samedi 31 mars 2007

Vatican: la ligne dure

C'est fou ce que Donald Rumsfeld peut ressembler à Benoît XVI, bien déguisé. Non, en fait, je déconne: là, sur la photo, c'est Benoît XVI. On retrouve chez le successeur de Jean-Paul II ce petit sourire sympathique qui a fait notre joie et celle du peuple irakien ces dernières années. Mais reconnaissons d'emblée que les deux personnages ont bien peu en commun: le pape, quand bien même il en verrait la nécessité, est rigoureusement incapable de mettre vraiment le Proche-Orient à feu et à sang. Il y a bien eu sa "petite phrase" sur l'islam il y a plusieurs mois, quelques morts par ci-par là mais bon, à côté de la "guerre contre le terrorisme", hein, franchement, y a pas photo.

Si elle ne mesure pas à sa capacité d'aligner les divisions blindées, comme le pensait Staline, l'influence du pape sur la marche du monde n'est pas pour autant négligeable. En Europe, en particulier, le Vatican fait feu de tous bois, jouant d'armes dont usent les autres multinationales: le lobbying et la propagande. L'objectif en est de regagner, par la bande, ce que l'histoire de notre continent lui a fait perdre ces deux derniers siècles: du pouvoir temporel.

Les hautes autorités catholiques n'arrivent pas à se résigner à la sécularisation de l'Europe. La chute de l'empire soviétique leur avait fait espérer une "nouvelle évangélisation" à partir de leur bastion polonais. Las, même en Pologne l'influence de l'Eglise décline.
Deux options étaient possibles: la poursuite d'un aggiornamento initié lors de Vatican II afin de "coller" davantage à l'air du temps (en autorisant par exemple l'ordination des hommes mariés, voire des femmes) ou la radicalisation, le recentrage sur le corpus idéologique de base. Alors que Jean-Paul II semblait maintenir un relatif équilibre entre ces options, Benoît XVI a ouvertement choisi la seconde. Et ce, au grand dam d'une bonne partie de l'Eglise de France, qui voit d'un sale oeil, par exemple, les appels du pied répétés aux intégristes Lefebvristes. Un exemple symptomatique: l'éloge de la messe en latin fait par Benoît XVI et le projet d'en ré-officialiser l'usage, à tout le moins de ne plus l'interdire. A croire que l'ex-cardinal Ratzinger s'est laissé convaincre par la vieille chanson de Georges Brassens: "Ils ne savent pas ce qu'ils perdent/tous ces fichus calotins/Sans le latin, sans le latin/la messe nous emmerde".

Force est de constater que l'abandon du latin et l'irruption de gratteurs de guitare folk - en gros, la baba-coolisation du rite catholique - n'a pas enrayé, loin s'en faut, la désaffection des églises. A en croire les intégristes - rejoints par Brassens à titre posthume - ces changements seraient même la cause du déclin de la pratique religieuse. J'ai pour ma part tendance à penser qu'il s'agit d'un phénomène bien plus vaste - la désagrégation des "structurants" traditionnels, corollaire de l'individualisation de la société - qui a affecté de la même façon, en France tout au moins, une organisation comme le Parti Communiste. Cependant, dès lors que les "concessions au siècle" ne portent pas les fruits espérés, il n'est pas illogique, quand on est le pape, d'envisager un rétropédalage massif, et de faire le pari suivant: les cathos attachés aux réformes de Vatican II sont moins nombreux que les masses "non-politisées".
Mais au delà de la question des rites - secondaire, tout le monde s'accorde à le dire - l'enjeu majeur est celui de la "lisibilité", du "positionnement" du catholicisme dans le "champ religieux" en Europe. Sur notre continent en effet, on voit émerger deux phénomènes préoccupants pour l'Eglise:
  • d'une part, sur le plan interne, la foi de bon nombre de catholiques est de moins en moins étayée par l'adhésion aux dogmes: pour un croyant qui "assume" les mystères de la Trinité et de l'Eucharistie, qui croit en l'Immaculée Conception, au Paradis, au Purgatoire et à l'Enfer, combien qui se contentent de déclarer qu'ils sont convaincus "qu'il y a quelque chose au-dessus de nous" ce qui, sur le plan doctrinal, s'apparente à du Bouddhisme?

  • d'autre part, sur le plan externe, s'affirme auprès de populations issues de l'immigration extra-européenne, une foi musulmane que travaillent, ici et là, des prédicateurs inspirés par les doctrines les plus rétrogrades
    (Parenthèse: sur ce second point, on notera le soutien sans faille de l'Eglise catholique aux opposants à la loi sur le voile en France, ainsi que sa solidarité affichée avec les musulmans "offensés" par les caricatures publiées au Danemark)

Du point de vue de Ratzinger, cette radicalisation doctrinale relève d'une stratégie de survie du catholicisme face à deux dangers: celui de la dilution dans le syncrétisme d'une part, celui d'apparaître plus "faible" que l'islam d'autre part - ce dernier enjeu étant insignifiant en Europe mais lourd de conséquences en Afrique. De survie, mais également de combat.

