vendredi 21 septembre 2007

PS: le temps des pisse-vinaigre

Alors moi je dis le Parti Socialiste, vous devriez tous faire comme moi - y adhérer - parce qu'une organisation politique avec de telles vedettes, çà n'existe nulle part dans le monde. A la limite, on devrait essayer d'exporter le concept, dans le business de l' "entertainment" ça ferait un malheur, Holly- et Bollywood n'auraient qu'à bien se tenir.
La situation sur le front est connue de tous: en face, un Président bonapartiste et franchement mégalo qui, comme Raoul Volfoni, déploie des flingues de concours et la puissance de feu d'un croiseur. Sur les terrains économique, social, diplomatique, une déferlante de "visions", de "projets" plus ou moins cohérents, acceptables, appropriés, et financés. Le tout bruyamment relayé par des médias subjugués et "embedded" à une fréquence quotidienne (cf. article précédent). La seule accalmie prévisible de ce vacarme, à court terme: Février 2009, qui ne comptera que 28 jours (2008 est bissextile, pas de bol).
Dans la mesure ou le bruit médiatico-politique est quasi-exclusivement constitué de Sarkozeries en tout genre, en quoi peut constituer idéalement la communication du seul parti d'opposition encore debout?
Simultanément émettre deux types de messages: déconstruction des embrouilles du camp d'en face d'une part, formulation d'un projet de société et d'options alternatifs crédibles d'autre part, et pas forcément dans cet ordre-là. Et s'efforcer de trouver des canaux efficaces pour les faire passer, même si c'est difficile.
On a cru comprendre que le "projet" était en train de se concocter, mais que ça ne risque pas d'être trop "soudain", comme on dit en Suisse Romande. Fin 2008, lors du Congrès, inch' allah. Admettons. Reste le commentaire critique des actions et projets de l'Exécutif. De ce côté-là ça se passe à peu près correctement, encore que: qui a-t'on véritablement entendu réagir sur la politique étrangère? Bayrou, le Lider Minimo aux deux députés, qui a clairement fait passer le message du franchissement de ligne jaune en termes d'atlantisme (dérive anticipée ici-même il y a quatre mois, oufoufouf, voir "Bernard, l'ermite", 23 Mai). Il est vrai qu'Hubert Védrine, seule voix qui porte en la matière au PS, est occupé à se faire couvrir d'éloges suite à son rapport Sarko-mandé sur "La France dans le monde". On peut pas être partout.
Quoiqu'il en soit, critiquer intelligemment les initiatives du pouvoir devrait suffir à la tâche des "ténors du PS", comme on dit (ceux qui causent dans le poste). Pour le reste, laisser passer les sarcasmes sur l'absence d'alternative structurée en attendant des jours meilleurs, tout en construisant discrètement et en profondeur cette alternative: voilà la feuille de route que suivrait un "ténor" un peu sensé.
Oui mais voilà.
Il se trouve que certains de ces "ténors" sont un peu oisifs, politiquement parlant, depuis quelques années. Alors ils occupent leur temps libre comme ils le peuvent. Chasse? Pêche? Nature? Parfois, peut-être, mais surtout: tradition. Une tradition très vivace, parmi les hommes et femmes politiques de tout bord, qui consiste à publier des livres, écrits seuls, sous forme d'entretiens ou grâce à l'aide discrète d'une "plume".
Coup sur coup ont paru, ce mois-ci, deux ouvrages de cet acabit: l'un de Claude Allègre ("La défaite en chantant"), l'autre de Lionel Jospin ("L'impasse"). Quelle est la teneur intégrale de ces ouvrages? A dire vrai je n'en sais rien, je ne les ai pas lus, ne les lirai pas, et m'en remettrai. Je n'en connais que ce que les médias ont bien voulu en dire, à savoir qu'ils contiennent l'un et l'autre des charges violentes contre Ségolène Royal. Il est bien possible que lesdits médias n'aient été intéressé que par cet aspect de leurs livres, mais à l'heure ou j'écris je n'ai entendu aucun des auteurs se récrier sur le thème "lisez bien, il y a plein d'autres choses, cette dimension de mes propos est marginale".
Là-dessus, Ségolène Royal déclare: "Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font" et "Si j'avais été Jeanne d'Arc, on m'aurait également brûlée vive". Rien que çà. A ce niveau, ce n'est plus de la "petite phrase", c'est de la micro-pensée. Bigote, de surcroît. Pourquoi pas: "Même pas mal, eh, c'est ç'ui qui dit qui y est" ou "Toi-même, enculé"?
