en "devoir de décence". De fait, depuis bientôt cinq ans ou presque, Dominique Strauss-Kahn ne dit ni ne fait rien qui puisse avoir un quelconque rapport avec les enjeux politiques en France. Mieux: sa participation à l'élection primaire du Parti Socialiste reste, à ce jour, une hypothèse. Les sondeurs, cependant, qui quand ils ne savent pas spéculent, l'incluent systématiquement dans leurs enquêtes d'intentions de vote. Dès lors on en parle, même si lui-même ne prononce pas un mot. Dès lors il est présent, même s'il n'est pas là.
Pour l'intéressé, cette virtualité a longtemps été un atout, c'est aujourd'hui un boulet. Seuls quelques "communicants", au nom de la vertu supposée de la "rareté" théorisée par Jacques Pilhan, doivent encore trouver des avantages à cette place "au-dessus de la mêlée". Ne doutons pas qu'il se trouve près de "DSK" quelque Séguéla de rencontre pour se réjouir de cette absence de son client sur la scène politique. A tort: cette vraie-fausse candidature tourne désormais au ridicule.

Car la donne a changé. L'enjeu, désormais, n'est pas que le Parti Socialiste et, partant, la gauche, dispose d'une alternative "crédible" à Nicolas Sarkozy. Si on en croit les sondages - qui, en l'occurrence, sont un bon repère puisque ce sont les enquêtes d'opinion qui ont "fait" Dominique Strauss-Kahn ces dernières années - ils sont désormais plusieurs au P.S. à prétendre à ce titre, tant s'est dégradée l'image du président sortant, et pour cause. L'enjeu, désormais, pour le P.S., c'est d'émerger significativement lors d'un premier tour des présidentielles qui verra une déferlante de candidatures y'à-qu'à-faut-qu'on, et pas seulement celle de Marine Le Pen. Et tout porte à croire que le national-populisme d'une part, la gauche radicale d'autre part feront mieux que gêner les candidats "crédibles" - et pour cause, là encore. Or dans ce contexte, rien ne prouve que "DSK" soit un cheval gagnant. Mieux: pour peu qu'in fine le P.S. se présente aux électeurs sous le visage de Dominique Strauss-Kahn, dans la seconde Mélenchon et Besancenot crieront à l'unisson: "poule!" - par les temps qui courent, être le socialiste préféré du monde des affaires est un handicap. Bref, en l'état, Dominique Strauss-Kahn ferait un excellent candidat de second tour, pourvu qu'il puisse sécher le premier. Il serait donc urgent qu'il se mette à l'ouvrage.

Laurent Joffrin, dans le "Nouvel Obs'", suggérait il y a quelques semaines à "DSK" de démissionner immédiatement de sa présidence du F.M.I. pour signifier à l'électorat, par un acte visible, son engagement dans la course. Sous l'hypothèse qu'il entende se présenter c'est un excellent conseil, que l'intéressé ne semble pas vouloir suivre. Sans doute prête-t-il davantage l'oreille à ces "experts" qui lui suggèrent de continuer à jouer les sphynx, arguant de sa récurrente performance sondagière. Et si justement, elle ne tenait qu'à ça, sa performance dans les sondages: à son absence, et surtout, à son silence? Pour en avoir le coeur net il conviendrait, justement, de mettre fin à l'un et à l'autre. Or tout se passe comme si Dominique Strauss-Kahn souhaitait affronter ce moment de vérité le plus tard possible. C'est sans doute un homme brillant, intelligent mais là, soyons clairs: ce petit jeu de "com" est un jeu de con. Tant pis pour lui.

Car, comme pour l'Autre, la foi peut n'avoir qu'un temps, pour peu qu'on l'aie jamais eue.

Ciao, belli

mardi 15 mars 2011

Retour triomphant d'un racisme sans chichis

Je navigue sur "Libération.fr" lorsque paf, mon regard est arrêté par une pub "en partenariat" avec la FNAC: "meilleures ventes romans", numéro un "Le Camp des Saints" de Jean Raspail.


Intéressant.