Ce retour à une doctrine d'avant Vatican II s'accompagne en effet d'une offensive tous azimuts - lobbying et propagande évoqués plus haut - contre tout ce qui va à l'encontre de la vision catholique de la société en Europe: lutte réussie contre la légalisation de l'avortement en Pologne, matraquage anti-dico (le PACS italien) qui amène le gouvernement Prodi à retirer son projet de loi, et tout récemment (le 24 mars, à Rome, lors d'une réunion de clercs et de laïcs organisée par la Commission des conférences épiscopales en Europe), appel aux politiciens européens à "l'objection de conscience" face à certaines lois sur les moeurs, et dénonciation de l"apostasie de l'Europe".

Face à cette offensive, quelle résistance? On peut douter de la solidité du "front" laïc si on s'arrête à une anecdote toute récente: une religieuse répondant au doux nom de Soeur Marie Simon-Pierre (le dernier ferme la porte) a récemment fait part aux médias du fait qu'elle a réussi à guérir de la maladie de Parkinson d'un seul coup d'un seul: "Je suis guérie, c'est l'oeuvre de Dieu, par l'intercession de Jean Paul II. C'est quelque chose de très fort, de difficile à expliquer avec des mots" (Le Monde.fr, 30/03/07). Effectivement, c'est "difficile". Ce qui est également difficile à admettre, c'est que des journaux comme "le Monde" ou "Libération" reprennent ces déclarations, se contentant d'ajouter que si l'Eglise reconnaît ce fait comme étant un miracle, cela favorisera la béatification de Jean-Paul II. Pas le moindre petit début d'un contrepoint, comme par exemple l'interview d'un neurologue. Non non, la question c'est "ce miracle sera t'il reconnu par l'Eglise?", point. Pour ma part, je remarquerai que si l'intercession de Jean-Paul II n'autorise que la guérison des bonnes soeurs souffrant de Parkinson, maladie dont il était lui même atteint, les laïcs malades du SIDA feraient mieux de compter sur les tri-thérapies que sur la prière.

Toujours est-il qu'il est peut-être temps de montrer à Benoît XVI qu'il doit y avoir des limites à sa stratégie de reconquête. La radicalisation de son discours n'en rendra ce combat que plus facile. Les dizaines de milliers de jeunes polonaises aux grossesses non-désirées ont encore la ressource d'aller avorter en Allemagne, "Dieu merci", n'en déplaise à l'allemand Ratzinger. Mais ce n'est pas une solution.

Allez, salut.

jeudi 29 mars 2007

Harry Potter et la Timbale Foireuse

La vie est injuste.
Prenez un homme jeune, bien sous tous rapports, promis à un bel avenir politique: François Baroin. Il est tout neuf, ou presque, et en plus il ressemble à Harry Potter. Son avenir est d'autant plus radieux qu'il est jugé "Sarko-compatible": c'est un chiraquien d'origine, mais il a su rester suffisamment discret pour ne pas irriter Nicolas Sarkozy. Pour ceux qui n'ont pas compris: Dominique de Villepin n'est pas "Sarko-compatible". Moi non plus, d'ailleurs, mais tout le monde s'en fout, et de toute façon je n'ai jamais été chiraquien. "Sarko-compatible", ça veut dire qu'en cas de victoire de Nicolas Sarkozy, il ne sera pas au chômage, lui.
A droite, ça fait plus d'un an qu'on spécule sur qui est ou n'est pas "Sarko-compatible". Bien sûr, il y a cette fichue formalité - l'élection présidentielle - 44 millions de personnes sont convoquées, si ça se trouve il ne va même pas se trouver de majorité pour désigner Nicolas Sarkozy, comme prévu... Bah, même en avril 2012, il ne sera pas trop tard pour se découvrir d'autres compatibilités.
Mais revenons à François Baroin. Lundi dernier, il succède à Nicolas Sarkozy au Ministère de l'Intérieur. Ce dernier est désormais "libre de s'adresser aux Français" (parce qu'avant, vous comprenez, il se retenait très fort de s'exprimer, on sentait bien qu'il souffrait de ce long silence forcé). Tout content, il est, le François. Ouah, Ministre de l'Intérieur, eh, ça en jette. C'est ce qui s'appelle décrocher la timbale. D'accord, c'est juste pour cinq ou six semaines mais bon, toujours ça de pris, hein.
Et puis vlan, la tuile. Foireuse, la timbale. A peine Nicolas a-t'il tourné le dos que se déclenche Gare du Nord à Paris un affrontement gratiné entre forces de l'ordre et casseurs. A l'origine: l'interpellation un peu musclée d'un fraudeur. Lacrymos, jets de projectiles, usagers terrifiés, des heures durant, le tout sous le regard des caméras de télévision. Là-dessus, le fait divers s'invite dans la campagne: Ségolène Royal fait à juste titre remarquer, en substance, que ce pataquès démontre, s'il le fallait, qu'entre les policiers et un nombre considérable de jeunes on a atteint un niveau de tension inacceptable. Sarkozy, se sentant visé à juste titre, répond que même pas vrai, d'abord, et en remet une louche sur la Gauche "laxiste". Par ailleurs, Bayrou ouvre le robinet d'eau tiède et nous explique qu'il faut trouver un nouvel équilibre entre prévention et répression (mais ou va-t'il chercher tout çà?), Le Pen nous fait du Le Pen et Besancenot, lui, a la solution: la gratuité des transports en commun (Seuls les bourgeois aisés peuvent se payer un ticket de métro, c'est bien connu, et puis il est comme ça, Besancenot, plein de bon sens: si la transgression des règles crée du souci, on supprime les règles et puis voilà).
Bref, en fait de petite mission d'intérim peinarde et bien rémunérée, François Baroin se retrouve assailli par les micros, sous les feux de la rampe. Avec la décence qui lui interdit de dire tout haut ce qu'il doit penser tout bas: "Eh, ho, je viens juste d'arriver, foutez-moi la paix, c'est pas de ma faute si je récupère des flics complètement à cran, en face d'armées de petits cons camés à la baston et surveillés de loin par des brigades de CRS, entre deux contrôles d'identité".
Non, au lieu de ça il fait un petit déplacement express Gare du Nord, félicite les forces de l'ordre pour leur "sang froid" (on les félicite toujours pour leur sang froid, les forces de l'ordre, vous avez remarqué?) et dénonce «toute exploitation politique déplacée», suivez son regard.
Une timbale foireuse, je vous dis. Parce que quand même, il faut de l'estomac pour récuser le droit à des candidats à la Présidentielle, en pleine campagne électorale, d'observer:
  1. Qu'il suffit aujourd'hui de trois fois rien pour transformer les espaces urbains en scènes de batailles rangées
  2. Que ce genre de problème relève de la Sécurité publique, domaine dont un autre candidat se targue depuis cinq ans d'être le champion et qui dit à qui veut l'entendre qu'on n'a pas encore vu le plus beau