Bref, résultat des courses: un parti d'opposition qui, sur la scène médiatique - ce qui n'est pas rien, en ces temps de Sarko-show - ressemble à une foire d'empoigne. Rien de nouveau sous le soleil, mais on ne peut pas dire que ça soit vraiment le moment. Du coup, une Droite qui ricane et qui en remet une louche sur l'opposition divisée et politiquement stérile.
Non, mais qu'est-ce qui a bien pu leur passer par la tête, aux deux retraités? Passons sur Allègre, dont le poids politique a toujours été inversement proportionnel au bruit que fait sa bouche. Mais Jospin?
Lionel Jospin ne s'est jamais remis du 21 avril 2002. Retiré "en pointillé" de la vie politique, il croit dur comme fer en son statut de "sage" (Un Houphouët-Boigny de Solférino, en quelque sorte). Or que voit-il? Malgré sa défaite, Ségolène Royal reste une hypothèse plausible pour la candidature PS en 2012, et il ne le supporte pas, lui qui a été frustré de sa confrontation avec Chirac. Alors le "sage" parle. Et dit tout le mal qu'il pense d'une personne qui naguère fit partie de son gouvernement. Bénéfice escompté: éliminer l'hypothèse en question. Après moi, le déluge, et bisque bisque rage.
Si on ne se fonde que sur la teneur de la réaction à chaud de l'"hypothèse" en question, il n'est pas exclu qu'il faille effectivement la reconsidérer sérieusement. Mais a priori rien ne prouve que cet ouvrage contribue en quoi que ce soit à effacer Ségolène Royal du paysage, si besoin était, par ailleurs.
Et quand bien même, bordel? Alors c'est çà, sa contribution au débat, à Yoyo? Ben mon vieux...
On a beau s'accrocher à l'idée que la "rénovation" du PS doit se faire indépendamment des questions de personnes, la tentation est grande, face aux pulsions graphomanes des pisse-vinaigre, de demander des exceptions à cette règle. Et de suggérer aux Allègre, Jospin, mais aussi Mélenchon, de se contenter de faire des coloriages ou de la pâte à modeler, on s'en fout, mais en silence: l'expression publique de leurs aigreurs ne sert à rien, sinon à réjouir Sarko et ses séides qu'il s'agirait plutôt, pour l'heur, de désespérer.
A bientôt

samedi 15 septembre 2007

Les larbins volontaires

Aujourd'hui, j'ai acheté "Le Monde".
A la "une" de l'édition de ce week-end, un titre, illustré d'un joli dessin de Plantu, attire mon regard: "Omniprésence et mouvement perpétuel: l'équation Sarkozy". Il s'agit d'une enquête, qui se développe plein-pot en page 22 sous un nouveau titre: "Le président tout-info". Dans cette enquête, le journaliste Philippe Ridet nous explique par le menu comment se construit ce phénomène auquel il est difficile d'échapper depuis le 6 Mai dernier: la Sarkozisation de l'information.
Aux Etats-Unis, l'entreprise de distribution Wal-Mart a bâti son succès, entre autres, sur une formule simple: EDLP, pour "Every Day Low Price". Chaque jour, le consommateur a l'assurance de trouver dans ces magasins une série d'articles en promotion. Ca "crée du trafic", comme on dit: bien évidemment tout n'est pas en promotion, mais une fois le chaland attiré dans le point de vente par les articles en question, il ne va pas s'emmerder à aller voir ailleurs si par hasard le reste de sa liste d'achats serait également moins chère. Ca permet de lui fourguer plein d'autres articles à des prix plus que normaux sans qu'il y prête attention, et donc à Wal-Mart de s'en mettre plein les fouilles.
L' "EDLP" a été bien évidemment mis en pratique par beaucoup d'autres entreprises de distribution, dont nos Carrefour et Leclerc. Jusqu'à récemment, cà restait une bonne grosse astuce d'épicier un poil retors. Mais avec l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, cette technique de l'"événement" quotidien pour faire du bruit et attirer l'attention sur un point B pour cacher la misère du point A relève du nec-plus-ultra de l'art de la politique.
Extrait de l'article de Philippe Ridet: "Le jeudi, David Martinon, porte-parole de l'Elysée, officialise l'agenda du chef de l'Etat. Journée noire pour les journalistes accrédités à l'Elysée. Ce jour-là, ils doivent modifier le leur, annuler des rendez-vous avec leurs sources, déplacer des déjeuners, retarder la rédaction de certains articles. Car chaque jour ou presque est l'occasion d'un déplacement". Les pauvres lapins. Le journaliste est lucide: " (...) pour décrypter, analyser, expertiser, il faut du temps. Et quand celui-ci se présente enfin, le président est passé à un autre sujet, et la presse à une autre polémique".