A vrai dire, j'ignorais que ce bouquin datant de presque quarante ans (1973) avait été réédité. Je me souviens de l'avoir lu quelques années après sa sortie et, petite recherche rapide, je m'aperçois que l'auteur s'est longuement expliqué de cette réédition dans le "Figaro Magazine" le mois dernier.
Ah, le "Camp des Saints". L'auteur le dit lui-même, sans cacher sa jubilation: un tel ouvrage est susceptible de lui valoir aujourd'hui les foudres de la justice car, pointe-t'il gravement en substance, il existe une "bien-pensance" qui interdit "au nom de l'anti-racisme" qu'un certain nombre de choses soient dites. La loi Gayssot, la HALDE, tout ça. Car ce roman n'est pas n'importe quel roman. Le site de la FNAC nous précise, dans son "prière d'insérer" en ligne: "(...) Certains ont été choqués par la façon dont la question était posée, d'autres, en France comme à l'étranger, ont parlé d'oeuvre prophétique. Aujourd'hui, ce débat n'a rien perdu de son actualité (...)". Dans l'interview du "Fig' Mag'," Jean Raspail nous en dit plus: un des étrangers qui ont vu en lui un "prophète" n'est autre que l'Américain Samuel Huntington, l'auteur du "Choc des civilisations". Sans blague?
Il est vrai que le "Camp des Saints" raconte une histoire terrible: un  jour, une centaine de bateaux (ambiance "rafiots pourris") portant chacun en leurs flancs des milliers de gueux à peau sombre en provenance d'Afrique et du sous-continent Indien, font route vers la douce terre de France et finissent par s'échouer sur les plages de la Côte d'Azur (l'histoire ne dit pas ce qu'il advient de Brigitte Bardot en sa résidence de la "Madrague"). Tout au long du périple de cette armada d'un nouveau genre  "l'Occident", tétanisé par son humanisme, son "droits-de-l'hommisme" comme l'explique Jean Raspail, ne fait rien d'autre qu'attendre l'inéluctable, à savoir l'engloutissement sous une marée humaine. Oh, il y a bien quelques tentatives de "résistance" ici et là: un hebdomadaire "courageux" (Rivarol?), discrétement soutenu par le Président de la République (Pompidou?) qui, sous les injures de médias tous ralliés à un tiers-mondisme naïf, sonne le tocsin. Ou bien l'admirable République d'Afrique du Sud (en 73, c'était encore la joyeuse époque de l'apartheid) qui tente de stopper les navires lorsqu'ils passent au large du Cap de Bonne-Espérance. Las, sous la pression de puissances occidentales décidément bien inconscientes, les gentils Afrikaners renoncent à leur projet. Pendant ce temps-là, la "civilisation" s'effondre. On voit même les Noirs sortirs de leurs ghettos, du côté de l'Alabama et du Mississipi, et se ruer sur les quartiers Blancs, c'est vous dire. La fin du livre voit une poignée de "résistants", réfugiés dans un mas provençal, faire face les armes à la main -  façon film de zombies à la George Romero ou à la manière du "ranger" encerclé par les "skinnies" Somaliens dans "Blackhawk down" - à une marée humaine qui, inévitablement, les submerge. Fin du mas provençal, fin de la France, fin de l'Occident, fin du monde, donc.
"Le Camp des Saints" best-seller à la FNAC, qui ne se tient plus de joie et le fait savoir aux lecteurs de "Libé", il faut reconnaître que l'événement est des plus instructifs sur ce qu'on appelle l' "air du temps".

Pas besoin d'aller chercher entre les lignes, Jean Raspail y exprimait bien explicitement son obsession: celle d'une "race blanche" qui, si elle n'y prend garde, sera inéluctablement submergée par un métissage généralisé sous la pression migratoire des masses du tiers-monde. Dans l'univers de Jean Raspail, seuls une poignée de "Sudistes" (les fameux "Saints") ont pris conscience de la chose mais, horreur et damnation, ils subissent l'opprobre et l'injure des "bien-pensants". Dans cette réédition 2011, l'auteur persiste et signe et évoque, dans sa préface, une force nuisible qu'il baptise "Big Other".
A l'aube des années 80, Jean Raspail signait un dossier de plusieurs pages dans le "Figaro Magazine" (déjà lui) intitulé "Serons-nous encore Français en l'an 2000?" dans lequel, projetant hardiment sur vingt ans et plus les taux de fécondité ou supposés tels des "E.N.E." (Etrangers non-Européens - sic!), il prédisait, "chiffres à l'appui" que non, justement, les Français ne le seraient plus, Français, en l'an 2000, tout mélangés qu'ils seraient d"E.N.E.", beurk.
Bref Jean Raspail c'est du brutal, de la bonne vieille pensée réactionnaire droite dans ses bottes. A 86 ans le bonhomme brandit son monarchisme légitimiste comme d'autres une banderole et - osera-t'on, au risque de se voir interner dans le camp des "pas-Saints" avec les séides de "Big Other" - une vision du monde franchement, ouvertement et bruyamment porteuse d'un racisme à l'état chimiquement pur. Car chez Jean Raspail on ne tourne pas autour du pot, façon Zemmour ou Marine Le Pen, on ne s'affuble pas du masque de la "laïcité". L'islam n'est un problème que parce qu'il s'agit d'une religion pratiquée par des "E.N.E.", la vraie question c'est celle du métissage potentiel, point-barre. Il annonce la couleur, si l'on ose écrire. Je vous fiche mon billet que Jean Raspail est plus à l'aise avec l'hypothèse de voir émigrer en France 30 000 Suédois convertis à la religion de Mahomet ou à l'Hindouisme qu'avec celle de voir approcher des côtes 300 Burkinabès adeptes de Jésus-Christ.

