vendredi 11 janvier 2013

"Débattre", disent-ils

Il est certaines idées préconçues dont il est apparemment urgent de se débarrasser. Ainsi, l'idée selon laquelle un grand nombre de catholiques, et a fortiori l'institution qui organise leur foi - l'Eglise du même nom - ont des convictions bien arrêtées, sinon des certitudes immuables, sur un très grand nombre de sujets. Idée préconçue bien infondée, si l'on en croit l'un des principaux thèmes de la communication des opposants au "mariage pour tous": l'inscription au vote de l'assemblée de ce projet de loi est prématurée, il convient tout d'abord d'EN DEBATTRE au plan national. Ce thème - "rien ne presse, il faut en discuter largement" est bien sûr relayé par la quasi-totalité de la droite, Alain Juppé proposant rien moins qu'un référendum sur le sujet.
C'est nouveau, c'est intéressant: la hiérarchie catholique considère que c'est un sujet dont on peut débattre. C'est-à-dire, a priori, envisage calmement que des gens soient favorables au mariage des homosexuels et à l'homo-parentalité et qu'il convient d'échanger avec ces gens - courtoisement, cela va sans dire - des arguments publiquement afin que tous les citoyens en soient éclairés.

Encore que.

De quoi est-on censé débattre, au juste? Du fait que les couples homos bénéficient des mêmes droits conjugaux que les hétéros et de la légitimité implicite que confère un "mariage comme les autres"? Non non, vous n'y êtes pas. Là-dessus, les experts en communication consultés par les opposants au projet de loi sont formels: faire campagne en se focalisant sur l'homosexualité en soi c'est pas bon, ça, coco. Une telle campagne pourrait laisser entendre, aussi improbable que cela puisse paraître, que ses promoteurs auraient une vague tendance à l'intolérance... Quelle idée! Non, le débat, coco, tu vois, c'est le destin des enfants élevés par des couples homosexuels. On ne parle pas du droit des homosexuels à se marier et adopter, on parle du droit des enfants "à avoir une maman et un papa". Alors, pour ou contre ce fameux droit? Une fois le débat posé en ces termes, expliquent les experts en communication, on va voir ce qu'on va voir, parce que les enfants, hein, c'est sacré. Du coup, éventuellement, la réponse semble tellement évidente ("Ben pourquoi ils auraient pas droit à une maman et et à un papa, les pauvres gosses?")... qu'on se frotte les mains en se disant que la discussion est pliée d'avance, voire qu'elle n'a pas lieu d'être. Bref, on réclame à cor et à cri un débat dont on se dit, au fond, qu'il est incongru de l'initier. Les enfants, tout de même. Retour sur notre remarque initiale: finalement, toutes les idées préconçues ne sont pas forcément infondées.

Quoiqu'il en soit, pas sûr que cette pirouette rhétorique soit si astucieuse qu'elle en a l'air, singulièrement si on considère la fraction (non-négligeable, au demeurant) strictement catholique du mouvement d'opinion contre le "mariage pour tous". Car si l'enjeu c'est le bien-être des enfants, il est d'autres débats qu'on pourrait légitimement aborder, comme par exemple:
  • L'Eglise catholique, en tant qu'institution, peut-elle prêcher la morale après avoir pratiqué durant des années - pour autant qu'il faille déjà en parler au passé avec certitude - l'omerta sur les prédateurs sexuels en son sein?
  • En quoi le phénomène des prêtres pédophiles est-il lié à leur inamovible devoir de célibat - et donc de chasteté?
Ou bien, pour faire plus "vendeur": 
  • Pour ou contre le droit des enfants à ne pas être potentiellement exposés à des curés pédophiles?
                                            

Il est donc un certain nombre - pour ne pas dire un nombre certain - de participants à la manifestation de dimanche prochain qui devraient éviter le registre "protégeons les enfants" et se concentrer sur ce qui, très vraisemblablement, les motive au plus profond d'eux-mêmes: "si les homosexuel(le)s peuvent se marier et élever des enfants tout comme moi, alors je me sens dévalorisé car c'est dégoûtant, ce qu'ils font au lit."

Et tous, qu'ils prennent conscience que le débat a déjà eu lieu et a été tranché par une majorité d'électeurs le 6 Mai dernier. Et peut-être se consoleront-ils en se disant qu'il y aura très bientôt sans doute de l'adultère "pour tous", des divorces "pour tous", des frais d'avocat et de pensions alimentaires "pour tous" et des bastons-pour-la-garde-des-gosses "pour tous". Car c'est ça aussi, la réalité de l'institution du mariage au XXIème siècle.

Ca, et bien d'autres choses, somme toute une réalité un peu plus complexe que la stricte mise en oeuvre de la reproduction de l'espèce, que fantasment des curés par ailleurs tenus de ne pas la pratiquer.

Ciao, belli.

vendredi 4 janvier 2013

Les malheurs de Gégé

On croyait jusqu'alors que l'homme le plus malchanceux de l'histoire de l'humanité était ce pauvre Youri Gagarine, qui fit un tour complet de la planète mais finit malgré tout par atterrir en U.R.S.S.