Eh oui, c'est ca le truc, t'as tout compris, Philippe.
Je continue de citer "Le Monde": "C'est du pain bénit, s'enthousiasme sans fard Jean-Claude Dassier, patron de LCI. Il fait vivre la chaîne. Avec lui, ça bouge !" Trop ? "Il crée l'actu en permanence, explique Valérie Lecable, directrice générale d'i-télé. Notre boulot, c'est de donner l'info. On ne va pas s'autocensurer au prétexte qu'il y aurait trop de Sarkozy."
Ben non, Valérie, surtout ne t'autocensure pas, ca serait dommage, ca serait même une atteinte à ta mission sacrée, qui est de porter la flamme de la vérité. Fais donc ton "boulot" et détends toi.
Philippe Ridet, toujours: "Les chaînes généralistes ont maintenant deux journalistes accrédités à l'Elysée, là où un seul suffisait du temps de Jacques Chirac. L'afflux d'images oblige à des choix draconiens. "C'est d'autant plus épineux que Sarko sait rendre les sujets intéressants", admet François Bachy, chef du service politique de TF1".
C'est sûr, quand on est chef du service politique de TF1, entreprise appartenant à Martin Bouygues, ami personnel du Président, entreprise dont le numéro 2 est Laurent Solly, ex-Directeur de campagne dudit Président, pas besoin de se gratter le ciboulot trop longtemps pour "admettre" trouver "intéressant" ce que Sarkozy a décidé de vendre aux médias ce jour-là. Pas étonnant non plus que chez LCI, filiale de TF1, on batte des mains dès que l'Elysée a une nouvelle idée (voir citation plus haut).
"A France 2 aussi, on tente de mettre de l'ordre et du sens dans l'agenda du président. "Nous essayons de ne pas nous enfermer dans le compte rendu quotidien, explique Michaël Darmon, journaliste accrédité à l'Elysée. Ce qu'il faut, c'est dispatcher Sarkozy dans les services afin d'apporter de l'expertise."
France 2 est vachement plus malin que tout le monde: Michaël Darmon "dispatche" et "apporte de l'expertise". Ah bon, nous voilà rassurés: le Service Public, tout de même. Pourtant, d'ou peut donc bien nous venir cette vague impression de "copier-coller"entre le "20h" de France 2 et celui de TF1? Putain c'est dur, le "dispatching". Et puis ca va trop vite: l'"expertise" doit se perdre en route.
Cet article, démarré sur le thème "un-président-hyperactif-qui met-la-pression-sur ses-équipes", après s'être pâmé devant un "(...) président qui bouscule. Qui recadre. qui colle à l'actualité. Qui fait des coups. Les réussit." se conclut sur un point d'interrogation: combien de temps ce cirque durera-t'il?
Je ne regrette pas d'avoir acheté "Le Monde", aujourd'hui. Rien que pour ce papier, cà valait le coup.
Au premier degré, pour comprendre un peu mieux la facon dont s'opère la gigantesque manipulation orchestrée par l'Elysée pour tétaniser / fasciner - à la facon de Kaa, dans "Le livre de la jungle" - ce qu'on appelle l'opinion.
Au second degré, pour me débarrasser des quelques illusions qui pouvaient me rester quant à la fondamentale honnêteté intellectuelle du "Monde". Car enfin, de quoi s'agit-il? Un média écrit démonte, même si le ton n'est pas à l'imprécation, une manipulation médiatique: formidable. A ceci près que les seuls exemples mentionnés nous viennent des médias audiovisuels. Chacun sait que ces derniers n'auraient rien à raconter si la Presse écrite n'existait pas... Mais tout de même: un peu facile de tirer sur les ambulances. Quid du "Figaro", de "Libération"... et du "Monde" dans le traitement le l'info-Sarko? Que l'on sache, les uns et les autres n'ont pas franchement fait preuve "d'autocensure" depuis le 6 mai... Sarko à la une, c'est comme la fille à poil en page trois du "Sun" ou du "Bild Zeitung": apparemment, cà fait vendre.