"Le Camp des Saints" best-seller à la FNAC, donc. Il se trouvera bien encore ici et là, au "Fig' Mag'" ou ailleurs, quelques plumitifs pour nous jouer la rengaine d'e la "bien-pensance" opprimant de courageux "dissidents", surtout s'il prend l'envie à quelque organisation antiraciste d'aller pousuivre l'auteur en justice - Jean Raspail s'en vante, il y aurait matière à le faire. Mais un ouvrage qui cartonne au box-office du premier libraire de France, libraire a fortiori trimballant, à tort ou à raison, une réputation gauchiste-intello, j'ai du mal à le considérer comme un brulôt "dérangeant la pensée dominante". Surtout si ledit libraire trouve judicieux d'en faire l'article à la une d'un autre éminent symbole du "Big Other", le journal "Libération".

Pour tout dire, il conviendrait d'informer Jean Raspail que la "pensée dominante" ou en tout cas une pensée qui a le vent en poupe, ces temps-ci, c'est peut-être bien la sienne. Il n'est qu'à voir le succès dans l'opinion d'une certaine candidate à la présidence qui n'a que le mot de "tsunami migratoire" à la bouche, discours repris presque mot pour mot par Sarkozy et ses séides. Trente-huit ans plus tard, l'obsession du "Camp des Saints" est une réalité politique. Tant il est vrai que "the times they are a-changin' ", même si ce n'est pas dans le sens où l'imaginait Bob Dylan en 1963.

Ciao, belli.

mardi 8 mars 2011

Sondages: et si on arrêtait les conneries?

