dimanche 29 juin 2008

Europe: les Orgues ou le Pipeau

J'ai une affection particulière - je sais, je ne suis pas le seul - pour l'Irlande et les Irlandais. Il y a cette musique bien sûr, du folk nerveux et inspiré de Christy Moore aux riffs lumineux de "the edge" de U2, en passant par les compositions au uileann pipe de Liam O'Flynn... A l'époque où le sur-franchouillard Michel Sardou commit son "Connemara" me vinrent des envies de meurtre, à l'idée que cet étron sonore puisse, aux oreilles de tant de gens, tenir lieu de "musique irlandaise". Mais il y a aussi, et ce malgré ses dérives absurdes et sanglantes, la sympathie que m'a toujours inspirée la longue lutte des "républicains" pour la liberté et la dignité de leur peuple. Ces temps d'affrontement sont fort heureusement révolus, et on ne m'ôtera pas de l'idée que l'adhésion de la République d'Irlande à l'Union Européenne - la plaçant enfin à égalité avec son envahissant voisin britannique - a contribué à cet apaisement.

L'Europe, justement. Après les Français et les Hollandais, les citoyens de l'Eire viennent de dire "non" - ou plus exactement: "merde" - à la version 2.0 du projet d'Europe politique, concoctée comme chacun sait par un des "six-cerveaux-remarquablement-irrigués" (dixit Carla Bruni) du Premier Monsieur de France. A la veille de la présidence française de l'Union qui démarrera dans quelques jours, tous les éditorialistes s'accordent à dire que çà la fout mal. Effectivement, çà fait un peu désordre. Il y a que par ce vote est mis à bas, en théorie, le projet de "traité simplifié" qui, à défaut d'une constitution, allait doter l'Union d'un mode de fonctionnement un peu moins chaotique: il eût fallu que ce traité fusse ratifié par tous les Etats-membres. Je dis "en théorie" car il n'a pas fallu attendre longtemps pour entendre des "experts" ici et là doctement nous expliquer que certes, à 26 normalement "çà vaut pas", mais que bon faut voir à voir, y a p't'être moyen de moyenner: la constitution de la République d'Irlande exige que ce type de question soit soumis à référendum alors que partout ailleurs la voie parlementaire suffit, hein, c'est leur problème, aux Irlandais, on va quand même pas tout arrêter pour çà. Se profile alors un scénario selon lequel on attendrait que les 26 parlements aient entériné la chose pour se tourner de nouveau vers l'Irlande et lui proposer un autre deal, genre statut de "membre associé"... Un peu comme la Turquie, finalement. On croit rêver.

Je fais partie de ceux qui, en 2005, ont voté "oui" au référendum sur la constitution européenne, et si c'était à refaire je le referais. Non que je trouvais ce document capillo-tracté particulièrement digeste ou exaltant - il faut être con comme un Giscard pour baptiser un truc pareil "constitution" - mais parce qu'il constituait une étape significative vers la construction d'une Europe politique. Refuser cette étape au nom de l'anti-néolibéralisme, comme l'ont fait et le font encore tant de "nonistes de gauche", c'est se tirer une balle dans le pied: l'Europe-marché, l'Europe des épiciers dérégulateurs se passe, par définition, bien volontiers du politique.

Celà étant, j'étais plus que méfiant à l'égard du "traité simplifié" de Nicolas Sarkozy (cf. http://helvetia-atao.blogspot.com/2007/10/leurope-par-le-bas.html), notamment parce que les compromis passés à Lisbonne mirent sous l'éteignoir le drapeau et l'hymne européen: renoncer au symbolique, c'est renoncer à toute idée de grandeur - en celà Sarkozy fut tel qu'en lui-même, le "pragmatisme" du marchand de tapis érigé en mode de pensée politique.

Les Irlandais, donc, ont joué le grain de sable dans la belle mécanique. Comme naguère les Français, ils ont dit "non" pour des tas de raisons, et à Dublin et Cork comme à Paris et Toulouse on a vu se coaliser des gauchistes et des culs-bénits, de vrais démocrates et des populistes démagos: ce n'est pas parce qu'ils sont Irlandais que les "nonistes" sont chimiquement plus purs ou plus inspirés. Il n'empêche que n'en déplaise à Sarkozy et aux "professionnels de la profession", ce refus mérite davantage que la réponse actuelle qui est, en gros, "cause toujours, on continue": si cette Europe-là et la manière dont on la construit ont du mal à passer auprès des peuples, c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Au-delà du fameux "déficit démocratique et social", au-delà de l'accaparement des manettes économiques de la Commission par des ayatollahs néo-libéraux, ce "quelque chose qui ne va pas" c'est l'insondable médiocrité des dirigeants européens, et singulièrement du mari de Carla. Souvenez-vous de l'insistance avec laquelle il vendit aux Français, puis à ses homologues chefs d'Etat, l'aspect "mini" de son traité, le côté quick and dirty de sa solution - "hop-là c'est torché, on passe à autre chose"... Il est vrai que, techniquement, cette solution permettait de "passer à autre chose". Seulement voilà: on ne fait pas rêver les peuples avec des solutions techniques. De surcroît on les énerve, lorsque ostensiblement on fait tout pour ne pas avoir à leur demander leur avis.
Il faudrait à la construction européenne de la dignité et de la grandeur pour que les peuples y adhèrent, il faudrait à l'Europe l'envolée des grandes orgues d'un Jean-Sébastien Bach. Au lieu de celà, elle sera dirigée durant six mois par un joueur de pipeau. Et, à l'inverse du "petit joueur de flûteau" de la chanson de Brassens, celui-là ne refuse pas ce qui brille de peur que "son la ne se mette à gonfler", au contraire il ne demande que çà.

En Irlande, l'équivalent du pipeau est une flûte à six trous qu'on appelle tin whistle. Elle produit un joli son, élément de base de jigs et de reels entrainants. Mais en Irlande, les joueurs de tin whistle font rarement de la politique.
Allez, salut.

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