dimanche 5 août 2012

BHL et l'oreille des princes


On se souvient, il y a une trentaine d'années, d'un sentiment diffus dans l'opinion française, que d'aucuns eurent tôt fait d'ériger en lame de fond idéologique: la montée des "déçus du socialisme". A moins de cent jours de présidence Hollande, on serait encore bien en peine d'identifier un phénomène équivalent. Pas véritablement de "déception du Hollandisme" à date, encore que: il conviendrait semble-t'il non pas de mesurer le nombre de citoyens désappointés, mais plutôt d'examiner quels citoyens en particulier expriment leur déception. La qualité plutôt que la quantité, donc.

Or depuis ce vendredi, nous voilà servis: un grand leader d'opinion, un penseur hors-pair du monde contemporain, un véritable phare de la pensée dont la lumière permet à tout-un-chacun de distinguer le Bien du Mal vient de faire savoir qu'il était "déçu par François Hollande": Bernard-Henri Levy, ex-nouveau philosophe.



Dans un entretien au "Parisien/Aujourd'hui en France" (cf "Libération" du 03/08/12), BHL remarque que lors de la campagne, François Hollande parlait de "chasser Bachar El-Assad", n'excluant aucun moyen, "même militaire". "On est loin du compte", note le philosophe, soulignant que "(…) Devant ce qui restera peut-être comme la plus grande épreuve historique, politique, morale, du quinquennat, cet attentisme, ce flot de bonnes paroles sans effet, ce n’est plus possible". Que devrait donc faire François Hollande pour redonner sourire et espoir à BHL? Ce n'est pas très clair mais, in fine, il conviendrait de "passer outre" le veto russo-chinois au Conseil de Sécurité de l'ONU et "forger une alliance ad-hoc avec la Ligue arabe et les Turcs".


Que n'y a t'on, en haut lieu, pensé plus tôt? Quelle pusillanimité, quel formalisme dans ce respect des institutions internationales! George W. Bush s'est-il enquiquiné avec le veto de l'ONU dés lors qu'il avait décidé de "chasser Saddam Hussein"? Non, bien sûr... Plus près de nous, Nicolas Sarkozy s'est-il contenté de strictement respecter le mandat des Nations Unies ("protéger les populations civiles") lorsqu'il a lancé son opération de promotion du "Rafale" au-dessus des sables Libyens? Pas davantage... Le premier était un vrai dur... et le second était dûment conseillé par BHL en personne... qui souligne dans son entretien au "Parisien" que "Bachar El-Assad est plus isolé dans le monde arabe que ne l'était Kadhafi".
Bref, basta les Nations Unies, pour commencer.

Ensuite c'est très simple: il suffit de convaincre Recep Erdogan que les temps sont venus pour la restauration de l'Empire Ottoman - un leadership militaire turc sur les masses arabes - et qu'il convient d'aller rétablir l'ordre à sa frontière orientale. Et yalla, fissa.

N'étaient les drames vécus par les populations syriennes, les flots de sang répandus par El-Assad (le "tueur en Syrie"), on serait tenté de partir d'un grand éclat de rire devant ces déclarations BHL-iennes et de se redire avec Michel Audiard que, décidément, "les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait". Mais au delà de l'incroyable naïveté de ce "y a qu'à, faut qu'on", il y a une bonne dose de culot dans ces déclarations.

Sur le fond, on ne saurait blâmer quiconque de fustiger Bachar El-Assad, quand bien même on pourrait souligner que dans cette partie du monde qui est la nôtre on n'y risque pas sa vie. Brassens le chantait il y a bien longtemps "J'ai conspué Franco, la fleur à la guitare, durant pas mal d'années/Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail/ Y avait les Pyrénées": quelle que soit la justesse des causes qui l'ont embrasé (Bosnie, Tchétchénie), BHL pourrait bien incarner l'archétype de ces "intellectuels engagés" qui mènent d'acharnés combats pour la justice et la morale, attablés devant un petit crème au Café de Flore. Mais tout le monde ne peut pas être Malraux ou Hemingway, après tout si en Europe on ne trouve personne pour risquer ses mots à défaut de sa peau, dans quelle partie du monde faudra t-il aller pour lire ou entendre l'indignation face à l'oppression sanglante?

Seulement voilà: entre la nécessaire indignation et la prétention à devenir un démiurge de la stratégie politico-militaire occidentale, il y a une marge. Or c'est un fait: déloger Bachar El-Assad, fût-ce à coup de porte-avions, c'est un poil plus compliqué que de livrer un édito hebdomadaire à un magazine de grande diffusion, BHL devrait avoir l'humilité de le reconnaître.

Mais non. Car si BHL est "déçu" par François Hollande, c'est peut-être bien parce qu'il ne s'agite pas en faveur d'une option militaire en Syrie, mais gageons que c'est surtout parce que le Président commet une faute grave: il mène la politique étrangère de la France sans le consulter, lui, BHL. L'homme aux chemises blanches n'a plus l'oreille du prince et ça, c'est un véritable drame.

BHL n'est pas simplement ridicule, il est indécent: les Syriens n'ont pas mérité, en plus de se faire massacrer par leurs dirigeants, de servir de caution aux ambitions d'un intellectuel égocentrique.

Ciao, belli.