Il est un phénomène que tous les professionnels des études de marché et d'opinion, dont votre serviteur, observent constamment. Il s'agit de la façon dont certains clients accueillent les résultats des études:
  • Soit les résultats sont conformes à ce qu'ils ont envie d'entendre, auquel cas ils affirmeront qu'ils savaient déjà, il s'agit donc d'une très bonne étude, même si on peut remettre en question, tout bien réfléchi, son utilité
  • Soit les résultats contredisent leurs idées préconçues, dès lors ils contesteront la robustesse  de l'échantillon, la qualité de la méthodologie et de l'analyse des données, etc...Il s'agit d'une mauvaise étude, non seulement inutile mais nuisible
Pour ce qui concerne le dernier sondage d'intentions de vote pour 2012 réalisée par l'institut Harris Interactive, il semble que l'on se situe dans le second cas de figure. Marine Le Pen y figure en tête au premier tour, avec 23% d'intentions de vote contre 21% chacun pour Nicolas Sarkozy et Martine Aubry. "Non mais c'est n'importe quoi", entend-on ici et là. Branle-bas de combat, tout le monde sur le pont. Les instituts concurrents - TNS, CSA, IPSOS et consorts - se gaussent ou crient au scandale. Marine en tête c'est pas possible, eux le savent bien, c'est donc que les gens de Harris Interactive se sont plantés quelque part et qu'ils auraient dû réfléchir à deux fois avant de publier ces chiffres. Cette attitude bien peu confraternelle est relayée par différents éditorialistes qui crient à la manipulation, voire par des spécialistes de l'information, comme sur Rue89. Que reproche-t'on, techniquement, à cette enquête?
  1. Le choix proposé aux interviewés n'envisageait que le scénario Martine Aubry pour ce qui concerne le Parti Socialiste. Point de Strauss-Kahn, de Hollande, de Royal ou de Montebourg à l'horizon
  2. Marine Le Pen étant une nouvelle venue au sein de l'offre politique, on se demande de quelle façon les résultats ont pu être "redressés" vu qu'on ne dispose d'aucun historique de résultats de vote réels
  3. L'étude a été réalisée via Internet et on se pose de sérieuses questions quant à la représentativité de l'échantillon
Reprenons.
  1. L'absence d'alternative à Martine Aubry comme candidat du PS dans ce sondage , notamment de l'"imam caché" (qui se cache de moins en moins) Dominique Strauss-Kahn est-elle un problème en soi? Elle en serait un si la candidature de la Première Secrétaire était totalement improbable et, jusqu'à preuve du contraire, elle ne l'est pas. Admettons cependant qu'il serait plus "juste" d'évaluer plusieurs scénarios
  2. Redressement des résultats: à quelque chose "malheur" est bon, cette polémique rappelle à tous que les résultats des sondages ne sont pas livrés "bruts" mais que les réponses des interviewés sont "corrigées". Correction légitime lorsqu'il s'agit de pondérer les résultats en tenant compte de la certitude qu'expriment les répondants sur leur intention de vote. Correction davantage capillo-tractée lorsqu'on applique un coefficient, à la hausse ou à la baisse, à une intention de vote. On demandera notamment aux interviewés ce qu'a été leur vote en 2007 puis on comparera les résultats de cette question au résultats réels de l'élection. S'il s'avère que tel ou tel vote est sur- ou sous-déclaré, alors on "redressera" les résultats de l'enquête. En d'autres termes, on réévalue une déclaration portant sur un comportement futur en fonction de l'exactitude du souvenir d'un comportement passé.  Le fait qu'une  "correction" des intentions de vote soit  impossible dans le cas de Marine Le Pen n'implique pas qu'une telle bidouille soit parfaitement légitime pour tout autre candidat, pourvu qu'il ait un passé électoral
  3. Les enquêtes via Internet: bien évidemment, il ne suffit pas qu'un échantillon interrogé "on line" soit représentatif sur des critères d'âge, de sexe, de revenu etc.. pour que tout aille pour le mieux: le simple fait d'être d'utiliser ce média pour une enquête situe l'interviewé dans un mode de vie, des habitudes qui, en soi, sont singulières et, dans certains cas, atypiques. Sans compter que la sincérité des déclarations portant sur l'âge, le revenu etc sont, dans ce contexte, à tout le moins sujettes à caution.. Cela étant les sondages politiques via Internet se pratiquent depuis des années et il est étonnant qu'on attende aujourd'hui pour s'offusquer d'une telle pratique
