mercredi 20 février 2013

Finalement c'est bon, les lasagne


Confusion, désarroi chez les imbéciles péremptoires, il n’y a pas que le subséquent déferlement de montages photo humoristiques sur Internet qui nous réjouisse dans la récente affaire de lasagne au bœuf à crinière : il y a aussi le pédalage dans la semoule des frères ennemis, des deux expressions d’un Janus saboteur de l’Europe telle qu’on voudrait qu’elle soit.

A ma droite, Marine Le Pen en souverainiste. Plus vite que son ombre, la pasionaria tricolore s’est fendue d’une déclaration fustigeant l’abandon des frontières, en substance : « si on n’achetait pas la viande en Roumanie en passant par des traders chypriotes et hollandais, eh bien voilà, ce genre de chose n’arriverait pas ». Patatras, l’arnaque s’avère franco-française, c’est un de ces professionnels de l’agro-alimentaire à l’ancrage bien local, Castelnaudary, excusez du peu, plus A.O.C. tu cherches longtemps, le cul bien tassé dans sa légitimité entrepreneuriale franchouillarde, qui aurait pris de profitables libertés avec l’étiquetage de ses stocks entrants et sortants.

A ma droite, également, les contempteurs de l’Etat empêcheur d’entreprendre en rond, avec sa paperasserie tentaculaire et ses réglementations tatillonnes. Qui cependant sentent confusément qu’en l’occurrence, une application stricte des règlements en vigueur, une acceptation enthousiaste par l’entreprise Spanghero de l’esprit et de la lettre des lois – et de la paperasse qui va avec - aurait évité le scandale. Les mêmes, aujourd’hui, se lamentent en se demandant comment « regagner la confiance des consommateurs ».
Confusion, désarroi chez les imbéciles péremptoires : l’affaire des lasagne Findus met les uns et les autres cul par-dessus tête. La gruge commerciale est aussi vieille que le commerce lui-même – Mercure, dieu des médecins mais aussi des marchands et des voleurs – et elle n’a pas attendu l’Europe de Maastricht pour voir le jour, n’en déplaise aux souverainistes. Et c’est bien l’insuffisance des moyens de régulation, par ailleurs dégât collatéral de l’idéologie ultra-libérale qui sous-tend la « construction » européenne actuelle, qui facilite ce genre de dérive. Les uns ne conçoivent de citoyenneté que réduite aux dimensions étriquées des nations, les autres ne voient dans les citoyens que des consommateurs. Mais les premiers comme les seconds refusent toute entité supranationale qui, désignée par les citoyens européens, dirait et appliquerait, sans limites – qu’elles soient liées aux frontières ou au souci de ne pas « restreindre la liberté de commerce » -  le droit de tous à ne pas se faire fourguer des vessies en lieu et place de lanternes, ou tout simplement de la merde en tablettes parce que ça coûte moins cher à fabriquer que le chocolat : les premiers comme les seconds ne veulent pas entendre parler d’une véritable Europe politique.

Or il est en Europe une nation où l’opinion dominante conjugue les deux versions de ce refus : la Grande-Bretagne. Ce pays, avec une constance qui force l’admiration depuis plus de quarante ans, sabote toute tentative d’intégration politique européenne au nom de son « identité » et, simultanément, défend ardemment son rêve d’une Europe réduite à une zone de libre-échange. Succès indéniable sur les deux fronts, hats off, my dear friends.
Alors il est d’autant plus cocasse que les consommateurs de ce pays aient été les premières victimes connues de la carambouille étiquetée Findus. Et oui : une entité européenne dont le rôle se réduit à celui d’un surveillant de centre commercial n’en peut mais lorsque ses employeurs (les commerçants) se mettent à jouer aux cons. Et non : l’autorégulation de l’économie, la « main invisible » du marché, tout ça, ça n’existe pas davantage que le Père Noël. La « construction » européenne voulue et réussie par les Britanniques leur pète à la gueule et blesse violemment une identité insulaire, « fierté nationale » dont la phobie de l’hippophagie constitue un élément symbolique non négligeable. On pourrait faire remarquer aux sujets de Sa Majesté que la viande de cheval présente moins de danger à la consommation que le bœuf aux hormones ou nourri de farines animales, mais ça serait mesquin et ça ne servirait à rien : l’identité nationale, là-bas aussi, c’est sacré.

A quelque chose malheur est bon (« Heureusement, il y a Findus »), et la mésaventure des Britanniques le prouve, cette histoire de lasagne déstabilise tout à la fois les souverainistes et les ayatollahs du libre-échange : à considérer le cadre national comme l’horizon indépassable du politique et/ou à n’envisager son dépassement que par le « règne de la marchandise » dont parlait Guy Debord, on ne préserve ni la « fierté nationale » du citoyen ni la « satisfaction » du consommateur. Mais n'en doutons pas, les uns et les autres s'en relèveront et ne tarderont pas à reprendre du poil de la bête.

Même si on s’avère incapable de dire de quelle bête il peut bien s’agir.

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