Mais bon, François Baroin prend sur lui et joue le jeu. La vie est vraiment injuste, s'il avait su il aurait peut-être pris des vacances au lieu d'accepter ce job à la con. Mais les leçons de tours de passe-passe ("Ou elle est l'insécurité? Hop, elle a disparu!"), Harry Potter les a bien retenues. Ça doit être pour ça qu'il est "Sarko-compatible".

Alllez, ciao

dimanche 25 mars 2007

Bayrou et les coprophages

Il y a quelque chose de réjouissant dans la "montée en puissance", réelle ou non, de l'"hypothèse Bayrou": l'onde de choc qu'elle provoque au sein de ces personnages principalement mûs par les vents de l'air du temps, d'où qu'ils soufflent.
Prenez un type comme Jean-Louis Borloo, par exemple. Non que le mouvement dont il a récemment pris la tête puisse constituer un renfort massif pour un quelconque candidat - le Parti Radical Valoisien pourrait tenir ses congrès dans une cabine téléphonique - mais le bonhomme occupe une place à part sur l'échiquier, ayant su développer et cultiver une image "sociale": en gros, on sent qu'il n'est pas forcément à 100% d'accord avec le MEDEF, ce qui dans la Droite d'aujourd'hui constitue une aspérité remarquable. Du coup, son ralliement à Sarkozy, sans être forcément décisif le 22 avril, apporterait une touche d'"humanisme", de "générosité" à la campagne du petit bonhomme de Neuilly.
Oui mais voilà: ça va faire bientôt trois semaines qu'il tergiverse, le Jean-Louis. Qu'il "réserve sa réponse", "pose des conditions". Mettez-vous à sa place, aussi. Et si des fois Bayrou réussissait son pari? Qui est-ce qui aurait l'air con, avec son soutien à Sarkozy? Une belle image d'homme de droite "social" gaspillée pour rien... Et puis il faudrait ramer sévère pour récupérer le coup auprès du Béarnais. Tempête sous un crâne, donc.
Ces hésitations, je les devine aussi taraudant tous ces UDF ralliés à l'UMP en 2002. Je vous fiche mon billet que les coups de téléphone discrets doivent se faire nombreux, ces dernières semaines, sur le thème: "Allô François? Je voulais te dire: tu fais une superbe campagne, vraiment. Si si, j'insiste. Tu me connais: j'ai toujours cru à la nécessité de la diversité au sein de la majorité. On reste en contact, hein?".
Le patron de l'UDF se devrait d'être compréhensif avec ces brebis égarées. Simone Veil, très peau-de-vache, a raconté ("Le Nouvel Observateur", semaine du 8/03/07) qu'en 1995 Bayrou - initialement soutien de Balladur - avait, au soir de la victoire de Chirac au 1er tour, passé un coup de fil chaleureux au vainqueur, histoire de s'assurer un avenir au sein du futur gouvernement. Chirac, grand prince, l'a maintenu à son poste de l'Education Nationale. Comme quoi çà paye, les loyautés successives.
Autres turbulences, à Gauche cette fois: un groupe de hauts fonctionnaires membres du PS, se baptisant eux-mêmes les "Gracques", appellent à la constitution d'un gouvernement d'union UDF-PS. Ben tiens: dans deux cas sur trois, ils sont gagnants.
Si d'aventure Bayrou se faisait élire, on nous dit que cela constituerait un séisme, une recomposition radicale du paysage politique. Moi je crois plutôt qu'on assisterait à un festival de retournements de veste au sein de l'UMP, avec le renfort de quelques technocrates d'Etat qui ne sont au PS que parce qu'il faut bien être quelque part, dans ce métier.
Bayrou se dit prêt à utiliser des compétences "d'où qu'elles viennent": en guise d'"union nationale", je suis convaincu qu'il devra se contenter de l'union de ses vrais fidèles de toujours (pas bien nombreux) et d'une armée de mange-merde prêts à tout pour un maroquin. Et ces coprophages viendront très majoritairement de l'UMP, j'en fais le pari.
A plus tard.