Les arguments contre le sondage Harris Interactive sont, en soi, parfaitement recevables. Mais la conclusion qu'on doit en tirer n'est pas que la publication de ces chiffres est scandaleuse. La conclusion, c'est que l'anecdote "Marine-en-tête-selon-le-sondage-du-5-Mars-2011" est une bonne occasion d'affirmer, une bonne fois pour toutes, que les mesures d'intention de vote sont un tissu de conneries si elles sont effectuées plus d'un mois avant des élections - voire plus d'une semaine avant. Et que le sérieux avec lequel on les commente est le signe d'un dérèglement de l'intelligence politique.
Il y a belle lurette que dans le domaine du marketing les mesures d'intention d'achat - courantes en matière de tests de produit, de packaging ou publicitaire - sont traitées avec la plus grande circonspection: on les lit, on les analyse, mais on les replace dans leur contexte et, à tout le moins, on ne les "redresse" pas en fonction du souvenir des achats réels des consommateurs - pour autant qu'on les connaisse. En tout cas il ne viendrait à l'idée de personne d'en faire l'alpha et l'oméga des prévisions de parts de marché, sans prendre en compte la pression publicitaire, l'environnement concurrentiel, le prix  ou les enjeux de la distribution, surtout à plus d'un an du lancement du produit.
Le vrai problème, avec les mesures d'intention de vote, n'est pas tant la méthode employée - nonobstant, excusez du peu, les "corrections" en tout genre, la qualité des échantillons ou la sincérité des répondants - mais le sens prédictif qu'on donne, même implicitement, à de tels exercices. Oh bien sûr, lorsqu'on vient à prononcer le mot "prédiction" les professionnels des instituts de sondage se récrient et jouent les vierges effarouchées - "il s'agit d'une photographie de l'opinion à un instant t", annonent-ils, selon la formule consacrée. Et tout le monde - médias, hommes et femmes politiques - d'opiner du bonnet... avant de se lancer derechef dans quelque sarabande spéculative sur ce qui risque de se passer en Mai 2012.
L'enjeu véritable si on entend mesurer l'opinion politique, à un instant t ou t+1, c'est qu' il faut d'emblée oublier "l'intention de vote", car cette dernière suppose, de la part de l'interviewé, un choix exclusif. Or, en matière d'hommes et femmes politiques comme, il faut bien l'admettre, en matière de yaourts à boire ou de barres de céréales, l'exclusivité du choix de "marque" est l'exception plutôt que la règle. La vérité de l'opinion politique, pour la plupart des citoyens, c'est une préférence (une relativisation, donc) et non un choix dans l'absolu, à l'exclusion de tout autre.
Dès lors, une mesure sincère et fiable, une vraie "photographie de l'opinion à un instant t" consisterait à demander aux interviewés de classer tous les candidats - réels ou hypothétiques - sur une échelle de préférence, en commençant par les deux extrêmes (celui ou celle qu'ils préfèrent le plus, celui ou celle qu'ils préfèrent le moins) puis en plaçant tous les autres entre les deux. Une telle mesure à intervalles réguliers permettrait de voir les personnalités progresser ou décliner dans les affinités des électeurs... En tout état de cause, il en ressortirait une "vérité" de l'opinion certainement moins artificielle que celle issue d'un questionnaire posé sous l'hypothèse que les élections aient lieu "dimanche prochain". Avec une telle mesure - transparente, simple, intuitive - aucune excuse pour "corriger" les résultats.
Mais pas question de convertir ce palmarès en parts des suffrages. Du coup, c'en serait fini de la prétention des uns, même si elle est toujours niée, à prédire l'avenir - et de la jubilation des autres, même avec l'usage du conditionnel, à gloser à l'infini sur l'image apparue dans la vraie-fausse boule de cristal. Mais parions que le débat démocratique y gagnerait en discernement.

