La vie est injuste.
Prenez un homme jeune, bien sous tous rapports, promis à un bel avenir politique: François Baroin. Il est tout neuf, ou presque, et en plus il ressemble à Harry Potter. Son avenir est d'autant plus radieux qu'il est jugé "Sarko-compatible": c'est un chiraquien d'origine, mais il a su rester suffisamment discret pour ne pas irriter Nicolas Sarkozy. Pour ceux qui n'ont pas compris: Dominique de Villepin n'est pas "Sarko-compatible". Moi non plus, d'ailleurs, mais tout le monde s'en fout, et de toute façon je n'ai jamais été chiraquien. "Sarko-compatible", ça veut dire qu'en cas de victoire de Nicolas Sarkozy, il ne sera pas au chômage, lui.
A droite, ça fait plus d'un an qu'on spécule sur qui est ou n'est pas "Sarko-compatible". Bien sûr, il y a cette fichue formalité - l'élection présidentielle - 44 millions de personnes sont convoquées, si ça se trouve il ne va même pas se trouver de majorité pour désigner Nicolas Sarkozy, comme prévu... Bah, même en avril 2012, il ne sera pas trop tard pour se découvrir d'autres compatibilités.
Mais revenons à François Baroin. Lundi dernier, il succède à Nicolas Sarkozy au Ministère de l'Intérieur. Ce dernier est désormais "libre de s'adresser aux Français" (parce qu'avant, vous comprenez, il se retenait très fort de s'exprimer, on sentait bien qu'il souffrait de ce long silence forcé). Tout content, il est, le François. Ouah, Ministre de l'Intérieur, eh, ça en jette. C'est ce qui s'appelle décrocher la timbale. D'accord, c'est juste pour cinq ou six semaines mais bon, toujours ça de pris, hein.
Et puis vlan, la tuile. Foireuse, la timbale. A peine Nicolas a-t'il tourné le dos que se déclenche Gare du Nord à Paris un affrontement gratiné entre forces de l'ordre et casseurs. A l'origine: l'interpellation un peu musclée d'un fraudeur. Lacrymos, jets de projectiles, usagers terrifiés, des heures durant, le tout sous le regard des caméras de télévision. Là-dessus, le fait divers s'invite dans la campagne: Ségolène Royal fait à juste titre remarquer, en substance, que ce pataquès démontre, s'il le fallait, qu'entre les policiers et un nombre considérable de jeunes on a atteint un niveau de tension inacceptable. Sarkozy, se sentant visé à juste titre, répond que même pas vrai, d'abord, et en remet une louche sur la Gauche "laxiste". Par ailleurs, Bayrou ouvre le robinet d'eau tiède et nous explique qu'il faut trouver un nouvel équilibre entre prévention et répression (mais ou va-t'il chercher tout çà?), Le Pen nous fait du Le Pen et Besancenot, lui, a la solution: la gratuité des transports en commun (Seuls les bourgeois aisés peuvent se payer un ticket de métro, c'est bien connu, et puis il est comme ça, Besancenot, plein de bon sens: si la transgression des règles crée du souci, on supprime les règles et puis voilà).
Bref, en fait de petite mission d'intérim peinarde et bien rémunérée, François Baroin se retrouve assailli par les micros, sous les feux de la rampe. Avec la décence qui lui interdit de dire tout haut ce qu'il doit penser tout bas: "Eh, ho, je viens juste d'arriver, foutez-moi la paix, c'est pas de ma faute si je récupère des flics complètement à cran, en face d'armées de petits cons camés à la baston et surveillés de loin par des brigades de CRS, entre deux contrôles d'identité".
Non, au lieu de ça il fait un petit déplacement express Gare du Nord, félicite les forces de l'ordre pour leur "sang froid" (on les félicite toujours pour leur sang froid, les forces de l'ordre, vous avez remarqué?) et dénonce «toute exploitation politique déplacée», suivez son regard.
Une timbale foireuse, je vous dis. Parce que quand même, il faut de l'estomac pour récuser le droit à des candidats à la Présidentielle, en pleine campagne électorale, d'observer:
- Qu'il suffit aujourd'hui de trois fois rien pour transformer les espaces urbains en scènes de batailles rangées
- Que ce genre de problème relève de la Sécurité publique, domaine dont un autre candidat se targue depuis cinq ans d'être le champion et qui dit à qui veut l'entendre qu'on n'a pas encore vu le plus beau
Mais bon, François Baroin prend sur lui et joue le jeu. La vie est vraiment injuste, s'il avait su il aurait peut-être pris des vacances au lieu d'accepter ce job à la con. Mais les leçons de tours de passe-passe ("Ou elle est l'insécurité? Hop, elle a disparu!"), Harry Potter les a bien retenues. Ça doit être pour ça qu'il est "Sarko-compatible".
Alllez, ciao
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