samedi 24 mars 2007

Gesticulations patriotardes

Le premier tour de l'Election Présidentielle s'approche à grands pas, et la bonne nouvelle c'est que plus personne de sensé ne se risque à pronostiquer quoi que ce soit. Les constats selon lesquels les sondages ne sont prédictifs de rien d'une part, et qu'ils ne reflètent que de façon distordue l'état de l'opinion d'autre part semblent de plus en plus devenir d'évidence. Dans l'ensemble, l'ambiance "course de petits chevaux" a tendance à s'estomper, et c'est une bonne chose.
Plus inquiétant est le récent tintouin autour de la question de l'identité nationale. Sarkozy s'est toujours vanté - avec raison, il faut le reconnaître - de créer le débat autour de ses idées: discrimination positive, immigration choisie, etc... Encore une fois, c'est réussi: Ségolène Royal entonne le grand air de "ne laissons pas la Nation aux nationalistes" et conclut son meeting de Marseille par une "marseillaise" (dommage qu'elle ne fasse pas de meeting à Java, ça nous aurait permis d'entendre du Gainsbourg). Dans la même veine, elle exalte la figure de Jeanne d'Arc. Jeanne d'Arc, si si.
Moi je lui trouve plein de qualités, à Ségolène Royal, mais des fois je me demande si avant de lancer une idée elle ne se dit pas: "Qu'est-ce que je pourrais bien dire qui fasse réac, ce coup-là?". Jeanne d'Arc! Et pourquoi pas Bernadette Soubirous, tant qu'on y est? Non mais franchement: si c'est la réponse de la Gauche aux cul-culteries bleu-blanc-rouge du moment, on n'est pas sortis des ronces!
S'il s'agit d'évoquer une icône féminine qui personnifierait une "identité nationale" alternative à celle de Le Pen, alors parlons de Louise Michel, par exemple. Mais pas de cette guerrière illluminée entourée de soudards comme Gilles de Rais qui, grâce aux excellentes relations de l'Etat Francais avec celui du Vatican, s'est retrouvée canonisée. ("Je suis en Sainte", dit la Pucelle). Est-ce un hasard si Jeanne d'Arc a été célébrée par le régime de Pétain, et si depuis Le Pen nous la ressort chaque année?
Catholicisme niais (les voix), idée d'une "nation" qu'il faut "relever", mythe du peuple (la bergère) dépositaire d'une conscience de la nation que les "grands" (l'entourage de Charles VII) ont perdue, éloge de la guerre, haine de l'étranger, et, pour couronner le tout, la chasteté (pas de ramoneur pour la bergère - désolé j'ai pas pu m'empêcher) et la mort de la main de "traîtres" ("Vous ne m'avez pas crue, vous m'aurez cuite"): tout y est pour nourrir la Droite Ratapoil et ses fantasmes. Alors ce personnage-là, pas de problème, on peut le laisser aux nationalistes. Que Le Pen fasse défiler chaque année une gamine en armure sur un cheval me laisse d'une froideur de marbre. Désolé pour les Orléanais démocrates et anti-racistes mais qu'il se la garde, sa Hezbollahi carbonisée.
Mais la question n'est pas là. Ce qui m'inquiète, c'est qu'on est en train de nous faire avec l'identité nationale le coup de l'insécurité en 2002: les "grands" candidats s'attaquent à une thématique que Le Pen s'est depuis longtemps appropriée et s'accusent mutuellement d'incompétence, voire d'illégitimité en la matière. Résultat des courses: une bonne partie des électeurs peut se dire que si c'est un thème si important, alors autant choisir celui qui nous l'a toujours dit plutôt que ceux qui ne s'en rendent compte qu'aujourd'hui.
Parce qu'on aura beau asséner que l'identité nationale c'est la république, la laïcité, les droits de l'homme, tout ça, on n'empêchera pas un nombre significatif d'électeurs de trouver ça un peu abstrait, et d'y préférer une définition plus concrète du genre: blanc, pas musulman et parlant le Français sans accent.
Ces gesticulations autour d'une "identité" - que même un historien comme Pierre Nora n'arrive pas à vraiment cerner en quatre colonnes dans "Le Monde" (17/03/07) - me fatiguent et m'inquiètent. Ségolène Royal n'a pas à s'excuser d'être de Gauche en s'appropriant toutes les crétineries patriotardes dont le rôle historique a principalement été d'entraîner le bon peuple à l'abattoir, la fleur au fusil et la bonne conscience en bandoulière. Qu'il crève, Déroulède, d'ailleurs c'est déjà fait depuis longtemps, et Le Pen n'a pas besoin de ce coup de pouce.
Çà fait rien, je voterai quand même pour elle le 22 avril. Face à Sarko l'excité Bushiste et Bayrou l'improbable, ce choix se rapproche ces jours-ci d'un choix par défaut. Mais un choix quand même.
A bientôt