Cela étant un tel changement ne risque pas de se produire: sauf dans le cas des arrangements à la Patrick Buisson, les sondages politiques ne rapportent pas un fifrelin (ou bien peu, en comparaison des études marketing) à ceux qui en font profession, ce sont de purs vecteurs de notoriété et de réputation. Aucune chance que l'une ou l'autre des sociétés d'études ne remette en cause des habitudes multi-décennales, juste pour la gloire. D'autant que les clients - médias ou politiques - seraient très perturbés de ne plus se voir proposer de "simulation" du premier et, tant qu'on y est, du second tour. Et cesseraient d'acheter lesdits sondages.

Personne n'a donc véritablement intérêt à mesurer l'opinion des électeurs de façon rigoureuse et un tant soit peu réaliste. A partir de là. il faut en accepter les conséquences. Et se dire que "Marine Le Pen en tête au premier tour", c'est pas plus con que "Domique Strauss-Kahn, le candidat de gauche idéal".

See you, guys.

mercredi 2 mars 2011

Quand Nicolas joue avec Marine

Fillon rame, Copé meuble. Vocation ou malédiction, deux des béquilles de Nicolas Sarkozy tentent ce jour, tant bien que mal, de donner du sens à la dernière foucade du Président: l'organisation d'un "débat" sur la "place de l'islam dans la société française" désormais requalifié en "débat sur la laïcité". Chez le premier c'est un sacerdoce, chez le second l'occasion de se poser en exégète serein mais exigeant d'une ligne présidentielle parfois un peu dure à suivre et donc, in fine, en successeur probable. L'un rame l'autre meuble, donc, car il n'échappe à personne, y compris à droite, que cette envie soudaine, sortie du chapeau élyséen lors du laborieux exercice "Paroles de Français" sur TF1, constitue un tropisme "identitaire" propre à labourer les terres du Front National.
Or depuis la présidentielle de 2007, durant laquelle la recette a fait merveille, les choses ont changé: la politique en matière de sécurité est un fiasco, à tout le moins dans la perception qu'en ont les électeurs sinon dans les faits, le "grand débat" sur l'identité nationale s'est terminé en eau de boudin, la crise et une persistante "politique d'offre" ont laminé le pouvoir d'achat des catégories les plus défavorisées, le tout nourrissant un regain de popularité du Front National qui, last but not least, s'est payé un lifting en se choisissant "fifille" pour leader.
A partir de là, évidemment, la réactivation soudaine d'une thématique propre à légitimer les thèses du F.N. et donc à en accroître le potentiel électoral peut apparaître comme suicidaire. Nombreux, à droite, sont ceux qui commencent à se demander si le président, naguère adulé pour sa clairvoyance, ne commencerait pas, par hasard, à avoir un petit peu de jeu dans la direction. Surgit l'hypothèse, terrifiante pour la majorité, d'un "21 Avril à l'envers" qui verrait s'affronter, au second tour de la présidentielle de 2012, le (la) candidat(e) du P.S. et Marine Le Pen.
L'accusation de faire le jeu du Front National est donc un air largement entonné par la classe politique, par toute la gauche pour en faire un argument polémique, par certains, à droite, pour en pointer les risques électoraux. Les uns et les autres, bien sûr, au nom de "valeurs républicaines", balayant d'un revers outragé le soupçon de préoccupations purement politiciennes. Quoiqu'il en soit, le constat selon lequel Nicolas Sarkozy en fait des wagons pour préempter les thèmes de prédilection du F.N. fait quasiment l'unanimité. Il est vrai que les preuves ne manquent pas. Tout récemment, encore, on relève le tour de passe-passe consistant à affubler le délestage du boulet Alliot-Marie du masque d'un réajustement nécessaire de l'action gouvernementale. Avec, en ligne de mire, l'idée que l'on entend protéger le territoire français et ses habitants des soubresauts incertains de l'outre-méditerranée. Les masses arabes que ne contiennent plus ces garde-chiourme un peu rudes, certes, mais si familiers, forcément ça peut effrayer le boulanger du coin, se dit-on en haut lieu. Tout se passe comme si, à propos de tout et n'importe quoi, il convenait d'aller chatouiller Marine.