Eh bien, non. Prenez Gérard Depardieu, grand comédien, artiste incontesté, champion du box-office, jouissant d'une légitime popularité. Pour commencer, un affreux gouvernement de "partageux" fait planer au-dessus de ses comptes en banque bien garnis (A la question: "Comment tu fais pour avoir autant de pognon?", il répondait "J'ai de grandes poches!" dans "Trop belle pour toi" de Bertrand Blier) l'épée de Damoclès d'un prélèvement fiscal un peu musclé. La mort dans l'âme - enfin, on imagine - il annonce à qui veut l'entendre qu'il compte devenir Belge. Comme Bernard Arnault, autre martyr de l'impôt progressif. Là-dessus, le chef du gouvernement qualifie sa démarche de "minable". Comme la star répond publiquement au Premier Ministre, sur une ligne rhétorique assez subtile - en substance: c'est çui qui dit qui y est - notre pauvre acteur se retrouve au centre d'une polémique d'ampleur nationale, la France est désormais coupée en deux, les "pro-" et les "anti-Depardieu", on a les affaires Dreyfus qu'on peut. Le comédien ayant laissé entendre qu'il renoncerait volontiers à la nationalité française, et bisque bisque rage, tralalè-reu... Pas de bol: Vladimir Poutine le prend au mot et lui offre l'asile fiscal et le passeport en bonne et due forme qui va avec. C'est pas de bol car s'il y a bien, parmi toutes les nations du continent eurasiatique, un pays dont passeport sent le pâté, c'est bien la Russie. Terminé, la libre circulation en Europe, en Suisse, aux Etats-Unis. Belge, c'est mieux, de ce point de vue, oui mais voilà, les Belges ergotent. Comble de malchance: jusqu'à hier au soir, Gérard Depardieu passait au pire pour un nanti fort-en-gueule un poil égoïste. Mais comme son ami Poutine lui a offert sans barguigner les honneurs de la nationalité russe, il ne pouvait pas faire moins que le remercier. Et là, crac, la crise d'incontinence verbale: Gérard qualifie le pays de Poutine de "grande démocratie". De nanti fort-en-gueule, sa réputation passe directement à "sale con", sans passer par la case "grand naïf". Comme si ça ne suffisait pas, on apprend aujourd'hui que Brigitte Bardot menace elle aussi de demander la nationalité russe si on ne surseoit pas à l'euthanasie programmée de deux éléphants du zoo de Lyon. "Sale con", donc, et par-dessus le marché bien parti pour devenir l'initiateur historique d'une vaste fête du slip, un grand n'importe quoi du débat public. Notons que si les cons se mettent à émigrer en Russie, il y aura beaucoup de monde à avoir froid aux miches, mais passons.
Soyons généreux, et ayons une pensée compatissante pour le pauvre Gérard Depardieu qui les accumule, ces temps-ci.
Paradis démocratique et fiscal - St Petersbourg, 2010

Il est en revanche une fraction de l'espèce humaine pour laquelle la compassion n'est pas de mise: les politiques et éditorialistes de droite qui ont cru judicieux de faire mousser "l'affaire Depardieu" pour en remettre une louche sur le thème du "matraquage fiscal". Ils ont l'air malin, maintenant: l'icône de leur croisade contre la fiscalité directe s'avère avoir autant de lucidité politique qu'une portion de Brie...  C'est sûr, un Depardieu en colère, ça vous avait un peu plus de retentissement que les jérémiades d'un Bernard Arnault. Tout le monde s'en cogne, des états d'âme du patron de LVMH, d'ailleurs même Vladimir Poutine n'en veut pas (il faut dire que ce n'est pas ce qui manque, les financiers prédateurs, en Russie). Depardieu, "ça le faisait" mais là, en Poutinophile, "ça le fait moins". Les voilà bien emmerdés, au "Figaro" et consorts. Bien fait pour leur gueule, ça leur apprendra à jouer les opportunistes et à s'emparer de la figure du "Gégé". Ils croyaient tenir une histoire exemplaire, celle du "créateur", de la personnalité au rayonnement international que les choix économiques du gouvernement avaient "découragé". Pour un Depardieu, combien de dynamiques entrepreneurs, las d'être des "pigeons", allaient s'égailler comme une volée de moineaux? Hein, hein? Bien sûr, c'était oublier un peu vite les ex-futurs "pigeons" (dont la quasi-totalité de l'équipe de France de tennis) réfugiés depuis belle lurette pas loin d'ici, au bord du Léman, que dix années de gouvernement de droite dont cinq de bouclier façon Sarko n'ont pas fait davantage revenir que les emplois industriels délocalisés en Roumanie. Mais on ne s'arrête pas à ce genre de détail. Faute de pouvoir démontrer que l'exil fiscal de quelques milliers de Français constitue un manque-à-gagner budgétaire plus important que les largesses accordées il y a peu aux marchands de limonade, faute de prouver que les entrepreneurs sont davantage découragés par la fiscalité et les charges sociales que par la pusillanimité des banques et la pingrerie de clients qui se font de la trésorerie sur leur dos, on se rabat sur le sensationnel. Depardieu, donc. Ben c'est raté. Question exemplarité, faudra repasser.

Ou plutôt, si: l'"affaire Depardieu" est exemplaire de la déliquescence mentale de certains et de la perversion du débat public qu'elle entraîne. Et les mots perdent leur sens: si Gérard Depardieu est une "victime" et l'impôt direct progressif une "injustice", alors la Fédération de Russie peut bien être une "grande démocratie".

Ciao, et bonne année à tous, cela étant!