lundi 7 septembre 2009

Gabon: la France au cul merdeux

Les Iraniens méritent mieux que leur gouvernement actuel” a, en substance, récemment déclaré le président Sarkozy. Nonobstant l’archi-connue allégorie de la paille et de la poutre (les Français, by the way, méritent-ils vraiment Sarkozy ?), cette assertion ne manque pas de stimuler la réflexion. Sur le fond, pas de problème: en affirmant que les Iraniens méritent mieux qu’une bande de théocrates fanatiques, Nicolas Sarkozy ne fait qu’exprimer tout haut ce que bon nombre d’occidentaux – et de non-occidentaux - pensent tout bas. Toutefois on s’interroge: puisque la France est désormais en position, par la voix de son génial président, d’évaluer les régimes politiques de par le monde à l’aune des peuples qu’ils dirigent, et inversement, que n’use-t-elle de son regard aiguisé de façon plus systématique?
Que je sache la France, a priori, avalise l’élection d’Ali Bongo à la présidence du Gabon, ou alors c’est que j’ai loupé quelque chose. Les Gabonais, avec Ali Bongo, ont donc ce qu’ils méritent. S’il y avait le moindre problème côté droits de l’homme, démocratie, gouvernance ou autre, vous pensez bien que la France – son président – le ferait savoir a la terre entière, non? Puisqu’on n’a rien entendu de tel, c’est que l’élection d’Ali Bongo n’a rien de contestable, et que par ailleurs l’homme présente toutes les garanties d’une gestion des plus équitables et intègres de la manne pétrolière du pays.
Evidemment, chacun sait qu’il n’en est rien. Qu’il y a toutes les chances qu’Ali, au delà d’une élection contestable, et à l’instar de son père Omar, se goinfre allégrement des royalties que ne manquera pas de lui verser Total. Qu’il y a toutes les chances que se perpétue la confusion, au Gabon, comme ailleurs, entre les caisses de l’état et la cassette du chef dudit état. Que très probablement il ne fera pas bon, comme sous feu son père, exprimer se désaccords avec le gouvernement de façon trop ostensible.
Mais le Gabonais n’est pas un Iranien: c’est un nègre tout noir qui, comme l’a très bien explique Henri Guaino par la voix de Nicolas Sarkozy, a de la peine à « entrer dans l’histoire » : un dirigeant simili-démocratique devrait lui suffire. L’Iranien, lui, est blanc, en tout cas plus que le Gabonais, il a davantage droit, a priori, aux bienfaits de la démocratie. Par ailleurs le gouvernement Iranien, à date, ne fait rien pour favoriser la bottom-line de Total ni de quelque autre entreprise du CAC 40. Au Gabon, en revanche, Total est comme à la maison, feu Omar Bongo y a veillé. Alors on se dit que le fils, Ali, saura perpétuer la position dominante du « champion » de l‘ex-colonisateur. On se dit qu’il saura ouvrir ses portes à n’importe quelle entreprise, pourvu qu’elle soit française. Et que c’est toujours ça que les Américains n’auront pas.

Le Gabon, et les Gabonais « de base » n’y peuvent rien, pue la Françafrique triomphante: cynisme et condescendance vis-à-vis des populations concernées, complaisance à l’égard d’affairistes peu scrupuleux, souci primordial de garantir une mainmise « française » sur les richesses du pays. « Paris vaut bien une messe», aurait dit le protestant Henri de Navarre avant de se convertir au catholicisme. « Libreville vaut bien une pirouette», entend-on du côté de l’Elysée.

« On ne grimpe pas au mât de cocagne quand on a le cul merdeux, » disait mon père. Il avait raison. Dans le même ordre d’idées, il serait bon que la France se garde de donner des leçons a quelque régime que ce soit dans le monde tant que dureront la Françafrique et, avec elle, son cortège d’injustices, de barbouzeries fumeuses et de profits juteux plus ou moins nets. On m’objectera que les Etats-Unis n’ont pas fait / et ne font pas mieux en Amérique Latine (« This guy is a son-of-a-bitch, disait-on un jour au président Truman a propos d’un dictateur latino-américain - Yes, but he’s our son-of-a-bitch, répondit le président »)… Je répondrai que ce n’est pas une raison.

Mais le paradigme de la Françafrique semble indépassable, tant sont persistants les tropismes postcoloniaux : réagissant à l’attaque, par des opposants gabonais, du consulat de France, Bernard Kouchner a déclaré : « je pense qu’il n’y a pas de vraie tension, ni de rébellion ». Le dernier terme sonne comme un aveu… Si on parle de rébellion, c’est qu’il y a domination… Or le Gabon est indépendant, a priori. Pourquoi parler de « rébellion » vis-a-vis de la France ? Le Gabon, tout compte fait, ne serait-il pas un poil moins indépendant qu’on pourrait le croire ? Ce lapsus rappelle celui de Nicolas Sarkozy lors d’un discours à la communauté française de Cotonou, au Bénin, en 2007 : évoquant la France, celui-ci parlait de « métropole ». On ne se refait pas.

Alors c’est certain, les Iraniens méritent mieux que leur régime actuel. Mais s’il y a un pays qui est franchement mal placé pour le dire, c’est bien la France. Et notamment son président qui, à l’instar de ses prédécesseurs, pratique la rhétorique des droits de l’homme à géométrie variable.

A bientôt

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quelques commentaires :

1. Total est aussi présent en Iran.
Ils viennent d'ailleurs d'y perdre un gros contrat face aux Chinois (développement de la phase 11 du gisement gazier géant de South Pars). On se demande pourquoi.
2. C'est aussi les intérêts du groupe Bolloré qui sont en jeu dans toute l'Afrique de l'ouest. Voir l'article publié dans Mediapart à ce sujet: http://www.mediapart.fr/club/blog/vincent-truffy/180209/bollore-une-enquete-a-emporter. Selon Vincent Bolloré (qui a un beau bateau qu'il prête à ses amis), l'Afrique est la Corée du XXIe siècle.
3. Non, non, il n'y a pas de rébellion au Gabon. "Nous n'en sommes pas encore à ce niveau" a dit le ministre de l'Intérieur et de la Défense en évoquant le recours à l'état de siège à Port-Gentil.

Christophe