Au premier abord, cette fuite en avant Le-Péno-centrée de Sarkozy (par ailleurs aux abois dans les indices de popularité) revient pour le président à se tirer une balle dans le pied. Mais à y regarder de plus près on se dit deux choses:
  1. Nicolas Sarkozy est tout sauf un imbécile
  2. Il tient par-dessus tout à sa ré-élection en 2012
    A partir de là, la seule conclusion logique est que "faire le jeu du Front National" est, de la part du président, une volonté délibérée. Nicolas Sarkozy veut refaire le coup du 21 Avril. Mais à l'endroit. Avec lui face à Marine Le Pen au second tour, et l'électorat de gauche de nouveau contraint, dix ans plus tard, d'aller voter à reculons. Ré-élection garantie, donc, même si c'est au prix d'un score moins Zaïrois que les 82% de son prédécesseur - banalisation du "Marinisme". Un petit côté roulette russe mais cette hypothèse qui, paraît-il, circule dans les couloirs de l'assemblée, a été prudemment soulevée par Renaud Dély vendredi dernier sur France Inter. L'éditorialiste soulignait la bonne dose de cynisme qu'une telle stratégie pouvait induire chez le président, tout en sonnant bruyamment le tocsin sur le thème "on joue avec le feu". Certes. On pourrait objecter que François Mitterrand ne fit pas moins preuve de cynisme lorsqu'au milieu des années 80, il agita discrètement le chiffon rouge des "potes", tout en instaurant le scrutin proportionnel aux législatives. Et installa, de facto, le Front National dans le paysage. On objectera, surtout, que Nicolas Sarkozy n'a pas le choix: la montée, aussi haut que possible, de la popularité de Marine Le Pen est une nécessité vitale s'il entend rempiler.
    Tout porte à croire, en effet, que le seul thème qui soit a priori objectivement - et légitimement - porteur pour 2012 soit celui des questions économiques et, surtout, sociales. Or sur cette thématique la droite, et, singulièrement, son leader, sont d'ores et déjà dans les choux (chômage persistant, pouvoir d'achat en panne sèche, frustrations multiples au sein de la classe moyenne, notamment des fonctionnaires, colère sourde face à l'insouciance des nantis à la Woerth-Bettencourt). Dès lors il convient d'éviter ce terrain à tout prix. Et se déplacer sur celui d'une "identité", d'une "sécurité" que viendraient mettre en péril des bigots barbus et des jeunes à capuche, les uns encombrant les rues en se prosternant par dizaines vers l'est cinq fois par jour, les autres démolissant les vitrines des magasins qui bordent ces mêmes rues. Réécrire, encore et encore, le code pénal à chaque nouveau faits-divers bien sordide, et fantasmer une impraticable justice "du peuple" (les jurés en correctionnelle) pour mieux souligner le "laxisme" des magistrats professionnels. Etc, etc... L'avantage c'est que, sur le triptyque sécurité-identité-immigration, la gauche sera nécessairement en retrait, soit par souci éthique - éviter les amalgames... et singulièrement le triptyque lui-même - soit parce qu'elle ne s'exprimera pas d'une seule voix. Il sera alors aisé de mettre le P.S. et son (sa) candidat(e) hors-jeu en l'accusant de faiblesse.
    Nicolas Sarkozy fait le pari suivant, qui est loin d'être idiot ou irréaliste: la montée du F.N. ne saurait obligatoirement se faire davantage au détriment de sa personne qu'à celui du (de la) candidat(e) du P.S., bien au contraire, et le récent tournant "social" du F.N. ne peut que le conforter dans ce pari. Plutôt que d'éteindre l'incendie, il convient de l'attiser, en se disant que le vent le portera à dévaster les terres du voisin. Entre les deux tours, il sera temps d'adopter une posture "républicaine" et de siffler la fin de la récréation.
    Dans cette perspective, la matérialisation - ou pas - de l'ectoplasme D.S.K. sur la scène de la présidentielle n'a strictement aucune importance, même si la probabilité de cette matérialisation n'est pas pour rien dans la frénésie national-populiste qui saisit l'Élysée. Mieux, la présence de D.S.K. n'est pas nécessairement une mauvaise chose dans le contexte de cette stratégie de campagne, et la sortie limite-Pétainiste de l'inénarrable Christian Jacob sur le côté "loin du terroir" du président du F.M.I. n'est sans doute pas fortuite.

