Après l'hilarant Brice Lalonde, qui égaya le paysage politique des années 70 et Brice de Nice, fulgurante icône "culte" des moins de trente ans il y a quelques années, a surgi il y a une semaine la figure d'un nouveau comique: Brice Hortefeux. Une semaine, dans les temps politico-médiatiques que nous vivons, c'est très long, et déjà s'estompe l'événement, toutefois on aurait tort de le ramener à une simple anecdote. Il y a, dans cette affaire, la matérialisation d'un phénomène politique important, j'entends la présence au pouvoir, en France, d'un nouveau courant de la droite: la droite "kestananafout" ou "ranapété", comme disaient Sabatier et Foucault dans les sketches des "Guignols" de naguère.
Déambulant, le 10 septembre dernier, dans les allées de l'"université d'été" de l'UMP, Brice Hortefeux, à l'occasion d'un échange avec un militant d'origine maghrébine déclare, goguenard (devant les caméras de la chaîne Public Sénat) : "un, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". La seule chose sur laquelle tout le monde est d'accord à ce jour, c'est qu'il s'agissait d'un trait d'humour. Brice Hortefeux, sous ses dehors un peu austères, est en réalité un vrai rigolo. On se souvient qu'il avait dit à Rama Yade, dans l'avion qui les emmenait avec Sarkozy en direction du Sénégal quelque chose comme "tu viens avec nous, mais c'est pas sûr qu'on te laisse revenir". De l'humour, là encore. Ah, décidément, Brice n'engendre pas la mélancolie. "Brice-la-poilade", c'est peut-être bien comme ça qu'on le surnomme, au gouvernement.
Passons sur la pathétique et sinueuse ligne de défense adoptée par l'intéressé et ses amis politiques lorsqu'ici et là on s'émut qu'un ministre d'Etat puisse tenir de tels propos. On est même allé jusqu'à incriminer Internet, décrit comme l'instrument diabolique d'un "lynchage médiatique" désormais instantané. Henri Guaino, hier matin, sur France Inter, n'écartait pas l'idée qu'il faille un jour "légiférer" sur la diffusion de l'information sur la Toile. Ben voyons. Lorsque le doigt montre la lune, c'est faire preuve d'intelligence, comme chacun sait, que de regarder le doigt.
Passons, donc, car l'important dans cette histoire c'est moins la question de savoir si le ministre de l'intérieur est pas du tout, juste un petit peu, moyennement ou franchement raciste que l'effarante désinvolture avec laquelle Brice et ses amis traitent la question elle-même: ce qui importe, c'est que s'exercerait en France une censure insupportable du "politiquement correct" (voir l'excellente analyse de Chloé Leprince à ce sujet sur Rue89), sur le thème "ah ben, si on peut plus rigoler, alors, où on va, hein".
Il y a que la droite au pouvoir s'est, à l'image de son chef suprême, largement affranchie de règles de comportement qui jusque là faisaient concensus au sein de la classe politique: peser ses mots et ses actes lorsqu'ils sont publics et se soucier de montrer qu'on a du respect pour tout un chacun, fut-ce hypocritement, fut-ce au prix de l'adoption d'une langue de bois convenue. De la soirée au "Fouquet's" aux bonnes blagues de Brice-la-poilade, en passant par les bagouzes et les tenues Dior de Rachida Dati, il y a en vérité continuité, celle d'une caste qui désormais semble dire aux médias (et, par transitivité, aux citoyens) qui trouveraient à y redire: c'est comme ça et je t'emmerde. La droite "kestananafout", la droite "ranapété", donc. L'un de mes amis a eu un jour ce mot: "La différence entre dictature et démocratie? La dictature c'est "ferme ta gueule", la démocratie c'est "cause toujours"". En ces temps Sarkozyens, ce n'est plus une boutade, c'est un constat.
Mais l'"affaire Hortefeux" n'est que l'écume d'une vague rien moins qu'historique. Il y a cinquante ans presque jour pour jour, De Gaulle se déclarait publiquement en faveur de "l'auto-détermination" de tous les habitants de l'Algérie, ouvrant ipso facto la voie à l'indépendance de celle-ci. De ce mois de septembre cinquante-neuf date la marginalisation durable d'une fraction de la droite qui, s'agrégeant aux nostalgiques de la collaboration (pour autant qu'elle en fut distincte), ne trouva désormais plus comme porte-voix que des Tixier-Vignancour ou des Le Pen. Campagne présidentielle agitant le thème de l'"identité nationale" (voir ici-même), rapprochement d'avec le vicomte De Villiers ou défense inconditionnelle de Brice-la-poilade, une même logique: celle de la réintégration dans le giron de la droite gouvernementale des brebis égarées de cinquante-neuf pour qui un Arabe, fut-il miltant UMP, sera toujours un bicot. Manoeuvre de surcroît effectuée au vu et au su de tous.
Cette manoeuvre et la désinvolture qui l'accompagne constituent certainement la seule vraie "rupture" Sarkozyenne. Elle est de taille, faut admettre.
Ciao, belli.
1 commentaire:
Lamentable, en effet. Est-ce la marque de la stupidité de certains membres du gouvernement, de leur manque de sens commun ou encore de leur irrespect des citoyens? Je ne saurais vous dire. Maintenant, et sachant que ces braves gens ne sortent qu'armés des résultats du dernier sondage, il se peut que de telles remarques faites par le passé aient déjà prouvé leur efficacité...d'où la répétition de ces attitudes 'incongrues' ou irrespectueuses. et puis quoi de plus facile pour s'opposer à une gauche mollassonne et politiquement correcte? A défaut d'avoir des idées, les gars de l'UMP ont au moins une grande gueule, ce qui leur a été bénéfique, jusqu'à présent.
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