La vérité, c'est que les journalistes accrédités à l'Elysée, qu'ils soient de la presse écrite ou audiovisuelle, ont à peu près autant les moyens d'avoir un regard critique sur leur sujet que les reporters "embedded" dans les unités américaines lors de l'invasion de l'Irak en 2003. Que n'aurait-on fait pour de bonnes images "live" d'une mitrailleuse M-60 crachant ses valdas dans le désert mésopotamien? Avec Sarko, c'est pareil: au fond de soi, on sent bien qu'on se fait trimballer par l'artiste mais bordel, il faut en être, ne pas en louper une. Alors on suit. On se fait volontiers le larbin d'une pure stratégie de communication, visant à occuper l'intégralité de l'espace médiatique. EDLT: "Every Day Low Thinking", chaque jour, la pensée critique des médias réduite au minimum syndical, mais là n'est pas le plus important, au fond: cet essaim de journalistes qui relate les moindres faits et gestes du Président - dûment planifiés et calibrés pour "coller à l'opinion" - génère un bruit médiatique ininterrompu. Lequel bruit devient un fait en soi: oulala, ce qu'il est actif, Sarko, vous avez vu, encore, aujourd'hui?
Une amie, qui se dit "peu politisée", m'en a récemment sorti une bonne sur Sarkozy: "Y en a peu marre de toutes ces critiques, pour une fois qu'il y en a un qui essaie de faire quelque chose". Cette amie n'est ni naïve ni idiote. Bon, d'accord, elle est un peu à Droite, mais tout de même: la quotidienneté de la présence Sarkozienne finit par faire son effet. Dire et faire savoir c'est désormais faire, dire et faire savoir tous les jours, c'est bien faire. Et c'est bien connu, on ne doit pas critiquer si on ne fait rien soi-même.
Les larbins volontaires font de l'excellent travail, j'en connais un qui doit être ravi.
Salut à tous


dimanche 9 septembre 2007

Pâté de Foi

Deux événements se sont curieusement télescopés dans l'actualité récente: la diffusion d'un nouveau vidéoclip d'Oussama Ben Laden - après trois ans de silence - et la nouvelle selon laquelle Mère Térésa ne croyait pas vraiment en Dieu, au moins durant les cinquante dernières années de sa vie, ce qui fait quand même un peu beaucoup. On m'objectera que ça n'a rien à voir. Pourtant, si on y réfléchit bien, ces deux figures de l'iconographie contemporaine, l'une vivante, l'autre morte, symbolisent deux pôles diamétralement opposés d'un phénomène humain multi-millénaire: la foi. Au nom de cette disposition de l'esprit, l'une soulageait les vivants, l'autre les fait transformer en viande hachée. Bref, pour l'athée que je suis, cette coïncidence présente un intérêt rhétorique: celui de poser bien modestement de nouveau la question de la foi et de son influence sur les affaires du monde.
Mère Térésa, tout le monde connaît l'histoire: cette religieuse Albanaise s'est un beau jour mis en tête de permettre aux plus pauvres d'entre les pauvres - les SDF de Calcutta - de mourir dans la dignité. De son vivant, elle reçut le prix Nobel de la Paix. Depuis sa disparition en 1997, l'Église Catholique a entrepris de la béatifier, et son procès en canonisation est actuellement en cours. Elle devrait donc bientôt se retrouver en sainte (oui je sais, je vous l'ai déjà faite celle-là, désolé j'ai pas pu m'empêcher) si tout se passe comme prévu.
Mère Térésa, depuis de nombreuses années, c'est une sorte de cuirassier de la foi telle que l'entendent les autorités du Vatican: un exemple imparable balancé aux mécréants et bouffeurs de curés de toute sorte. Si quelqu'un s'avise d'évoquer le passé noir de l'Église (les tortures bénies par l'Inquisition au nom de l'extirpation de l'hérésie, les massacres sanctifiés durant les croisades, j'en passe et des meilleures) et s'interroge sur les bienfaits de la croyance en Jésus-Christ, aussitôt on peut répondre: "Oui, mais la voie du Christ, c'est aussi Mère Térésa". Si on fait remarquer qu'au nom de cette doctrine un curé polonais peut, en plein vingt-et-unième siècle, diffuser quotidiennement des messages antisémites à la radio sans être inquiété par sa hiérarchie, on vous rétorque: "Bon, d'accord, mais il y a eu Mère Térésa". La Saint-Barthélémy, Pie XII fermant sa gueule face aux crimes du nazisme, les dizaines de milliers de jeunes Irlandaises "de mauvaise réputation" enfermées à vie dans les blanchisseries des "Magdalene Sisters" jusqu'au milieu des années 80, le refus du préservatif dans la lutte contre le SIDA, les curés pédophiles couverts par leurs évêques? Certes, certes, mais voyez-vous, nous dit-on, il y a eu Mère Térésa. Mère Térésa, c'est la preuve que la foi apostolique, catholique et romaine peut soulever des montagnes pour faire disparaître un peu de souffrance dans ce pauvre monde. Bien sûr il y a eu les objections des hindouistes qui ont fait remarquer que la dame en question convertissait les mourants à tour de bras, profitant de leur état de faiblesse. Tout cela fut balayé sur le thème: "S'ils ne voulaient pas qu'ils soient convertis, ils n'avaient qu'à s'en occuper". Et puis on ne peut pas empêcher un commercial de faire du chiffre. Enfin, au regard des bienfaits prodigués, tout celà ne mangeait pas de pain, même eucharistique.