dimanche 11 mars 2007

Le hamster identitaire

Nicolas Sarkozy est persuadé de vivre en permanence sur un vélo: on ne lui ôtera pas de l'idée que s'il s'arrête de pédaler, il va se casser la gueule et que ça lui fera mal. Comme un hamster dans sa cage, il cavale sur sa roue pour se prouver qu'il existe. C'est pourquoi il ne se passe pas de semaine sans qu'il ne brandisse dans les médias une nouvellle idée.
Dernière trouvaille en date: un Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale. Il n'a pas fallu longtemps aux autres candidats (à l'exception de Le Pen, évidemment) et à une palanquée de commentateurs pour dire tout le mal qu'ils pensaient d'une telle proposition. Je ne reviendrai pas sur l'interprétation communément admise qu'il s'agit pour le candidat de l'UMP de s'assurer sinon l'intégralité, du moins une part non-négligeable du vote frontiste au second tour, à moins qu'il ne s'agisse d'occuper l'espace que laisserait Le Pen vacant s'il ne pouvait se présenter. (Après tout, le monsieur est à l'heure ou j'écris toujours Ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire bien placé pour savoir si Nonoeil aura ses 500 signatures ou pas). Sarkozy entend occuper l'intégralité de l'espace à droite, y compris celui occupé par le FN, c'est une évidence. C'est une preuve supplémentaire qu'avec lui tout est vraiment possible, comme par exemple caresser le lepéniste dans le sens du poil (qu'il a souvent ras, comme chacun sait), tout cela a été dit et redit.
Deux choses cependant me frappent dans ce clin d'oeil à la droite frontiste: le diagnostic et le remède établis par notre bon docteur Sarkozy.
Le diagnostic, tout d'abord: le vote Le Pen est toujours là. Notons que c'est un fait incontestable, que la récente montée de Bayrou dans les sondages ne saurait masquer: les intentions de vote pour ce dernier sont certainement plus volatiles et conjoncturelles que celles exprimées pour Le Pen. Oui mais alors, est-ce que par hasard notre génial Ministre de l'Intérieur, notre inénarrable "winner" à l'ascension calculée dans ses moindres détails, ne se serait pas un tout petit peu fourré le doigt dans l'oeil il y a cinq ans? Souvenez-vous: l'argument-choc pour faire avaler aux 82% de non-chiraquiens la nouvelle pilule sécuritaire du quinquennat naissant, c'était: "Résolvons les problèmes de sécurité, ca assèchera le vote Le Pen". Dans la foulée: suppression de la Police de proximité, flash-balls, re-gonflage du moral des flics de base, lois "sécuritaires" en tout genre, j'en passe et des meilleures. Sans oublier le durcissement des conditions de séjour pour les étrangers. Alors asséché, le vote Le Pen, cinq ans plus tard? Et bien non, et Nicolas doit faire avec, ou en tout cas s'en est persuadé. Diagnostic lucide, donc, mais incomplet: il y manque le constat d'un foirage monumental en matière de "rétablissement de l'ordre républicain", dont les émeutes de novembre 2005 sont la preuve la plus visible. La résilience des frustrations, colères, aigreurs de toute nature qui nourrissent largement l'envie "d'essayer le FN" parmi ceux qui souffrent le plus de tous les désordres et/ou que ces désordres effraient, est liée à cet échec cuisant. Il serait bon qu'on rappelle à monsieur Sarkozy que s'il y a un problème Le Pen, il nous a prouvé qu'il ne faisait pas partie de la solution.
Le remède, ensuite: un ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale. Je passe sur l'association des deux notions, déjà largement commentée. Ce qui m'intéresse, c'est la seconde: l'identité nationale. Qu'un probable (si si, quand même) Président de la République Française, qui séduit entre 25 et 30% de l'électorat, envisage sérieusement de créer un ministère pour ça en dit long sur l'état de déliquescence de ladite "identité". Il y a un précédent: on n'a créé un Ministère de la Francophonie (ou un Secrétariat d'Etat, ce qui revient au même) que lorsqu'on s'est aperçu que l'Anglais était en train de dominer le monde.
Au-delà de l'accaparement d'une sémantique souvent confinée à la droite extrême (des élucubrations du Club de l'Horloge - un "think-tank" que fréquenta Bruno Mégret - aux groupuscules du genre "Bloc Identitaire"), il y a là un symptôme, un "signe des temps" qui ne trompe pas: le mythe d'une "identité française" qui irait de soi s'effondre. Notons que même les "identitaires historiques" se prennent les pieds dans le tapis: aujourd'hui Le Pen décrit l'immigration africaine et maghrébine comme une "invasion" qui va "submerger" le peuple français. Admettons. Mais en 1956, alors député Poujadiste, un de ses arguments en faveur de l'Algérie Française était le dynamisme démographique des "indigènes": ceux-ci, demeurant français, garantiraient l'accroissement de la population nationale. Faudrait savoir.
La vérité est que la France est, depuis qu'elle existe, une construction politique dont les composantes humaines et culturelles n'ont cessé de varier au cours des siècles. Seule l'unité linguistique (qui, contrairement à celle de l'Allemagne, ne précéda pas la "nation"), construite sur une répression des langues minoritaires ("Défense de cracher par terre et de parler Breton", pouvait-on lire naguère dans tous les lieux publics en Bretagne), a permis de cimenter une unité autour de principes politiques - la République - dont l'expression a également évolué historiquement. Et l'adhésion à ces principes, aujourd'hui comme hier, n'est ni univoque ni garantie.
Alors de deux choses l'une: soit on pense que l'"identité française" est une évidence - de même que la Terre est ronde - alors cessons d'en débattre, soit on pense que c'est une notion qu'il convient d'expliquer longuement ("être tout à la fois ému du sacre de Reims et de la Fête de la Fédération", disait Marc Bloch) alors arrêtons de parler d'"intégration" et encore moins d'"assimilation": on ne peut s'intégrer ou s'assimiler qu'à quelque chose de clair.
L'"identité française" est une notion qu'il serait grand temps de dépasser. L'idée d'y consacrer un ministère, c'est déjà un constat de décès, finalement c'est un progrès. Pour ce qui me concerne, mon identité est Européenne et Bretonne, ma citoyenneté est Française. Et la citoyenneté, ce n'est pas rien.
Que quelqu'un pense à créer un Ministère de l'Identité Nationale, c'est déjà drôle en soi. Que cette personne soit en plus l'héritier auto-proclamé de cinquante ans de Gaullisme, avec tout ce que ce courant de pensée suppose de cocoricos, de bleu-blanc-rouge, de sonneries de clairons, c'est irrésistible. Mais que ce candidat à la présidentielle espérât, ce faisant, capter les voix de gens qui ont toutes les chances, comme on dit, de préférer l'original à la copie, c'est carrément à se pisser dessus.
Pédale, petit hamster, pédale: ça ne t'amènera pas bien loin, mais ça nous donnera l'occasion de nous marrer.
A bientôt

