samedi 31 mars 2007

Vatican: la ligne dure

C'est fou ce que Donald Rumsfeld peut ressembler à Benoît XVI, bien déguisé. Non, en fait, je déconne: là, sur la photo, c'est Benoît XVI. On retrouve chez le successeur de Jean-Paul II ce petit sourire sympathique qui a fait notre joie et celle du peuple irakien ces dernières années. Mais reconnaissons d'emblée que les deux personnages ont bien peu en commun: le pape, quand bien même il en verrait la nécessité, est rigoureusement incapable de mettre vraiment le Proche-Orient à feu et à sang. Il y a bien eu sa "petite phrase" sur l'islam il y a plusieurs mois, quelques morts par ci-par là mais bon, à côté de la "guerre contre le terrorisme", hein, franchement, y a pas photo.

Si elle ne mesure pas à sa capacité d'aligner les divisions blindées, comme le pensait Staline, l'influence du pape sur la marche du monde n'est pas pour autant négligeable. En Europe, en particulier, le Vatican fait feu de tous bois, jouant d'armes dont usent les autres multinationales: le lobbying et la propagande. L'objectif en est de regagner, par la bande, ce que l'histoire de notre continent lui a fait perdre ces deux derniers siècles: du pouvoir temporel.

Les hautes autorités catholiques n'arrivent pas à se résigner à la sécularisation de l'Europe. La chute de l'empire soviétique leur avait fait espérer une "nouvelle évangélisation" à partir de leur bastion polonais. Las, même en Pologne l'influence de l'Eglise décline.
Deux options étaient possibles: la poursuite d'un aggiornamento initié lors de Vatican II afin de "coller" davantage à l'air du temps (en autorisant par exemple l'ordination des hommes mariés, voire des femmes) ou la radicalisation, le recentrage sur le corpus idéologique de base. Alors que Jean-Paul II semblait maintenir un relatif équilibre entre ces options, Benoît XVI a ouvertement choisi la seconde. Et ce, au grand dam d'une bonne partie de l'Eglise de France, qui voit d'un sale oeil, par exemple, les appels du pied répétés aux intégristes Lefebvristes. Un exemple symptomatique: l'éloge de la messe en latin fait par Benoît XVI et le projet d'en ré-officialiser l'usage, à tout le moins de ne plus l'interdire. A croire que l'ex-cardinal Ratzinger s'est laissé convaincre par la vieille chanson de Georges Brassens: "Ils ne savent pas ce qu'ils perdent/tous ces fichus calotins/Sans le latin, sans le latin/la messe nous emmerde".

Force est de constater que l'abandon du latin et l'irruption de gratteurs de guitare folk - en gros, la baba-coolisation du rite catholique - n'a pas enrayé, loin s'en faut, la désaffection des églises. A en croire les intégristes - rejoints par Brassens à titre posthume - ces changements seraient même la cause du déclin de la pratique religieuse. J'ai pour ma part tendance à penser qu'il s'agit d'un phénomène bien plus vaste - la désagrégation des "structurants" traditionnels, corollaire de l'individualisation de la société - qui a affecté de la même façon, en France tout au moins, une organisation comme le Parti Communiste. Cependant, dès lors que les "concessions au siècle" ne portent pas les fruits espérés, il n'est pas illogique, quand on est le pape, d'envisager un rétropédalage massif, et de faire le pari suivant: les cathos attachés aux réformes de Vatican II sont moins nombreux que les masses "non-politisées".
Mais au delà de la question des rites - secondaire, tout le monde s'accorde à le dire - l'enjeu majeur est celui de la "lisibilité", du "positionnement" du catholicisme dans le "champ religieux" en Europe. Sur notre continent en effet, on voit émerger deux phénomènes préoccupants pour l'Eglise:
  • d'une part, sur le plan interne, la foi de bon nombre de catholiques est de moins en moins étayée par l'adhésion aux dogmes: pour un croyant qui "assume" les mystères de la Trinité et de l'Eucharistie, qui croit en l'Immaculée Conception, au Paradis, au Purgatoire et à l'Enfer, combien qui se contentent de déclarer qu'ils sont convaincus "qu'il y a quelque chose au-dessus de nous" ce qui, sur le plan doctrinal, s'apparente à du Bouddhisme?

  • d'autre part, sur le plan externe, s'affirme auprès de populations issues de l'immigration extra-européenne, une foi musulmane que travaillent, ici et là, des prédicateurs inspirés par les doctrines les plus rétrogrades
    (Parenthèse: sur ce second point, on notera le soutien sans faille de l'Eglise catholique aux opposants à la loi sur le voile en France, ainsi que sa solidarité affichée avec les musulmans "offensés" par les caricatures publiées au Danemark)

Du point de vue de Ratzinger, cette radicalisation doctrinale relève d'une stratégie de survie du catholicisme face à deux dangers: celui de la dilution dans le syncrétisme d'une part, celui d'apparaître plus "faible" que l'islam d'autre part - ce dernier enjeu étant insignifiant en Europe mais lourd de conséquences en Afrique. De survie, mais également de combat.

Ce retour à une doctrine d'avant Vatican II s'accompagne en effet d'une offensive tous azimuts - lobbying et propagande évoqués plus haut - contre tout ce qui va à l'encontre de la vision catholique de la société en Europe: lutte réussie contre la légalisation de l'avortement en Pologne, matraquage anti-dico (le PACS italien) qui amène le gouvernement Prodi à retirer son projet de loi, et tout récemment (le 24 mars, à Rome, lors d'une réunion de clercs et de laïcs organisée par la Commission des conférences épiscopales en Europe), appel aux politiciens européens à "l'objection de conscience" face à certaines lois sur les moeurs, et dénonciation de l"apostasie de l'Europe".

Face à cette offensive, quelle résistance? On peut douter de la solidité du "front" laïc si on s'arrête à une anecdote toute récente: une religieuse répondant au doux nom de Soeur Marie Simon-Pierre (le dernier ferme la porte) a récemment fait part aux médias du fait qu'elle a réussi à guérir de la maladie de Parkinson d'un seul coup d'un seul: "Je suis guérie, c'est l'oeuvre de Dieu, par l'intercession de Jean Paul II. C'est quelque chose de très fort, de difficile à expliquer avec des mots" (Le Monde.fr, 30/03/07). Effectivement, c'est "difficile". Ce qui est également difficile à admettre, c'est que des journaux comme "le Monde" ou "Libération" reprennent ces déclarations, se contentant d'ajouter que si l'Eglise reconnaît ce fait comme étant un miracle, cela favorisera la béatification de Jean-Paul II. Pas le moindre petit début d'un contrepoint, comme par exemple l'interview d'un neurologue. Non non, la question c'est "ce miracle sera t'il reconnu par l'Eglise?", point. Pour ma part, je remarquerai que si l'intercession de Jean-Paul II n'autorise que la guérison des bonnes soeurs souffrant de Parkinson, maladie dont il était lui même atteint, les laïcs malades du SIDA feraient mieux de compter sur les tri-thérapies que sur la prière.

Toujours est-il qu'il est peut-être temps de montrer à Benoît XVI qu'il doit y avoir des limites à sa stratégie de reconquête. La radicalisation de son discours n'en rendra ce combat que plus facile. Les dizaines de milliers de jeunes polonaises aux grossesses non-désirées ont encore la ressource d'aller avorter en Allemagne, "Dieu merci", n'en déplaise à l'allemand Ratzinger. Mais ce n'est pas une solution.

Allez, salut.

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