    L'enjeu n'est pas de savoir si l'hypothèse selon laquelle Nicolas Sarkozy fait sciemment progresser le Front National est juste - c'est une évidence. L'enjeu n'est pas de dénoncer, de pousser des hauts cris et de rivaliser d'éditoriaux brillants sur la "république humaniste en danger" - ça ne servira malheureusement pas à grand-chose. L'enjeu, c'est de ramener l'économique et le social au centre du débat. Pour cela, il faudrait notamment un P.S. un peu moins occupé à se gratter les primaires. C'est pas gagné.

    Ciao, belli


    jeudi 20 janvier 2011

    Censure à Budapest: on s'en fout?

    Air connu: l'efficacité diplomatique et la fidélité à un certain nombre de principes - quels qu'ils soient, au demeurant - font rarement bon ménage. La "Realpolitik", ça s'appelle. Ces contradictions récurrentes sont particulièrement saillantes dans le cas des démocraties occidentales, qui se posent comme l'incarnation de principes politiques peu ou prou hérités de la philosophie des Lumières, ne manquent pas de le faire savoir au reste du monde et qui, nonobstant, s'assoient dessus lorsque des intérêts "supérieurs" sont en jeu.
    Dernier exemple en date: le silence assourdissant de l'auto-proclamée patrie des droits de l'homme durant l'explosion de la cocotte-minute tunisienne, silence seulement rompu par les offres de services en matière sécuritaire de Michèle Alliot-Marie (dans un souci d'épargner les vies humaines, celà va de soi, la flicaille française, de Flash-ball en "Taser", étant devenue experte en maintien de l'ordre non-létal, enfin presque). Bien légitimement, la complaisance à l'égard du régime de Ben Ali, au nom de la "lutte contre l'islamisme" et, n'en doutons pas, de quelques intérêts économiques bien compris, complaisance qui atteint son acmé avec cette mise en pratique d'une certaine "sagesse" chinoise - ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire - suscite des commentaires acerbes et désabusés, de part et d'autre de la méditerranée. C'est la malédiction et la grandeur des gouvernements démocratiques d'avoir à se coltiner, dans les relations internationales, le monde tel qu'il est, tandis que médias et opposants politiques à domicile leur parlent du monde tel qu'il devrait être. Au nom de principes qui constituent une culture commune, en l'occurrence la défense des libertés, un "surmoi Droits-de-l'Hommiste", comme évoqué ici-même il y a deux ans à propos de la Birmanie.
    Un silence coupable comme bouquet final d'années de compromissions, voilà comment se conclut le dernier épisode des relations franco-tunisiennes, c'est une affaire entendue. Mais à propos de silence... Sans avoir la prétention de constituer à moi tout seul une pige multimédia - il se peut que j'aie loupé quelques épisodes - tout de même il est un autre silence qui, en ce début d'année, me casse les oreilles: celui qui suit la promulgation, en Hongrie, d'une loi muselant les médias et, dans la foulée, de l'accession de ce pays à la présidence tournante du Conseil de l'Union Européenne.
    Certes il y a bien eu quelques réactions outrées ici et là, à l'approche du premier Janvier. Puis les atermoiements à usage externe, suivis de coups de menton à usage interne, du gouvernment hongrois. Et depuis, rien. L'Union Européeene, qui, à défaut d'avoir une politique, est supposée avoir des principes - la liberté de la presse en fait partie, jusqu'à plus ample informé - est partiellement "présidée" par un pays dont le gouvernement a jugé bon d'établir un comité de censure. "Etonnant, non?", aurait dit Desprosges. Bien sûr on imagine bien qu'en coulisses des discussions, des négociations sont en cours, il se peut même que cette loi, sous la pression des instances européennes, finisse par être abrogée sous peu. Mais là n'est pas la question: la question c'est que le seul scénario plausible soit, justement,  une négociation. C'est donc négociable, la liberté de la presse, en Europe? Dans la discrétion, en plus? Ah bon.
    Cette lamentable affaire constitue, cela va sans dire, un précédent grave. La seule légitimité "palpable" d'un pouvoir supra-national européen c'était, justement, de constituer un garde-fou sur la question des libertés et des droits de l'homme. On se souvient de la vitesse à laquelle, en 2010,  le gouvernement français rétro-pédala lorsqu'il fut établi qu'une circulaire du Ministère de l'Intérieur ciblait spécifiquement les populations Roms. "Une circulaire? Quelle circulaire? Ah, mais désolé, celle-là c'était juste un brouillon, hop, a p'us - Ah ah, bien essayé, Monsieur Hortefeux". Mais dans cette affaire, le gouvernement hongrois s'accroche. Alors on négocie. Passe encore à la rigueur, autant qu'on puisse le déplorer, que tel ou tel pays européen mette ses principes au fond de sa poche lorsqu'il s'agit de maintenir ou d'améliorer des relations avec un satrape sanguinaire ou une clique de bureaucrates kleptomanes. Mais que ce "principe de réalité" s'applique à l'intérieur même d'un ensemble - l'Union Européenne - dont l'un des rares ciments est l'adhésion à un certain nombre de valeurs démocratiques, c'est à se taper la tête contre les murs.
    Imaginons un seul instant que le gouvernement hongrois ait continué de foutre la paix à ses journalistes mais qu'il ait, en revanche, décidé de taxer ses importations en provenance de l'Union Européeenne et de rétablir un contrôle des changes. Là, n'en doutons pas, on verrait immédiatement se mettre en place une cellule de crise à Bruxelles, Sarkozy et Merkel se téléphoneraient quarante fois par jour, tandis que les médias en feraient des titres gros comme ma cuisse. Pour le coup, il ne s'agirait pas de négocier, mais de sommer la Hongrie de rentrer dans les clous, et plus vite que ça, encore. Sous peine, éventuellement, qu'elle soit exclue de l'Union, d'une façon ou d'une autre. Tant il est vrai qu'on ne saurait transiger avec la liberté de circulation des marchandises et des capitaux.
    Rien de tout celà dans ce qui nous occupe. La censure de la presse en Hongrie est un non-événement médiatico-politique. Pas de crise, pas d'excitation, pas de bruit. Bien au contraire, un long silence, comparable à celui du gouvernement français lors du soulèvement tunisien.

    Mais ce silence est d'un autre poids. Les compromissions de la France et des autres démocraties occidentales avec Ben Ali et consorts sont souvent déplorables, mais relèvent d'une forme habituelle du double langage, inscrite dans les gènes de ces Etats - ils y survivent toujours. Celles du "machin" européen avec la clique d'excités aux commandes à Budapest constituent une hypocrisie d'un genre nouveau, une hypocrisie suicidaire: le peu d'Europe qui existe en crèvera.

    A bientôt