vendredi 9 mars 2007

Barre, le retour

On l'avait presque oublié, celui-là. Noyé dans les reliques de la présidence Giscard. Mais il est toujours là. Bien sûr, il a atteint un âge quasi-canonique, et son nom ne tinte à l'oreille que des plus de 35 ans (et encore!), toujours est-il qu'il continue de s'exprimer.
Raymond Barre, donc, était interviewé le 1er Mars sur France-Culture. En 1980, souvenez-vous (enfin, ceux qui peuvent), suite à l'attentat contre une synagogue rue Copernic à Paris, alors Premier Ministre, il avait déploré la mort, outre de fidèles présents dans le lieu de culte, de "trois francais innocents". En clair, des passants qui n'étaient pas dans la synagogue, donc non-juifs, a priori. Ce qui sous-entendait que les autres étaient coupables, parce que juifs. Cette déclaration avait à l'époque déclenché un tollé. Interrogé sur cet incident vingt-sept ans plus tard ou presque, l'ancien Premier Ministre récidive (en substance: "non, je ne regrette rien", comme le chantaient les légionnaires du 1er R.E.P. à l'issue du putsch de 1961 en Algérie) et déclare que "le lobby juif" cherche à le faire passer pour antisémite "depuis 1979" (les débuts de l'affaire Papon), et que tout cela est "indigne". Le tout enrobé d'un éloge de Papon et, au passage, de Bruno Gollnisch, qui, tout compte fait, sont "des gens bien".
Après quelques jours d'un silence médiatique assourdissant, Claude Lanzmann se fend d'une tribune dans "Libération" (06/03/07: "J'accuse Raymond Barre d'être antisémite"), qui a pour effet de faire rebondir la polémique dans les médias.
Alors antisémite, Raymond Barre?
Il ne cultive assurément pas, à l'instar de certains intellectuels d'avant-guerre ou de quelques "penseurs" de l'islamisme radical contemporain, une haine systématique des juifs. Il est même quasi-certain qu'en tant qu'homme, et même homme politique, il fait preuve d'un esprit d'ouverture, de tolérance et de respect à l'égard de l'altérité de religion et d'origine - judaïsme et juifs inclus. C'est sans doute pour cette raison qu'il trouve "indigne", en son for intérieur, qu'on l'accuse d'antisémitisme. Pour lui, l'antisémitisme commence au seuil de la haine, et il s'estime en deçà. Tout ce qui ne relève pas de la détestation explicite de la judéité, pour Raymond Barre, serait donc une opinion parmi d'autres.
Dans sa petite tête, on peut raisonnablement supposer qu'il se dise: "On peut parler implicitement de "juifs coupables": l'attentat de la rue Copernic a été commis par des extrémistes arabes, il y a un conflit au proche-orient entre juifs et arabes, les français non-juifs n'y sont pour rien, en revanche les français juifs, hein, ils sont juifs, donc ils sont partie prenante... Par ailleurs des intellectuels s'expriment régulièrement dans les médias, appelant à la vigilance contre tout antisémitisme explicite ou implicite, ils ont en commun d'être d'origine juive, appelons-les "lobby juif" et puis voilà, pas de quoi en faire un fromage... Par ailleurs Maurice Papon n'a fait qu'appliquer les directives de sa hiérarchie en organisant la déportation des juifs de Bordeaux, ça prouve que c'est un bon fonctionnaire, ou est le problème?"
Premier temps, on désigne les juifs français comme une groupe humain homogène et implicitement solidaire, tout en affichant à leur égard une bienveillante neutralité. Deuxième temps: on suggère une extranéité des préoccupations/intérêts de ce groupe (par rapport aux "français innocents"). Troisième temps: on s'offusque du fait que certains dénoncent ce raisonnement, en se récriant qu'après tout on est un humaniste. Quatrième et dernier temps: constatant ou supposant que la plupart de ces réactions émanent de juifs, on en déduit que la preuve est faite non seulement de la solidarité du groupe, mais aussi de sa volonté de censure des opinions . A l'époque de Drumont, des Anti-Dreyfusards ou de Maurras, cette forme de cheminement intellectuel eût été considérée comme anodine. Depuis il y a eu le nazisme et le bilan qui en a été fait, que nul ne peut ignorer, avec à la clef le constat qu'à l'origine même de l'idée d'extermination, il y a la notion de "complot juif".
Tout se passe comme si Raymond Barre avait "zappé" quarante ans d'historiographie de la seconde guerre mondiale. L'hypothèse du gâtisme serait tentante vu l'âge du monsieur, mais il faut se résigner au fait que ses propos aient été tenus "en conscience". Bien plus, on sent dans ces déclarations la jubilation d'un défoulement après des années de silence. Il y a de la provocation, également, là-dedans, sur le registre: "Tant mieux si çà vous choque".
Alors assurément, oui, Raymond Barre est antisémite, un antisémite de l'espèce post-moderne, c'est-à-dire d'après la conscience de l'extermination - ou malgré cette conscience.
Tout cela ne serait que navrant et, quelque part, pathétique si, d'une part il ne s'agissait pas d'un ancien Premier Ministre - à une époque (1988) sérieusement considéré comme présidentiable - et si, d'autre part, ces propos n'intervenaient pas dans un contexte de confusion totale sur ces questions: tandis que des représentants auto-désignés de la population d'origine arabo-africaine assimilent juifs et sionistes ultra, des associations juives (Likoud France) accusent d'antisémitisme toute critique de la politique israélienne. De part et d'autre, des crétins radicalisés qui ne représentent qu'eux-mêmes se rejouent les haines proche-orientales, greffant sur ces enjeux ceux de souffrances historiques que l'on compare (Esclavage et Colonialisme "contre" Shoah). D'ici à ce que Dieudonné adresse un message de soutien à Raymond Barre, il n'y a pas des kilomètres.
On l'avait presque oublié, le "meilleur économiste de France". Maintenant, même les plus jeunes savent qui c'est. Ça tombe bien, il vient de publier un livre d'entretiens (avec Jean Bothorel, chez Fayard). C'est même pour ça qu'il avait été invité à France-Culture, le 1er mars. "L'expérience du Pouvoir", ça s'appelle, son bouquin. Oh oui, Raymond, raconte-nous ton expérience. Elle t'a rendu si sage, si avisé...
Allez, tchao.