Mère Térésa, donc, ou la foi catholique en action pour le bien de l'humanité.
Et puis crac, la mouche dans le lait.
Voilà-t-y pas qu'on apprend, au travers de la publication de sa correspondance (publication menée par le Père Brian Kolodiejchuk, missionnaire de la congrégation fondée par religieuse albanaise, dans le cadre de son procès en canonisation) que Mère Térésa, durant cinquante ans, eut beau prier, se recueillir tant qu'elle pouvait, elle n'arrivait pas à "sentir" la présence du Christ. Le néant, zéro, ballepeau, que dalle, wallou. Evidemment, toute sa vie elle donna le change, mais au fond d'elle-même elle était torturée par ce "vide".
Ah ben merde, alors. Mais alors, tous ces bienfaits prodigués aux miséreux de Calcutta n'étaient donc guidés que par un altruisme hors du commun? Pas de super-"Maglite" greffée au fond de l'âme, pas de crucifié barbu l'entraînant vers la bonté, la générosité? Le procès en canonisation devrait donc s'arrêter de lui-même, et Mère Térésa rejoindre le panthéon laïque des bienfaiteurs athées de l'humanité...
Ce serait mal connaître la capacité de rétablissement intellectuel des curés. Le Père Brian Kolodiejchuk lui même explique que cette "absence" est la preuve même du don divin qui lui fut donné pour faire le bien (évoqué par "Time magazine" du 03/09/07). Et de citer de grands saints comme le mystique Saint-Paul-de-la-Croix qui, au XVIIIème siècle, "douta" durant quarante-cinq ans. Ben voyons. Ce genre de tour de passe-passe ("Elle n'arrivait pas à avoir la foi, c'est bien la preuve que la foi a guidé ses bienfaits") rappelle les contorsions des communistes, qui naguère affirmaient que le phénomène stalinien et ses millions de morts était la preuve du caractère profondément humaniste de leur doctrine, puisque Staline avait "dévié" du Léninisme.
Oussama Ben Laden, lui, jusqu'à preuve du contraire, croit en Dieu. Au nom de sa foi, le célèbre saoudien prône l'assassinat de ses prochains pourvu qu'ils soient euro-occidentaux - chrétiens ou juifs - ou arabo-musulmans "apostats". Jusqu'à aujourd'hui, cette foi lui a permis de frapper au coeur la première puissance économique et militaire mondiale sans être inquiété en quoi que ce soit (quelques petits déménagements de ci-de là, tout au plus). Mieux, ladite puissance, dirigée par un président très pieux, lui aussi, s'est embourbée dans une "croisade anti-terroriste" dont l'effet, jusqu'alors, n'aura été que de multiplier le nombre de partisans de Ben Laden de par le monde (sur ce fiasco, lire l'excellent "Dommages collatéraux", par Seymour Hersh, éditions Folio). Le salafisme de Ben Laden n'a pas grand-chose à voir avec la foi que pratiquent la majorité des musulmans et Bush n'est qu'un de ces imbéciles d'évangélistes, m'objectera-t'on à juste titre, mais la question n'est pas là: il se trouve que le meurtrier mégalo et le crétin qui lui court après "sentent" la présence de Dieu à leurs côtés sans aucun problème. Et sèment la mort et la désolation sur la planète.
Mère Térésa, quant à elle, constatant la misère des bas-fonds de Calcutta, a dû se faire la même réflexion que Woody Allen: "Si Dieu existe, il a intérêt à avoir une bonne excuse". Et faire avec, ou plutôt, sans.
Tout ça pour en arriver aux remarques suivantes: la foi d'un individu, quelle qu'en soit la forme, est au mieux le résultat d'une démarche de réflexion, au pire l'empreinte d'une tradition et/ou de contraintes familiales. Ce "pari" ne suscite a priori chez moi ni mépris, ni respect particuliers. C'est un phénomène bien humain, et voilà tout. Mais j'entends que les curés, rabbins, et imams de toute sorte nous lâchent un peu la grappe lorsqu'ils en font la condition nécessaire et suffisante de l'humanisme, du don de soi et de la générosité.
Ciao belli.