lundi 5 mars 2007

"Dérive populiste"

Vous l'avez sûrement remarqué: un rituel multi-décennal a pour ainsi dire disparu de nos écrans de télévision à l'occasion de cette campagne électorale: le face-à-face entre un ou plusieurs candidats et des commentateurs "spécialisés", des Pierre-Luc Séguillon, des Jean-Michel Aphatie et autres Alain Duhamel. On se souvient du "Taisez-vous, Elkabbach", lancé par le très regretté Georges Marchais à son interviewer en 1981, avant que ce dernier ne se retrouve quelque temps au placard pour cause de giscardisme. Au passage, ledit Elkabbach s'était fait une réputation de journaliste-qui-ouvre-sa-gueule-même-si-ca-déplait (à moindre frais tout de même que s'il avait exercé à Moscou ou Santiago), d'ailleurs il en avait même fait un bouquin, comme quoi à quelque chose malheur est bon.
Autres temps, autres moeurs: trois reporters de France Télévision ont récemment organisé et fait signer (par 10 000 personnes, apparemment) une pétition: "Appel des journalistes de l'audiovisuel public pour des débats contradictoires" (Le Monde.fr, 02/03/07). La pétition porte sur l'exigence d'un strict respect du temps de parole, demande la présence d'autres commentateurs que les "experts en pensée néo-libérale" (pas très sympa pour Jean-Marc Sylvestre, qui nous fait bien rire, tout de même) mais aussi déclare: "Nous ne pouvons cautionner la dérive populiste qui consisterait seulement à donner la parole à des panels de citoyens interpellant directement les candidats, les journalistes étant cantonnés dans le rôle de M. Loyal porteurs de micros et ne pouvant exercer leur droit de suite sur les propos tenus par les différents candidats." Nous y voilà.
En effet fleurissent sur les principales chaînes de télévision ces exercices ou des citoyens lambda - cependant dûment sélectionnés par TNS ou autre pour être "représentatifs" - interpellent un ou plusieurs candidats en lieu et place des journalistes. Exemple-type: "J'ai une question à vous poser" sur TF1. Soyons clair d'emblée: je n'ai personnellement pas regardé d'émission de ce genre, aussi les quelques remarques qui suivent sont inspirées par le principe même de cette innovation, non par mon expérience de téléspectateur. Comme disait Cavanna: "J'ai pas lu, j'ai pas vu, mais j'ai entendu causer".
Tout d'abord, à l'origine de ce phénomène, un constat bêtement marchand: l'audience des émissions politiques n'avait cessé de baisser ces dernières années. Moins d'audience, c'est de l'écran publicitaire moins cher, donc moins de fric. Quand on s'appelle TF1, moins de fric, même juste un tout petit peu moins, c'est carrément inenvisageable. TF1, à la limite, aurait pu décider de se passer d'émissions politiques, mais en période électorale çà la fout un peu mal. Et puis servir la soupe aux uns et aux autres (surtout au petit, là, le copain du patron) çà peut servir. Du coup chez TF1, on se gratte la tête et on se dit: faut changer de format, coco. Et quand on s'appelle France 2 et qu'on s'est donné pour mission de faire comme TF1, mais en plus cheap et avec l'argent du contribuable, on suit.
Nécessité d'un nouveau format, donc. Là-dessus se greffe un diagnostic: la désaffection des français, ces vingt dernières années, à l'égard de ce qu'il est convenu d'appeler "les corps intermédiaires": partis politiques, élus, syndicats, églises et... journalistes. Du coup on se dit: "Et ben voilà, on se passe des journalistes et on met des vrais gens en face des politiques". Pour emballer le tout, on explique que c'est vachement mieux comme çà, parce que vous pensez bien, les questions seront bien plus spontanées. Apparemment çà marche, du coup tout le monde s'y met, y compris France 3. L'histoire pourrait s'arrêter là, tout va pour le mieux dans la meilleure modernité possible, the times they are a-changin': le téléspectateur reprend goût aux émissions politiques, des citoyens "normaux" prennent la parole, les candidats s'expriment auprès d'une large audience. Effet collatéral qui fait également chaud au coeur: les actionnaires et les dirigeants de TF1 retrouvent le sourire.
Oui mais voilà. Tout cela laisse à certains un goût amer, notamment aux journalistes politiques. Voilà des années qu'ils toisaient de haut élus, dirigeants de partis, syndicalistes et curés, expliquant à longueur d'éditos que ces gens-là avaient perdu le contact avec le corps social, que les temps étaient aux "collectifs", aux "initiatives citoyennes" et aux sectes syncrétistes à tendance bouddhiste. Ils étaient certainement bien peu à imaginer que la logique tendant à réduire à néant la fonction de représentation s'appliquerait un jour à leur profession. D'où leur stupéfaction, dont la pétition verbeuse évoquée plus haut est un symptôme.
"Nous ne pouvons cautionner la dérive populiste...". Mais qui vous demande de cautionner quoi que ce soit? Tout le monde s'en fout depuis belle lurette de votre "caution", du moment que l'audience augmente et les profits avec. Quant à "dérive populiste", arrêtez un peu avec les gros mots. Sarkozy parle de "racailles"? "Bouh, le populiste, disent les journalistes". Ségolène Royal parle de "démocratie participative"? "Bouh, la populiste, disent les mêmes journalistes". Même si çà n'a rien à voir. "Populiste", en gros, pour le commentateur politique de base, désigne toute attitude, commentaire ou idée d'un(e) politique cherchant à se "reconnecter" avec les citoyens, avec plus ou moins de bonheur et d'élégance.
Cela étant admettons-le, il y a problème. Le problème, c'est que construire "du" politique, sauf quand on s'appelle Le Pen ou Besancenot, çà veut dire se coltiner le réel. Et le réel (la société, l'économie, l'environnement international, européen et au-delà) c'est compliqué. "Le" politique est par définition amené à arbitrer entre des aspirations, des besoins contradictoires. Et cet arbitrage est, de nouveau, complexe, car il générera de facto autant de frustrations chez les uns que de satisfaction chez les autres.
Dès lors, une succession d'interpellations des candidats par des "citoyens de base" peut constituer un exercice intéressant, mais ne peut constituer l'intégralité de la "couverture" du débat présidentiel. De même que l'objectivité n'est pas la somme des subjectivités, l'addition des soucis, des questionnements individuels ne peut donner la totalité des enjeux collectifs. Il arrive un moment ou des "intermédiaires" sont nécessaires, qui faciliteront la lisibilité du discours politique (forcément "compliqué" et contradictoire) et permettront d'en signifier les enjeux généraux.
Les journalistes politiques ont toute légitimité à jouer ce rôle, c'est même leur vocation. A condition que leur questionnement ne se limite pas aux querelles de personnes et à la quête effrénée de "petites phrases", voire à la valorisation de leur ego - avec des questions du genre "ne pensez-vous pas que..." - spécialité d'un Alain Duhamel. Or c'est ce que la plupart se sont contentés de faire ces, disons, vingt-cinq dernières années, notamment dans l'audiovisuel. Il se trouve que ce petit jeu a fini par lasser - contribuant au passage à discréditer le politique et nourrissant l'abstention - à suffisamment grande échelle pour que les courbes d'audience des émissions politiques se mettent à décliner significativement. Qu'un marchand d'écrans de pub comme TF1 envisage de se passer de leurs services et finisse par le faire pour de bon, rien de plus logique.
Remplacer des journalistes par des citoyens lambda, c'est de la pure démagogie, assurément. Mais je ne suis pas bien sûr que cette "dérive" soit "populiste". Ce dont je suis sûr, c'est que cette "dérive" a commencé il y a bien longtemps. Une dérive vers la facilité, l'à-peu-près, la connivence, l'anecdotique, le nombrilisme d'un entre-soi médiatique.
Alors tu peux faire toutes les pétitions que tu veux, camarade. Mais si on devait en faire signer une contre la connerie, tu serais mal placé pour demander un stylo.
Allez, salut.